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7 objets (hors les livres)

Alors voilà que Chondre me convie à une chaîne  comme la blogobulle aime tant en générer. Très franchement en temps normal, ça me fatigue un peu. Cependant il se trouve qu'aujourd'hui je suis très touchée que quelqu'un et pas n'importe qui ait pensé à moi, qu'il dit dans son propre billet quelque chose de l'amitié qui me touche au coeur, et que je tiens un blues carabiné qui me rend incapable de travailler (1). En plus que sa chaîne est l'occasion d'un peu ranger, mazette, pas du luxe.

Si je devais lister strictement les 7 objets auxquels je tiens, il n'y aurait que des bouquins auxquels j'ai un lien concret au delà du texte parce qu'ils ont une histoire, une dédicace, un millésime qui les rend précieux à mes yeux.

J'ai donc décidé afin de faire de la place au reste de procéder en deux temps.

Les objets pas-livres

Les livres après.

(1) Si des importuns ou des hasardeux venaient à passer je précise que je ne suis pas salarié en permanence et que certains jours de la semaine sont consacrés chez moi à mon travail personnel. Aujourd'hui c'est le cas. A l'usine où je travaille, non seulement l'accès aux blogs et à plein d'autres sites m'est bloqué mais je ne peux même pas aller consulter ma messagerie personnelle sans me retrouver ornée de remarques acides de la part de quelqu'un à qui sans doute personne n'écrit jamais et que je plains. Donc si je choisis en ce moment de répondre à Chondre le Bien Aimé, c'est en toute légalité et sur mon temps purement personnel.

C'est parti pour les non-livres :

1. L'appareil photo dont je suis amoureuse :

un Olympus  770C acheté en 2004 durant l'été sur les conseils d'un vendeur que je n'ai eu qu'au téléphone et qui alors que je m'apprêtais à commander un Pict0004 modèle plus coûteux, m'a dit quelque chose comme "Ce n'est pas du tout dans mon intérêt de vous le dire, mais il y a en ce moment un petit Olympus qui est formidable." Auparavant cet homme avait dit quelques trucs qui m'avaient laissé entendre de façon diffuse qu'il s'y connaissait, qu'il était passionné. Et il m'avait fait l'honneur bien que je sois une bonne femme de ne pas me mépriser comme trop souvent les techniciens le font. Alors je l'ai écouté. Bien m'en a pris. Merci au vendeur inconnu qui un jour de juillet 2004 a bien fait son travail sans chercher à augmenter son pourcentage de prime sur ventes effectuées. (Je le savais que cette chaîne était une bonne idée je vais pouvoir au passage remercier quelques personnes dont certaines inaccessibles)

    

2. Celui qui doit être le premier appareil photo que mon père s'était payé.

Mon seul héritage en objet, je crois, avec une vieille montre qui ne fonctionne pas. Mes parents Pict0002 possédaient l'un comme l'autre un nombre certain de talents mais qu'ils ont tenu à tuer en eux parce que selon eux des gens bien ne pouvaient être que sérieux et laborieux. Alors voilà, je pense que mon père et la photo ça aurait pu être une belle histoire au lieu de quoi il a estimé de son devoir de se sacrifier pour sa famille (en nous le faisant, forcément, payer), et il s'est toujours sous-équipé. Mais celui-là doit dater d'avant, et peut-être l'avait-il vraiment choisi, et de qualité. J'ai des diapos des années 50 et début 60 qui sont des bonheurs et que j'ai pu sauver.

      

3. deux objets indispensables, qui pour moi vont de paire, auxquels je ne tiens pas en tant que tels, je veux dire s'il faut les remplacer je les remplacerai, c'est leur fonction dont je ne saurai me passer.

L'ordinateur   Pict0011

et la cafetière Pict0009_2 

         

       

   

   

   

   

   

4. Mes carnets Clairefontaine

Parce qu'à l'usage se sont et de loin ceux qui me conviennent le mieux, entre les trop rigides et chics moleskines et quelques mous de passage que la rude vie que je leur mène a vite fait de réduire en pré-charpie.

Pict0012 

Le hic c'est que je ne parviens plus à en trouver des comme ça. Je vis sur un stock constitué et qui s'épuise au fil des mois.

Je dois à Christie de maviesansmoi d'avoir eu pour la première fois l'occasion d'écrire d'eux et combien ils m'aidaient. 

... et paradoxalement d'y gagner mon premier moleskine !

Merci encore Christie d'avoir ainsi encouragé la toute débutante que j'étais.  

   

5. Ciel des bijoux !

Pict0020 La bague matérialise ma première paie pour de l'écriture. Elle vaut exactement à un euro près le montant de celle-ci.

Je n'ai pas su pourquoi c'était ce que j'avais choisi pour marquer ce qui doit être un premier pas vers une reconversion matériellement difficile (je suis sans illusion) mais à laquelle je suis incapable de me soustraire.  Probablement parce que j'ai trop, bien trop tardé.

Le collier est l'ultime cadeau de ma tante Jenny. Elle devait subir une opération à coeur ouvert environ un mois plus tard. Pas l'une des plus grave, pourtant. Mais je crois qu'elle savait. Et la jeune fille que j'étais l'a su aussi. Elle a été opérée. Tout s'était bien passé. Mais elle ne s'est jamais réveillée.

En ouvrant le paquet cadeau j'avais pensé Oh zut un bijou, moi qui n'en porte jamais, j'aurais préféré un livre (même en italien).

Elle avait dû percevoir ma déception même si je n'en avais rien dit, et qui avait ajouté en Italien, mais doucement afin que je comprenne bien :

- Tu penseras un peu à moi, comme ça ?

Depuis il est là, me fait effectivement penser à elle et me rappelle sans arrêt l'humilité nécessaire :

un don quel qu'il soit peut se muer en malédiction pour peu qu'on n'y travaille pas, ou trop ou que les circonstances soient trop défavorables. Il ne faut jamais s'en féliciter car il comportera toujours des conséquences difficiles, mais pas le fuir, l'accueillir, tenter de s'en servir discrètement pour aider. Ce bijou me dit tout ça.

Pourquoi un poisson ? Je l'ignore. J'aime ses couleurs bleues et verte et qu'aussi il soit argenté (je n'aime pas trop le doré, moins discret).

    

6. Des photos

Pict0015 Pict0017 

Le cadre rouge a une histoire, mais elle ne m'appartient pas alors je ne peux pour l'instant pas la raconter. Disons qu'il a été longtemps perdu, parce que d'aucuns se l'étaient sans vergogne accaparés et puis qu'un jour saisis par un remord ou un bon sentiment, ils l'ont rendu à mon mari. Parce que oui, sur la photo, ce bébé du siècle dernier, c'est lui petit.

Les autres sont quelques unes des photos qui ornent nos murs du moins les espaces que les livres n'ont pas envahis. Ce sont souvent mes enfants mais pas n'importe quelles images : celles qui même pour qui ne les connaît pas peuvent avoir un sens, un petit charme, une beauté. Techniquement elles ne sont pas parfaites. Celle d'en bas représente Mats Wilander. Elle fut prise avec mon premier appareil entièrement manuel un petit Bereite, à l'objectif d'une précision formidable. C'est une photo magique. Sans téléojectif sans rien, juste accompagner le mouvement de son sujet et lui vouloir du bien.

Les photos comptent beaucoup pour moi. Si du temps m'est laissé un jour j'écrirai sur elles en mon nom propre. Il me semble que je le dois à ceux qui m'ont précédée, encouragée (principalement mon fils, ma fille, et un ami qui m'a prêté son propre appareil en 1988 afin que je puisse couvrir un Roland Garros où j'avais des entrées ; bientôt 20 ans après merci, merci à lui), et qui s'y mettent ou y sont. Je ne sais pas dissocier la pratique de la photographie de celle de l'écriture. Je rêve d'avoir un jour le temps de me consacrer à la première en cessant d'en négliger la part technique.

      

7. Des badges

Pict0026 Chacun d'entre eux représente une période de ma vie où je me suis sentie vivante et présente aux autres et à moi-même, malgré toutes les contraintes qu'elle voulait m'imposer. 

Pourtant je n'aime pas les badges car inévitablement ils signifient un tri à une entrée.

En même temps grâce à eux j'ai parfois eu accès à ma propre existence, celle choisie, pas celle subie.

Puissent avant que je ne sois trop vieille ou trop malade ou définitivement trop désespérée les badges triompher du fer à repasser.

   

   

BONUS TRACKS :

- Un objet dont hélas je ne saurais plus me passer.

A l'intérieur de cette boîte rien d'un savon,

Pict0022 mais une sorte de petit appareil orthopédique pour machoîre esquintée. En le portant chaque nuit, je peux le jour en paix et sans douleur parler et mâcher, voire même chanter.

Le mal m'a saisi dans le temps du comité de soutien à Florence Aubenas et Hussein Hanoun. J'étais tellement tendue, soumise y compris dans mon sommeil à des visions de leur sort quotidien, que je serrais trop fort, sans arrêt et au sens littéral les dents. L'articulation de la mâchoire a morflé.

Un riche praticien du XVIème m'a proposé pour me soulager des injections de botox (non remboursées et représentant plusieurs mois de mon salaire pour un résultat temporaire et qui serait à renouveler). A l'hôpital public on m'a proposé cette solution certes fort peu séduisante (je ne peux plus en même temps dormir la nuit et embrasser) mais qui s'est révélée efficace et ne m'a coûté "qu'une" centaine d'euros (non remboursés pour une sombre histoire de papier que me réclamait ma mutuelle et qu'à l'hôpital il n'ont pas su me fournir en toute conformité - j'ai laissé tomber -) .

Je me disais que j'étais quand même passablement frappée, fragile ou trop sensible pour me rendre ainsi malade rien qu'à participer alors que j'étais à Paris bien à l'abri. Et puis récemment j'ai vu "Sicko" et le témoignage d'un sauveteur du 11 septembre 2001 atteint de symptômes similaires.

N'empêche, je persiste à croire qu'il vaut mieux perdre ses dents que de ne pas sauver des gens. Et je refuse de regretter mon engagement. 

    

- un objet dont j'ai honte alors que je devrais en être fière d'après ce qu'on m'a dit (j'ai même été deux fois félicitée).

Pict0003 Il s'agit d'un diplôme placé comme pour en atténuer la portée sous un tableau de La photo et qui me tient à coeur.

Il signifie une erreur d'aiguillage, 20 ans de prison ouverte plus ou moins chauffée mais comme un temps d'enfermement diurne régulier, 20 ans à accepter d'être sous-payée et sous-traitée, 20 ans à perdre sa vie à la gagner alors qu'on avait pour ses proches et ses prochains tout autre chose à faire pour être utile. 20 ans qui ont failli me tuer car qui a tenté de m'aider à m'évader s'est finalement lassé(e), 20 ans à travailler plus pour se faire exploiter plus puis moins à gagner beaucoup moins parce que la santé s'y était trouvée trop entamée. 20 ans à lutter pour conserver son intégrité à tous les sens du terme.

20 ans pour assurer le gite quand l'homme rapportait de quoi faire bouillir la marmitte.

Ce combat-là n'est pas tout à fait gagné. Il me manque un peu d'années et beaucoup de courage. Peut-être que je compte sur eux, les personnages de l'image, pour malgré tout m'en redonner.

Je ne passe pas la chaîne en nom propre, je ne vais pas très bien et j'ai peur d'importuner, mais suit qui veut ou peut ou que ça amuse(rait).


Third life, 4ème dimension bref twilight zone du 5ème monde parallèle

Ce soir, trop tard, c'est pourquoi ça fait si mal

Le 7 novembre ça fera 4 ans que j'écris comme on travaille et vaille que vaille malgré une vie pas mal secouée. Il aura d'ailleurs fallu pour ça qu'on me secoue, car je ne m'en pensais pas capable et je garde envers qui l'a fait et malgré que j'en chie comme jamais une reconnaissance éternelle et intersidérale.

(j'ai l'air de rigoler, mais non).

En fait déjà avant, j'avais donné des petits coups de mains ici ou là pour dépanner, le tout premier à me signaler que mes suggestions n'étaient pas toutes cons écrit pour le théâtre, il se reconnaîtra s'il vient à passer. Je l'embrasse bien fort. Coincée dans une vie laborieuse par mon manque de forces, de talent et ma docile stupidité d'à 20 ans, je n'ai été et ne suis que trop heureuse de me rendre utile sur mes temps sauvées, la première amusée de retrouver parfois, dans un dialogue de film ou au coin d'une réplique, à moins que délicatement enchassées dans l'écrin d'une belle phrase que je n'aurais su créer, quelques bribes préalablement par moi passées.

Mais il s'agit ce soir de la phrase en exergue d'un petit bouquin, adressée visiblement à la personne pour qui il est officiellement dédicacé et que j'avais moi-même dans un message tout personnel confiée à l'auteur il y a quelques années.

Elle est suffisamment banale pour qu'on puisse supposer que les gens qui s'aiment très fort se la disent tous plus ou moins un jour ou l'autre. Et je suis la première a pratiquer la réappropriation consciente, ce n'est pas Zvezdo à qui j'ai piqué "vélibations" ou Samantdi et sa "bécassine béate" qui me va comme un gant à l'autre Gilda, celle du film, celle qui séduit, qui me contrediront (1), et probablement sans doute inconsciente aussi parfois. Je ne demande qu'à croire en cette hypothèse.

Néanmoins, la lire là alors que je l'avais écrite en profonde sincérité dans un moment de grande proximité m'a fait mal comme j'en croyais mon coeur cimenté désormais incapable. C'est une chose de retrouver des échos harmonisé de ses messages dans des textes adressés à chaque lecteur qui le lit. C'est autre chose de voir les mots mêmes réemployés pour une autre personne en particulier, comme on le ferait d'un quelconque fichier neutre et informatif "faire suivre" ou "transférer".

Ce que j'ai pu écrire d'intime ou de dévoilé me croyant à l'abri de la messagerie comme d'un ancien courrier, a-t-il été ainsi par bouts, comme en revente de textes à la découpe, éparpillé façon puzzle dans le tout Paris ? Et les messages que je recevais et qui me réchauffaient si fort le coeur alors que déjà pointaient dans mon existence et celle de ma famille de solides difficultés, n'étaient-ils dans l'autre sens que de sommaires copier-coller-réajustés de ceux que d'autres avaient envoyés ? (2)

Enfin, à force de mener une vie si disjointe, si entre-deux, si dépourvue d'amour désormais, de me sentir à la fois de trop et de n'y pas suffire, de supporter à l'usine du si peu supportable et si peu rationnel alors que le travail salarié devrait être un point solide sur lequel s'appuyer pour se structurer, je finis par douter d'être là dans la vraie vie, et éveillée. Peut-être suis-je dans un univers virtuel, ça expliquerait certains ratés cruels, et tant d'étrangetés. Une second life 7.15 de test, en vue de la mise sur le marché d'une third life perfectionnée.

Je doute aussi de qui je suis à force, une variante moderne et féminine de Cyrano sans doute, mais auprès de quelqu'un qui n'en avait pas du tout besoin.  Que d'absurdités cumulées, comment retrouver au monde un sens, et où dénicher la moindre confiance désormais, à moins que le message ne me soit en sous-main adressé comme un avertissement diffus à moins au contraire qu'il s'agisse d'un clin d'oeil encore affectueux ?

Quoi qu'il en soit le mal est fait, le chagrin en pleine refloraison printanière, et la bécassine que je suis en voie probable de béatification peu papale. Sans doute mon lot (de consolation ?) inévitable.

Je vais aller dormir, peut-être suis-je en proie à un sombre sortilège et tout à l'heure matin la phrase réemployée sera-t-elle effacée ?

   

(1) Cela dit, je leur ai demandé la permission. Il y a une seule expression que je réutilise sans l'aval de celle que je connais pour son auteur, car je n'ai obtenu aucune réponse quand j'ai demandé et que lasse d'attendre j'ai fini par craquer.

(2) J'en émets l'hypothèse en toute logique mais je ne crois pas, le style j'espère ne trompe pas. Seulement voilà, le doute ce soir s'est insinué et il reviendra, je sais qu'on ne s'en débarrasse pas comme ça.

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Toute croque

Mardi soir, quartier nord de Paris

Pict0005

billet non relu, et photo ultérieure

Nous prenons place non loin de la scène, je suis soucieuse que Stéphanot voie bien. Pour l'heure il se fend d'un large sourire et du regard je l'interroge sur cette hilarité silencieuse et soudaine :

- Maman, comment t'étais toute croque quand t'as vu Fabien !

J'ignore le sens de l'expression. De ses explications je retiens, toute joyeuse, émoustillée, un peu gamine, quelque chose de nuancé et enfantin dans une petite jubilation.

J'essaie à mon tour d'expliquer pourquoi j'ai pu donner cette impression-là, en plus que d'être effectivement heureuse de le voir là et donc probablement sans doute un peu acteur du spectacle qui va nous être offert.

Il s'agit du bonheur ténu mais tenace d'une intuition vérifiée. Il serait présent, je m'en doutais, une petite certitude intime, basée sur bien autre chose qu'un calcul rationnel des probabilités de sa venue.

Il s'agit de l'espoir de récupérer enfin certaines de mes facultés, que mes difficultés combinées de deux automnes passés, la disparition de Wytejczk et tant d'autres tracas avaient sinon tuées en moi du moins salement esquintées. Je n'espère plus récupérer toute ma mémoire, il y a eu comme une amnésie pour survivre au désespoir, ni non plus ma faculté d'aimer, la confiance disparue rend tout abandon impossible. En revanche, retrouver ma force d'intuition, ces sortes de micro-certitudes de futurs proches et qui se réalisent immanquablement, en est une belle sur l'adversité.

Voilà pourquoi j'étais toute croque presque indépendamment de la personne croisée.

Je n'ai pas su bien l'expliquer à mon fils, j'ai peur, je crois de lui avouer combien j'avais été abattue et le poids de certaines absences, la nature exacte d'une désillusion précise que ce n'est pas à moi de lui raconter mais à celui qui en est la cause.

Pour faire diversion autant que séduite par l'expression je m'exerce à l'employer. Mais Stéphanot rapidement, m'interrompt :

- Ça va pas bien pour ton âge de parler comme ça, tu comprends ça fait trop jeune caillera.

Je n'ai donc pas le droit de dire que l'une de mes amies sera probablement toute croque quand elle croisera CocoRosie.
Dommage.
C'eût été bien dit  (je crois).

En attendant j'ai pu expliquer qu'il l'avait dit de moi, et pourquoi.

[photo : la salle de spectacle, vue de l'extérieur, ce soir-là - Souleymane Diamanka]


Les dents propres

Un récent matin, sous le périph., non loin

billet relu et corrigé le 27/09/07 à 1 h 10

Depuis plus de 10 jours, je reportais cet achat ridicule : un tube de dentifrice, le mien arrivait vers le vide et requerrait d'être trop fort pressé. Mais voilà, pas le temps, vraiment pas, d'intercaler à aucun moment un saut à la pharmacie ou au supermarché, toujours mieux à faire, toujours autre chose et puis quand j'ai trouvé enfin l'instant d'y passer, j'ai pensé à la crème fraîche, au beurre de cuisine et aux collants qui filent, mais au dentifrice non.

En fait j'y pense dans ma salle de bains.

Et plus tellement après. Mais dans une salle de bains le dentifrice se consomme, il ne s'achète point.

Ce matin-là à la station vélib il y avait grand choix, peut-être était-ce l'heure, peut-être une surcharge passagère, mais je crois qu'aucune borne n'était vide. J'ai repéré d'un oeil exercé celui des vélos qui ne nécessiterait aucun réglage, ai enlevé une épaisseur vestimentaire (en vélo on se réchauffe vite fait d'autant que je démarre mon trajet par une montée), mis mon casque (1), ai débloqué et enfourché le véhicule puis roulé.

Ce n'est qu'à un feu rouge, alors que je tentais de mettre au mieux ma veste pliée dans le panier, que j'ai pris garde à un petit sac en plastique de ceux qu'on donne aux pharmacies. Il contenait une boîte principale et quelques autres plus petites. Allons bon, de quoi avais-je donc hérité ? Pourvu qu'il ne s'agisse pas de médicaments qui à quelqu'un allaient manquer.

Arrivée à destination, j'ai eu tout loisir de regarder. Les petites boîtes étaient quelques échantillons cosmétiques,

et la plus grande ... un tube tout neuf de dentifrice d'une marque ma foi que j'aurais pu moi-même acheter. Je ne sais quel petit bon dieu facétieux remercier, celui des vélos loués qui avait envers moi quelques bricoles à se faire pardonner (cf. billets antérieurs), celui des livres qui sait combien je me débats avec des temps sauvés toujours insuffisants pour tenter de l'honorer, celui des mères de famille surmenées.

N'empêche, merci à elle ou lui.

C'est au cours du même trajet que j'ai cru entendre Wytejczk m'appeler. Sa voix si distincte, j'ai failli en tomber. Je me suis même arrêtée pour regarder autour de moi. Mais la rue où j'étais se trouvait déserte. Je me demande encore si c'est un signe d'une nouvelle phase au chagrin de l'absence, après les visions, les croire le croiser si souvent, des sortes d'acouphènes personnalisés ?

Devant cet enchaînement étrange, j'ai cru que la journée allait encore me réserver quelques surprises. Mais ce fut tout.

 

(1) C'est pas obligatoire, je sais, mais je crois que j'ai peur à la tête en raison de la façon dont mon père est décédé il y a de cela 3 septembre.

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"Au comptoir des mots", ce soir

Si vous présentez le double privilège d'être parisien ou pas loin et de n'avoir rien de prévu ce soir,

alors au diable la télé, les devoirs d'école, le repassage en retard et le dîner en famille, pour une fois soyez raisonnables et bougez-vous là :

Rencontre avec Olivier Adam mardi 25 septembre à 20h, à la librairie Le Comptoir des mots,

239 rue des Pyrénées, 75020 Paris

métro : Gambetta.

stations Vélib :

Station no. 20025, 13 Rue des Gatines
Station no. 20106, 44-46 Avenue Gambetta
Station no. 20020, 183 Rue des Pyrénées

(vous ne le regretterez pas)


L'alliance intermittente

La semaine passée, sur les Grands Boulevards

Elle m'auront prises pour une fantôme, qui sortaient d'un café tout en discutant et m'ont coupé la trajectoire alors qu'à pied, d'un pas pourtant rapide je passais devant.

Je n'ai pas ralenti pour autant, j'avais mon rythme, et de fait me suis retrouvée proche comme à participer à leur conversation.

Elles étaient femmes et jeunes. Il s'agissait de garçons.

L'une faisait la sûre d'elle et l'autre, qui regrettait sans doute déjà quelque confidence chagrinée, celle qui ne savait pas.

La première montre à l'autre sa main gauche.

- Tu vois c'est comme la bague, là. Quand je sens que j'ai accroché un type qui finalement n'est pas terrible ou devient trop collant, je la retourne comme ça (elle joint le geste à la parole, et un petit ornement qui décore le bijou se retrouve côté paume), et hop on dirait une alliance. Après, ils insistent moins.

Et alors que la seconde reste tellement silencieuse qu'il est difficile sans voir son regard de deviner si elle marquait ainsi doute, admiration, ou désapprobation, elle se sent obligée d'ajouter :

- Enfin, ça dépend lesquels en fait.

Je me disais bien, aussi, que les hommes n'étaient pas si bêtes qu'un stratagème aussi ridicule pût réellement porter ses fruits. Rassurée, j'ai (intérieurement) bien ri.


Arthur et la phrase du jour

Hier, déjà. A Bastille puis au Forum des Halles

Pict0022

billet en chantier

Une de mes grandes spécialités c'est d'employer sans la rechercher une expression, un mot, une phrase rare ou inusitée et de tomber sur le ou la même, le soir dans un livre ou le lendemain.

D'en éprouver une impression très forte, comme d'un rendez-vous réussi.

Un rendez-vous avec le mot ou la phrase du jour.

Hier j'ai innové. D'abord ce n'est pas moi qui l'ai prononcé mais une personne qui participait à la file d'attente de l'Opéra Bastille pour une Tosca que nous ne saurions ignorer même si la distribution n'est pas de celles qui font rêver.

Dans les interstices, elle lisait un bouquin sur Rimbaud, un type qui jadis écrivait des poèmes, qui ne plaisaient pas tant que ça à l'époque mais qu'on a trouvé formidables après et avec lequel j'ai choppé il y a (presque) deux ans un point commun qui failli être fatal et qu'il est recommandé d'éviter dans une vie qui souhaiterait durer.

Trop tard (pour tout).

En attendant depuis, j'ai remarqué que j'avais une violente tendance à me souvenir par inadvertance et sans le souhaiter spécifiquement tout ce qui le concernait, comme si j'y cherchais la liste des situations à surtout éviter, l'exemple majeur à ne pas suivre mais pas à tout point de vue.

Alors quand j'ai entendu qui tenait le livre entre les mains nous préciser "Rimbaud n'est dans les manuels scolaires que depuis 1955", comme en plus je l'ignorais (1), j'ai immédiatement mémorisé.

Puis je n'y ai plus pensé. Faculté de mémorisation et obsession ne vont pas forcément de pair(e?) et la journée sans être chargée était bien remplie.

Il était tard dans l'après-midi quand il fut question de Bob Dylan. J'en suis restée le concernant à ce que mes cousins à l'époque de sa gloire m'avaient dit ou fait écouter de lui. Quelque chose de très lacunaire et qui est resté figé, comme si le musicien-écrivain était mort jeune sans plus rien créer.

Ce qui n'est pas vrai.

J'écoutais donc avec bonheur François Bon qui en parlait. Il évoque soudain le contexte de ce temps-là dans une France qui semblait peiner à suivre le mouvement (2), quand la Grande Bretagne était en pointe de ce qui (enfin) bougeait.

Il explique alors, afin de témoigner du conservatisme dominant qui alors régnait  :

"Il faut quand même savoir que Rimbaud est entré dans les manuels scolaires en 1956".

A un an près, depuis 6 heures, je le savais !

J'ai en vain espéré qu'en soirée quelqu'un m'annonce, que

" Ça peut étonner, mais n'empêche, Rimbaud, c'est seulement depuis 1957 qu'il est en France dans les manuels scolaires.", seulement j'ai dormi comme une enclume ancien modèle, je ne risquais pas (sauf en rêve) de recontrer quiconque, pas même Paul et son fantôme que je croise souvent depuis qu'une station Vélib a été implantée non loin de sa dernière demeure, et qu'intrigué il vient en spectre et voisin l'observer.

La phrase du jour ne me sera donc parvenue que deux fois. Compte tenu du contexte et de son sujet j'estime que c'est déjà un peu d'un exploit.

Non ?

         

(1) Je ne sais pas pourquoi, j'étais persuadée qu'il était devenu de référence après la première guerre mondiale.

(2) Je ne parle pas de politique mais de musique et de création artistique. Je sais que pour la part politique c'est bien plus compliqué.

[photo : Forum des Halles, une lumière bleue]


Le jour où Maria ne me manqua pas

ou Sa mort pour moi fut transparente

Ecrit à partir de notes du 18/09/77 et qui racontaient ma journée du vendredi 16 septembre 1977 et les quelques suivantes.

Si vous souhaitez lire un vrai billet sur le sujet, c'est chez Kozlika par là et chez I love Juju c'est pas mal non plus.

      

Ce jour-là il faisait beau avec quelques nuages. Maria Callas perdit la tension, j'étais pour ma part enrhumée au point de ne pouvoir aller à la piscine dont mon emploi du temps de collégienne fixait la séance à 8 heures. J'ai rejoint l'établissement scolaire à 10 heures. Le genre de choses primordiales que je notais.

Je remarque que "la valse des petites fiches" a commencé. Les profs nous demandent chaque année d'en remplir. L'une d'entre eux est entre temps devenue mon amie, elle m'a fait remarquer il y a deux ou trois ans,  que j'étais bien la seule élève a jamais avoir écrit "footballeuse" (1) en réponse à la question du métier plus tard envisagé, qu'elle s'était vaguement demandée s'il s'agissait d'une provocation adolescente et puis qu'elle m'avait vu jouer une fois dans un coin de la cour (les ballons étaient interdits, on jouait avec des balles de tennis, dont certaines étaient encore blanches à l'époque, ou bien avec du papier mis en boule et scotché). C'est probablement cette année-là que sans renoncer dans un premier temps à mes ambitions sportives, je me pris de vocation pour la physique nucléaire et quantique après avoir lu un bouquin de vulgarisation scientifique qu'avait écrit en son temps Einstein au sujet de la théorie de la relativité, plus quelques autres sur les atomes. Une révélation mystique ne m'aurait pas fait plus d'effet.

Je suis restée persuadée que j'avais quelque chose à découvrir et qui ferait avancer le progrès (c'est présomptueux, oui je sais, je crois que j'avais tout bonnement conscience d'être équipée d'un solide esprit scientifique, d'une volonté de travail surdimensionnée et d'une imagination délirante et que c'était la bonne mayonnaise pour se rendre utile dans ce domaine-là), que j'allais en baver mais que c'était de mon devoir de chercher et en attendant d'apprendre pour avoir de quoi trouver, jusqu'à l'âge de 19 ans. Un chagrin d'amour a brisé cette première vocation : celui qui me quittait m'avait séduite en me parlant longuement de ce qui me passionnait. Son départ a grillé les neurones qui chez moi portaient les connaissances si patiemment accumulées. Ou cramé les voies d'accès. Si je suis parvenue à ne pas le perdre de vue et à l'aimer bien au lieu de l'aimer tout court, je n'ai hélas plus jamais retrouvé le chemin de la part de cerveau où je crus mon destin.

J'en ai gardé le plis d'être séduisible par les mondes parallèles. Comprenne qui pourra.

Pour l'heure j'entre en 3ème, lis Silbermann de Jacques de Lacretelle et que je trouve formidable comme bouquin. Je parle d'ailleurs de la bibliothèque où j'aide une camarade à s'inscrire (aurais-je donc si peu changé ?) ; de ma soeur aussi que je vais chercher avant d'être rejointe par mon père et un de ses collègues ce qui devait être exceptionnel.

A l'ordinaire il ne rentrait pas si tôt de l'usine (2). Le connaissant il n'avait pas dû être indifférent à l'annonce de la mort de Maria Callas, mon père aimait l'opéra comme les Italiens l'aiment, sans façon, ainsi qu'une sorte de chants populaires un peu plus élaborés et mieux servis par des orchestres au complet et des voix, ah des voix ...

Ma mère a été un peu contaminée et qui en tient pour Giuseppe di Stefano.

Au jour du décès de Maria Callas, je n'ai rien noté d'éventuelles réactions de leur part la concernant. Pourtant il me semblerait logique qu'ils en aient parlé et peut-être pour une fois sans se disputer ce qui aurait dû leur valoir dans mon diario une ou deux lignes aux fins d'immortaliser un tel exploit.

Rien non plus les suivants. Mes notes de journal de bord ne sont remplies que de choses scolaires, une nouvelle année démarre, je ne pense à rien d'autre, pratique quelques sports, regarde la télé, toujours les mêmes émissions dont un mystérieux "Eh bien raconte" dont j'ai perdu le souvenir et les sempiternels Colombo Amicalement vôtre. Il y a des achats de fournitures scolaires, une liste des petits camarades que ma soeur avait invités à son anniversaire (3), j'avais parfois le privilège d'un trajet en voiture mais le plus souvent c'était en vélo. La seule entrée sur une semaine concernant des événements extérieurs est un PS du lundi 19 septembre et qui indique "parais (sic) que Mandchester est éliminé à cause de leur supporters".

La seule mention concernant ce qu'on pourrait éventuellement rattacher à la musique, en dehors de celles concernant des cours de piano que je prenais, est un "Nana Mouscouri" sans plus d'explications au soir du 1er octobre (émission de télé probablement). Pas même l'ombre d'une rétrospective en hommage à celle des chanteuses grecques qui chantait vraiment et plus que ça encore.

Décevant.

1/ Moralité : Parents d'adolescents de maintenant qui les voyez s'abîmer dans des jeux qui vous paraissent vains et inutiles et des niaiseries à la télé, ne perdez pas (tout) espoir, certains centres d'intérêts ne se développent qu'en grandissant, on dirait.

2/ Conseils : Vous qui tenez blogs classiques ou journaux intimes, n'oubliez pas parfois d'expliquer les pires évidences, si jamais la vie vous offre l'occasion de vous relire 30 ans après, vous risquez sinon de ne pas comprendre la moitié de ce dont vous parliez.

   

(1) Attention, hein, pas femme de footballeur, footballeuse moi-même. Métier qui à l'époque pour les filles n'existait pas. J'ai fini ingénieur travaux publics à la place. Et payée pour ou pas, je mourrai en écrivant. Si j'avais eu un brin de lucidité, désobéissance et des parents pas si bornés par leur vie limitée, je n'aurais pas perdu tant de temps en méandres préalables. 

(2) La sienne, une vraie et où des autos étaient fabriquées.

(3) Dans la série qu'est-ce que ça fout là, ça se pose-là. Peut-être était-ce pour pouvoir répondre à ses questions l'année suivante si elle ne se souvenait pas. Notre écart d'âge nous faisait mener des vies différentes. D'ailleurs je note en l'occurrence et non sans, je suppose, un sentiment certain du devoir accompli "[...] je travaillais un peu puis jouais avec les petits."


D'un fantôme abandonné l'encombrante gratitude

      

Il s'agit d'une lettre en bloguerie restante, comme grâce à Kozlika, j'ai appris à écrire.

Du destinataire, j'ai tellement bien l'adresse que je lui ai envoyé un message ces jours-ci et qu'il m'a répondu tantôt. Fort gentiment et par des mots qui me bouleversent. Seulement voilà, je ne peux me présenter à lui comme celle que je suis réellement, et celle que je suis pour lui n'a aucune raison d'être à ce point bouleversée par ce qui lui arrive et dont il m'a à mots prudents et discrets fait part.

Comme pour Florence Aubenas, je faisais confiance à la vie pour nous mettre un jour en présence sans que j'ai à dévoiler quel avait pu être mon rôle invisible antérieur. Et que je puisse plus tard, mais si possible en dissociant, les remercier pour ce que j'estime leur devoir. Par exemple pour elle un texte sur les bouddhas de Bahmiyan et ceux qui vivaient à proximité et qui m'a fait voir la vie différemment après, puis son "On a deux yeux de trop" sur le Rwanda (avec Anthony Suau), et qui m'a fait entrevoir quelques choses du pire de l'humanité mais que sans comprendre on ne peut tenter d'éviter.

Hélas, concernant mon interlocuteur du jour, j'ai peur désormais que l'occasion ne se présente jamais . En plus que nous n'habitons pas tout près. Alors en désespoir de cause, au sens le plus lourd de cette expression, voici pour lui une lettre en bloguerie restante

   

                                                                                                                      Clichy, le 16 septembre 2007,

                                                                                        à Didier P.

Bonsoir,

Cette lettre va sans doute vous étonner. Vous me connaissez comme lectrice assidue et passionnée et les quelques fois où je m'étais permis de vous écrire, à l'occasion d'une commande ou pour remercier d'un bouquin de chez vous qui m'avait particulièrement touchée, vous avez toujours pris le temps de me répondre, avec humour et gentillesse et des mots qui me faisaient bien plaisir en retour.

Cette distance me convenait. Et je suis vraiment et avant tout cette lectrice qui grâce à vous à découvert Cécile Wajsbrot dont le "Fugue" lui en a probablement évité une, un jour où la mort rodait trop fort et où la fuite semblait la seule alternative accessible afin d'échapper à trop de souffrance et d'y être exposée sans comprendre, qui a également découvert Francis Dannemark,  qui s'était régalée l'an passé d'un Benacquista-Tardi et qui grâce à vous a un coin de sa bibliothèque beau et bien rangé : ils y sont tous, voisins, formant un ensemble doux et presque parfait. Le presque à cause de la maquette des plus récents, je me refuse à écrire "des derniers" malgré ce que vous m'avez aujourd'hui confié. Je préférais la précédente et qu'ils n'aient pas changé. Je vous l'avais même, je crois, écrit. Parce que comme lectrice je suis très chiante aussi.

Dans votre réponse d'aujourd'hui vous vous êtes montré navré et discret. Comme l'est un homme franc et bon envers une cliente habituée mais qui reste une inconnue qu'il ne souhaite pas plomber en annonçant que la boutique va fermer pour des raisons indépendantes de sa volonté.

S'il s'agissait de chantiers, dont vous auriez été le directeur, des logements simples mais si bien conçus, et que je serais venue voir ou visiter, on pourrait dire que j'y fus lors de leur construction. Totalement inconnue de vous et destinée à le rester, la sous-traitante d'un sous-traitant, venue ragréer le béton, et qui y avait mis tout son coeur, si heureuse de trouver là une occasion de s'exercer au métier, qui par chance a déplacé au bon moment une banche qui n'était pas tout à fait bien positionnée, n'a par ailleurs pas su éviter la création d'une aile de bâtiment légèrement superflue, mais est partie en laissant l'idée d'une construction ultérieure.  Laquelle fut ensuite bâtie, mais sans moi, avec succès.

A l'heure actuelle, je ne sais pas si la vie m'offrira suffisamment de temps et d'énergie disponible, pour travailler officiellement sur d'autres projets. Je sais simplement que je m'y emploie envers et contre tout. Parce qu'en travaillant pour vous, j'ai pris goût à ce difficile métier, peu payé, soumis aux intempéries, mais j'ai compris que ma place était parmi ceux qui contribuaient ainsi sans relâche à bâtir.

Sans votre initiative, jamais je n'aurais eu l'opportunité d'essayer, et de sur le terrain m'en rendre compte. Je vivais en effet loin de toute construction en cours. Vous êtes sans le savoir, mon premier employeur.

Je tiens à dire que j'étais tout à fait d'accord que vous ne le sachiez pas, et très honorée qu'on m'ait choisie pour aider face à un sérieux coup de bourre qui se présentait. Ne m'en veuillez pas, c'était des circonstances qui s'étaient enchaînées et avaient été contraire à l'un de vos meilleurs entrepreneurs. J'étais là, j'ai aidé. J'étais très émue qu'on m'en considère capable, alors que je n'avais fait mes preuves qu'à hauteur de bac à sable. 

Je sais à présent que je ne pourrai jamais me présenter à l'embauche d'un de vos chantiers, puisque vous affirmez en vous en excusant qu'il n'y en aura plus guère. Je ne pourrais donc jamais vous remercier à visage découvert de m'avoir offert l'occasion d'apprendre le métier, ce qu'alors j'aurais pu faire sans nécessairement expliquer que ça datait d'un peu avant ce que vous auriez pu supposer.

Vous laisser quitter le BTP sans vous faire part de ma gratitude dépasse mes forces, cette expérience acquise a pour moi bien trop compté. Il n'est pas juste que vous preniez cette retraite anticipée sans savoir tout le bien que vous aviez fait, y compris aux fantômes discrets.

Merci.

Je vous embrasse, si vous permettez.  Et bon courage à vous et aux vôtres.

gilda_f (TP86)


Dernier vélo pour la terre

La nuit dernière, pas très tôt à vrai dire

P6220017 

Emue par un film (1), fatiguée par ma semaine d'usine joliment accommodée par quelques corvées de rentrée, essorée d'émotion par une nuit de lecture en début de semaine (2), vaguement distraite par un livre qui ne m'intéresse pas mais qui comporte ici ou là d'inattendues pépites , je suis tombée du métro à la mauvaise station.

Une sorte de pilote automatique jet-lagué m'avait ordonné de descendre là où je le faisais presque chaque jour deux ans plus tôt parce qu'un de mes travails et son annexe amicale se situaient dans une rue adjacente.

Mais ce n'était pas du tout là que je me rendais hier soir : j'étais censée rentrer chez moi et pas chez les autres.  Je ne m'en suis hélas aperçue qu'après avoir regagné la surface et reconnu la rue.

Difficile à l'heure qu'il était, sinon de retrouver la ligne du moins d'avoir la moindre chance d'attraper le changement nécessaire ultérieur.

Je connaissais bien pour l'utiliser souvent car elle est la troisième ou quatrième aux quitters d'usine et que certains soirs de pénurie il me faut venir jusque-là ou la suivante pour dénicher un véhicule, une station vélib toute proche. J'y suis donc allée, un vélo et j'étais sauvée.

Il était là et qui m'attendait. Un et un seul, à la bonne taille comme rarement. Désabonnée des miracles depuis deux longues années, j'ai posé mon passe sur la borne, qui m'a libéré le vélo. 

J'ai regardé autour de moi, comme pour prendre à témoin l'absence de passants. Mais la rue était déserte.

Le retour fut un bonheur.

Si je devais citer quatre raisons qui font que je pourrais ne pas regretter d'être revenue de ma première mort, après continuer de voir grandir et vivre mes enfants, les rencontres et amitiés nouvelles, les livres formidables que j'ai pu déguster, viendrait celle-ci : Paris, en vélo, surtout la nuit. Probablement parce qu'il s'agit d'une vieille aspiration de la fille que j'étais, et que la combler à présent me permet de conserver un lien ténu avec celle que je fus. Parce qu'à défaut d'autres plaisirs qui me semblent perdus désormais pour toujours, celui de l'effort physique agréable et mesuré est le seul qui me reste pour consoler un corps fatigué et que j'ai désormais tant de mal à habiter. Sur cette planète, nous nous sentons à présent lui et moi de trop ; me réfugier si souvent dans la lune n'est qu'une réponse fragile à cette souffrance-là.

J'avais en attendant attrapé le dernier vélo pour la terre et je rentrais en vitesse 3, privilégiée jusqu' à l'honneur de comportement particulièrement respectueux de la part de deux voitures croisées (3).

La station d'arrivée à la porte qui donne sur ma banlieue, était bien garnie. De loin ça se voyait. J'ai cru un instant devoir remonter vers la précédente, heureusement peu distante. 

Par acquis de conscience je suis néanmoins allée y voir de plus près. Il restait en fait une borne disponible. Une seule. Et qui semblait attendre le bon vélo que j'y ai laissé. Une forme ténue de bonheur (4) peut venir ainsi de petits éléments favorables, même sans plus personne avec qui (les)partager.

J'ai parcouru en fredonnant "Ces petits riens", le complément d'à-pied.

(1) "Le mariage de Tuya" de Wang Quan'an

(2) Hé oui passé un certain âge une nuit de lecture devient aussi déraisonnable qu'une nuit d'amour (enfin je crois)

(3) Cette phrase n'est pas au second degré, on m'a vraiment par deux fois cedé fort civilement le passage, comme si le deux roues sans moteur était enfin considéré en tant que véhicule à part entière. Je me retiens de croire que sous l'afflu des vélos gris-beige(s ?) et des autres que des prudents ont ressorti depuis qu'ils se sentent moins seuls quelque chose des mentalités du circulant parisien serait déjà en train de changer.

(4) Pour le bonheur aîné, lire chez Tarquine qui sait en parler.

[photo : au même endroit mais bien avant ; mardi 21 juin 2005, en rentrant de Libé sans Vélib (ils n'existaient pas mais le journal si)]