L'effet Bouissoux
17 janvier 2008
jeudi dernier, jeudi déjà ?
BILLET à SUIVRE
(en ce moment : courir)
relu le 20/01/08 vers 13 h 30
C'était un soir d'après l'usine, avec toute la fatigue assortie. Je devais passer à la fn*c récupérer un développement, luxe que je m'accorde encore parfois.
En franchissant la porte de ces lieux tantôt hostiles (le client y est considéré comme un coupable en puissance), tantôt formidables (j'y ai aidé un ami à une lecture publique, pas mal picolé en coulisses auprès d'invités passionnants, croisé certains slameurs que j'aime à des moments où la magie des mots enchaînés était la seule chose qui m'évitait de définitivement sombrer), et qui ont contribué à changer ma vie (1) je n'avais pas conscience en ce noir jeudi soir, les jours déjà rallongent mais ceux de travail ne raccourcissent pas, que j'allais à nouveau changer de dimension.
Une cliente fâchée tempêtait auprès de la caisse. Les travaux photos qu'elle avait confiés n'étaient pas conformes à ses souhaits. J'ignorais son contentieux, mais finalement elle prit place après moi et s'empressa de me raconter sa vie (un rendez-vous médical qui suivait, la difficulté de trouver un taxi). Jusque-là rien que de très habituel, où qu'on aille il y a toujours un mécontent au moins, et où que je sois on me raconte sa vie ou me demande son chemin. J'ai hérité de dieu sait lequel une fonction d'écouter.
C'est d'abord la personne qui recherchait mes travaux dont on m'avait prévenue par téléphone qu'ils étaient prêts et dont l'attitude d'une gentillesse extrême m'a étonnée. Je ne sais quel souci de classement l'empêcha dans un premier temps de retrouver ce que j'avais confié, elle se donna un mal fou pour le faire, s'excusa plusieurs fois d'avoir un peu (fort peu) tardé. Or j'étais là, tranquille, relativement peu pressée, ma seule contrainte suivante étant de rentrer dîner puis vaquer à quelques occupations domestiques ou personnelles s'il me restait quelque énergie.
Sa collègue qui encaissa l'achat s'empressa de me signaler que dans le cadre d'un programme de fidélité comme pratiquent désormais la plupart des enseignes des chèques-cadeaux d'un montant de -- euros m'attendaient à l'accueil, si toutefois j'avais le temps. Elle ne le confia pas avec l'habituelle lassitude des salariés à qui l'on a passé la consigne de signaler systématiquement aux clients leurs gains éventuels, mais me le dit d'un ton presque enjoué, comme si elle me parlait vraiment à moi, et non pas à la 15 000 ème ombre payante de sa journée.
Quand j'arrivai au comptoir de l'accueil, décidée à percevoir ces bons d'achats auxquels j'avais jusque-là négligé de prêter attention, même configuration que précédemment : un mécontent me précédait. Résignée à une attente qui risquait de se prolonger, je sortis mon téléfonino et consultai les plsu récents messages, craignant que ma journée d'usine ne m'ait rendue négligente à mon insu. L'une des hôtesses (?) présentes s'extasia alors sur la douce housse de mon appareil que je porte finalement le coeur à l'endroit.
La même après m'avoir prise à témoin d'un (léger) chahut plaisantin avec l'une de ses collègues, s'exclama au vu de ma signature qu'elle dit trouver jolie.
Et en sortant je ne fis sonner aucun des portiques de sécurité (3).
Je me retrouvai donc sur le trottoir dûment pourvue de développements et chèques cadeaux, délestée du prix des premiers et toute chargée de perpléxité.
Pour qui m'avaient-ils prise ?
Mon quart d'heure Warholien et ses demi-heures supplémentaires étant passé depuis deux ans (bientôt trois), il s'agissait d'autre chose. Quelqu'un qui faisait célèbre à la télé, s'était-il mis à me ressembler ? (4)
C'est dans le train en ouvrant mon sac à main pour y prendre ma dose [de lecture], que je compris enfin :
il s'agissait d'un livre doux, amer mais léger, désabusé mais sans rancune, inquiet par bribes mais globalement apaisé, le quotidien d'un Tristan auquel j'aurais pu ressembler si la vie m'avait laissée donner libre court à mon tempéramment personnel au lieu de me balancer dans des situations difficiles imposées. Il me permettait le temps des pages de me glisser dans la peau d'un homme jeune et séduisant (6) sans charge de famille (7), issu d'un milieu bourgeois (5), au lieu d'être une mère de famille marquée par ses origines, crevée de responsabilités, relativement seule, copieusement endettée et parfaitement harassée.
Quelque chose avait dû en rester qui persistait dans mon contact avec les gens croisés y compris par nécessité. Et les avaient fait réagir en miroir avec bonheur et sympathie.
Peut-être qu'un jour enfin, mon quotidien me permettra d'être quelqu'un qui ne pèse pas. Aux naufrages affectifs je ne peux plus grand-chose, m'étant rudement échouée sur des écueils que je n'avais pas vus ni même imaginés, mais il est plus que temps de faire enfin coïncider mon travail et mon métier. Et d'être Tristan (léger) à temps complet.
(1) une belle histoire de Dragons, de radio et de Home Cinema gagné là. Le premier texte tombé sur moi vient de là (dans la nuit du 26 au 27 juin 2003 autour de minuit). J'en ai retrouvé des bribes récemment, il y eu un feuilleton privé (2) que j'avais rédigé bien au delà d'un été pour faire sourire l'une des personnes grâce auxquelles je l'avais gagné. En faire quelque chose, peut-être à présent. Mais quoi ?
(2) A qui appartient une correspondance dés lors qu'une au moins des personnes a disparu coeur et âme ? A celui qui l'a rédigée ? A celui à qui elle était destinée ? A celui qui la lit par hasard ou nécessité ?
(3) C'est une malédiction que j'ai, généralement quand je suis dans un état fatigué-énervé-pressé précis. Je fais sonner.
(4) Thème même d'un livre de Serge Joncour, "L'idole" qui m'avait beaucoup plu à l'époque car ça venait en quelque sorte de m'arriver et que c'est troublant quand on n'est personne d'être pris pour quelqu'un (en l'occurrence dans mon cas à cause d'une figuration télévisée uniquement due à l'actualité et passablement involontaire) : un quidam quelconque se met un beau matin par être reconnu dans la rue par tous et sans arrêts et sans savoir pourquoi.
(5) là je brode
(6) là je ne brode pas, l'auteur l'est, il sait ce qu'est.
(7) le narrateur n'a ni conjoint ni descendance ; ce qui sur l'auteur ne signifie rien.
[photo : pause café, quelques jours plus tard. Je n'avais pas eu le coeur d'enlever du sac le livre]
merci à Julien Bouissoux, son bouquin, au delà de l'anecdote que je rapporte ici pesamment (suis fatiguée, phrases longues et lourdes, pas le temps d'y retravailler), m'a vraiment fait du bien
(alors précisément il aborde le genre de sujet d'habituellement je déteste - écrire des livres pour y mettre en scène des gens qui écrivent des livres, je n'en vois ordinairement pas du tout l'intérêt - ; ne serait-ce pas là ce qu'on peut appeler talent ? Pour ce qui est de narrer comment un livre se détricote et se désécrit parfois au lieu d'avancer en tout cas il en a)