Jus d'arbre
07 août 2007
(prise en traître)
Un matin récent, par ici
billet en chantier, connexion vacillante
Nous avons chacun nos faiblesses intimes, nos talons d'Achille, les trucs par lesquels même les plus forts d'entre nous peuvent se laisser atteindre.
A part de n'être pas de pleine santé, ce qui jusqu'au jour où ça devient longuement insurmontable ou d'une souffrance intolérable peut s'avérer une forme d'atout paradoxal à la force de combat qu'on acquiert, j'en ai pour ma part trois.
Je suis vulnérable par mes enfants, ce qui les atteint me touche directement. Je croyais crois croyais (1) trop fort en l'amitié. Et enfin, ce qui à l'ordinaire pour une citadine n'est pas trop gênant, on est peu confronté, je ne supporte pas de voir abattre un arbre.
Ça me fait plus d'effet que s'il s'agissait d'un humain que sous mes yeux on fusillait. N'y voyez aucune hiérarchie de ma part dans les formes de vie, ce n'est pas quelque chose que je puis maîtriser.
Je soupçonne d'ailleurs que ce n'est pas un hasard si au plus fort de la tempête de décembre 1999, j'étais malade à croire en crever. Je m'étais réveillée la nuit pour fermer les volets, alors que les vents n'étaient que de mauvais d'hiver sans se faire remarquer plus qu'à l'ordinaire voire peut-être plus calmes, et au moment du matin tôt où les événements se précisaient, j'avais été saisie de fièvre, nausées et vomissements violents, douleurs insoutenables dans les articulations des genoux et des coudes, ce qui dieu ou son absence merci, m'arrive rarement (2). Ça ne s'était calmé qu'à l'apaisement des vents. Et ce n'était pas une question de peur, dans mes moments conscients je trouvais moyen de déplorer les photographies que je ne pouvais pas prendre de notre fin du monde localisée. Il faudra que j'en reparle avec Stéphanot. De quoi se souvient-il ? Il n'avait pas 5 ans.
J'ai beau me dire que de leur substance même on fabrique le papier indispensable aux livres et qui me sont vitaux, et que la plupart des meubles de la maison sont à base de bois, ainsi que notre vénérable plancher, je ne m'y fais pas.
Alors l'autre matin quand sur le chemin vers ma vie salariale, j'ai vu des tronçonneuses en plein travail et que le produit de leur arrachement était déposé à l'entrée d'une machine qui en projetait dans un camion une forme de jus verdâtre, j'ai failli tomber dans les pommes, malgré que ce n'était pas un verger qu'on taillait.
J'avais beau me raisonner, me dire que c'étaient des plantes malades qu'on engrumait (?), qu'ils auraient risqué sinon de choir sur les passants dont ceux avec poussettes, j'avais le souffle oppressé et les mains qui tremblaient.
Mon subterfuge habituel en cas de débordement intempestif d'émotivité a cependant pu fonctionner : j'ai de mon sac sorti le petit dimage dont je ne me sépare pas, et pris quelques clichés de piètre qualité mais dont le moindre exploit n'est pas qu'ils ne soient pas complètement flous (3).
J'ai repris mon chemin non sans une désagréable et vague petite nausée qui m'a tenue compagnie une part de la matinée. Je ne pourrais décidément pas faire forestier, eux qui doivent savoir quand et qui élaguer et le faire sans pitié.
Longtemps m'a aussi accompagnée le bruit du broyage qu'il y avait et le son douloureux des arbres voisins qui se lamentaient sur le sort de celui qu'on venait d'abattre.
Suis-je la seule insensée trop sensible au point d'entendre les arbres pleurer ?
(1) pour avoir dangereusement morflé, et m'être retrouvée avec le coeur en fission sous une chape de béton comme pour un Tchernobyl interne, je pense que c'est quand même en train de me passer.
(2) Peut-être quelque chose à voir avec la pression atmosphérique qui devait être dans ses extrêmes ?
(3) pas très sûre de moi pour la double négation, il faudra que je revoie ça à tête reposée.
[photo : Clichy la Garenne, allées Gambetta]