Colle-colle (faire ou ne pas faire la)
30 novembre 2007
Dans une librairie, proche banlieue est, soir récent
Bien sûr il y a l'Auteur, qu'on est venu écouter, mais Aurélien (9 ans) le sait bien, celui-ci n'est qu'un prétexte. Il est surtout content que la maman d'Alexandre son grand copain, ait permis la sortie que proposait sa propre mère.
Le grand hic, c'est que Lisa (petite soeur 6 ans 2/3) a voulu venir à tout crin et que comme l'Auteur à la maison, tout le monde l'aime bien, il était difficile de lui refuser.
Ça n'était pas faute d'avoir essayé :
- Tu sais il faudra attendre 2 heures pour avoir un dessin.
- Tu sais si tu viens tu n'auras rien à manger, dans la librairie ils ont que de la soupe ; de la S.O.U.P.E.
(ce à quoi Lisa, impavide a rétorqué qu'ils auraient aussi des bonbons et le pire c'est que c'était vrai)
- Tu sais, son nouveau bouquin, il est plutôt pour les grands.
Là, Aurélien se rend compte qu'il a commis l'erreur fatale, au lieu de dissuader Lisa, cet argument lui donne une motivation survitaminée.
Alors peine perdue il n'a plus rien tenté. Et puis il sentait bien que pour sa maman ça simplifiait, pas de problème de garde ni de demander à son père de rentrer du travail tôt, si Lisa venait avec eux.
Seulement voilà, une fois dans la place, et alors qu'avec Alexandre il a sorti sa Gamepoche3 pour profiter du temps un peu flou entre l'arrivée, la soupe, l'installation du public et le début des lectures, Lisa se plante auprès de lui et n'en bouge pas.
Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de jouer à la Gamepoche3 avec une petite soeur qui fixe l'écran attentivement comme si c'était ses yeux qui jouaient mais il y a de quoi perdre trois vies en moins que rien.
- Oh arrête, Lisa, arrête un peu, fait le garçon qui sent la partie lui échapper en tentant de se dégager d'un pas ou deux, ce qui n'est pas simple, l'Auteur est bien aimé et fort renommé et la foule s'est densifiée sans parvenir pour autant à repousser les murs.
- J'ai rien fait, chouine Lisa du ton de qui connaît par coeur le grand répertoire de la petite soeur repoussée.
Mais la mère qui non loin causait avec une amie ou connaissance retrouvée ( - Ah vous avez déménagé, je me disais on se croisait moins. Et vous revenez exprès ?
- Ah oui, la librairie, j'y reviens. Et puis ce soir, hein ...), perçoit un souci, revient vers les siens, Alexandre joue imperturbable, bon, le problème ne vient pas de lui, Ah, c'est encore Lisa qui ...
Et alors qu'en tant qu'aînée expérimentée je m'attendais à un reproche au garçon concentré sur son jeu silencieux, la mère au contraire pris sa défense, la petite Lisa devait être un peu trop coutumière du fait :
- Lisa, arrête de faire la Colle-colle.
Lisa s'écarta, non sans un regard douloureux vers sa mère ("Si toi aussi tu m'abandonnes" (air connu)). Laquelle attendit que les deux garçons soient bien repris par leur jeu, avant de prendre Lisa à part pour lui expliquer, Tu comprends, ce n'est pas marrant d'avoir quelqu'un sans arrêt à ses côtés.
Lisa esquissa mais sans vraiment le prononcer un nouveau :
- J'ai rien fait.
Alors sa mère se plaça tout contre elle. Surprise la gamine recula d'un pas (compte tenu du monde elle ne pouvait faire davantage). Que la mère accomplit aussitôt à son tour. Au regard perplexe de la fillette, seulement elle expliqua :
- Tu vois comme c'est énervant d'avoir quelqu'un qui te colle.
L'enfant n'y revint pas.
De toutes façons la lecture commençait et qui rendait toute insistance impossible. Ils se mirent tous à écouter bouche-bée ; rire de bon coeur quand ça s'y prêtait. L'affaire était réglée.
Lisa semblait une habituée du procédé, et le garçon du type trop gentil et qui se fait bouffer. Pour que le processus ait un nom familial il devait être répétitif. Je ne doutais donc pas que la mère ait bien fait, et qui aurais-je été pour me permettre de la juger.
Mais il m'est souvenu de l'absence cuisante d'un grand frère dans ma vie, combien elle aurait pu être différente s'il avait pu m'aider et m'empêcher de trop assumer (1). Que j'aurais alors peut-être excessivement fait la colle-colle envers lui.
Il m'est revenu aussi mes collections féroces de coïncidences qui ont donné de moi tout au long de ma vie et auprès de tant de personnes bien-aimées mais que je ne souhaitais pas importuner, une apparence de colle-colle redoutable, quand il ne s'agissait que d'une capacité exceptionnelle à les croiser sur mes propres chemins. Pour avoir longtemps, en vain, tenté de me déprogrammer, de débrancher cette sorte de GPS interne qui me fait retrouver une amie à peine après avoir dit que ça serait bien de croiser quelqu'un qu'on connaissait, je me demande si finalement il ne vaudrait pas mieux assumer entièrement mes capacités de Colle-collicité. A condition de ne pas trop insister, peut-être que ça déboucherait sur des bons moments potentiels et recollerait quelques fêlures ou éléments brisés (?).
(1) bien évidemment si j'eusse eu un grand frère il est entendu qu'il ait été parfait, protecteur mais juste ce qu'il fallait, intelligent, bienveillant, cultivé et soucieux de la petite soeur (charmante) que j'aurais été.
[photo : Montreuil, près du conservatoire, enfants jouant (mais qui ne sont pas ceux dont il est question dans le billet)]
Les prénoms, bien sûr ont été modifiés, ainsi que quelques détails romancés. J'ai simplement tenté d'en garder l'esprit et la contemporanéité (?).
Les mots de la mère sont réels (sauf si ma mémoire les a transformés), son attitude aussi.