L'inconnu formidable du Milano-Paris
Absence de transports

Mon chagrin de bécassine et l'âge du capitaine

  • éléments optionnels du titre : stupide - béate - inoui

(à placer dans l'ordre de votre choix sauf pour celui qui nécessite un malencontreux féminin)

Cette après-midi à la Cinémathèque

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billet en chantier

nb : j'ai quelques corrections à apporter à ce billet mais dois aller à l'usine où je n'ai pas accès, et ce midi serai réquisitionnée. Version provisoire en attendant le soir, donc.

enfin relu et corrigé (20/11/07 12 h 33)

J'ai longtemps méconnu le métier de cinéaste. Au point d'ignorer son existence même. Là où je vivais on ne savait rien des métiers du cinéma. Les acteurs, d'accord. Forcément, on les voit. Et peut-être par quelqu'un quelque part une histoire écrite ; afin que les premiers ne bafouillent pas trop et qu'on puisse découper par morceaux les moments de tournage. Parce que bizarrement la notion de scènes à jouer et rejouer jusqu'à filmer la bonne version, celle-là je l'ai toujours eue. Pour les dessins animés je me demandais (jusqu'à 12 ans environ je crois) comment ils faisaient pour gommer sans abimer la texture de la pellicule.

(on ne rigole pas, je vous prie)

M'étant régalée de Charlot je crois que j'imaginais une sorte d'acteur principal, écriveur et omniscient qui décidait d'un peu tout jusqu'au moment du tournage ou le patron devenait le caméraman. Vers 14 ans, je crois en voyant pour partie de la cabine du projectionniste le Molière d'Ariane Mnouchkine, j'ai eu la sorte de révélation divine de la présence inévitable et simultanée de plusieurs caméras.

Du montage j'avais bien l'idée, mais j'imaginais quelque chose d'à peine moins artisanal que ce qu'aux dimanche de bonne entente mon père et moi faisions subir à nos petits super 8 afin de les mettre bouts-à-bouts pour en construire une bobine moins pas longue et plus facile à ne jamais ou presque visionner. Parce que vous comprenez, pour visionner les films il fallait sortir l'écran de son fin fond de garage où il était stocké, et aussi le projecteur et puis même quand la mère consentait au dérangement et aux mouvements de poussières y afférents, l'ampoule du projecteur tombait en panne au bout d'une minute 12 (statistiquement). Mon père n'en avait pas d'avance en rechange, ça coûtait cher tu comprends.

(j'exagère, certes, mais hélas à peine)

Bref, j'imaginais en gros un accord collégial entre acteurs (1), éventuellement quelqu'un qui écrivait un peu mais disparaissait ensuite et au moment du tournage l'homme (ou la femme) à la caméra comme décideur ultime.

J'avais aussi assez peu de temps pour m'interroger sur de tels sujets. Il fallait bosser, étudier, aider les amours hésitantes des copains, faire du sport pour lutter contre la santé trop fragile, lire à perdre haleine, empêcher mes parents de s'entre-déchirer, tenir mes carnets de bords, prendre des photos mais surtout pas trop, me préparer à mon sacerdoce de chercheuse en physique nucléaire relativiste et quantique. Bref, l'organisation dans les arts créatifs n'était pas dans mon champs de vision, même si aller au ciné, oui j'aimais.

De la même façon que je dois à Marcel Pagnol la révélation que les livres étaient écrits par des êtres humains qu'on appelait les écrivains (2) et non pas par des sortes de robots ou des équipes de travailleurs qui auraient enfilé des mots (3), je dois à deux réalisateurs et aux ciné Actions qui avaient programmé des rétrospectives ou des festivals de leurs films la révélation de l'existence de leur métier.

J'étais étudiante à Paris et découvrais du moins aux mois corrects ou aux jours de grève des restau. U (le prix du repas équivalait presque mais pas tout à fait à celui de l'entrée tarif réduit au ciné) le privilège du choix au cinéma. Jusque-là c'était tel film passe au ciné de ma banlieue on y va si on peut. Il y a une et une seule salle. On ne peut pas enfant si personne ne consent à nous y accompagner, on n'y va pas plus grands parce qu'on a trop de devoirs à faire ou pas assez d'argent (de poche) ou que des parents pointilleux ont décidé que ce film n'était pas convenable, ou qu'on était trop enrhumé(e) pour parcourir les 2 km à pieds.

L'un d'eux est Ernst Lubitsch. Il était évident à voir ses films jours après jours qu'il y avait une "patte" Lubitsch, même si à l'écran il n'apparaît pas. Et ce n'est pas non plus lui qui tient la caméra.

Il est le réalisateur.

Et de la façon que j'apprends aujourd'hui l'existence de ma plus belle histoire d'amour au milieu même de ses décombres, j'apprends alors l'existence d'un métier qui aurait pu ou dû être le mien alors que je m'apprête à entamer la vie professionnelle d'ingénieur pour laquelle j'ai été formée.

Je calme le regret en pensant que je n'avais vraiment pas pour ça la santé (4). Que les parents m'auraient coupé les vivres si j'avais eu la folie d'envisager la moindre voie à connotation artistique. Compte tenu du contexte, de leur part contribuer était louable. Je ne dois pas l'oublier.

L'autre est Eric Rohmer. Avec un couple d'amis nous prenons rapidement l'habitude après avoir lors d'une rétrospective rattrapé notre retard, d'aller voir chacun de ses films dés la sortie. J'aime la façon de parler de ses personnages, un peu trop chic propre mais pas tant que ça, j'aime qu'ils se parlent beaucoup mais pour se dire tout autre chose que "T'as pensé à acheter le pain ?", "C'est trop cher", ou "Arrête de lire, viens avec nous". Eventuellement si, "C'est trop cher" ils peuvent se le dire mais pour des plaisirs optionnels ou des locations d'appartement. Ils ne souffrent jamais longtemps du froid ou de la faim, et leur problème de maison ou d'amours c'est d'en avoir trop plutôt que pas (6).

Pour moi c'est reposant, mais pas non plus trop loin.

Souvent en se parlant, en s'expliquant, ils finissent par comprendre d'eux-mêmes des éléments qu'ils ignoraient. Comme je suis une taiseuse, à part pour faire marrer, et celui que j'aime un Deschiens à peine amélioré mais qui aurait compris que mieux valait avec une fille comme moi une absence de mots qu'une absence de qualité dans la conversation, ça ne m'arrive jamais et je reste sidérée par cette capacité qu'ils ont et la confiance qu'ils se font.

Ils se veulent du bien, en gros, et quand ils ratent leurs rencontres, foirent leurs amours, mentent et se mentent un brin, fonctionnent en gens moyens, ce n'est jamais par cruauté ni de gaité de coeur. Lorsqu'ils agissent par calcul, une raison l'explique, souvent la séduction à laquelle personne n'échappe, les séduisants comme les séduits. La "Collectionneuse" est presque attachante dans ses appétits même et tout en plaignant les hommes qu'elle manipule et les femmes plus simples qu'ils auraient pu aimer, on ne lui en veut pas. A l'opposé des ambitieux tordus de Visconti dont Les damnés me flanquera un coup au moral durable, je me sens à ma place parmi les personnages que Rohmer nous fait rencontrer. Il me permet de croire pour la durée d'un film que je ne me suis pas complètement gourée de planète en atterrissant. Luchini m'agace autant qu'il m'éblouit, c'est à dire prodigieusement, je pressens un type au service des textes et forcément ça me charme.

(mais diantre, quel cabotin)

Alors quand au milieu du programme de cette semaine de la cinémathèque, j'aperçois qu'il sera là, pas Luchini mais Rohmer, au prétexte de parler des dialogues dans les films en général et ceux de Guitry en particulier, je laisse tomber ce qui était prévu (passer à la bibliothèque, travailler) et je fonce y assister.

(Je ne l'ai pas regretté).

Malgré un trajet qui comportait une part d'aléa, j'arrive en avance et plongée dans un livre d'un grand intérêt (5), je ne l'ai pas vu lui-même s'installer à la table des intervenants.

La première partie du programme lui laisse la parole assez longuement et librement. Il redonne vie à Sartre et de Beauvoir, au cinéma l'Etoile, aux enthousiasmes de Truffaut, part dans des digressions en retrouvant son chemin comme je ne l'aurais pas fait, nous offre son humour, sa légitime fierté pour certaines capacités et sa modestie pour d'autres (que je ne crois pas feinte).

A l'écouter j'en oublie tous mes tourments, ou pour certain d'entre eux, j'avance dans sa compréhension. Ses actrices sont plaisantes et vives, qui n'ont pas mal vieilli et ne se prennent pas pour ce qu'elles ne sont pas.

Vieilli ?

Je comprends alors que sa période prolifique a environ 20 ans d'âge même si depuis il n'a jamais cessé de filmer et que son récent opus ne porte aucun déclin.

La discussion est rythmée d'extraits projetés ; le cinéaste doit alors changer de place afin d'y assister. Quelqu'un de ses proches vient l'aider.

Je découvre ainsi un monsieur très âgé, qui peine à se déplacer tout en s'efforçant à la hâte relative afin de ne pas gêner et mesure à son effort le courage nécessaire à sa présence parmi nous.

La leçon du jour est là pour moi. Beaucoup plus que toutes les paroles de cinéma, pourtant déjà fort profitables.

En trois pas plombés, il vient de me signifier que je n'ai pas le droit, aucun droit à renoncer, quelque soit la souffrance (morale) endurée. Mon corps à moi fonctionne au moins mal de ce qu'il a jamais fait. Mon cerveau a bien morflé, mais je peux encore être utile à d'autres et aider.

Alors Luchini-Octave entame à l'écran d'une "Nuit[s] de la pleine lune" le brillant dialogue où il explique pourquoi Paris lui manquerait s'il n'y vivait pas et son peu d'attirance pour "le[s] matin[s] ensoleillé[s] avec les brumes évanescentes" des campagnes profondes.

Je me dis, moi aussi.

C'est grâce à eux reparti pour un tour de vie.

(de solitude, hélas, aussi)

(1) Je fus adolescente dans les années 70 du siècle dernier, une telle façon de penser correspondait à l'air du temps autant qu'à mon tempérament. (2) Mais j'avais 8 ans, hein. (3) Jusqu'à récemment je n'excluais pas qu'Enid Blyton fût une sorte de marque pour désigner des pools d'écriture. Un peu comme des collection Harlequin pour les grands. (4) parce qu'être ingénieur surtout quand on est femme, c'est bien connu c'est de tout repos (!)

(5) Les assises du roman à la Villa Gillet, en juin dernier textes rassemblés, merci aux deux personnes à qui j'en dois la lecture.

(6) "Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison" est le dicton sur lequel s'ouvre "Les nuits de la pleine lune".

[photo : vue générale et prise de loin quand les gens après la fin partaient]

 

Pour ceux qui n'habitent pas trop loin, ça continue demain (et la ligne 14 fonctionne bien).

Attention, c'est un peu cher (18 euros le week-end et je suppose que si on prend en cours de route ça n'est pas moins), non pas cher eût égard à ce qui est offert, je vous assure ça les vaut bien, mais cher à sortir pour un budget moyen.

Pardon si ce billet est un peu mou, mais je tombe de fatigue.

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