D'un fantôme abandonné l'encombrante gratitude
Arthur et la phrase du jour

Le jour où Maria ne me manqua pas

ou Sa mort pour moi fut transparente

Ecrit à partir de notes du 18/09/77 et qui racontaient ma journée du vendredi 16 septembre 1977 et les quelques suivantes.

Si vous souhaitez lire un vrai billet sur le sujet, c'est chez Kozlika par là et chez I love Juju c'est pas mal non plus.

      

Ce jour-là il faisait beau avec quelques nuages. Maria Callas perdit la tension, j'étais pour ma part enrhumée au point de ne pouvoir aller à la piscine dont mon emploi du temps de collégienne fixait la séance à 8 heures. J'ai rejoint l'établissement scolaire à 10 heures. Le genre de choses primordiales que je notais.

Je remarque que "la valse des petites fiches" a commencé. Les profs nous demandent chaque année d'en remplir. L'une d'entre eux est entre temps devenue mon amie, elle m'a fait remarquer il y a deux ou trois ans,  que j'étais bien la seule élève a jamais avoir écrit "footballeuse" (1) en réponse à la question du métier plus tard envisagé, qu'elle s'était vaguement demandée s'il s'agissait d'une provocation adolescente et puis qu'elle m'avait vu jouer une fois dans un coin de la cour (les ballons étaient interdits, on jouait avec des balles de tennis, dont certaines étaient encore blanches à l'époque, ou bien avec du papier mis en boule et scotché). C'est probablement cette année-là que sans renoncer dans un premier temps à mes ambitions sportives, je me pris de vocation pour la physique nucléaire et quantique après avoir lu un bouquin de vulgarisation scientifique qu'avait écrit en son temps Einstein au sujet de la théorie de la relativité, plus quelques autres sur les atomes. Une révélation mystique ne m'aurait pas fait plus d'effet.

Je suis restée persuadée que j'avais quelque chose à découvrir et qui ferait avancer le progrès (c'est présomptueux, oui je sais, je crois que j'avais tout bonnement conscience d'être équipée d'un solide esprit scientifique, d'une volonté de travail surdimensionnée et d'une imagination délirante et que c'était la bonne mayonnaise pour se rendre utile dans ce domaine-là), que j'allais en baver mais que c'était de mon devoir de chercher et en attendant d'apprendre pour avoir de quoi trouver, jusqu'à l'âge de 19 ans. Un chagrin d'amour a brisé cette première vocation : celui qui me quittait m'avait séduite en me parlant longuement de ce qui me passionnait. Son départ a grillé les neurones qui chez moi portaient les connaissances si patiemment accumulées. Ou cramé les voies d'accès. Si je suis parvenue à ne pas le perdre de vue et à l'aimer bien au lieu de l'aimer tout court, je n'ai hélas plus jamais retrouvé le chemin de la part de cerveau où je crus mon destin.

J'en ai gardé le plis d'être séduisible par les mondes parallèles. Comprenne qui pourra.

Pour l'heure j'entre en 3ème, lis Silbermann de Jacques de Lacretelle et que je trouve formidable comme bouquin. Je parle d'ailleurs de la bibliothèque où j'aide une camarade à s'inscrire (aurais-je donc si peu changé ?) ; de ma soeur aussi que je vais chercher avant d'être rejointe par mon père et un de ses collègues ce qui devait être exceptionnel.

A l'ordinaire il ne rentrait pas si tôt de l'usine (2). Le connaissant il n'avait pas dû être indifférent à l'annonce de la mort de Maria Callas, mon père aimait l'opéra comme les Italiens l'aiment, sans façon, ainsi qu'une sorte de chants populaires un peu plus élaborés et mieux servis par des orchestres au complet et des voix, ah des voix ...

Ma mère a été un peu contaminée et qui en tient pour Giuseppe di Stefano.

Au jour du décès de Maria Callas, je n'ai rien noté d'éventuelles réactions de leur part la concernant. Pourtant il me semblerait logique qu'ils en aient parlé et peut-être pour une fois sans se disputer ce qui aurait dû leur valoir dans mon diario une ou deux lignes aux fins d'immortaliser un tel exploit.

Rien non plus les suivants. Mes notes de journal de bord ne sont remplies que de choses scolaires, une nouvelle année démarre, je ne pense à rien d'autre, pratique quelques sports, regarde la télé, toujours les mêmes émissions dont un mystérieux "Eh bien raconte" dont j'ai perdu le souvenir et les sempiternels Colombo Amicalement vôtre. Il y a des achats de fournitures scolaires, une liste des petits camarades que ma soeur avait invités à son anniversaire (3), j'avais parfois le privilège d'un trajet en voiture mais le plus souvent c'était en vélo. La seule entrée sur une semaine concernant des événements extérieurs est un PS du lundi 19 septembre et qui indique "parais (sic) que Mandchester est éliminé à cause de leur supporters".

La seule mention concernant ce qu'on pourrait éventuellement rattacher à la musique, en dehors de celles concernant des cours de piano que je prenais, est un "Nana Mouscouri" sans plus d'explications au soir du 1er octobre (émission de télé probablement). Pas même l'ombre d'une rétrospective en hommage à celle des chanteuses grecques qui chantait vraiment et plus que ça encore.

Décevant.

1/ Moralité : Parents d'adolescents de maintenant qui les voyez s'abîmer dans des jeux qui vous paraissent vains et inutiles et des niaiseries à la télé, ne perdez pas (tout) espoir, certains centres d'intérêts ne se développent qu'en grandissant, on dirait.

2/ Conseils : Vous qui tenez blogs classiques ou journaux intimes, n'oubliez pas parfois d'expliquer les pires évidences, si jamais la vie vous offre l'occasion de vous relire 30 ans après, vous risquez sinon de ne pas comprendre la moitié de ce dont vous parliez.

   

(1) Attention, hein, pas femme de footballeur, footballeuse moi-même. Métier qui à l'époque pour les filles n'existait pas. J'ai fini ingénieur travaux publics à la place. Et payée pour ou pas, je mourrai en écrivant. Si j'avais eu un brin de lucidité, désobéissance et des parents pas si bornés par leur vie limitée, je n'aurais pas perdu tant de temps en méandres préalables. 

(2) La sienne, une vraie et où des autos étaient fabriquées.

(3) Dans la série qu'est-ce que ça fout là, ça se pose-là. Peut-être était-ce pour pouvoir répondre à ses questions l'année suivante si elle ne se souvenait pas. Notre écart d'âge nous faisait mener des vies différentes. D'ailleurs je note en l'occurrence et non sans, je suppose, un sentiment certain du devoir accompli "[...] je travaillais un peu puis jouais avec les petits."

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