"Un homme accidentel" de Philippe Besson
Ombre portée

Sérénade en fa (majeur) pour amoureux et cellulaires

Sta sera tornando dalla Libreria

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billet en chantier - petits soucis de connexion lente -

C'est d'abord elle que j'ai remarquée au point de manquer foncer dans celui à qui elle parlait, et qui se tenait appuyé contre le mur d'en face, les pieds nécessairement un peu avancés sur ce trottoir où je marchais.

J'avais pour une fois le coeur moins faible que le chagrin, dans ma besace le tout nouveau Rosetta Loy (1) et la perspective d'heures intelligentes.

D'où sans doute mon nez en l'air admiratif au lieu d'en rase-motte vers la direction d'une chute prochaine.

Et qu'ainsi j'avais vu la jeune femme, à la longue fenêtre d'un bureau moderne dans un immeuble ancien, si visible au travers d'une vitre sans rideaux ni montants nombreux, avec la lumière de la pièce sur laquelle sa silhouette précise se détachait.

La vision n'était pas sans beauté. Ni son air délicatement penché. Attentif.

L'homme faisait pour sa part dans la nonchalance étudiée.  Mais à l'encontre des soupirants d'avant, en guise de mandoline c'était un téléfonino qu'il tenait et auquel il chuchotait des mots tendres à sa belle.

Elle ne pouvait sans doute du lieu de son travail pas déjà s'absenter. Ils se parlaient ainsi tout en se regardant. Avant-goût probable d'un rendez-vous du soir, dont j'espérais pour eux qu'il ne fût point trop différé.

J'ai hâté le pas, je craignais d'entendre des considérations peut-être triviales ( - Bon alors en t'attendant, je décongèle les steaks hâchés ? Tu préfères avec des frites ou des haricots verts ? On a encore ceux de chez P*card, tu sais. Ils sont périmés au 20 janvier.) en lieu et place de la conversation tendre que pour eux j'espérais.

Je ne suis cependant pas parvenue à leur imaginer un destin brûlant d'amants cachés, tenus par secret nécessaire de se parler en technique interposée et de ne se voir certains soirs qu'en ombres chinoises, l'une d'intérieur l'autre de rue. Juste une contrainte professionnelle qui les maintenait pour un temps séparés.

Je tiens encore, je crois, à me persuader que l'amour ici et aujourd'hui est presque possible ; peu importe si pour moi, il n'habite plus là, où s'il est trop tard dans mon cas pour sauver ce qui fut par mégarde, pureté d'inadvertance et trop parfaite confiance, si mal engagé.

      

(1) hélas uniquement disponible en français (!)
"La première main" de Rosetta Loy (ed. Mercure de France) traduction Françoise Brun.

[photo : même rue, un peu plus loin car il est (pour l'instant ?) des moments que je ne vole jamais]

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