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Déclarations d'intentions

Ce soir, ici

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« Quand je serai grand j’aurai des groupies » clame Stéphanot très sûr de lui. Sa soeur, ailleurs, en groupe fait la fête. C’est fort bien mérité ; et qu’elle la fasse et qu'avec d’autres? puisque de festoyer nous avons négligé, par avance épuisés.
(A la fin de l'année, je me couche.)

Son père à la pétanque a joué comme un ange. J’ignorai des séraphins qu'ils tutoyaient le bouchon.

Le carrelage de la cuisine a été nettoyé (merci). Je songe les larmes aux yeux à son jumeau pourpre jadis familier et me pose des questions dont tout le monde se fout. J’hésite à en parler de peur de lasser (désolée pour celle sur qui c'est tombé).

Plus que jamais je cherche à rentrer en contact avec ma soucoupe ; seulement ça fait deux ans qu'elle s’est éloignée, avec à son bord qui m’aimait. Je ne l’ai pas volé (trois sens cumulés avec ou sans eux).

Il faudrait attendre minuit mais ce n’est pas facile. Le sommeil la veille esquivé pour pouvoir travailler exige sans remise de se rattraper.

Nous recevons des voeux du monde entier avec le plaisir enfantin des horaires décalés. Munie d'un espoir mort, j’en guette de ma martienne (d'autres veaux, vaches, cochons, couvées, pour elle à fouetter). J’avise avisée un bon graal à viser. L’hésitation sera fatale. Il faut écrire et foncer ou crever sans tarder.

J’oubliais :

à vous, courageux, qui passez, en l’absence de pouvoirs particuliers qui me seraient conférés mais en leur grand regret, BONNE ANNEE 2008 (tant qu’à faire)

[photo : cousine de celle du fotolog, petite flemme flûtée de fin d'année civile]


De l'autre côté en bas à droite

hier au Louvre, puis en cuisine

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billet en chantier, suite dans la soirée

finalement non, trop pas le temps, restera donc en l'imparfait état.

Je rêve de Wytejczk en manteau de fourrure d'un animal rare et qu'on ne devrait pas tuer. A l'instant où je pense que s'il a à ce point changé son absence à mes yeux ne devrait plus compter, survient le réveil, coupant et cruel, un réveil en cran d'arrêt (1).

Ça augure mal de la journée.

Mais c'est un temps de liberté. Quand on l'a ainsi qu'un peu de santé sur laquelle s'appuyer, il est toujours possible de réagir et s'en tirer.

Je propose donc à Stéphanot un Louvre impromptu. Nous y filons sans plus attendre.

Une expo. qu'il choisit m'y sauve. Rien ne vaut une séance d'irradiation par la beauté pour chasser le vulgaire du monde, et les pensées mortelles.

Un brin de bonheur en profite pour se glisser par la porte entrouverte, c'est un jour de livres envoyés et reçus, quelques Gracq et un autre joliment personnalisé (2), un jour de livre découvert comme par hasard,  comme un Noël, un vrai.

"Non siamo soli" chante un type de mon âge dont l'accent et la voix me vont (3). Je m'efforce de le croire. Et me laisse tenter sans remords ni regrets par l'arnaque marketing.

Il sera temps demain, de retomber sur terre, se heurter au désert, se confronter à nouveau aux absences, aux trop-pleins, aux cruautés et aux violences.

(1) je n'en suis pas certaine mais il me semble que la formule est de Tonnino Benacquista.

(2) merci x 1000 (au moins). Bien arrivé (enfin).

(3) même si les airs sont nuls et les arrangements primaires, je sais (il y a des daubes qui font du bien ; elles nous rincent les neurones et peuvent nous faire croire qu'on va presque bien. C'est de l'art simple et nécessaire)

[photo : au Louvre, vendredi 28 décembre 2007]


Mourir

aujourd'hui, loin d'ici et pourtant si près, si vous saviez

LEMONDE.FR | 27.12.07 © Le Monde.fr
   
J'avais envie d'écrire "Chronique d'une mort annoncée dont tout le monde se foutait", d'écrire de ma colère, partager l'inquiétude face à l'état d'un monde qui ne fait qu'empirer, où la violence une fois de plus savoure sa victoire et qui n'est pas achevée, puisqu'il y aura soulèvement des partisans de l'assassinée, répression, (épisodes de) guerre civile, à n'en pas douter. Et tant d'autres vies directement ou non fracassées.
Seulement je rentre d'un jour de travail. Essorée. Plus moyen d'organiser trois idées. Plus personne dans ma vie avec qui en parler, plus celle qui il y a deux ans encore m'aurait appelée pour exprimer sa peine, ou moi elle, en tout cas on en aurait causé et je me serais sentie moins dépourvue, moins démunie, moins vulnérable après. J'aurais compris ce que seule je pressens mais sans pouvoir plus, serais parvenue à réactiver un neurone au moins, à tenter quelque chose, si peu que soit, à ma portée, mais pas se taire, anéantie, comme aujourd'hui. Noyée par ma propre faiblesse dans l'océan d'indifférence générale fors quelques médias classiques qui couvrent l'événement comme il le feraient d'une mauvaise mousson. C'est leur métier, bien obligés.
Où trouver des forces seule, alors qu'il faudrait se battre et participer à soutenir une relève susceptible de remplacer ceux et ce soir celle qui ont succombé ?   

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Relire, revivre, relier

mercredi, décembre, fin d'(une) année contrastée. Villepinte, Paris, Clichy

Pc260043 billet de nuit, non relu.

ADRET

Saisie par une frénésie endeuillée de (re)lectures nécessaires, j'ai rangé les chaussures. Trois ans que le travail n'avait pas été fait qui consiste à monter en hiver les souliers d'été en haut d'un placard tout en en descendant les chaussures plus épaisses, et l'inverse quand arrivent les beaux jours. Un père est mort, des otages ont été pris puis libérés, la maladie a encore frappé, sous forme réelle ou finalement non avérée, le reste, je le tais. Les chaussures conséquemment ont été négligées.

Et pas seulement. En fait le circuit complet est qu'il fallait trier les pompes pour libérer de la place de placard y déposer certains vêtements inutiles en la saison, écluser un tas envahissant qui m'empêche l'accès à ma principale bibliothèque.

Voilà comment Gracq involontairement me fait ranger mes grolles.

J'exhume dans l'opération quelques paires chaudes et secourables en ces temps de frimas, dont l'une d'entre elles que je croyais perdue pour toujours et à jamais.

Je savais dés dimanche l'absence de certains livres, lus en leur temps grâce aux bibliothèques, les éditions Corti étant trop chères pour moi (1), ai décidé que ça serait mon Noël de compléter la collection, commandé sans tarder quelques titres. Je les reçois dés ce matin dont l'un non massicoté bien qu'il fût d'occasion, la plupart accompagnés d'un mot bienveillant du vendeur (2). La journée commence bien.

Je file retrouver une amie de longue date, (légérement) perdue de vue dans la tourmente de mes dernières années, et heureuse qu'on se revoie dés mon silence expliqué. Les heures filent. Il est aisé de reprendre là où l'on en était ; d'autant plus aisé que sa famille et elle ne m'auront, ne nous auront pas connus dévastés par ce qui nous faisait ployer. Ô joy ô rapture, écrirait Adrian que nous aimons toutes deux.

Le chateau d'Argol, je suis à peine assise dans le train du retour, trois lignes et j'y suis déjà. La magie est toujours là. Monsieur Poirier, votre imaginaire me va (comme un gant).

J'en suis peut-être belle, le regard d'un jeune voisin, une insistance que je perçois sans le lui rendre, mes yeux à moi courent sur les pages, m'apprend que quelque chose se voit. Il est peut-être simplement stupéfait d'un bonheur qu'il ne comprend pas. 

Gare du nord, papeterie proche de l'Île Lettrée, j'y passe sans trop d'espoir, et miracle, y trouve enfin de mes carnets préférés, dont la rupture de stocks de longs mois durant m'avait inquiété : aucun comme eux n'est à la fois assez souple pour s'adapter à la poche de cul du jean, meilleur endroit pour les glisser, mais suffisamment solide pour ne pas s'y déglinguer, juste de la bonne taille et d'un ton doux discret.

Sur l'élan pousser jusqu'à La Libreria, conversation amicale, soirée théâtre en perspective, craquer pour quelques livres, dont l'un me porte jusqu'à chez moi, "Il giorno in piu" (3).

En sortant des chants d'oiseaux dans la rue m'accueillent. Leur qualité mélodique laisse sans doute à désirer mais l'emporte leur intensité. Les passants lèvent la tête.

Rassemblés sur plusieurs antennes d'une caserne de pompiers, numerosi passerotti semblent en partance pour quelque part. Je pense que moi aussi, même si j'ignore vers où et me rappelle des hirondelles de Pennac (4), celles qui s'assomment et celles qu'on sauve.

Je crois soudain aux signes heureux.

 

UBAC

Je m'éveille toujours en deuil, et la deuxième pensée du matin est pour une autre absence. Puis une troisième, une quatrième, une cinquième, celles-ci annoncées et qui donc pèsent moins, qui rappelent qu'il faudra en solitude passer l'usine demain. Plus de Wytejczk affectueux pour venir m'y chercher. Difficile démarrage d'un jour dit de congé. L'espoir d'un message de Noël, d'un souhait qu'il soit joyeux, comme tremplin pour renouer a déjà disparu sans être formulé. Je ne l'identifie qu'au bruit de larmes qu'il fait (en partant).

Il me faut aujourd'hui m'en aller un peu loin, la banlieue me va, j'en viens, mais l'hiver il y fait si froid. Je dois ne pas traîner, passer à la banque calmer l'état des comptes, ne pas rater mes correspondances.

Arrivée à destination, j'attends dans un café que l'on passe me chercher. La serveuse et moi sommes les seules femmes, les hommes présents sont là pour dés le matin parier sur des chevaux dopés l'argent qui leur manquera. J'aimerais faire abstraction.

Je n'y parviens pas.

Le restaurant est intéressant mais glacial. Les radiateurs ne fonctionnent pas, des travaux sont en cours en bas. J'espère qu'une chaudière en sera.

A la maison amie, je me réchauffe un peu. Cheminée, photos d'été. Gros minet somnolent. Les nouvelles échangées, hélas, de nos difficultés portent bien des traces. Tant de travail pour presque peu. Consolation des pires possibles. Se sentir privilégiés de ce qu'on a pu sauver.

Le froid aura eu raison de moi, en arrivant gare du Nord, il me devient urgent de trouver des toilettes. Contrairement à ce qu'une fameuse étude prétend pour nous autres dames, la question n'est que peu comment, elle est surtout où. Devant l'urgence je n'ai d'autre choix qu'un pipi de luxe au presque prix d'un café. Ce dernier n'étant pas fourni, ça rend le soulagement cher.

Je croyais aller mieux. Pourtant à peine sortie, déclenchée par celle de froid, l'émotion des retrouvailles, le manque d'écriture depuis le matin, me saisit la première crise de solitude depuis l'intervention providentielle de l'homme de septembre qui m'avait sauvée de l'incompréhension létale.

Mon plus proche refuge dans le quartier est l'Île Lettrée. J'y fonce au mépris d'élémentaire sécurité. Arrivée sur le seuil, j'entrevois quelques clients paisibles, Samia qui (re)met en place certains titres. J'ai peur de briser l'harmonie si j'entre et m'y effondre. Je pousse jusqu'à la papeterie proche.

Ce que j'y trouve et cherchais depuis longtemps me fait l'effet d'un baume. Si je n'ai plus le droit d'aimer, me reste celui de travailler, et me voilà ré-équipée.

Respirer. Calmer la panique du corps perdu. Cesser de souhaiter l'appaisement de la mort. Il est par trop définitif.

Et je n'ai pas fini Argol.

Trop fragile encore pour reprendre ma route, je fais étape au refuge suivant. Depuis deux ans ma vie tient d'une expédition himalayenne. Oxygène rare. Lutte permanente. Erreur fatale sans cesse possible.Mesurer l'effort sans arrêt pour durer. Ne jamais s'attarder même devant la beauté.

Je m'y réchauffe un peu, m'y ravitaille, seulement commets l'erreur fatale une fois repris mon chemin d'en déguster une part, mais qui hélas ne passe pas, à cause de ces quelques mots "vivendo con lei momenti di assoluta felicità". Assolutà felicità. Je me souviens l'avoir éprouvée pour la dernière fois il y deux ans, un peu plus, si je tiens jusqu'à l'été ça fera jusqu'à trois ; me rends compte que je ne sais plus l'effet qu'elle fait. Trop de temps écoulé et de coups, depuis, encaissés.

Cuisine, enfin. Stéphanot est présent et dont l'accueil m'apaise. Sa fréquentation est un privilège.

Déterminée à retrouver la trace d'une autre personne que je ne connaissais que d'internet mais aime beaucoup, et dont le blog a disparu, encouragée par un message reçu qui m'en indique le peu de vestiges encore consultables, j'entreprends (enfin) le nécessaire pour rendre consultable les fichiers de messages que les réparateurs de mon ancienne machine avaient pu sauver. L'opération est délicate, j'y parviens néanmoins, retrouve effectivement mes derniers mots envoyés à qui manque désormais et qui ne m'apprennent rien, pas d'adresse alternative, et à l'époque une période qui pour elle se passait plutôt bien.

J'ai peur pour elle.

Maladresse ou acte manqué, j'ouvre également un message de l'ami coursier qui me manque si fort désormais. J'avais oublié de son affectueuse présence les termes et l'humour même, en étais sans doute venue à douter de ses sentiments pour moi. Seulement ses mots ne mentent pas, comment une telle complicité a-t-elle sans déclencheur pu disparaître ainsi au profit d'un silence de si mauvais augure ? La vague de solitude, revenue, m'engloutit.

Les passereaux qui me guettaient en sortie de librairie, n'étaient-ils pas les cousins efficaces des oiseaux de l'oncle Alfred ? De quelle nouvelle menace étaient-ils messagers ?

En claquant des dents, malgré dans la maison une chaleur acceptable, je tente de me coucher et m'accorde une gorgée d'Argol pour (tenter de) me remonter.

 

 

(1) Les refus des honneurs me va, en revanche, l'absence de poches m'a toujours désolée.

(2) Auraient-ils perçu la détresse que cachait ce rattrapage soudain ?

(3) de Fabio Volo que je ne connaissais pas.

(4) cf. la fin de son "Chagrin d'école"

[photos : passeroti rue du Faubourg Poissonnière à la tombée du soir ; de plus près, de plus loin, par ]

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On ne devrait jamais quitter Montauban

un matin de Noël en attendant l'ennui, puis un soir de retour après l'avoir subi moins que prévu sans doute.

            

 

A travailler comme une bête de somme pour ne parvenir qu'à saisir l'implacable intelligence des soustractions ou une indécrottable faiblesse multiplicative (gagner d'un côté rien de l'autre trois fois rien), je subis par lots de jours des sortes de tunnels. Combinés d'épuisement, de surmenage, d'absence totale de disponibilité exceptée durant les trajets, et de zones de sommeils lourds et sans rêves résurgents, ils me mettent à l'étranger du pays où je vis.

Je découvre alors parfois, des semaines ou des mois plus tard, qu'un événement non négligeable aura eu lieu dans ces jours-là, dont tout le monde s'est inquiété sauf moi. Aux calmes retrouvés, je tente maladroitement de rattraper mes vides. Parfois ça ne marche définitivement pas.

Ainsi le pape précédent étant décédé lors de l'une de ces périodes, je ne suis jamais parvenue à mettre à jour le fait qu'on en avait changé, et quand on parle de Benoît XXIII, je mets toujours un temps avant de me souvenir, qu'on a enterré Wojtyla.

J'effectuais donc ce matin une session de rattrapage (1) quand je suis tombée sur cette vidéo-ci :

Guillaume Dasquié interviewé par Paul Amar (France 5 "Revu et corrigé" - 8 décembre 2007)

(attrapée sur Dailymotion après l'avoir découverte grâce au Monolecte)

De ce journaliste je savais peu, et commettais à son égard le piteux à-priori de léger mépris qu'engendre fréquemment l'ignorance du trop-pressé : n'ayant jamais eu le temps de lire de près son travail, j'avais de lui l'impression d'un professionnel éclusant un filon efficace, en son cas celui du 11 septembre 2001, et ne devenant à la longue plus capable de faire que ça.

Je suis cependant soucieuse de la liberté de la presse, dont je sais d'expérience qu'elle est la première à morfler dés lors qu'en démocratie le temps soudain se gâte. J'écoute donc cette vidéo. Le "j'écoute" est pesé, je ne la regarde guère, occupée par ailleurs à quelques mises-à-jours et tris, sélections de photos, sauvegardes, attention flottante.

Evidemment je compatis au malheur de cet homme, mais avec cette réticence de qui a du mal à croire que le plaignant ne savait pas : allons bon depuis tant d'années qu'il investigue aux lisières des secrets, d'états et d'ailleurs, il aurait ignoré qu'il existait un coeur des choses duquel il fallait se garder. Je ne dis pas que ça soit correct. Je prétends simplement ne pas ignorer que certaines terres de pouvoir et de guerres rampantes ou déclarées ne sont pas à explorer sans solides protections, occultes ou non, à moins d'être suicidaire.

Ce professionnel ne l'est pas, celui qui l'interroge a évoqué habilement l'existence d'enfants, et même si le père se garde d'embrayer sur le sujet, on lui sait ainsi une ferme raison de (sur)vivre.

Je reste affligée de ce qu'on me confirme. Je ne l'apprends pas, ni ne m'en étonne. Pour un cas médiatisé, combien d'anonymes contraints peu ou prou à changer de métier.

Au bout d'un quart d'heure d'entretien, durant lequel, malgré le débit haché de qui revient d'un choc, le journaliste menacé parvient à tenir des propos solides et cohérents sans tomber dans les pièges compatissants qu'on lui tend (il veut parler du fond de l'affaire quand en face on souhaite apitoyer sur son sort), il craque, sa voix se brise, il se rattrape dans un ultime effort d'orgueil (je ne veux pas leur faire ce plaisir là) et l'autre en face, alors parfait n'insiste pas (2).

Je sais précisément ce qui lui arrive, rattrapée à voir la sienne par cette vague de douleur que je connais si bien. Il ne s'agissait dans mon cas que d'une blessure intime, je n'avais rien à défendre que ma vie quand le journaliste se bat pour une liberté d'expression. Mais il s'agit du vacillement de l'être humain qu'on a mis en danger. Quand les circonstances ont brisé en lui un tréfonds de son âme, une fondation sur laquelle il s'était construit.

Guillaume Dasquié était convaincu qu'en France, vieille démocratie historique, il pouvait travailler. J'étais croyante en la force d'aimer. Il avait donné le meilleur de lui même sur cette enquête qu'on lui faisait payer. J'avais sans hésité tout donné pour aider celles auxquelles je tenais, pour l'une d'entre elle sans la connaître. Et le seul engagement de ma vie dont j'ai pu être fière, a (probablement) contribué à mon rejet.

Confrontés l'un comme l'autre à la politesse extrême de ceux qui nous expliquent que nous n'aurions pas dû arriver là où nous sommes, et que, désolés, navrés, mais il convient de nous éliminer.

Et cette terreur qu'il n'a pas dite mais que j'ai su lire dans ses yeux juste avant qu'il ne se reprenne, plus fort que moi parce qu'il défend une cause quand je n'en portais pas, d'avoir donné naissance dans ce monde-là où l'on peut supprimer une vie juste parce qu'elle dérangeait. Une chose étant de le savoir (quelques génocides sont passés par là que nous n'ignorons pas), une autre de l'éprouver, par exemple sous la menace de qui devrait représenter la justice ou à mon cas intime incarner l'amitié.

Il a le soutien de ses pairs, y compris ceux qu'il n'attendait pas. J'ai eu celui d'amis, même si j'ai fort peu dit, par respect persistant et rêve d'un retour.

Rien de cela ne suffit, même si ces secours comptent (3). Et le temps est bien lent.

Je lui souhaite tout courage et de se garder des soulagements chimiques inévitablement proposés, qui permettent certes de passer le cap de danger maximal, quand la tentation est si forte d'abonder dans le sens de ceux qui nous ont détruit et finir à leur place le sale boulot qu'ils n'ont pas fait, mais mettent par trop hors de combat, et de tenir bon les années qu'il faudra jusqu'à reprendre pied.

Quant à la part politique, elle ne fait qu'inquiéter chaque jour davantage. A part diffuser les informations telles que celle-ci sur notre petite parcelle, je nous sens particulièrement impuissants dans une contrée où l'ensemble des gens a choisi volontairement l'incompétence, l'esbroufe et le danger, parmi un reste du monde peu à même de consoler qui eût pu croire jadis en l'humanité.

      

(1) et de reconstitution de mon agrégateur

(2) en professionnel amariné il a su reconnaître sa victoire : un "moment" de télévision, je fis jadis chair à moment, brièvement, alors je sais.

(3) ô combien

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Noël avec Robert

Ou comment mes voisins ont cette nuit (probablement) maudit un blogueur retraité qu'ils ne connaissent même pas

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Bastille, ce soir, puis dans ma salle de bains

      

A force de ne plus croire à rien, et surtout plus à personne, voilà que tout arrive y compris un Noël en cadeau dont je n'aurais pas même pensé rêver.

Voilà qu'un ami des prosélytes, pour cette saison pourvu d'abonnement avait une place à proposer dont libre de lourd réveillon, j'ai pu bénéficier (1).

Alors oui d'accord, je préfère Verdi, mais un Wagner offert, surtout mis en scène par Robert (2) ça ne se refuse pas.

Ce fut somptueux, entre une distribution que j'ai trouvée parfaite (3), un Seiji Osawa déchaîné dont c'était la dernière (4) et mon ignorance qui m'a permis de découvrir un Wagner novateur pour moi inconnu.

Et qui si l'on faisait abstraction des oripeaux lourds de dieux, malédictions et damnations possibles, parlait de la création artistique, de ses affres, des coeurs partagés, des précurseurs et des vieux cons, de trop de sainteté qui rend les oeuvres vides quoique les pélerins satisfaits.

Le petit kitch (5) inspira même le facétieux ténor qui mit un pied dessus pour tester des coutures l'absence apparente, mais sa partenaire impavide n'a interrompu ni son chant ni son pas.

Et le choeur des pélerins, Oh le choeur.

A en pulvériser jusqu'aux chagrins d'amour. Comme si à l'instant du chant ne restait plus sur terre que la beauté.

Dans l'allégresse induite, j'ai failli en rentrant passer chez Wytejczk lui souhaiter Joyeux Noël, en suis sur ma lancée rentrée en vélib d'entre chez lui et chez moi, comme autrefois ou plutôt comme pas puisqu'en son temps de proximité les vélos municipaux n'existaient pas et que je me contentais du sien qu'il me prêtait parfois.

Le deuxième effet Chant-des-pélerins ne s'est pas fait attendre : en me douchant d'avant dormir, ce que je fais à présent (pioncer), je me suis surprise en train de chanter, et même assez fort, presque un tue-tête chuchoté. Vous qui riez, sachez que ça ne m'était plus arrivé depuis 22 mois, 2 jours, 9 heures et 40 minutes, voire probablement 22 mois 3 jours et 2 heures 15 si l'on tient compte du fait qu'à la veille de ma première mort, j'avais à peu près pigé qu'on me flinguerait le lendemain. N'étant qu'un(e) extra-terrestre égaré(e) et rien d'une divinité, j'ai la résurrection lente.

Les voisins auront apprécié.

   

   

(1) Grand merci à lui. En revanche je ne remercie pas la voisine de devant qui expliquait tout à mesure à son vieux papa, et lui dépapiota un bonbon ?, une pastille ? un médicament ? en début de deuxième acte, les tousseurs professionnels (il faut l'être pour choisir à ce point les précis moments de bravoure), la vieille bourgeoise ignare du rang derrière qui non contente de nous abreuver aux fins d'entractes de commentaires acidulés sur ses ami(e)s et connaissances, oubliait régulièrement qu'elle n'était pas devant sa télé. Elle a eu de la chance que je sois trop occupée à écouter pour tuer, parce que son "Oh mais c'est la messe de minuit !" à voix haute pendant le choeur des pélerins a failli m'en décrocher. Je suis un être paisible et remarquablement civilisé mais qui me fait tomber d'une concentration de grâce, risque de croiser mon Hyde et de ne plus pouvoir en témoigner après. Le dernier Séraphin Lampion qui a sonné chez moi alors que j'écrivais et encombre depuis mon congélateur (6) pourrait en témoigner.

(2) Carsen ; pardon de cette familiarité mais justement son travail me fait me sentir "chez moi" jusqu'à présent quelle que soit l'oeuvre.

(3) Stephen Gould , Eva-Maria Westbroek, Franz-Josef Selig, Béatrice Uria-Monzon ... (pour ne citer qu'eux)

(4) merci Madama Abricot pour l'info. Désolée de vous avoir quittée si rapidement mais c'était à cause de ces contraintes là et même si je n'avais aucune intention d'expérimenter certaine technique un peu trop acrobatique en tenue de soirée ;-) , bon il ne fallait pas que je traîne en plus que j'avais encore à vivre une rencontre fortuite (la seconde de la soirée).

(5) qu'on se le dise, alors que Maria Callas se ménageait toujours un petit chic dans la tenue, Robert Carsen apporte toujours un petit kitch en clin d'oeil, pour Lohengrin ce fut ce cygne évident, pour Tannhäuser les drappés traînant des cantatrices chauves nues réchauffées.

(6) Je rigole, le congélateur est bien trop petit ; d'ailleurs si vous avez une idée ...

[photo : Der  Ô Tannenbaum des Bastilleopernhaus, Montag, den 24. Dezember 2007]

PS : J'aimerais beaucoup savoir qui est la doublure silhouette de Vénus au début, histoire de ne (surtout) pas la présenter à mon mari. Serait-ce Marie-Cerise Risacher, seul nom féminin à figurer dans la liste des figurants parmi les mimes et danseurs ?

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Grand-père

C'était hier, à Angers

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"La mort ne fait pas grâce pour toujours. Il y a des volumes qui sont tièdes encore sous les doigts comme une chair recrue d'amour, comme si le sang battait sous la peau fine, et aussi chaque nuit, dans le silence des grandes bibliothèques, il y a un livre glorieux dont vacille dans le noir et s'éteind pour toujours la petite lumière, mais sans qu'on le sache encore, comme nous parvient encore après des siècles la nouvelle de l'extinction d'une étoile".

Julien Gracq, "La littérature à l'estomac" (1950)

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Ils vont tous mal

hier, aujourd'hui, demain, ici et ailleurs

   

Pict0007 relu le 22/12/07 à 21 heures

Il y a ceux qui pris par la frénésie de Noël, accaparés d'enfants petits qu'ils souhaitent émerveiller, enserrés dans une famille clanique qui leur pèse mais leur tient chaud, ne pensent même plus à penser et qui, pris par l'ambiance se croient heureux, bien que très énervés par tout ce qui leur reste à faire pour que la fête soit parfaite.

Chroniques Blondes que j'ai découverte(s?)  grâce à Embruns, résume tout ça très bien .

Ils ignorent pour la plupart qu'ils sont dans l'état du petit personnage de dessin animé qui a continué tout droit au dessus de la falaise et continue à marcher dans le vide tant qu'il n'a pas jeté un coup d'oeil en bas.

Il y a ceux que la marchandisation extrême a dégoûté d'une fête qui autrefois eut un sens (même laïc), du moins pour les gosses quelconques de Français moyens et qui n'avaient alors de cadeaux que deux fois dans l'année : à leur anniversaire et à Noël. Et ces cadeaux étaient mesurés à l'aune du budget parental. On ne s'endettait pas en ce temps là pour payer en 15 fois le dernier modèle de Podninmagicboxcube 15.17 à des bambins inassouvis (parce que de toutes façons dés le lendemain, Thomas (1) dont le père travaille aux USA (variante : Japon) aura la 15.20).

Ceux pour qui ça n'a jamais été trop d'une fête, Samantdi dans son "Marronnier" l'exprime fort bien, ceux qui seuls le sont en ces fêtes réquisitionnelles plus encore qu'à l'ordinaire. Ceux qui comme moi se sentent orphelins à cause de deuils réels ou d'une famille élective disparue volatilisée (où le ou est le ou inclusif des mathématiques).

Quelques-uns qui savent sagement "faire avec", se tenant à l'écart mais pas, trop, profitent des jours fériés pour rassembler quelques amis, quelques cousins, la magie de Noël c'est peut-être tout simplement pour ceux qui ont un travail de n'être pas obligé d'y aller. Quelques-autres qui précisément en profitent pour se goupiller de franches agapes et retrouvailles tant que les avions ou les trains fonctionnent encore bien. Ceux-là vont bien. J'en connais quatre cinq.

Il a ceux qui traversent des temps difficiles. Ils ont besoin de silence. J'en connais quatre aussi ; ou plutôt trois et demi car l'un des mutismes volontaires cumule bien d'autres causes. Deux d'entre eux qui savent que le silence mal placé peut tuer qui le subit sans qu'il ne lui soit forcément destiné, ont pris la peine malgré la leur de me l'écrire (2). Pour avoir connu il y a deux ans ce même besoin de retrait, je sais ne pas pouvoir vraiment aider fors par respect de leur voeu et disponibilité immédiate s'ils souhaitent le rompre.

En attendant ils me manquent. Et pour eux, je m'inquiéte (malgré tout).

Dans leur cas les fêtes n'arrangent rien à moins qu'elles ne leur permettent un retrait plus discret de leur (mi)lieu de travail.

Il y a enfin une amie de l'internet dont je n'ai depuis un long moment plus de nouvelles personnelles, et dont le blog, Se souvenir des belles choses a entièrement disparu. Un crash sauvage de mon agrégateur où son fil restait en apparence garni m'en a soudain fait prendre conscience.  Elle était malade et en parlait parfois. J'ai peur pour elle. Elle m'avait envoyé dans des moments pour moi difficiles des messages qui m'ont aidés. J'ai peur aussi de ne plus jamais pouvoir lui (re)dire merci.

   

(1) qu'aucun des Thomas de ma connaissance ne se sente concerné, j'ai choisi simplement le prénom de garçon statistiquement le plus attribué en France pour des enfants nés en 1997.

(2) Je leur en suis profondément reconnaissante. Je sais l'effort fourni.

[photo : 15 janvier 2005, Grands Boulevards, une manif croisée par hasard en sortant du métro]

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Les Secs

Hier soir, assez tard, ligne 13

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Je n'avais pas eu ce soir le métro magique et arrivée à Champs El Clém sur le quai de la ligne 13 n'avais pu que constater que le prochain était favorable aux Dionysiens.

A Dieu ou son absence ne plaise, je décidai d'y monter quand même : à La Fourche il fait moins froid.

J'avais juste peur d'oublier de descendre tant le livre était bon (1).

J'ai su me tenir. J'ai même su regarder un peu autour de moi, alors qu'assise à la station où l'on doit sur place attendre son changement (métros bleus vers Saint Denis, jaunes vers Asnières) j'étais sur le point de reprendre ma lecture interrompue seulement pour descendre de la rame précédente et me poser là.

Sur le quai d'en face, un homme, pas si mal habillé (un jean gris, un blouson épais comme de cuir fauve) cependant passablement égaré et probablement sans abri, se préparait pour un morceau de nuit, jusqu'à tant que ça ferme, ça serait toujours ça de pris.

Il avait étalé au sol des lambeaux d'affiche publicitaire, sac de couchage symbolique et assis en tailleur à l'extrémité comme d'un lit au bord, il alignait soigneusement de grandes canettes métalliques de bière, non sans achever de vider la dernière. J'en ai compté quatre. Deux litres, donc. Mais depuis quand ?

Il se mit à fumer, discrètement, toujours au bout du bord de son absence de lit. Puis d'un pas de coton mais sans divaguer ni de la voix ni de trajectoire, s'en fut pisser à quelque pas dans l'angle extrême de la station.  A ce point des opérations, l'alcool dut se rappeler à son mauvais souvenir, et chancelant il fut contraint de s'appuyer de biais contre l'un des murs. Je n'osais imaginer l'état de son pantalon, mais ne pus m'empêcher d'y penser : à cause que dehors il gelait à pierre fendre et que s'il n'était pas un peu déshumidifié avant de devoir sortir, ça risquait pour lui de tourner fort mal.

Au même moment à l'autre bout de la station là où l'on entre ou sort, retentit la clameur prétendument joyeuse d'une dizaine de jeunes hommes en goguette et qui braillaient "Aux Champs Elysées tadatadataaaa" annonçant ainsi qu'ils avaient l'honneur de s'y rendre, avec le ridicule fini de qui entonne une chanson dont il ignore le moindre couplet et boucle sans fin sur le refrain.

Eméchés mais pas méchants.

Heureusement.

Ils étaient plutôt bien sapés à ce qu'on pouvait en voir, à leurs tenues de grands froids sombres. Cheveux un peu longs, à l'hirsute travaillé.

J'imaginais le mauvais film possible, en cas de boisson agressive, les types en bande et fiers de leur fric s'en prenant au gars flageolant et pitoyable, au motif qu'un moins que rien qu'on assassine c'est le faire tendre vers zéro (2), effrayante ébauche d'ascension sociale.

Mais les gossiers étaient de trop bonne humeur pour chahuter qui que ce fût fors d'éventuelles girondes jeunes femmes (3). Il n'en passa pas.

Ils abandonnèrent soudain le TADATADATAAAaaaaa pour scander à plusieurs reprises ce que je pris pour un mystérieux manifeste :

"Nous représentons les Secs".

Je me dis qu'effectivement ils semblaient bien davantage du côté des secs et des abrités que le pauvre homme sans logis qui au bout du quai marinait dans sa bière. Comme la narratrice du livre que je lisais je me demandais pour combien de temps encore les Secs seraient la majorité face au peuple de miséreux errants que nous serions devenus, laborieux mais trop mal payés pour se maintenir en logement.

Le livre me rappela ainsi, et j'en oubliai le monde d'une de deux phrases lue sur la solitude et qui me crucifia (4).

Ce n'est que quand le métro que j'attendais arriva puis redémarra, qu'en jetant au passage un coup d'oeil à la bande festive, je saisis le sens, pourtant évident, de leurs mots. Que faisaient-ils si loin de Cergy ?

(1) En fait une lecture de rentrée dont j'avais mis la fin de côté pour le plaisir ou en cas d'aller mal, comme un bon remède dont on préfèrerait garder un fond dans l'armoire à pharmacie, par crainte d'en manquer en cas de crise qu'il peut soigner. L'avoir repris est sans doute bon signe.

(2) article de Louise Barcellini pour Rue89

(3) N'y pas voir de discrimination mais juste la constatation qu'ils avaient l'air d'une bande de jeunes hétérosexuels mâles. Et que donc.

(4) "Les gens seuls, victimes d'un chagrin nouveau, se consolent comme ils peuvent et comprennent soudain - ceux qui marchaient autour d'eux et qui tout à coup se courbaient, ralentissaient le pas, sans raison apparente, maintenant ils comprennent car eux aussi sont courbés, ploient sous un poids qui n'est pas la vieillesse et pas la maladie - mais seulement le désarroi parce que quelqu'un est parti. Parce qu'il faut oublier la présence et supporter l'absence"

Cécile Wajsbrot "Conversations avec le maître", Denoël page 142.

[photo : ligne 13, une autre station, un autre jour]

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Un putain de parfum de fin

Hier, Denfert, au bord du soir

Pc180032

J'arrive au ciné bien trop en avance. Le musée où j'étais allée m'éduquer fermait trop tôt pour que je puisse harmonieusement enchaîner l'un puis l'autre, et comme il fait bien trop froid pour se promener me voilà au café.

Parce qu'il bénéficie avec le cinéma d'une parfaite proximité je me retrouve ainsi là où il y eut deux ans en juin j'avais fêté en compagnie des copains du ciné-club dont je suis, une victoire inouïe, voulue et formidable.

J'étais alors heureuse et me croyais aimée, soutenue, entourée (1), n'avais pas encore croisé Michel Jouffreau, ce genre de rencontre réelle ou fictive qui survient dans la légèreté et qui fait qu'après tout a changé (2).

Le coeur serré je mesure que deux années sont passées, deux années vécues dans un brouillard épais, les doutes, la solitude ressentie et les difficultés. Deux années dont j'espère un jour être capable de retrouver les beautés, car il y en eut, et d'autres rencontres et du travail acharné qui si je dure finira par payer.

Une odeur abominable m'arrache à mes pensées. Je ne suis pas la seule à être incommodée, un homme qui à une table voisine dégustait un café, lève en même temps que moi les yeux vers celui qui vient d'entrer et qu'on prend pour sa source si rien ne vient nous détromper. J'identifie l'effluve suave, douceâtre, âcre et écoeurant de la mort laissée à l'oeuvre. Il provient de son manteau, qu'il a ôté comme un consommateur ordinaire et soigneusement plié sur le siège voisin du sien.

A quel macchabé l'a-t-il donc chouré ?

Le quidam commande un alcool que le serveur lui apporte avec un empressement suspect, puis feuillette un journal comme si de rien n'était. J'en suis à lui imaginer quelques existences fantastiques ou distraite (un médecin légiste qui par inadvertance en sortant se serait gouré ...) ce qui m'aide à tenir baissé le rideau de fer coupe-feu qu'à l'instant même où j'identifiais le parfum particulier j'ai mentalement baissé pour me prémunir de souvenirs malheureux et me dire qu'il doit n'avoir pas conscience de la nuisance émise, quand il allume un surprenant cigarillo, fort luxueux si on considère l'ensemble de sa mise, celle d'un type en costume fatigué, et le portant et le porté, après une journée harassante.

A une table voisine mais pas si proche quelques jeunes femmes qui avaient feint de ne rien remarquer à la première odeur froncent le nez à la fumée. Etrange société où certaines protestations sont admises quand d'autres aussi légitimes, non. 

Je renonce à tracer au buveur un destin de sérial-killeur à moins que débutant : aucune odeur même forte ne sait masquer la première fors la javel extrêmement concentrée (3).

Le serveur s'approche de l'homme, et demande à encaisser, comme il le fait ordinairement seulement en fin de service. La falourde désengourdie fouille sa poche, en sort la monnaie requise et éteint ce qu'il fumait, vide l'ultime goutte de son verre, puis renfile le pardessus puant, ce qui a pour effet de réactiver la diffusion de senteur, et s'escane sans demander son reste. 

Le garçon s'empresse de nettoyer la table libérée, frottant avec infiniment plus de conviction qu'il n'en mettra peu après pour la mienne, et l'apprête pour le dîner. Je me demande si les consommateurs suivants percevront quelque chose où s'il aura suffit de trois minutes et d'un chiffon efficace pour effacer toute trace du passage insupportable.

Lors de la séance de cinéma qui suivra, j'apprendrai la fin inéluctable du ciné-club dont je faisais partie depuis 20 ans au moins. Ce ne sera pas une surprise, depuis le rachat de l'usine par une autre plus fortunée, nous jouons à son sujet "Chronique d'une mort annoncée", mais à présent ont été prises les mesures administratives qui par ricochets rendront de l'association la survie impossible (à moins de l'apparition d'un mécène providentiel). Je pourrai ainsi (jouer à) croire que le consommateur malodorant n'était que le messager de la nouvelle mauvaise à venir.

Le besoin d'en parler à Wytejczk non pas du visiteur mais de la fin des films projetés, lui qui aimait tant que je les lui raconte après, car les séances étaient uniques et qu'aux mêmes heures il travaillait, sera si fort que je croirai le voir passer sur son scooter, alors que je sortirai. Je saurai qu'il n'en est rien.

L'étrange fumeur, lui, était vrai.

   

(1) Je parle de certains des tout proches, pas des amis fidèles qui me sont restés.

(2) J'ignore d'ailleurs si sans l'Hôtel j'aurais ouvert Traces et trajets ; j'étais alors encore dans l'optique de tenter d'écrire pour papier.

(3) Enfin je crois.

(4) A dire vrai, je songe encore, j'hésite mais je rétice, à tenter de joindre à ce sujet une des personnes IRL qui inspira ce personnage bien-aimé de coursier polonais, à moins que son frère ... Pourquoi déranger alors qu'il est (déjà) trop tard et que tant de problèmes plus cruciaux sont soulevés ?