Ombre portée
12 janvier 2008
un samedi comme un autre, un lieu de conférence (... et c'est Paris qui bat ;-) ?)
billet à suivre ... (ça ne s'arrange pas)
Il annonce tout de go, qu'il ne répondra sans doute pas aux questions. C'est étonnant pour une table ronde.
D'autant que le sujet en est fort sérieux, il s'agit d'histoire et de suppressions humaines, on n'est là pour tenter d'attraper quelques bribes de compréhension. Et pour ma part je me suis inscrite comme je l'aurais fait à une journée d'études professionnelle : pour un de mes chantiers j'ai (grand) besoin d'instruction. Et puis pour ma petite vie aussi car en tant que victime potentielle qui s'en est bien tirée, j'ai quand même parfois bien envie de comprendre ce qui pousse un être humain pas nécessairement sanguinaire d'emblée, à tuer son prochain ou du moins décider qu'il peut mourir sans s'en soucier.
Il annonce d'emblée qu'il ne répondra pas et ça surprend d'autant plus que l'autre participant principal n'est pas là. Peut-être qu'il pressentait quelques difficultés.
Alors si on doit faire toute la session entre un absent et un silencieux, ça promet.
L'homme ne manque pas d'ego (il peut, vu le travail accompli). Il savoure le silence partagé qui suit sa déclaration : les uns atterrés (oh non, on va pas être venus pour rien) les autres amusés (tiens, et si finalement on riait). Puis se lance dans un numéro dont je suis incapable de démêler la part de sincérité de celle de Ils-m'ont-conviés-ils-l'auront-voulu.
Je me dis que je ne glanerai sans doute pas cet après-midi les enseignements voulus, mais ne perdrai pas mon temps. La vie m'a habituée à ce que rien ne se passe comme prévu, j'ai donc appris sauf catastrophe à goûter les instants déviés. Ce sont souvent les plus forts.
Il poursuit d'une voix pourtant peu pâteuse et tout en cohérence, par l'annonce calme qu'il est "ivre mort" après "force libations la veille au soir (1), beaucoup de violence et des réconciliations spectaculaires", sans compter une sombre histoire de fourrière dont son auto est le héros. Je songe qu'ivre ou pas il a plus de talents que la plupart des gens qui de l'exacte même anecdote auraient fait un quart d'heure d'ennui, quand lui nous offre sens, divertissement et réflexions en quelques phrases et rêve pour mon propre compte de telles retrouvailles.
Et puis peu à peu au moment où l'on pouvait se croire partis pour une longue et spirituelle causerie post-prandiale, voilà qu'il raccroche son anecdote au thème, et revient pile dans les clous du profond respect qu'envers les victimes et les survivants visiblement il éprouve. Tout se passe soudain comme si malgré tant d'années passées et de controverses, l'ombre portée des absents (assassinés ou morts de vieillesse) était plus forte que la vie d'à-présent.
Le ton change. Le thème est lancé. Il n'en sera plus dévié fors quelques fiertés d'usage.
"Many were freed only to die." (2)
(1) en l'honneur posthume de Simone de Beauvoir. Décidément ces derniers temps Simone a bon dos . J'espère bien qu'elle en rit de là-haut (après tout).
(2) commentaire (un des) du film "Death mills", et qui m'est resté.
[photo : ombre portée, janvier 2008]