Champagne
La fin d'une part (de nuit (blanche))

Déterminisme social

ailleurs, aujourd'hui (en gros)

    

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billet non relu, séance imminente

      

Est-ce l’influence sous-jacente d’une difficile année électorale ? Est-ce l’effet induit de chagrins personnels qui me font me trouver toujours de trop ou inadaptée quel que soit le milieu que ma vie me conduit à fréquenter depuis qu’une de mes familles de coeur m’a rejetée pour cause possible d’insuffisant pedigree quand de ma famille d’origine je me suis toujours sentie éloignée ? Mais depuis plusieurs mois je croise presque chaque jour le mot « bourgeois » qui pourtant il y a si peu semblait viré du champ sémantique sinon de la société.

   

Il y eu d’abord le livre d’Aurélie Filippetti qui m’a sauvée plusieurs jours durant d’un puits sans fond de solitude. Il n’y a aucun réconfort à savoir qu’un malheur qui nous abat n’a rien de singulier. Il y en a à savoir que qui en a déjà subi un semblable, un « qui ressemble », un « du même ordre » s’en sort ou s’en est sorti. Ainsi donc, on survit ?

« Toujours se méfier des bourgeois, m’avait-on appris. J’avais oublié. Faut pas jouer aux riches. Je t’ai vu arriver, je n’ai pas esquivé. Tu étais du genre à aimer la jouer cool. Ceux-là sont les pires ne m’avait-on pas dit. Ceux-là vous regardent comme si vous étiez des leurs, mais l’éducation et l’absence complète de douleur tatouée sur leur peau vous les font remonter illico à la surface pendant que vous plongez dans l’abîme avec un double chaînon d’acier enroulé autour du coeur. » (page 29 de l’édition de poche en Points Seuil).

   

Puis un soir en sortant d’un spectacle de danse une réflexion « out of the blue » de mon fils , surgie de je ne savais où. Que pouvait bien savoir des bourgeois mon petit banlieusard qui parle avec ses potes le patois moderne clichois avec une aisance toute prolétarienne ?

    

Une conversation avec quatre amis au cours de laquelle nous ourdîmes un complot envers un 5ème larron (lien ultérieur vers les billets) et où il en fut à nouveau question mais  que je compterais d’une façon moindre, puisqu’induite par le billet que j’avais rédigé sur les paroles de mon garçon.

 

Quelques jours plus tard ou bien avant, mais toujours dans la plus grande proximité temporelle, cet amusement d’un jeune artiste sculpteur ou (1) plasticien et qui venant d’achever une conversation professionnelle avec l’une de mes plus proches amies s’est exclamé « Oh c’est incroyable cette façon bourgeoise de parler qu’elle a ».

Il connaissait son travail mais la croisait pour la première fois. Ce qui l’étonnait était le décalage entre l’un et l’autre. Je n’avais pour ma part jamais remarqué, l’ayant rencontrée avant ses travaux. Depuis plus de 8 ans qu’on se connaît, elle n’a pas modifié sa façon de parler et qui me plaît. A l’instar de mon mari, elle prend l’accent de sa région parfois, en privé, par accès de tendresse, d’autodérision ou d’une drache de nostalgie. C’est d’ailleurs lui que j’attends ce jour-là, triste qu’il ne soit pas arrivé plus tôt, ce qui aurait goupillé tout autrement la soirée.

      

Mercredi j’attends un car touristique qui me mènera dans une île parfaite pour qui savoure la bicyclette. A côté de moi un couple d’anglais. Ou plutôt un homme et une femme qui se parlent en cette langue mais ne se connaissent peut-être pas d’aussi près, ou bien c’est entre eux récent. A moins que de vieux cousins qui se retrouvent après un temps très long et s’échangent des nouvelles de membres de leur famille lointaine et qu’ils auraient perdus de vue. La femme parle comme Virginia Woolf. J’en reste l’oreille indécemment attentive. Elle a juste le souffle un peu mieux réparti, mais l’accent est le même, oxfordien, précis. Et le ton et l’humour subtil qui affleure aux phrases.

Ce monde n’est pas le mien. Je suis née aux marges. Mais cette part de leur univers me sied, cette part pourtant hautement bourgeoise, cette façon calme qu’ils ont de se confier d’intimité sans en faire aussitôt des drames, quand dans mon milieu de naissance l’intime se hurle de colère ou se tait.

         

Avant-hier au soir, une conversation autour d’une bière ou juste après en marchant vers un lieu de cinéma extraordinaire au sens sémantique du terme. La personne qui m’accompagne alors que nous devisons de tous ces lieux qui tendent à devenir inabordables aux locaux en raison des prix pratiqués tant pour les logements que pour la vie courante, me parle d’une personne pour laquelle elle avait travaillé d’été, en job d’étudiante : baby-sitter et femme de ménage, certains mènent grand train toute l’année, y compris sur leurs lieux vacanciers. Elle m’en dit plutôt du bien, elle ne parle pas pour dénigrer, juste pour constater un niveau de vie qui à nos yeux moyens paraît surprenant. Au détour d’une phrase pointe soudain un regret, que j’espère ne pas déformer en le rapportant au flou grinçant de la mémoire : Quand j’ai voulu faire un stage à Paris, et que je l’ai appelée pour lui proposer mon CV, elle m’a à peine reconnue. Puis une résignation assumée : C’était une bourgeoise, je m’y attendais.

      

Ce matin à la médiathèque, j’ouvre un livre au hasard, le hasard n’étant pas tant dans le choix de l’ouvrage (sa présence en ces lieux, je dois l’avouer, m’intriguait) que dans la page concernée :

« La violence des rapports sociaux est extrême. La petite bourgeoisie peine à émerger, entre un prolétariat misérable et une caste de grands bourgeois impitoyables. [...] S’ensuit un siècle d’affrontements. Il faut toujours choisir son camp, c’est épuisant. La mairie contre la fabrique. [...] L’estaminet contre l’église. » (2)      

      

« Affrontements » : le terme est mis sur mon malaise, ce sentiment intime et impuissant depuis déjà un trop long moment que nous sommes à l’orée d’une période troublée qui si elle n’éclate pas mènera à un pourrissement qui sera pire encore. Trop de jeunes compétents, cultivés, sont contraints à d’impitoyables chemins de traverse vers les métiers qui leur correspondraient, trop d’autres n’acceptent pas les conditions qui leur sont faites et préfèrent rester exclus, vivant à la débrouille ou dépendant tardivement d’une famille d’origine qu’ils souhaiteraient quitter, trop d’à peine vieillissant à la première moindre performance économique de leur employeur ou géographique ou physique de leur part se trouvent éjectés de situations qui assuraient leur (sur)vie sans espoir de retour pour cause d’âge méprisé.

Je range le livre, puis mes affaires. L'endroit va fermer. Il est temps d’aller voir « India Song » ; et de casser les castes, dés que possible, après.

      

(1) inclusif 

(2) page 56 de l’édition National Geographic collection « France Vagabonde », « Traversée du Nord » de Marie Desplechin

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