Tome 3
Mon chagrin de bécassine et l'âge du capitaine

L'inconnu formidable du Milano-Paris

à Louis Mohollen

  • Entre Torino et Parigi, probablement peu après Lyon, le 14 mai 2004

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billet en chantier - heure tardive -

Je ne suis pas vêtue de noir, mais porte des habits sombres et d'allure trop classique et qui ne me va pas.

Il y a une raison pour ça.

J'ai froid, mais il s'agit de chagrin plus de que tempêrature des lieux. J'ai du chagrin mais porte deux ou trois bonheurs :

- J'écris alors depuis 6 mois et je sens que c'est ça. Pour la première fois de ma vie d'adulte, je sais enfin quoi (tenter de) faire de moi. Je n'ignore pas que je n'ai rien à y gagner, et même plutôt pas mal d'ennuis à glaner, mais mon Paul à moi m'a dit "Fonce" (1) alors je le fais.

- Je viens de revoir une grape regroupée de mes cousin(e)s italien(ne)s que j'aime tous beaucoup et bien. Même si les circonstances étaient douloureuses, il s'agissait d'enterrer quelqu'un qui déjà manque à chacun, se retrouver fut bon.

- Et last but not least, je suis en train de lire avec passion en tant que "bêta-lectrice" (je lis d'un oeil lecteur mais attentif, je raconte ce que j'en pense ou en saisis, pose les questions quand ce n'est pas clair (et si on est plusieurs à le faire, alors l'auteur modifie) et râle si madame Moreno meurt avant d'avoir terminé son chapitre) le nouveau manuscrit d'un ami et je me régale à cet exercice.

Je me régale même tellement que plongée dans son texte et mes annotations, je n'ai pas pris garde au vieux monsieur qui présent comme moi dans ce bout de wagon qui fait presque comme un compartiment à l'ancienne, me dévisage et me dessine.

Il avance dans son travail puis une fois la trame solide, prend le temps de s'amuser que je n'ai rien remarqué, tellement dans ma lecture sans faille je suis plongée.

Au bout d'un moment il se marre, apporte à son esquisse quelques modifications puis s'adresse à moi en anglais et me demande, pardon de vous importuner mais voyez-vous un inconvénient à ce que je vous desssine ? Certaines personnes n'aiment pas et je comprends ça.

J'ai un peu de mal à ré-atterrir au monde, mais j'y parviens. Il est si sympas. Et rayonne malgré la fatigue d'une allégresse profonde et calme : celle de l'homme qui après avoir bien et longuement bourlingué a trouvé sa voie, son mode de vie idéal, et sait en profiter.

Il sait aussi en faire profiter les autres. Il me montre son dessin et me demande si ça me va.

Un homme jeune, assis non loin de là a perçu le manège et Louis, que pour l'instant je ne sais nommer, le repère et l'invite à regarder.

En trois clins d'oeil voilà que nous nous retrouvons à cinq, soit tout l'ensemble des occupants de ce compartiment qui n'en est pas un. Et 10 minutes plus tard nous sommes tous devenus de vieux amis. Et l'on discute et l'on rit, essentiellement en anglais parfois en italien (2), Louis nous parle d'art et de création mais sans aucune emphase. Aurait-il voulu faire une bribe de mon éducation ? A-t-il perçu combien j'avais soif, après une vie de robot d'apprendre enfin ce qui pour moi va bien ?

Mon deuil pourtant solide, j'aimais qui nous a quitté, s'estompe pour la première fois depuis que j'ai quitté Paris deux jours plus tôt à l'annonce du décès.

Louis est intrigué par mon travail de bêta-lectrice, je me dis qu'il n'a pas dû faire que peindre comme beau métier, mais peut-être écrit aussi. Je parle avec enthousiasme des livres déjà parus de l'ami relu. On se passionne, puis on parle d'Italie, et peut-être de musique aussi.

Paris arrive trop tôt. Nous échangeons nos adresses de messagerie, vive l'internet qui permet de garder un contact sans nécessairement trop dévoiler de soi. Ils savent simplement que j'habite vers Paris et ai en Italie de la famille qui se réduit (3) ; je sais que l'un deux va à Londres, que l'autre est Milanais. Mais où que nous allions si vraiment nous le souhaitons nous pourrons continuer à communiquer et poursuivre l'échange.

Finalement c'est avec Louis que je l'aurais mieux fait. Probablement parce que les plus jeunes trop accaparés de vies professionnelles, amoureuses actives ou d'enfants petits, ont moins su prendre le temps que lui. Sans doute aussi parce que je me sentais avec mon portraitiste une belle connivence, et des points communs dans nos façons de voir la vie (4).

Nous ne nous étions pas revus. Je suppose qu'il a dû voyager tant que sa santé ne s'était pas dégradée. Il nous avait expliqué combien ce mode de vie lui convenait.

J'ai reçu ces jours-ci un message circulaire, signé de ses families and friends, et qui prévenait les internautes de son carnet d'un décès pour cause d'âge à près de 80 ans. Le mot m'a peinée. J'espérais précisément pouvoir revenir vers lui après une période de silence que je m'étais imposée car je n'avais plus que du triste et des malheurs à lui raconter.

A présent il est trop tard. Je reste émue d'avoir été prévenue et en chaleureux termes. Ils signifient en filigrannes, nous ne vous connaissons pas mais nous savons que d'une façon ou d'une autre pour lui vous aviez compté. Il est question de sa dernière peinture à la veille même de son décès .

Et je me souviens que c'était ça qu'il espérait. Ne pas finir dégradé ou que ça dure le moins longtemps possible. A priori c'est arrivé. Et voilà que je ressens pour lui, comme une petite fierté.

Merci à lui, encore.

   

(1) ou plutôt se méfiant de ma défiance envers la moindre autorité : N'as-tu jamais pensé à ... ; depuis je ne pense plus qu'à ça.

(2) au point que de l'un des présents je ne découvrirais la langue maternelle, comme la mienne le français qu'après plusieurs mails échangés scrupuleusement en anglais.

(3) 6 mois plus tôt, un deuil déjà.

(4) J'ai hélas bien changé (en triste).

[photo : mes compagnons de "route" (sauf un, celui qui saisit l'instant) et moi. Louis est le premier à gauche]

            

J'ai hésité à publier cette image où Louis semble heureux et nous tous : elle ne m'appartient pas, on me l'avait envoyée pour mon plus grand ravissement, très très vite les jours d'après.

Je ne peux plus, et pour cause, demander à Louis la permission de déposer ici son image.

Entre fin septembre 2005 et février 2006 j'en ai trop bavé pour mes forces, et de cette période difficile puis de l'épisode de deuil bloqué qui a suivi et dont j'ai seulement à présent l'espoir de sortir, ma mémoire n'est pas sortie au mieux. Je n'ai donc plus le souvenir du nom ou du prénom de mes compagnons.

Nous nous étions ensuite échangé quelques mails, mais j'ai changé pour cause de pannes deux fois d'ordinateurs. Certaines informations ont été sauvées, mais si les photos préservées sont restées bien classées, le reste non, il me faudrait vraiment beaucoup de temps pour chercher et j'ai peur de retomber si j'entame cette quête sur les messages des quelques personnes que j'aimais de près et qui se sont depuis éloignés. 

Bref, si jamais vous vous reconnaissez sur cette image, ou que vous êtes some friend of Louis or some family member, and that you don't like to see that pic just here, please do tell me and I'll put it out of view. 

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