Ils vont tous mal
Noël avec Robert

Grand-père

C'était hier, à Angers

Pc230007

"La mort ne fait pas grâce pour toujours. Il y a des volumes qui sont tièdes encore sous les doigts comme une chair recrue d'amour, comme si le sang battait sous la peau fine, et aussi chaque nuit, dans le silence des grandes bibliothèques, il y a un livre glorieux dont vacille dans le noir et s'éteind pour toujours la petite lumière, mais sans qu'on le sache encore, comme nous parvient encore après des siècles la nouvelle de l'extinction d'une étoile".

Julien Gracq, "La littérature à l'estomac" (1950)

Il ne s'agit pas de présomption mais bien de solitude, il m'a fallu au fil des ans simplement pour tenir me constituer une sorte de famille d'espace et de temps lointaine mais joliment adoptive afin de combler les manques de ce que m'offrait ou ne m'accordait pas l'ici et maintenant.

De mes grands-pères je sais fort peu, l'un était italien et fut boulanger du sud avant d'être ouvrier du nord, il ne manquait pas de prestance ni de séduction m'a-t-on dit, je ne l'ai croisé malade sans doute que tout plié et tout sec, déjà fantôme et silencieux ; l'autre était français, breton, il avait fait Verdun tout jeune, en était revenu et à part cet exploit dont ma mère lui interdisait de parler aux enfants, je ne sais presque rien. Il fut charron puis commerçant incongru d'une boutique féminine que sa femme en mourant avait laissée pourvue d'une fidèle clientèle.

Alors voilà, je m'en étais adopté un, de grand-père, puisque la vie n'avait pas voulu m'en donner un présent. Sauvagement, sans son assentiment, ni même qu'il l'imagine.

Je ne le connaissais pas. Seulement ses livres. Seulement les rêves inouïs qu'ils m'ont offerts. Seulement la beauté qu'ils partageaient.

Ces seulement là, c'est l'infinitaire de beaucoup.

Je ne le connaissais pas, mais je l'aimais comme un proche. Je l'avais choisi loyal et discret, malgré la force d'écrire qu'il avait, fidèle à lui-même et ça me convenait.

Il est mort hier (quand j'écrivais "Ils vont tous mal", ou que j'étais orpheline), je l'apprends légalement ce matin, et je ne trouve pas les mots pour dire mon chagrin.

Le seul réconfort qui reste est celui pour qui part en ayant accompli jusqu'au bout sa vie.

Puissions-nous rester nombreux à ne pas oublier votre travail, monsieur Gracq, à vos yeux ce qui seul comptait.

       

 

addenda du 28/12/07 - 15 heures 33 : J'ai écrit ce billet dans l'ignorance de ce livre (1) que je n'ai découvert que tout à l'heure en sortant du Louvre en compagnie de mon fils. C'est une coïncidence de plus dans une liste déjà longue. En revanche je n'exclus pas que l'émission de France Culture pendant l'été 2003 dont le livre tout récent est issu, et que certaines des personnes qui y participaient m'avaient signalée, ait participé de façon souterraine à ma réflexion.

Je me permettrais de particulièrement recommander le témoignage de Marc Zaffran (Martin Winckler) et qui donne furieusement envie de relire "Plumes d'Ange" et "Légendes" . Ces ouvrages publiés l'un comme l'autre initialement sous forme de feuilleton par P.O.L. (on s'abonnait on recevait "l'épisode" du jour sur notre messagerie), procèdent d'une démarche qui n'est pas sans points communs avec celle de nombreux blogueurs. Sans que je ne sache trop définir comment, ils font partie des éléments qui m'ont fait irrémédiablement tomber dans l'écriture en novembre 2004. J'en profite pour remercier.

(1) "A nos aïeux" de Sylvie Tanette

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