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Colle-colle (faire ou ne pas faire la)

Dans une librairie, proche banlieue est, soir récent

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Bien sûr il y a l'Auteur, qu'on est venu écouter, mais Aurélien (9 ans) le sait bien, celui-ci n'est qu'un prétexte. Il est surtout content que la maman d'Alexandre son grand copain, ait permis la sortie que proposait sa propre mère.

Le grand hic, c'est que Lisa (petite soeur 6 ans 2/3) a voulu venir à tout crin et que comme l'Auteur à la maison, tout le monde l'aime bien, il était difficile de lui refuser.

Ça n'était pas faute d'avoir essayé :

- Tu sais il faudra attendre 2 heures pour avoir un dessin.

- Tu sais si tu viens tu n'auras rien à manger, dans la librairie ils ont que de la soupe ; de la S.O.U.P.E.

(ce à quoi Lisa, impavide a rétorqué qu'ils auraient aussi des bonbons et le pire c'est que c'était vrai)

- Tu sais, son nouveau bouquin, il est plutôt pour les grands.

Là, Aurélien se rend compte qu'il a commis l'erreur fatale, au lieu de dissuader Lisa, cet argument lui donne une motivation survitaminée.

Alors peine perdue il n'a plus rien tenté. Et puis il sentait bien que pour sa maman ça simplifiait, pas de problème de garde ni de demander à son père de rentrer du travail tôt, si Lisa venait avec eux.

Seulement voilà, une fois dans la place, et alors qu'avec Alexandre il a sorti sa Gamepoche3 pour profiter du temps un peu flou entre l'arrivée, la soupe, l'installation du public et le début des lectures, Lisa se plante auprès de lui et n'en bouge pas.

Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de jouer à la Gamepoche3 avec une petite soeur qui fixe l'écran attentivement comme si c'était ses yeux qui jouaient mais il y a de quoi perdre trois vies en moins que rien.

- Oh arrête, Lisa, arrête un peu, fait le garçon qui sent la partie lui échapper en tentant de se dégager d'un pas ou deux, ce qui n'est pas simple, l'Auteur est bien aimé et fort renommé et la foule s'est densifiée sans parvenir pour autant à repousser les murs.

- J'ai rien fait, chouine Lisa du ton de qui connaît par coeur le grand répertoire de la petite soeur repoussée.

Mais la mère qui non loin causait avec une amie ou connaissance retrouvée ( - Ah vous avez déménagé, je me disais on se croisait moins. Et vous revenez exprès ?
- Ah oui, la librairie, j'y reviens. Et puis ce soir, hein
...), perçoit un souci, revient vers les siens, Alexandre joue imperturbable, bon, le problème ne vient pas de lui, Ah, c'est encore Lisa qui ...

Et alors qu'en tant qu'aînée expérimentée je m'attendais à un reproche au garçon concentré sur son jeu silencieux, la mère au contraire pris sa défense, la petite Lisa devait être un peu trop coutumière du fait :

-  Lisa, arrête de faire la Colle-colle.

Lisa s'écarta, non sans un regard douloureux vers sa mère ("Si toi aussi tu m'abandonnes" (air connu)). Laquelle attendit que les deux garçons soient bien repris par leur jeu, avant de prendre Lisa à part pour lui expliquer, Tu comprends, ce n'est pas marrant d'avoir quelqu'un sans arrêt à ses côtés.

Lisa esquissa mais sans vraiment le prononcer un nouveau :

- J'ai rien fait.

Alors sa mère se plaça tout contre elle. Surprise la gamine recula d'un pas (compte tenu du monde elle ne pouvait faire davantage). Que la mère accomplit aussitôt à son tour. Au regard perplexe de la fillette, seulement elle expliqua :

- Tu vois comme c'est énervant d'avoir quelqu'un qui te colle.

L'enfant n'y revint pas.

De toutes façons la lecture commençait et qui rendait toute insistance impossible. Ils se mirent tous à écouter bouche-bée ; rire de bon coeur quand ça s'y prêtait. L'affaire était réglée.

Lisa semblait une habituée du procédé, et le garçon du type trop gentil et qui se fait bouffer. Pour que le processus ait un nom familial il devait être répétitif. Je ne doutais donc pas que la mère ait bien fait, et qui aurais-je été pour me permettre de la juger.

Mais il m'est souvenu de l'absence cuisante d'un grand frère dans ma vie, combien elle aurait pu être différente s'il avait pu m'aider et m'empêcher de trop assumer (1). Que j'aurais alors peut-être excessivement fait la colle-colle envers lui.

Il m'est revenu aussi mes collections féroces de coïncidences qui ont donné de moi tout au long de ma vie et auprès de tant de personnes bien-aimées mais que je ne souhaitais pas importuner, une apparence de colle-colle redoutable, quand il ne s'agissait que d'une capacité exceptionnelle à les croiser sur mes propres chemins.  Pour avoir longtemps, en vain, tenté de me déprogrammer, de débrancher cette sorte de GPS interne qui me fait retrouver une amie à peine après avoir dit que ça serait bien de croiser quelqu'un qu'on connaissait, je me demande si finalement il ne vaudrait pas mieux assumer entièrement mes capacités de Colle-collicité. A condition de ne pas trop insister, peut-être que ça déboucherait sur des bons moments potentiels et recollerait quelques fêlures ou éléments brisés (?).

      

(1) bien évidemment si j'eusse eu un grand frère il est entendu qu'il ait été parfait, protecteur mais juste ce qu'il fallait, intelligent, bienveillant, cultivé et soucieux de la petite soeur (charmante) que j'aurais été.

[photo : Montreuil, près du conservatoire, enfants jouant (mais qui ne sont pas ceux dont il est question dans le billet)]

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Catherine

à relire au matin pas le temps, damnaide. Ce soir, alors ?

enfin maintenant (01/12/07 9h25)

Champ-de-Mars, 10 juin 2000

Pour de sombres raisons de sécurité nous avions dû gagner le périmètre protégé bien avant le concert. C'était le début d'une après-midi plutôt grise mais pas froide d'un printemps parisien.

Certain(e)s choristes se préparaient avec fébrilité. Je ne comptais enfiler que le minimum vital de maquillage avant le moment décisif. Je savais que je ne serais qu'une silhouette noire au visage blanc, un tout petit point vu de loin et pas celui sur lequel s'apesantirait les gros plans. A quoi bon jouer à jouer les stars ? Nous étions là en soutien, je voulais juste observer, apprendre, ressentir, oublier l'usine et ses tracas mesquins, me sentir à ma place, pour une fois. Qu'on se le dise, une scène est un bon endroit où être quand on ne sait pas quoi faire de soi.

A l'époque je n'avais pas encore croisé l'écriture, mais connaissais déjà qui m'y conduirait et me sentant sauvage et bloquée, prenait sagement son temps avant de m'y pousser.

Je l'ignorais ; je cherchais. Je me cherchais. Je cherchais en chantant.

Ce n'était pas une mauvaise idée.

La tête dans les livres, je l'avais cependant déjà. Aussi, alors que nous patientions dans une zone fermée du champs de Mars tout au pied de la Tour, je lus à haute voix pour une de mes amies choriste, une des nouvelles du K (1) et qui concernait de l'édifice la construction ; l'édifiante histoire d'André Lejeune (2), ouvrier.  Ça me faisait bizarre de le lire en français mais c'était pour elle et pour l'ambiance parfaite.

Justement une femme tranquillement s'approchait. Je m'efforçais de rester allongée afin de garder autant de forces que possible pour le concert du soir. La station debout et les longues attentes en coulisse sont du choriste l'essentiel du travail.

Seulement pour elle, je m'étais levée.

Elle aussi elle patientait, ayant joué le jeu comme les artistes intérimaires d'arriver à l'heure requise. Nous avions un peu causé, ce genre de conversation qui m'arrive souvent quand je me sens à l'aise avec les gens et que tout se passe comme si on se connaissait depuis longtemps alors que non. C'était un mélange de proximité naturelle teintée de ma part d'une grande admiration mais que je tenais en respect afin qu'elle ne vienne pas gâter ce moment partagé.

Hélas d'autres camarades sont arrivés et se sont comportés en purs admirateurs, un peu béats, un peu lourds. De bonne grâce, elle avait accepté de poser pour quelques photos et dédicacer certains badges d'accès. C'en était fini de notre conversation normale.

J'avais regretté, après coup, de ne pas lui avoir formulé ma reconnaissance pour quelques bons moments de ma jeunesse que son travail musical avait accompagnés et peut-être, qui sait, favorisés. Je n'avais alors pas encore appris à dire C'est trop bien.

- C'était trop bien votre musique pendant mes années étudiantes. On dansait, on s'aimait, et c'était un peu grâce à vous.

Je n'ai rien dit de ça. Mais parlé d'autres choses. De Buzzatti, d'ailleurs, je crois. Et n'ai pas osé demandé, moi si peu au fait des derniers développements de leur relation (3), Et Fred, ça va ?

Et les Rita, vous reviendrez ?

Catherine Ringer s'en est retournée dans sa vie, nous dans la nôtre.

Le concert fut réussi. Nous ne nous sommes pas recroisées depuis. Ce soir je pense à elle. A lui aussi.

Sans parvenir à vraiment saisir que c'est désormais fini ; pour toujours et à jamais.

    

(1) "Le K" de Dino Buzzatti ("Il colombre" en V.O. )

(2) je crois bien que c'est son nom en italien comme en français

(3) Ni des premiers d'ailleurs. Sauf des amis je suis toujours plus au courant des oeuvres que des vies. C'est bien ainsi.

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Un homme dehors, assis

hier soir, rue du Renard (non loin de, voire même : tout près)

    

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Je passe pressée (pour changer) : j'ai quitté l'usine en courant, on m'attend à présent pour une réunion sur un thème intéressant (1), j'aimerais n'être pas en retard.

Il est assis calmement sur un sac de couchage, placé très précisément de façon perpendiculaire à la vitre qui sur les arrières sépare le centre Beaubourg du dehors. C'est cette géométrie parfaite qui m'a attirée l'oeil. Par ailleurs, aucun mouvement ; l'homme scrute l'intérieur.
Je songe qu'il serait mieux dedans. Pour un novembre le froid est supportable, mais à qui reste à l'extérieur un moment il peut virer pénétrant.

Le souvenir fugitif d'un hall moderne mais convivial, d'un escalator qu'on pouvait emprunter sans contrôle pour voir là-haut la belle vue gratuitement, me revient soudain. Le type serait-il lui aussi en train de se souvenir de ces temps où il aurait pu discrètement s'abriter alors qu'à présent s'il essaie, on lui interdira probablement l'entrée sous prétexte de vigi-sécurité ?

En arrivant à sa hauteur, je comprends ce qui le scotche : un écran de télé, partie d'une exposition est allumé de l'autre côté. Il me semble y voir des informations, je veux dire un journal, un présentateur puis des reportages. D'où il est, l'homme n'a pas le son. Mais il regarde comme on s'hypnose.

J'aurais aimé aller lui parler : lui demander ce qui l'intéressait dans ces images silencieuses, si je pouvais le photographier (parfois ça fait plaisir aux personnes, parfois au contraire non, surtout ceux qu'on ne prend pas), lui passer peut-être de quoi boire un coup au chaud et sans doute auprès d'un écran bruyant (je rouspète assez quand les cafés en sont équipés, si au moins ça peut servir à d'autres) ; seulement je n'en n'ai eu ni le temps, ni l'argent (2) ni non plus le courage, sans compter la peur de déranger, devenue chez moi maladive à force d'être de trop pour ceux que j'ai tant aimés.

J'ai donc suivi sans cesser mon chemin. Il a continué, impavide, à regarder la télé, elle dedans, lui dehors, indifférent d'apparence et au froid et au monde. Se souvenait-il d'un logis d'avant où ses soirées ainsi glissaient, mais au chaud et sonorisées ?

   

(1) les rencontres, table-rondes, conférences ou colloques et peu importe comment on les nomme organisés par la BPI (la bibliothèque de Beaubourg)

(2) J'ai généralement peu voire pas de liquide sur moi, mélange d'impécuniarité "de riche" aux fins de mois difficiles quand toutes charges sont payées, souvent d'imprévoyance et aussi d'inadaptation aux prix actuels (je suis restée aux rythmes d'avant quand 100 francs me faisaient la semaine quand à présent 30 euros entre cafés, journaux et petites courses familiales du quotidien peuvent disparaitre en trois jours sans qu'on sache trop où ils sont passés)

[photo : in situ, vite fait]


Parole Donner

Palais Brongniart, ce soir

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Alors qu'ils prennent la parole pour annoncer le prix qu'ils ont l'honneur de remettre, les officiels le savent, sauf sens avéré du coup de théâtre, l'auteur va le refuser.

Son livre en effet n'avait dans un premier temps pas été sélectionné au motif nous explique-t-on en à peine d'autres termes, qu'il était trop bon et promis à d'autres plus glorieuses et précoces en saison, destinées.

Mais les destinées ont été manipulées, parfois ça leur arrive et la gloire s'est envolée à tire d'ailes.

Le jury du prix Figaro Magazine aurait donc voulu réparer du destin l'écrasante injustice et placer en vainqueur un livre qu'il avait au départ écarté.

Seulement l'auteur avait déjà dans les médias, expliqué que les prix devaient s'en tenir aux règles par eux-mêmes établies, et qu'il était incohérent de nommer un titre de dernière minute. Il a été victime de ce phénomène (1) face au "Chagrin d'école" de Daniel Pennac.

Alors ce soir, couronné enfin, il a tenu son cap, ne s'est pas renié, est resté fidèle en soi et a refusé ce qu'on lui accordait de l'exacte même façon qu'on le lui avait préalablement oté.

Il a refusé pour lui et demandé que les 8000 euros du prix soient versés pour la restauration de la Chapelle Expiatoire dont il est dans son livre question.

Son refus semblait entendu, sa proposition parut surprendre. Mais quelles que soient les arrières-pensées potentielles (2), l'instant ne manquait pas de beauté.

Un petit souffle que j'aime à croire de liberté plus que d'opportunisme, venait d'effleurer une assemblée rompue aux cérémonies convenues. Quelqu'un faisait un choix contraire au flux dominant, en exprimait les raisons. L'assistance soudain écoutait. Et les applaudissements eurent pour une occasion telle, si coûtumière aux participants, une densité et une chaleur inhabituelle.

Le "non" ferme mais poli de cet homme venait de nous réveiller, tout en sauvant sans doute le bon sommeil possible de ses nuits à venir.

On m'a alors resservi du champagne et j'ai tenté dans les bulles d'oublier mes tristesses. Hélas malgré une ambiance porteuse, le refus avait délié les langues, et une compagnie personnelle favorable, elles ont refusé toutes ensemble de s'absenter.

Dommage, pourtant si bonne soirée.

(et merci à l'auteur exigeant pour cette belle leçon).

(1) J'ai beau être une bécassine béate, je n'ignore pas les enjeux et manipulations derrière cette version allégée qui est celle donnée.

(2) y compris la mienne, car il est humiliant de se dire que l'homme à qui on a tendu le micro vient avec humour (son discours, bref, n'en manquait pas) de refuser qu'on lui offre l'équivalent de 7 ou 8 mois de mon salaire d'usine net. Trop envie de dire J'en veux bien s'il en veut pas, j'aimerais tant pouvoir écrire sans devoir aller pointer et me faire pomper l'énergie et une part de santé.

Cela dit son éditeur a sans doute déjà bien calculé qu'un refus serait plus médiatisé que s'il acceptait et que l'un dans l'autre, cette solution était la plus rentable en plus que d'être honorable.

[photo : in situ]

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Beigbeder le Bénéfique

Hier ou avant-hier, dans le métro, c'est évident

catégorie complémentaire : Note en Tu

Pict0013 billet en chantier, des soucis pour télécharger l'image

On te pose une question sur le statut de l'écrivain en France, c'est pas dans le pur vide, c'est pour suivre l'intervention d'un brillant Bulgare, et qui parlait des bouleversement induits en son pays par la chute du mur de Berlin (je simplifie à dessein sinon je m'en vais encore faire un incompréhensible 3 billets en un ; déjà que).

Tu réponds que ça bouge, que depuis les temps d'antan les choses ont changé, que par exemple un écrivain d'aujourd'hui c'est un type qui pose torse nu dans le métro pour une pub de Grand Magasin.

A cette idée je pense que qu'est-ce qu'on dirait pas s'il s'agissait d'une femme ça fait plus de dix jours que je n'ai pas pris le métro fors la fidèle ligne 14 où je n'avais rien vu.

Je n'ai non plus rien lu de celui dont tu parles. Je déteste quand le "buzz" d'un livre m'en précède la lecture, je suis par exemple ravie d'avoir découvert l'an passé les deuxièmes "Bienveillantes" (1) avant l'avalanche, j'ai pu en faire une lecture fraîche (jusqu'à ce qu'oppressée de me sentir trop près du bourreau et en même temps trop écoeurée, je capitule). Comme en bon publicitaire, Beigbeder a su vendre son image presque par avant ses mots, il était déjà buzzé quand j'aurais pu feuilleter son travail. J'ai donc laissé tomber.

Peut-être qu'un jour, jurée, j'aurais à le faire. Auquel cas je tenterai de m'abstraire de ce que j'aimerais autant ignorer.

Mais pour l'instant, je vis sans.

Et m'en passe fort bien.

En attendant voilà l'homme sur les murs, et qui se vend et qui fait vendre. Je me sentirais très mal à l'aise de voir ma photo dans le métro, je préfère et de loin ne la voir nulle part à moins que sur le photolog d'un ami dont j'admire depuis qu'on se connaît la classe de photographe. Ce serait même assez d'un cauchemar. Tu imagines, tu descends les escaliers, en songeant légèrement à un prochain chapitre, à un message tendre reçu un peu avant, et tu te prends ta propre gueule en pleine tronche et 4 x 3, en plus pour peu que tu sois vraiment perdue dans tes pensées tu as le temps de te dire - Tiens, c'est qui la vieille, là ? avant de comprendre qu'il s'agit bien de toi. Exactement flippant.

Bon d'accord, Frédéric Beigbeder ne prend pas (plus ?) le métro et à moins qu'il lui arrive vraiment des trucs pire qu'à Michaël Jackson (2), il a relativement peu de risques de se dire un jour C'est qui la vieille ?

N'empêche.

N'empêche aussi que l'air de rien et tout en faisant son beurre de nos leurres promotionnels, il secoue le cocotier des livres de papiers perchés en leur petit monde. Lui semble avoir compris que l'écrit ne survivra qu'en le décloisonnant, en le sortant du coin confisqué et étroit où d'aucuns aimeraient le garder pour qu'après eux le déluge. Il s'y colle en toute innocence de cause, heureux d'exposer l'ego dont il fait commerce, mais l'effet y est. Un écrivain c'est un type qu'on peut voir le matin de son train. Pas forcément un vieux fantôme qu'on croise au Père Lachaise quand on est Parisien. Pas encore une grande rock star  (3) mais peut-être ça viendra (un petit effort, allez).

Venant de nulle part, je n'aime pas le sacralisé qui me tient à distance. Persuadée que la chance de suite ne s'attarde plus dans les beaux quartiers, pas dupe envers la démarche du damoiseau (mais reconnaissante pour l'éclat de rire quand pour la première fois j'ai repris le métro), j'aime à croire quà coups d'individus n'hésitant pas à s'éclater (au sens premier) les choses pourraient enfin un peu bouger au lieu que de mourir sclérosées.   

Car j'adore encore les livres de papier, tourner des pages, parfois les découper (4), le plaisir physique de feuilleter et de n'avoir pas besoin d'électricité pour une activité, mais seulement de  lumière. Je voudrais donc qu'ils existent bien un peu un temps.

Tu décrivais un tableau pessimiste de la situation en France, pas de génération, l'impression d'une fin de cette ère Gutemberg. Certes elle vient, et le vivant est désormais dans ce camp d'écrans d'où j'écris et je ne m'en plaindrai pas puisque j'y vis. Mais on peut peut-être encore faire un temps rouler le train du papier imprimé. Ne baisse donc pas les bras, ouvre-les plutôt au monde et ça continuera. Avec Toi.

      

(1) Des premières, qui datent de 2002, il est question 

(2) Je précise pour les jeunes générations qu'au début des années 80 du siècle dernier, cette créature était un jeune homme noir et qui ne dansait pas si mal même s'il avait déjà comme un pressentiment. (dialogue édifiant avant que l'extrait de film dans le film ne s'achève)

(3) La grosse différence en plus qu'on ne joue pas exactement dans la même cour, c'est qu'il ne s'agissait pas de pure publicité mais d'un album pour la couverture duquel la démarche se concevait.

(4) Je viens de racheter un "Préférences" rien que pour le plaisir et de (re)lire et de lire munie d'un coupe-papier ;  Julien Gracq qui sans doute restera pour toujours et à jamais le dernier des (très) grands discrets

[photo : cette semaine dans le métro, Paris]


Refuge 1 : Folies d'Encre

Ce vendredi soir, mais tant d'autres aussi avant

billet en construction

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[photo : Folies d'Encre ce soir même]

la suite au matin

La suite ce soir si rien de surprenant ou contrariant entre temps n'advient

(parfois je me demande si je vais y arriver ...)

C'est grâce au Méliès que j'ai connu les Folies et peut-être aussi par une de mes mauvaises fréquentations (1), et qui m'avait parlé d'un libraire passionné de la proche banlieue est, mais je n'ai fait le lien que bien après qu'on se soit rencontrés. Je suis en effet du genre à qui il ne faut pas raconter de blague le vendredi sinon je risque d'éclater de rire à la messe piscine le dimanche.

C'était donc un soir de cinéma, mais pour lequel craignant de n'avoir pas de billet (quelqu'un, une réalisatrice je crois était invité et dans ce cas la salle est souvent pleine) j'étais arrivée en avance.

Il me restait donc du temps après avoir acheté mon entrée. Alors j'ai pris un des escalators qui à Croix de Chavaux permet de monter à l'intérieur du centre commercial entre le niveau du métro, quelques restos et du ciné, et celui d'autres commerces et de la rue.

En fait d'autres commerces et après un second escalier, car j'ai la foi des grands explorateurs, j'étais tombée ... sur une librairie, une comme j'aime, une vraie.

Je n'ai pas conservé le souvenir sans doute cuisant pour mes finances de cette première rencontre, en revanche celui, très précis d'une lecture du Ravel d'Echenoz accompagnée au piano par monsieur Florestan (2) un soir de fête de la musique, de Pascal Garnier que je découvrais, de Sanseverino qui dédicaçait "U" et m'avait bien fait rigoler alors que j'étais dans un jour où le chagrin m'avait prise en tenaille et me serrait à en étouffer, d'un auteur ami aussi, et de tant d'autres moments et jolies retrouvailles (3).

C'est hélas un refuge que je dois pratiquer avec modération, mes finances sont trop serrées et trop de livres dont certains rares (je me souviens en particulier d'un livre de poésies arméniennes) me font craquer ou bien rêver trop fort. Je modère donc mes passages aux soirées animées, quand vient un invité, quand les Fabulous lecteurs of Montreuil se déchaînent, quand la musique les accompagne, et qu'on nous offre une soupe bien chaude. Et toujours délicieuse.

En fait ce billet, j'aurais dû l'écrire avant, car il tient en une phrase : je connais à Montreuil une librairie où la soupe est fameuse. Passez donc y manger un soir.

   

(1) pour les passants non habitués : j'emploie quasiment toujours cette expression au second degré. Elle désigne généralement ceux qui m'ont fait tomber dans l'écriture (et avoir des tas d'ennuis qu'avec ma petite vie métro-boulot-marmots-dodo j'avais su éviter)

(2) Je m'aperçois en écrivant ce billet que j'ignore son nom complet.

(3) belle soirée que celle où en allant écouter quelqu'un dont j'aimais bien les bouquins je retrouve un de ses amis venu l'écouter et qui est également un mien copain.


Le retour du métro

et sans doute d'autre chose

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billet en chantier

Ce soir à peine rentrée, ici et maintenant.

   

En sortant de la soirée, j'avise tout près une station vélib. Quatre véhicules y sont encore, hélas deux sont crevés, l'un n'a pas de chaîne et le quatrième, celui qui semble conforme pour rouler, est prisonnier d'une lumière rouge.

Alors que je m'apprête à avancer à pieds dans ma bonne direction tout en guettant d'un autre vélo libérable l'opportunité, j'avise une bouche de métro.

Pourquoi ne pas tenter.

Un écran annonce, 1 sur 3 pour la ligne présente. J'arrive tout juste sur le quai qu'une rame me rejoint.

Je me précipite sur le bouquin (1) que je viens de découvrir.

   

Je n'aime pas les publicités, ou du moins l'état d'esprit de ceux qui les conçoivent. Je déteste en effet qu'on tente de nous manipuler.

Parfois cependant un slogan, plus tenace ou plus drôle que d'autres finit par s'installer dans mes pensées comme jadis un diction l'aurait fait. Ces jours-ci me revient sans cesse "Les trois raisons de boire Contrex".

Et c'est vrai que souvent quoi qu'on fasse et ou qu'on aille, il y a trois raisons pour ça. Du moins pour la part qu'en liberté on décide. Je ne suis en effet pas certaine de me trouver trois raisons de pointer à l'usine. Je n'en connais plus qu'une et qui ne suffit pas.

Deux raisons de me rendre à la rencontre de ce soir et qui n'avait pas lieu à l'Institut Néerlandais mais qu'il organisait, déjà je les avais ; une ancienne de mes professeures et que je considère comme une amie, en était à l'initiative. Depuis qu'à un salon du livre nous nous étions retrouvées, je me suis promis de ne plus à nouveau la perdre. J'ai trop besoin de croire qu'en ce monde peuvent exister des personnes de qualité. Elle en est. ; un blogueur impénitent aussi, écrivain à ses heures (3), et que j'avais bien envie de rencontrer enfin. Que l'une invite l'autre me semblait signifier que l'heure était venue (2).

Restait la troisième raison. Elle se révèle souvent la meilleure. Seulement on ne la découvre qu'après.

J'attends d'ailleurs toujours la troisième raison de mon déplacement d'hier. Je l'ai même en vain espérée toute la journée.

Le coeur en compote, le corps glacé, malgré pour un novembre la douceur du temps-météo. J'ai tenté à grand peine de n'y pas penser. De sauver au moins la soirée. Ceux qui parlaient m'y ont aidée.

   

La ligne 13 est à nouveau ouverte, j'en suis toute surprise à l'heure du changement qu'il me faut effectuer gare Satin Lazare. La rame est du nouveau modèle, avec les sièges pour les gens de maintenant (je pourrais y tenir à une et demi), la voix qui ramène celle de Patricia Martin au rang de second violon (elle est sans doute de synthèse, celle du métro j'entends), m'y attend même une place assise.

Mais peu me chaut depuis le premier paragraphe du livre que j'ai ouvert, plus rien n'existe que le bouquin. Je suis tombée tout droit dans une banlieue créole.

Et je m'y sens bien.

C'était donc là ma raison trois. Contrairement à son aînée de la veille, elle ne se cache pas.

J'arriverai sans doute au jour en sa compagnie de pages. Mes nuits d'amour avec les humains ne me valent rien. Elles sont épuisantes et aléatoires, désespérantes quand elles disparaissent, risquantes aux conséquences. J'aime les livres. Eux au moins me le rendent bien.  Ce n'est pas ma carcasse qu'ils épuisent mais bien ma solitude.

C'est ce dont j'ai le plus besoin (même si du reste aussi).

    

Par terre dans la rue, deux chemises en bon état ; également de la vaisselle, et puis d'autres tissus. Tout un vrac d'objets qui viennent d'être déposés, mis ainsi au rebut, les encombrants sont supposés demain, et déjà méthodiquement fouillés. Un livret d'études du CAP de banque pour "L'expression française" avec un sous-titre à faire frémir :

"L'épreuve de texte" a été lui aussi dédaigné par les chiffoniers. Je ne crains pas l'épreuve. Je la prends.

Une invitation à un pot de retraite, inconnu et passé, muni d'un conseil, mais à quel degré ?, "Profitez bien de votre retraite, mais - Ne vous épuisez pas !" me séduit aussi. Bribe de vie.

J'ai revu récemment Wytejczk mais n'en dirai rien. Sauf si Eugène m'y contraint. Il faut toujours écouter son dragon domestique.

Pour cette fois pas de Prince ni petit ni grand. Ni non plus de nouvelles de mon si cher René Rainer. Pas même une petite élégie.

Je classe secret-défense ce qui concerne de trop près d'autres que moi, même transposé puis distillé, quelque chose est récemment survenu qui me sauvera ou m'achèvera, je parlerai si je survis, après 20 ans en fûts de chêne (4),,, recueille vêtements et documents.
Est-ce qu'une nouvelle vie m'attend ?

   

Le bouquin en tout cas n'a pas lâché mes mains.

Je vous laisse, il m'attend.

   

(1) "Mes quatre femmes" de Gisèle Pineau

(2) Les blogueurs qui me sont devenus amis le savent sans doute un peu, en la matière j'aime beaucoup laisser faire la vie et ne pas la forcer.

(3) Il partage avec Alain Mabanckou le "privilège" que je le considère avant tout comme quelqu'un des blogs et seulement après comme écrivain sur papier. Je suis juste un peu en avance sur mon temps quand aux hiérarchies de lieux d'écriture, le roman jamais ne mourra (allusion au thème de la soirée) mais d'ici quelques décennies, le courant sera l'écran et le papier une exception de luxe. En toutes choses, j'ai fort peu de convictions et l'infinitaire de doutes, mais celle-là elle me tient. Et bien.

(4) Rien n'est moins certain, y compris après.

[photo : entrée (ou sortie) du métro Concorde, ce soir même]

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Lecture au goût bulgare

aujourd'hui, cité universitaire internationale, Paris

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Il s'appelle Alek Popov et avant qu'une âme bienveillante ne me signale le colloque de ce jour, j'ignorais son existence même, comme celle de son travail.

Il participe donc à une journée d'étude au motif littéraire quoiqu'un peu politique (il y sera beaucoup question de la rupture avant / après, essentiellement la chute du mur de Berlin, et de quelques autres sans doute). Il est Bulgare et écrit dans cette langue (à priori).

D'autres que lui l'ont précédé qui ont lu de leur plus récent livre quelques extraits ou sont intervenus pour en parler. Il y a un bon dispositif de traduction simultanée (et de remarquables traducteurs pour ce que de la part allemande j'ai pu juger). Par choix, pour les lectures, la langue d'origine n'est pas doublée aux casques des écoutants, mais l'extrait lu par après en français.

La personne qui anime la table ronde à laquelle il prend part, juge utile de bien nous le préciser.

- Nous lirons ensuite l'extrait dans sa traduction française, mais pour commencer Alek Popov va nous en faire une lecture en Bulgare.

A son casque il a dû entendre que c'était à lui, il prend sa respiration et entame sa lecture :

"Nice to meet you [...]". (sic) (1)

Ce n'est pas très malin, je sais, mais j'en rigole encore (intérieurement)

[photo : les lieux-mêmes, extérieur jour]

(1) en même temps normal puisqu'il s'agissait d'un extrait de "Mission Londres"

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Mon chagrin de bécassine et l'âge du capitaine

  • éléments optionnels du titre : stupide - béate - inoui

(à placer dans l'ordre de votre choix sauf pour celui qui nécessite un malencontreux féminin)

Cette après-midi à la Cinémathèque

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billet en chantier

nb : j'ai quelques corrections à apporter à ce billet mais dois aller à l'usine où je n'ai pas accès, et ce midi serai réquisitionnée. Version provisoire en attendant le soir, donc.

enfin relu et corrigé (20/11/07 12 h 33)

J'ai longtemps méconnu le métier de cinéaste. Au point d'ignorer son existence même. Là où je vivais on ne savait rien des métiers du cinéma. Les acteurs, d'accord. Forcément, on les voit. Et peut-être par quelqu'un quelque part une histoire écrite ; afin que les premiers ne bafouillent pas trop et qu'on puisse découper par morceaux les moments de tournage. Parce que bizarrement la notion de scènes à jouer et rejouer jusqu'à filmer la bonne version, celle-là je l'ai toujours eue. Pour les dessins animés je me demandais (jusqu'à 12 ans environ je crois) comment ils faisaient pour gommer sans abimer la texture de la pellicule.

(on ne rigole pas, je vous prie)

M'étant régalée de Charlot je crois que j'imaginais une sorte d'acteur principal, écriveur et omniscient qui décidait d'un peu tout jusqu'au moment du tournage ou le patron devenait le caméraman. Vers 14 ans, je crois en voyant pour partie de la cabine du projectionniste le Molière d'Ariane Mnouchkine, j'ai eu la sorte de révélation divine de la présence inévitable et simultanée de plusieurs caméras.

Du montage j'avais bien l'idée, mais j'imaginais quelque chose d'à peine moins artisanal que ce qu'aux dimanche de bonne entente mon père et moi faisions subir à nos petits super 8 afin de les mettre bouts-à-bouts pour en construire une bobine moins pas longue et plus facile à ne jamais ou presque visionner. Parce que vous comprenez, pour visionner les films il fallait sortir l'écran de son fin fond de garage où il était stocké, et aussi le projecteur et puis même quand la mère consentait au dérangement et aux mouvements de poussières y afférents, l'ampoule du projecteur tombait en panne au bout d'une minute 12 (statistiquement). Mon père n'en avait pas d'avance en rechange, ça coûtait cher tu comprends.

(j'exagère, certes, mais hélas à peine)

Bref, j'imaginais en gros un accord collégial entre acteurs (1), éventuellement quelqu'un qui écrivait un peu mais disparaissait ensuite et au moment du tournage l'homme (ou la femme) à la caméra comme décideur ultime.

J'avais aussi assez peu de temps pour m'interroger sur de tels sujets. Il fallait bosser, étudier, aider les amours hésitantes des copains, faire du sport pour lutter contre la santé trop fragile, lire à perdre haleine, empêcher mes parents de s'entre-déchirer, tenir mes carnets de bords, prendre des photos mais surtout pas trop, me préparer à mon sacerdoce de chercheuse en physique nucléaire relativiste et quantique. Bref, l'organisation dans les arts créatifs n'était pas dans mon champs de vision, même si aller au ciné, oui j'aimais.

De la même façon que je dois à Marcel Pagnol la révélation que les livres étaient écrits par des êtres humains qu'on appelait les écrivains (2) et non pas par des sortes de robots ou des équipes de travailleurs qui auraient enfilé des mots (3), je dois à deux réalisateurs et aux ciné Actions qui avaient programmé des rétrospectives ou des festivals de leurs films la révélation de l'existence de leur métier.

J'étais étudiante à Paris et découvrais du moins aux mois corrects ou aux jours de grève des restau. U (le prix du repas équivalait presque mais pas tout à fait à celui de l'entrée tarif réduit au ciné) le privilège du choix au cinéma. Jusque-là c'était tel film passe au ciné de ma banlieue on y va si on peut. Il y a une et une seule salle. On ne peut pas enfant si personne ne consent à nous y accompagner, on n'y va pas plus grands parce qu'on a trop de devoirs à faire ou pas assez d'argent (de poche) ou que des parents pointilleux ont décidé que ce film n'était pas convenable, ou qu'on était trop enrhumé(e) pour parcourir les 2 km à pieds.

L'un d'eux est Ernst Lubitsch. Il était évident à voir ses films jours après jours qu'il y avait une "patte" Lubitsch, même si à l'écran il n'apparaît pas. Et ce n'est pas non plus lui qui tient la caméra.

Il est le réalisateur.

Et de la façon que j'apprends aujourd'hui l'existence de ma plus belle histoire d'amour au milieu même de ses décombres, j'apprends alors l'existence d'un métier qui aurait pu ou dû être le mien alors que je m'apprête à entamer la vie professionnelle d'ingénieur pour laquelle j'ai été formée.

Je calme le regret en pensant que je n'avais vraiment pas pour ça la santé (4). Que les parents m'auraient coupé les vivres si j'avais eu la folie d'envisager la moindre voie à connotation artistique. Compte tenu du contexte, de leur part contribuer était louable. Je ne dois pas l'oublier.

L'autre est Eric Rohmer. Avec un couple d'amis nous prenons rapidement l'habitude après avoir lors d'une rétrospective rattrapé notre retard, d'aller voir chacun de ses films dés la sortie. J'aime la façon de parler de ses personnages, un peu trop chic propre mais pas tant que ça, j'aime qu'ils se parlent beaucoup mais pour se dire tout autre chose que "T'as pensé à acheter le pain ?", "C'est trop cher", ou "Arrête de lire, viens avec nous". Eventuellement si, "C'est trop cher" ils peuvent se le dire mais pour des plaisirs optionnels ou des locations d'appartement. Ils ne souffrent jamais longtemps du froid ou de la faim, et leur problème de maison ou d'amours c'est d'en avoir trop plutôt que pas (6).

Pour moi c'est reposant, mais pas non plus trop loin.

Souvent en se parlant, en s'expliquant, ils finissent par comprendre d'eux-mêmes des éléments qu'ils ignoraient. Comme je suis une taiseuse, à part pour faire marrer, et celui que j'aime un Deschiens à peine amélioré mais qui aurait compris que mieux valait avec une fille comme moi une absence de mots qu'une absence de qualité dans la conversation, ça ne m'arrive jamais et je reste sidérée par cette capacité qu'ils ont et la confiance qu'ils se font.

Ils se veulent du bien, en gros, et quand ils ratent leurs rencontres, foirent leurs amours, mentent et se mentent un brin, fonctionnent en gens moyens, ce n'est jamais par cruauté ni de gaité de coeur. Lorsqu'ils agissent par calcul, une raison l'explique, souvent la séduction à laquelle personne n'échappe, les séduisants comme les séduits. La "Collectionneuse" est presque attachante dans ses appétits même et tout en plaignant les hommes qu'elle manipule et les femmes plus simples qu'ils auraient pu aimer, on ne lui en veut pas. A l'opposé des ambitieux tordus de Visconti dont Les damnés me flanquera un coup au moral durable, je me sens à ma place parmi les personnages que Rohmer nous fait rencontrer. Il me permet de croire pour la durée d'un film que je ne me suis pas complètement gourée de planète en atterrissant. Luchini m'agace autant qu'il m'éblouit, c'est à dire prodigieusement, je pressens un type au service des textes et forcément ça me charme.

(mais diantre, quel cabotin)

Alors quand au milieu du programme de cette semaine de la cinémathèque, j'aperçois qu'il sera là, pas Luchini mais Rohmer, au prétexte de parler des dialogues dans les films en général et ceux de Guitry en particulier, je laisse tomber ce qui était prévu (passer à la bibliothèque, travailler) et je fonce y assister.

(Je ne l'ai pas regretté).

Malgré un trajet qui comportait une part d'aléa, j'arrive en avance et plongée dans un livre d'un grand intérêt (5), je ne l'ai pas vu lui-même s'installer à la table des intervenants.

La première partie du programme lui laisse la parole assez longuement et librement. Il redonne vie à Sartre et de Beauvoir, au cinéma l'Etoile, aux enthousiasmes de Truffaut, part dans des digressions en retrouvant son chemin comme je ne l'aurais pas fait, nous offre son humour, sa légitime fierté pour certaines capacités et sa modestie pour d'autres (que je ne crois pas feinte).

A l'écouter j'en oublie tous mes tourments, ou pour certain d'entre eux, j'avance dans sa compréhension. Ses actrices sont plaisantes et vives, qui n'ont pas mal vieilli et ne se prennent pas pour ce qu'elles ne sont pas.

Vieilli ?

Je comprends alors que sa période prolifique a environ 20 ans d'âge même si depuis il n'a jamais cessé de filmer et que son récent opus ne porte aucun déclin.

La discussion est rythmée d'extraits projetés ; le cinéaste doit alors changer de place afin d'y assister. Quelqu'un de ses proches vient l'aider.

Je découvre ainsi un monsieur très âgé, qui peine à se déplacer tout en s'efforçant à la hâte relative afin de ne pas gêner et mesure à son effort le courage nécessaire à sa présence parmi nous.

La leçon du jour est là pour moi. Beaucoup plus que toutes les paroles de cinéma, pourtant déjà fort profitables.

En trois pas plombés, il vient de me signifier que je n'ai pas le droit, aucun droit à renoncer, quelque soit la souffrance (morale) endurée. Mon corps à moi fonctionne au moins mal de ce qu'il a jamais fait. Mon cerveau a bien morflé, mais je peux encore être utile à d'autres et aider.

Alors Luchini-Octave entame à l'écran d'une "Nuit[s] de la pleine lune" le brillant dialogue où il explique pourquoi Paris lui manquerait s'il n'y vivait pas et son peu d'attirance pour "le[s] matin[s] ensoleillé[s] avec les brumes évanescentes" des campagnes profondes.

Je me dis, moi aussi.

C'est grâce à eux reparti pour un tour de vie.

(de solitude, hélas, aussi)

(1) Je fus adolescente dans les années 70 du siècle dernier, une telle façon de penser correspondait à l'air du temps autant qu'à mon tempérament. (2) Mais j'avais 8 ans, hein. (3) Jusqu'à récemment je n'excluais pas qu'Enid Blyton fût une sorte de marque pour désigner des pools d'écriture. Un peu comme des collection Harlequin pour les grands. (4) parce qu'être ingénieur surtout quand on est femme, c'est bien connu c'est de tout repos (!)

(5) Les assises du roman à la Villa Gillet, en juin dernier textes rassemblés, merci aux deux personnes à qui j'en dois la lecture.

(6) "Qui a deux femmes perd son âme, qui a deux maisons perd sa raison" est le dicton sur lequel s'ouvre "Les nuits de la pleine lune".

[photo : vue générale et prise de loin quand les gens après la fin partaient]

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