Pourquoi il ne faudrait jamais écouter les garçons de café (ni encaisser les chèques de Jean-Paul Sartre)
Fin che posso

Le chagrin du gain

ces jours-ci, à Paris mais pourquoi pas ailleurs

billet et photo à venir

(décidément ça ne s'arrange pas, en fait c'est pour ne pas oublier l'idée venue alors même que je dois aller dormir de toute urgence).

Désemparée par la bonne nouvelle, j'ai eu une mesure d'incapacité blanche bien plus longue qu'une demi-pause, mon coeur ne battait pas plus que ça, je n'éprouvais rien d'autre qu'une pure stupéfaction en cours ou prévue (car avant d'entrer j'ai su, j'avais pensé, Pourvu que le chèque ne soit pas à aller chercher à l'autre bout de Paris, puis aussitôt, c'est donc que j'ai gagné - c'est que je passais à l'officine un midi d'usine, et devais me hâter -).

Heureusement la préposée aux gains était joyeuse pour deux,

- Je vais devoir vous faire un chèque, me confia-t-elle d'un air gourmand.

Un peu plus tard elle m'annonça une somme, de celles qui ne changent pas une vie mais deux fins de mois si.

J'ai probablement fort mal remercié, bien insuffisamment, fait cependant tous les gestes requis par ailleurs sans rien oublier, puis me suis retrouvée à marcher vers l'agence bancaire où je pourrais sans tarder déposer avant de le perdre, ce qu'au loto j'avais gagné.

Je pleurais.

Ce n'était ni de joie, et pas même d'émotion.

C'était le souvenir d'un film (1) qui ravivait soudain le chagrin avec une violence inouïe. L'histoire en est celle d'un milliardaire lassé de la rapacité de ses courtisans et qui organise qu'à sa mort 8 personnes soient tirées au sort dans un annuaire à qui sera attribué un million chacune.

L'un des millions échoie à un homme jeune, qu'on voit en cellule. Il est condamné à mort. Je ne sais plus comment on l'apprend mais on pige qu'il n'a commis de crime que dans une tentative désespérée de se procurer de l'argent, il a une femme et peut-être un enfant (ou bien elle en attend un, je n'ai pas revu ce film depuis au moins 15 ans).

L'annonce de son gain le fait bondir de joie, sauvé, sauvé, je vais pouvoir me payer enfin un bon avocat, on saura que je ne suis pas si coupable que ça. Sa femme partage ce bonheur infini d'une providence confirmée.

Seulement le bourreau vient et l'escorte assortie. Le gars est condamné à mort, la sentence et lui doivent être exécutés, peu importe qu'il soit ou non désormais millionaire.

Je risque infiniment moins que cet homme, à présent en tout cas. J'ai d'ailleurs également gagné 1000 fois moins au moins. Mais l'enjeu ressemblait. J'apprenais et la bonne nouvelle et qu'elle ne changerait en rien l'attitude implacable de qui m'a condamnée.

Tout s'est passé comme si intérieurement, j'y avais cru. A un retour possible en même temps que la chance.  Quand bien même longeant la Bourse qu'il me fallait moi-même contourner, Wytejczk fût au même moment passé, je ne l'aurais pas vu tant je fabriquais de liquidités [occulaires].

Il ne me restait plus à prévenir qu'un seul de mes amis et ce n'était plus lui.

   

(1) If I had a million de Cruze, Humberstone, Lubitsch, Mc Leod, Roberts, Seiter, Taurog, Mendes, + une douzaine de scénaristes, 1932

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