Entrer dans la danse (y retourner ?)
15 décembre 2007
Ce samedi, plus tard
[photo à venir : il est en effet plus facile d'écrire un texte sur un plus tard que d'en publier la photo (qui l'eût cru ?)]
[photo 1 : le lieu réel mais pris plus tard du texte imaginaire mais écrit avant - comme ça tout est clair -]
Je suis arrivée en avance, une fois n'est pas coutume. Sombre saison où les jours sont si courts et où les heures de début de cours ressemblent à des heures de fin.
Il s'agit d'un cours de danse. J'y suis assidue car il est de qualité, et que le corps que j'habite n'est pas toujours au mieux ni très bien connecté ; je dois en permanence veiller à son entraînement pour maintenir un niveau de survie satisfaisant. Je ne suis pas née pour danser. I ain't good at it (1) mais y travailler sans renoncer me fait du bien. Je ne renonce jamais (2), l'air de rien. J'y mets parfois le temps des arbres mais je finis toujours par arriver là où il fallait.
Je sais donc à présent un peu danser alors qu'il y a vingt ans, il me fallait presque réfléchir pour marcher (c'est un pied devant l'autre, oui, je sais, mais parfois le sol se dérobe, il est inégal, les jambes sont molles et la tête tourne).
La nuit fut interrompue par une chute de livres, déjà qu'elle était courte, je décide donc de faire semblant de croire à l'effet stimulant de la caféïne et m'accorde au distributeur un pseudo-capuccino.
Dans le vague et inutile espoir d'apercevoir la pointe du Grand Rex, sans savoir le moins du monde pourquoi il pourrait être utile ou bon que je la voie, je m'appuie doucement contre la vitre qui dans le coin dédié au repos des guerriers en salle, et à la restauration d'après-l'effort-le-réconfort, et regarde vers la droite le bout visible de la rue.
Je le vois alors déboucher d'un pas rapide, venant du Grand Boulevard, filant probablement vers la rue de l'Echiquier, François, le mari d'une des absentes, un homme que j'aimais bien et qui semblait m'apprécier mais a disparu de mes jours en même temps que son épouse, ainsi que deux amies communes avec lesquelles je n'avais jamais songé à établir de lien direct puisqu'on se croisait tout naturellement lors de moments plutôt festifs et que j'aimais cette légèreté d'un gré des vents favorables.
Seulement ceux-là ont tourné, une tempête fort localisée est passée autour de moi, au calme revenu ne reste plus qu'un nouveau paysage pas si désolé que ça (loin de là), mais également un long désert là où tout était au jadis proche si parfaitement peuplé.
Au geste de salut que j'esquisse, manquant de renverser mon café (cette faculté d'oublier que je tiens en main des objets ...) et à l'appel de son prénom, il passe, impavide, hâtif, pressé.
J'en oublie ma rééducation Gavalda thérapie (3), et m'adresse mentalement à l'absente :
- C'est toi qui lui as dit de se dégrouiller comme ça ?
Entre-temps, il est loin ; je le vois tourner à l'angle de l'Echiquier.
J'aurai pour danser du mal à me concentrer. Si je suis si transparente comment pourrais-je y arriver ? Comment secouer en gestes rythmés et harmonieux une si solide inconsistance ?
Ce ne sera qu'en sortant alors que me retournant vers la devanture où deux heures plus tôt j'étais, j'en constaterai la parfaite opacité à qui est dehors et regarde vers l'intérieur, que je comprendrai qu'eût-il été très heureux de me retrouver, il n'aurait pas pu me voir et encore moins m'entendre le héler ; la vitre est épaisse et sans doute blindée.
[photo 2 : en fait à ses yeux, j'étais une gargouille ; on fait plus séduisant (6)]
La prochaine fois, c'est décidé, en courant je sortirai pour échanger au moins quelques mots, deux ou trois nouvelles, entrevoir peut-être au détour d'une small-talk phrase (4) la révélation de l'élément manquant et qui confirmerait, infirmerait ou complèterait ce que j'ai mis 20 mois à comprendre (5).
La prochaine fois ?
Depuis quand la chance repasserait-elle deux fois les plats quand bien même ils se mangeraient froids ?
(1) anti-citation de Billy Elliot
(2) fors cas de force majeur, défaillance physique insurmontable ou échec irrattrapable à un examen.
(3) En lisant il y a un an "Ensemble c'est tout" avec ses passages sans transition entre narration en troisième personne et dialogues intérieurs de l'un ou l'autre des personnages, j'ai pris conscience que, contrairement à ses personnages et peut-être à la plupart des gens, je ne me parlais jamais à moi-même, mais m'adressais intérieurement toujours à quelqu'un d'autre. Ce quelqu'un peut varier, mes enfants, l'homme, des amis si les circonstances ou ce que j'apprends leur seraient intéressant(e)s, des cousins et bien sûr ces proches qui il y a deux ans m'ont si douloureusement fait défaut. J'ai compris que ma sauvegarde dépendait sans doute d'exister au moins un peu à mes propres yeux, et entamé une rééducation-Camille, sur le mode Arrête de causer silencieusement à ceux qui ne sont jamais là, parle-toi à toi puisque tu y es.
Inutile de dire qu'à part ici en l'écrivant, ça ne marche (presque) jamais. Peut-on changer ?
(4) Toute traduc. subtile en français est la bienvenue. Le fait est que je ne trouve pas d'équivalent ( + petit private joke en passant ;-) )
(5) ou plus exactement : à me faire expliquer.
(6) Comme quoi la réalité (la photo et la constatation ont été faite après), dépasse vraiment très souvent la fiction et parfois la taquine.
Hé oui encore un billet à trois niveaux de lectures et deux contraintes cachées. Désolée.