mercredi, décembre, fin d'(une) année contrastée. Villepinte, Paris, Clichy
billet de nuit, non relu.
ADRET
Saisie par une frénésie endeuillée de (re)lectures nécessaires, j'ai rangé les chaussures. Trois ans que le travail n'avait pas été fait qui consiste à monter en hiver les souliers d'été en haut d'un placard tout en en descendant les chaussures plus épaisses, et l'inverse quand arrivent les beaux jours. Un père est mort, des otages ont été pris puis libérés, la maladie a encore frappé, sous forme réelle ou finalement non avérée, le reste, je le tais. Les chaussures conséquemment ont été négligées.
Et pas seulement. En fait le circuit complet est qu'il fallait trier les pompes pour libérer de la place de placard y déposer certains vêtements inutiles en la saison, écluser un tas envahissant qui m'empêche l'accès à ma principale bibliothèque.
Voilà comment Gracq involontairement me fait ranger mes grolles.
J'exhume dans l'opération quelques paires chaudes et secourables en ces temps de frimas, dont l'une d'entre elles que je croyais perdue pour toujours et à jamais.
Je savais dés dimanche l'absence de certains livres, lus en leur temps grâce aux bibliothèques, les éditions Corti étant trop chères pour moi (1), ai décidé que ça serait mon Noël de compléter la collection, commandé sans tarder quelques titres. Je les reçois dés ce matin dont l'un non massicoté bien qu'il fût d'occasion, la plupart accompagnés d'un mot bienveillant du vendeur (2). La journée commence bien.
Je file retrouver une amie de longue date, (légérement) perdue de vue dans la tourmente de mes dernières années, et heureuse qu'on se revoie dés mon silence expliqué. Les heures filent. Il est aisé de reprendre là où l'on en était ; d'autant plus aisé que sa famille et elle ne m'auront, ne nous auront pas connus dévastés par ce qui nous faisait ployer. Ô joy ô rapture, écrirait Adrian que nous aimons toutes deux.
Le chateau d'Argol, je suis à peine assise dans le train du retour, trois lignes et j'y suis déjà. La magie est toujours là. Monsieur Poirier, votre imaginaire me va (comme un gant).
J'en suis peut-être belle, le regard d'un jeune voisin, une insistance que je perçois sans le lui rendre, mes yeux à moi courent sur les pages, m'apprend que quelque chose se voit. Il est peut-être simplement stupéfait d'un bonheur qu'il ne comprend pas.
Gare du nord, papeterie proche de l'Île Lettrée, j'y passe sans trop d'espoir, et miracle, y trouve enfin de mes carnets préférés, dont la rupture de stocks de longs mois durant m'avait inquiété : aucun comme eux n'est à la fois assez souple pour s'adapter à la poche de cul du jean, meilleur endroit pour les glisser, mais suffisamment solide pour ne pas s'y déglinguer, juste de la bonne taille et d'un ton doux discret.
Sur l'élan pousser jusqu'à La Libreria, conversation amicale, soirée théâtre en perspective, craquer pour quelques livres, dont l'un me porte jusqu'à chez moi, "Il giorno in piu" (3).
En sortant des chants d'oiseaux dans la rue m'accueillent. Leur qualité mélodique laisse sans doute à désirer mais l'emporte leur intensité. Les passants lèvent la tête.
Rassemblés sur plusieurs antennes d'une caserne de pompiers, numerosi passerotti semblent en partance pour quelque part. Je pense que moi aussi, même si j'ignore vers où et me rappelle des hirondelles de Pennac (4), celles qui s'assomment et celles qu'on sauve.
Je crois soudain aux signes heureux.
UBAC
Je m'éveille toujours en deuil, et la deuxième pensée du matin est pour une autre absence. Puis une troisième, une quatrième, une cinquième, celles-ci annoncées et qui donc pèsent moins, qui rappelent qu'il faudra en solitude passer l'usine demain. Plus de Wytejczk affectueux pour venir m'y chercher. Difficile démarrage d'un jour dit de congé. L'espoir d'un message de Noël, d'un souhait qu'il soit joyeux, comme tremplin pour renouer a déjà disparu sans être formulé. Je ne l'identifie qu'au bruit de larmes qu'il fait (en partant).
Il me faut aujourd'hui m'en aller un peu loin, la banlieue me va, j'en viens, mais l'hiver il y fait si froid. Je dois ne pas traîner, passer à la banque calmer l'état des comptes, ne pas rater mes correspondances.
Arrivée à destination, j'attends dans un café que l'on passe me chercher. La serveuse et moi sommes les seules femmes, les hommes présents sont là pour dés le matin parier sur des chevaux dopés l'argent qui leur manquera. J'aimerais faire abstraction.
Je n'y parviens pas.
Le restaurant est intéressant mais glacial. Les radiateurs ne fonctionnent pas, des travaux sont en cours en bas. J'espère qu'une chaudière en sera.
A la maison amie, je me réchauffe un peu. Cheminée, photos d'été. Gros minet somnolent. Les nouvelles échangées, hélas, de nos difficultés portent bien des traces. Tant de travail pour presque peu. Consolation des pires possibles. Se sentir privilégiés de ce qu'on a pu sauver.
Le froid aura eu raison de moi, en arrivant gare du Nord, il me devient urgent de trouver des toilettes. Contrairement à ce qu'une fameuse étude prétend pour nous autres dames, la question n'est que peu comment, elle est surtout où. Devant l'urgence je n'ai d'autre choix qu'un pipi de luxe au presque prix d'un café. Ce dernier n'étant pas fourni, ça rend le soulagement cher.
Je croyais aller mieux. Pourtant à peine sortie, déclenchée par celle de froid, l'émotion des retrouvailles, le manque d'écriture depuis le matin, me saisit la première crise de solitude depuis l'intervention providentielle de l'homme de septembre qui m'avait sauvée de l'incompréhension létale.
Mon plus proche refuge dans le quartier est l'Île Lettrée. J'y fonce au mépris d'élémentaire sécurité. Arrivée sur le seuil, j'entrevois quelques clients paisibles, Samia qui (re)met en place certains titres. J'ai peur de briser l'harmonie si j'entre et m'y effondre. Je pousse jusqu'à la papeterie proche.
Ce que j'y trouve et cherchais depuis longtemps me fait l'effet d'un baume. Si je n'ai plus le droit d'aimer, me reste celui de travailler, et me voilà ré-équipée.
Respirer. Calmer la panique du corps perdu. Cesser de souhaiter l'appaisement de la mort. Il est par trop définitif.
Et je n'ai pas fini Argol.
Trop fragile encore pour reprendre ma route, je fais étape au refuge suivant. Depuis deux ans ma vie tient d'une expédition himalayenne. Oxygène rare. Lutte permanente. Erreur fatale sans cesse possible.Mesurer l'effort sans arrêt pour durer. Ne jamais s'attarder même devant la beauté.
Je m'y réchauffe un peu, m'y ravitaille, seulement commets l'erreur fatale une fois repris mon chemin d'en déguster une part, mais qui hélas ne passe pas, à cause de ces quelques mots "vivendo con lei momenti di assoluta felicità". Assolutà felicità. Je me souviens l'avoir éprouvée pour la dernière fois il y deux ans, un peu plus, si je tiens jusqu'à l'été ça fera jusqu'à trois ; me rends compte que je ne sais plus l'effet qu'elle fait. Trop de temps écoulé et de coups, depuis, encaissés.
Cuisine, enfin. Stéphanot est présent et dont l'accueil m'apaise. Sa fréquentation est un privilège.
Déterminée à retrouver la trace d'une autre personne que je ne connaissais que d'internet mais aime beaucoup, et dont le blog a disparu, encouragée par un message reçu qui m'en indique le peu de vestiges encore consultables, j'entreprends (enfin) le nécessaire pour rendre consultable les fichiers de messages que les réparateurs de mon ancienne machine avaient pu sauver. L'opération est délicate, j'y parviens néanmoins, retrouve effectivement mes derniers mots envoyés à qui manque désormais et qui ne m'apprennent rien, pas d'adresse alternative, et à l'époque une période qui pour elle se passait plutôt bien.
J'ai peur pour elle.
Maladresse ou acte manqué, j'ouvre également un message de l'ami coursier qui me manque si fort désormais. J'avais oublié de son affectueuse présence les termes et l'humour même, en étais sans doute venue à douter de ses sentiments pour moi. Seulement ses mots ne mentent pas, comment une telle complicité a-t-elle sans déclencheur pu disparaître ainsi au profit d'un silence de si mauvais augure ? La vague de solitude, revenue, m'engloutit.
Les passereaux qui me guettaient en sortie de librairie, n'étaient-ils pas les cousins efficaces des oiseaux de l'oncle Alfred ? De quelle nouvelle menace étaient-ils messagers ?
En claquant des dents, malgré dans la maison une chaleur acceptable, je tente de me coucher et m'accorde une gorgée d'Argol pour (tenter de) me remonter.
(1) Les refus des honneurs me va, en revanche, l'absence de poches m'a toujours désolée.
(2) Auraient-ils perçu la détresse que cachait ce rattrapage soudain ?
(3) de Fabio Volo que je ne connaissais pas.
(4) cf. la fin de son "Chagrin d'école"
[photos : passeroti rue du Faubourg Poissonnière à la tombée du soir ; de plus près, de plus loin, par là]