Noël avec Robert
Relire, revivre, relier

On ne devrait jamais quitter Montauban

un matin de Noël en attendant l'ennui, puis un soir de retour après l'avoir subi moins que prévu sans doute.

            

 

A travailler comme une bête de somme pour ne parvenir qu'à saisir l'implacable intelligence des soustractions ou une indécrottable faiblesse multiplicative (gagner d'un côté rien de l'autre trois fois rien), je subis par lots de jours des sortes de tunnels. Combinés d'épuisement, de surmenage, d'absence totale de disponibilité exceptée durant les trajets, et de zones de sommeils lourds et sans rêves résurgents, ils me mettent à l'étranger du pays où je vis.

Je découvre alors parfois, des semaines ou des mois plus tard, qu'un événement non négligeable aura eu lieu dans ces jours-là, dont tout le monde s'est inquiété sauf moi. Aux calmes retrouvés, je tente maladroitement de rattraper mes vides. Parfois ça ne marche définitivement pas.

Ainsi le pape précédent étant décédé lors de l'une de ces périodes, je ne suis jamais parvenue à mettre à jour le fait qu'on en avait changé, et quand on parle de Benoît XXIII, je mets toujours un temps avant de me souvenir, qu'on a enterré Wojtyla.

J'effectuais donc ce matin une session de rattrapage (1) quand je suis tombée sur cette vidéo-ci :

Guillaume Dasquié interviewé par Paul Amar (France 5 "Revu et corrigé" - 8 décembre 2007)

(attrapée sur Dailymotion après l'avoir découverte grâce au Monolecte)

De ce journaliste je savais peu, et commettais à son égard le piteux à-priori de léger mépris qu'engendre fréquemment l'ignorance du trop-pressé : n'ayant jamais eu le temps de lire de près son travail, j'avais de lui l'impression d'un professionnel éclusant un filon efficace, en son cas celui du 11 septembre 2001, et ne devenant à la longue plus capable de faire que ça.

Je suis cependant soucieuse de la liberté de la presse, dont je sais d'expérience qu'elle est la première à morfler dés lors qu'en démocratie le temps soudain se gâte. J'écoute donc cette vidéo. Le "j'écoute" est pesé, je ne la regarde guère, occupée par ailleurs à quelques mises-à-jours et tris, sélections de photos, sauvegardes, attention flottante.

Evidemment je compatis au malheur de cet homme, mais avec cette réticence de qui a du mal à croire que le plaignant ne savait pas : allons bon depuis tant d'années qu'il investigue aux lisières des secrets, d'états et d'ailleurs, il aurait ignoré qu'il existait un coeur des choses duquel il fallait se garder. Je ne dis pas que ça soit correct. Je prétends simplement ne pas ignorer que certaines terres de pouvoir et de guerres rampantes ou déclarées ne sont pas à explorer sans solides protections, occultes ou non, à moins d'être suicidaire.

Ce professionnel ne l'est pas, celui qui l'interroge a évoqué habilement l'existence d'enfants, et même si le père se garde d'embrayer sur le sujet, on lui sait ainsi une ferme raison de (sur)vivre.

Je reste affligée de ce qu'on me confirme. Je ne l'apprends pas, ni ne m'en étonne. Pour un cas médiatisé, combien d'anonymes contraints peu ou prou à changer de métier.

Au bout d'un quart d'heure d'entretien, durant lequel, malgré le débit haché de qui revient d'un choc, le journaliste menacé parvient à tenir des propos solides et cohérents sans tomber dans les pièges compatissants qu'on lui tend (il veut parler du fond de l'affaire quand en face on souhaite apitoyer sur son sort), il craque, sa voix se brise, il se rattrape dans un ultime effort d'orgueil (je ne veux pas leur faire ce plaisir là) et l'autre en face, alors parfait n'insiste pas (2).

Je sais précisément ce qui lui arrive, rattrapée à voir la sienne par cette vague de douleur que je connais si bien. Il ne s'agissait dans mon cas que d'une blessure intime, je n'avais rien à défendre que ma vie quand le journaliste se bat pour une liberté d'expression. Mais il s'agit du vacillement de l'être humain qu'on a mis en danger. Quand les circonstances ont brisé en lui un tréfonds de son âme, une fondation sur laquelle il s'était construit.

Guillaume Dasquié était convaincu qu'en France, vieille démocratie historique, il pouvait travailler. J'étais croyante en la force d'aimer. Il avait donné le meilleur de lui même sur cette enquête qu'on lui faisait payer. J'avais sans hésité tout donné pour aider celles auxquelles je tenais, pour l'une d'entre elle sans la connaître. Et le seul engagement de ma vie dont j'ai pu être fière, a (probablement) contribué à mon rejet.

Confrontés l'un comme l'autre à la politesse extrême de ceux qui nous expliquent que nous n'aurions pas dû arriver là où nous sommes, et que, désolés, navrés, mais il convient de nous éliminer.

Et cette terreur qu'il n'a pas dite mais que j'ai su lire dans ses yeux juste avant qu'il ne se reprenne, plus fort que moi parce qu'il défend une cause quand je n'en portais pas, d'avoir donné naissance dans ce monde-là où l'on peut supprimer une vie juste parce qu'elle dérangeait. Une chose étant de le savoir (quelques génocides sont passés par là que nous n'ignorons pas), une autre de l'éprouver, par exemple sous la menace de qui devrait représenter la justice ou à mon cas intime incarner l'amitié.

Il a le soutien de ses pairs, y compris ceux qu'il n'attendait pas. J'ai eu celui d'amis, même si j'ai fort peu dit, par respect persistant et rêve d'un retour.

Rien de cela ne suffit, même si ces secours comptent (3). Et le temps est bien lent.

Je lui souhaite tout courage et de se garder des soulagements chimiques inévitablement proposés, qui permettent certes de passer le cap de danger maximal, quand la tentation est si forte d'abonder dans le sens de ceux qui nous ont détruit et finir à leur place le sale boulot qu'ils n'ont pas fait, mais mettent par trop hors de combat, et de tenir bon les années qu'il faudra jusqu'à reprendre pied.

Quant à la part politique, elle ne fait qu'inquiéter chaque jour davantage. A part diffuser les informations telles que celle-ci sur notre petite parcelle, je nous sens particulièrement impuissants dans une contrée où l'ensemble des gens a choisi volontairement l'incompétence, l'esbroufe et le danger, parmi un reste du monde peu à même de consoler qui eût pu croire jadis en l'humanité.

      

(1) et de reconstitution de mon agrégateur

(2) en professionnel amariné il a su reconnaître sa victoire : un "moment" de télévision, je fis jadis chair à moment, brièvement, alors je sais.

(3) ô combien

               

Pour ceux qui ayant reconnu le titre, s'interrogent sur son incongruité, c'est juste de ma part une tentative de mieux vaut en rire, assez pleuré, combiné à un petit détail provocateur . On se raccroche à ce qu'on peut.

addenda du 28/12/07 à la tombée du soir :

Commentaires