Où Wytejczk réapparaît (mais seulement à l'image)
30 octobre 2007
Ce soir, sur l'internet
Mon ordinateur, prévenant, avait classé le mail dans les "indésirables" le considérant ainsi qu'une bête publicité. Il s'agissait effectivement d'un message d'entreprise, une "newsletter" comme ils disent.
Pas de n'importe quelle boîte. En fait du dernier employeur qu'à Wytejczk j'ai connu. Dans les premiers temps où son absence inexpliquée se faisait sentir, j'avais eu cette idée, sur le mode sait-on jamais, des fois qu'ils annoncent l'ouverture d'une succursale à Copenhague, Beyrouth ou Erevan et que son nom soit cité, ce qui expliquerait du même coup son silence.
C'était j'en conviens relativement stupide, je ne connais aucune ville au monde qui ne soit déjà dûment pourvue de ses propres coursiers locaux bien plus performants sur le terrain que tout étranger fraîchement débarqué. En même temps je savais mon ami, sous ses dehors bonhomme(s?), non dépourvu d'ambition, alors un poste de responsable d'une unité ouverte au loin avec des employés du cru, pourquoi pas.
J'avais ensuite totalement oublié cette inscription dont le résultat de loin en loin avait dû se noyer dans le flux des infos reçues chaque jour.
Pourquoi a-t-il fallu ce soir en rentrant d'un heureux moment où j'ai eu le plaisir allant voir une connaissance qui présentait un travail de retrouver un ami lui-même ami du premier, que je pousse le zèle de consultation de mes messages jusqu'à vérifier les indésirables ? Dieu seul le sait ou peut-être précisément que ça confirme son absence.
J'étais d'humeur productive et soulagée, l'après-midi aussi avait été heureuse, c'était un de ces moments où je me prends à nouveau à croire que la roue peut tourner enfin dans un sens favorable et que je pourrai enfin construire au lieu de passer mon temps à ne pas sombrer.
Non seulement j'ai repêché le message autopromotionnel de l'employeur de l'ami évanoui dans les limbes de la ville, mais je l'ai ouvert et parcouru. J'ai même consulté quelques vidéos, présentées sur le mode, notre force d'action témoigne. Belle idiotie. Le premier à ouvrir le bal était Wyjteczk lui-même, détendu, l'air parfaitement à l'aise devant la caméra, un tantinet trop pour que ça soit naturel, le casque sous le bras, l'oeil pétillant avec un brin de malice mitterrandien (ce petit côté Je-tiens-mon-monde-et-je-m'amuse-bien), plein d'esprit.
Le document n'était pas daté, il était présenté comme récent, quelque chose de l'ordre du "Cet automne nous sommes plus fort que jamais". Son intervention cadrait tout à fait avec le propos. Il causait avec aisance de l'amitié entre camarades, de leur solidarité des jours de pluie et d'embouteillages, que c'était l'absence de son père qui l'avait (indirectement) conduit à cet emploi, et qu'il avait au fil du temps compris que c'était un métier qui pouvait aussi convenir aux femmes (Ah tiens, j'avais donc fini par le convaincre ?).
Partagée entre le soulagement de le voir si en forme, et un raz-de-marée de questions réactivées concernant sa disparition de ma vie quotidienne, je me demandais si au bout du compte l'amitié entre non-camarades de travail officiel avait un sens pour lui.
J'interrogeais Eugène du regard, et qui semblait avoir suivi attentivement la vidéo, l'extrait était relativement court ; mais il prit sa pause rigide de dragon plastifié qu'il tient quand il souhaite éluder nos demandes et qu'on apprenne (enfin) à faire sans ses avis secourables.
Je sortis du site avant intervention des trois autres collègues de mon ami perdu. Qu'auraient-ils pu m'apprendre ?
De la soirée douce le charme fragile était rompu. Serais-je encore longtemps la seule à ne pas savoir ce qui s'était passé et avait si irrémédiablement éloigné de moi et des miens mon ami coursier ?
M'efforçant de croire à la fraîcheur de l'enregistrement et malgré l'agacement d'Eugène que son immobilité masquait mal ("Pourquoi te soucier de qui pouvait te tuer ?" pensait-il avec son bon sens de dragon domestique), je cherchais consolation dans le fait que mon absent inexplicable au moins se portait bien. Son frère Farid aura 47 ans demain, je songeai soudain à la fête possible dont pour la seconde année j'ignore si elle aura lieu ou non lieu. Etrange et rude vie qui fait et défait les liens entre humains au gré de si mystérieux zéphirs.
C'est parce que mon nez soudain inélégamment se mit à renifler que je pris conscience que j'avais pleuré, sans doute dés la première image où il apparaissait.