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Dépendance libraffective

(ou comment j'arrive à l'usine lestée de 3 kilos supplémentaires (mais non superflus) et pas qu'un peu en retard ce matin-là)

Ce matin avant l'usine

(billet d'après-cantine pour l'instant non relu)

Quelque chose me dit que je ferai bien d'attendre ce matin le passage du facteur avant de prendre le chemin de l'usine. Mélange d'intuition et de logique puisque j'attends une livraison précise et que par ailleurs une amie m'a annoncé un envoi prochain.

Je ne suis pas déçu, c'est lui que je reçois. Un ouvrage à mi-chemin entre le livre d'art et le magazine (de luxe), un hors-série somptueux . Merveilleux mais lourd.

Je pense raisonnablement à le remonter à l'appartement mais ne peut m'y résoudre : je ne saurais passer ma journée longue et loin sans l'avoir au moins ouvert, caressé, feuilleté, parcouru d'un oeil en éveil.

Alors il m'accompagne au train. On me dira encore, Pourquoi est-tu si chargée ?

C'est qu'en lieu et place de petites pillules qui aident à stabiliser le monde quand il vous a mis(e) en danger, je me munis de livres, eux seuls savent me sauver.

Je choisis le texte de François Bon dont j'ai toujours pour le travail une grande admiration. Je les y retrouve si bien, lui et monsieur Julien, qu'arrivée à Satin Lazare j'en ai les larmes aux yeux.

Je file au kiosque à journaux histoire de me calmer en achetant Libé. Lire les nouvelles, revenir au réel tel qu'il est et non tel qu'on le rêverait. Je tombe sur "Lire", qui n'est pas ma planète, j'en tiens plutôt pour "Le matricule ..." (1), moi.

Seulement je me laisse piéger : y est annoncé un extrait d'un livre que je guette comme un noyé une bouée. 

Alors je l'achète et me jette dessus dans le métro (l'autre, la belle revue étant d'un format peu compatible avec la lecture debout tassés). Je trouve immédiatement la bonne page, mais comme certains passages me font trop d'effet, ça me scotche, ça me reste, ne parviens pas à l'achever avant d'arriver à destination. Je disloque alors le magazine que je glisse dans ma sacoche et en conserve les feuillets concernés. Je les plie dans une poche, bien déterminée à m'y plonger au moindre interstice ou quand les collègues fumeurs iront fumer.

Pourquoi n'aurais-je pas droit moi aussi à une pause afin de soulager mon manque comme ils le font du leur ?

Ainsi organisée, je tiendrai jusqu'au midi. Aussi excessif que ça puisse paraître, c'est certains jours, et pas des pires, questions de survie. J'en ai effrayé plus d'un d'être atteinte à ce point.

En attendant la prochaine pause, retour au labeur prévu et aux marges impossibles.


(1) désolée pour qui ne l'aime pas ou qu'à moitié. Mais tu en aurais une autre à me conseiller, à part "Transfuges" plus spécialisée ?

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Quand la liberté soumet

mardi 26 juin 2007, autour de minuit, station Duroc

Plongée dans un bouquin que je viens d'acquérir (1), toute occupée à m'esclaffer, je manque d'en oublier ma correspondance et sort comme un boulet à l'instant où les portes de la rame sonnent parce qu'elles vont fermer.

Peu s'en faut sur le quai où j'atterris un peu en vrac que je percute deux hommes, jeunes et bien balancés pour autant que me permettent d'en juger les vêtements hivernaux que ce presque juillet, maquillé en printemps qui tarde, en ce moment à Paris nous oblige à porter.

Ils étaient paisiblement en train de deviser, conversation de garçons sur les filles (2), comme la bribe saisie semblait l'indiquer, de celle où l'on plaisante, non sans extrapoler, sur les bonnes fortunes séductives qu'on a su rencontrer.

Celui dans lequel je suis parvenue à ne pas foncer, et qui ne s'est pas rendu compte de mon impromptue proximité, confie à l'autre d'un ton soudain sérieux et teinté d'un peu triste :

- Tu sais, depuis deux mois que je suis libre, je suis en manque et puis c'est tout.

Ils se sont éloignés alors que j'essayais de remettre de l'ordre entre mes mains, mon équilibre général et ce que je tenais, ma besace, mon sac d'employée, et le bouquin dont je tentais malgré tout de ne pas perdre la page, je n'ai donc pas entendu la suite ; mais cet aveux m'avait émue, tant nous vivons dans une société où il faudrait sans arrêt paraître vainqueur en tout, conquérants perpétuels et que la liberté a un coût élevé, qu'il s'agisse de temps disponible, de vie sexuelle, de sentiments ou même d'opinions.

Le livre n'y était pour rien, mais j'ai moins ri après.

Pendant quelques stations.

Au moins.

   

(1) à l'attention de monsieur mon mari si d'aventure il vient lire par ici : l'ouvrage ne coûtait que 5 euros, contrairement à une légende solidement répandue, je ne dilapide pas en bouquins l'argent du ménage. Enfin ... pas seulement :-)

(2) ou de garçons sur les garçons, selon orientation.

 

NB à l'adresse de quelques dames sensibles qui lisent ce blog : "Massacre à l'espadrille" de Serge Scotto me fait bien rire, mais j'ai l'humour noir dense et désespéré de ceux qui, sachant mal se défendre et pas nés où il leur convenait, ont très tôt morflé. Donc si la rigolade vous tente, allez d'abord jeter un oeil sur le livre, c'est pas gagné, on est dans le subversif ristretto, comme le café. Et punkément archicouillu avec ça (comprenne qui pourra).

En revanche si vous êtes de ceux qui ont grave kiffé le film "C'est arrivé près de chez vous" de Benoît Poelvoorde n'hésitez pas, vous passerez un bon moment très assainissant dans une société qui tend à nous faire tout soupçonner et délationner. L'idée est ici poussée à son paroxysme, en plus que c'est plutôt bien écrit (il y a des bouts d'années 70, on s'y croirait et même des "phrases qui restent"), donc ça déménage décape.

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Rien

lundi 25 juin 2007, Clichy et Paris

Cimg5847 Journée de confusion, sous le boisseau d'un mauvais rêve  qui ne l'eût pas été s'il eût été complet. Hélas il s'est interrompu au moment où j'allais savoir et enfin être délivrée.

Des deux premiers tiers de la journée, ne restera à part la part de labeur à l'usine que le souvenir d'une ligne de métro qui grandit, de clochards aggressifs qui crachent et invectivent, d'un DVD égaré que pourtant j'avais rapporté.

Du dernier tiers une couleur : jaune.

(mais un joli jaune, de toute beauté)

Vrai billet demain,

si tout va bien

[photo : station pyramides lundi 25 juin 2007, encore l'ombre d'une hésitation]


Les sandwiches de monsieur Lindbergh

Le Bourget, aujourd'hui

(billet en chantier - connexion lente et fatiguée)

Cimg5820_3

"Charles Lindbergh avait volé 30 heures d'affilée, subissant des hallucinations à cause de la fatigue. Il avait emporté avec lui de l'eau qu'il avait bue. Et des sandwiches. Pour s'apercevoir à l'arrivée que les sandwiches il n'y avait pas touché." Pour une fois attentive au son d'un haut parleur, je songe une fois de plus que le coeur de la vie se niche dans les détails. Et aussi qu'on peut pour quelqu'un éprouver simultanément de la compassion, de l'admiration, et un mépris.

Stéphanot a choisi le mode adolescent blasé qu'il compte visiblement endosser pour la journée.

Il ne tiendra pas la distance, je le sais. En attendant c'est fatigant.

Ils ne peuvent s'empêcher d'y toucher. Les visiteurs à un élément d'avion, un accessoire technique beau et brillant, éclairé comme rarement dans les musées les oeuvres d'art le sont. Alors il passent, certains s'arrêtant tout pile et tentant le contact sans hésiter un instant. D'autres vérifiant alentours que personne ne va les gronder. D'autres enfin avançant rapidement pour stopper puis revenir sur leurs pas une fois la présence de l'objet parvenue à leur cerveau. En quelle matière est-il constitué ?

J'admire bouche bée les acrobaties aériennes. Je sais quelques choses des accélérations encaissées et qu'eussé-je toutes aptitudes de pilotage requises, j'en serai physiquement incapable, même entraînée. Je me dis que l'homme ou la femme là-haut aux commandes doit être sacrément accroché à la vie pour être capable de telles choses. Pour la risquer ainsi, il faut y tenir à tout prix.

Peut-être qu'en m'entraînant, à défaut de piloter, par un effort de volonté, je pourrais éloigner la tentation d'en finir qui depuis bientôt un an et demi, rôde en permanence. Prendre des habitudes mentales afin que tous repères bousculés, l'enchaînement des gestes qui maintiennent en vie soit encore possible. Une piste à explorer.

Le A Trois Quatre-vingt ne connaît pas les loopings. Stéphanot est déçu. Nous lui expliquons, le poids, l'inertie, les courbes plus larges nécessaires. Peu lui chaut, il voudrait voir le mastodonte s'amuser. Je comprends une part de ce qu'il ressent, j'ai beau intellectuellement avoir toute conscience de l'exploit technique que l'engin représente, je ne parviens pas à en être séduite.

Trop fonctionnel ? Trop puissant ?

Je reçois un texto qui me touche beaucoup. Quelle bonne idée à eu l'expéditrice de communiquer ainsi : je ne consulterai mes mails qu'au soir tard, et un appel téléphonique sous les supersoniques n'avait aucune chance d'être audible.  J'aurais donc été utile à quelqu'un.
Pour mourir, attendons demain.

15 h 59 Stéphanot s'exclame quelque chose comme "C'est impressionnant". Son père lui avait parlé de la figure du cobra et il vient de la voir sous ses yeux (ou plutôt au-dessus) en vrai.

Je savais bien qu'il ne tiendrait pas la journée. Le rôle du désabusé lui est pur contre-emploi.

Il attend même à mes côté d'observer un Constellation. Ce sera pour moi l'instant de grâce de la journée. Le Constellation est à l'avion ce que Casablanca est au cinéma. On me dit "avion" je vois l'un, on prononce "cinéma", je vois l'autre. Avant même que ces paroles ne soient parvenues à mon cerveau conscient, lequel s'empressera de réactualiser et d'adapter au propos ou à l'interlocuteur une éventuelle réponse qu'on attend de moi.

Je vois même Jacky Kennedy, La Callas ou Marilyn en descendre ce qui est peut-être un anachronisme.

Hérite-t-on par une transmission génétique de ce qui a marqué nos parents ?

Quand j'entends des avions de chasse, je me la pose souvent. On dirait que j'ai moi-même vécu les bombardements. Une part reptilienne de mon être tend à se carapater vers le premier abri avant même que le son ne soit audible au reste. Je dois à présent dire "tendait", car dans le hangar peu fréquenté aux jours publics, je parviens sans effort à rester assise et poursuivre dés que le son se calme une paisible conversation.  Désespoir ou guérison ?

Stéphanot mange un muffin. Drôle d'endroit pour un muffin. Et pourtant il y en a. Mais pas de chocolat chaud.

Cela faisait vingt-neuf ans que je n'avais pas assisté à un salon de l'aviation. C'était à Hanovre en 1978.

- J'avais presque ton âge dis-je à Stéphanot.

- Vraiment  ou presque ? fait-il dubitatif.

- A trois ans près.

- Alors non, c'était pas le même âge ! déclare-t-il péremptoire et non sans raison. Avoir douze ou quinze ans n'est pas du tout pareil  (2)

Vingt-neuf ans ou deux seulement ? Quelqu'un dont le sort m'avait préoccupé profondément 5 mois durant y était allé la fois d'avant. Je ne m'étais pas encore mentalement déconnectée quand elle l'a fait. J'ai donc des souvenirs presque directs et étrangement précis. Imagination trop puissante ou forme de folie ?

Elle porte des chaussures pointues d'extrémités et de talons, balance à sa main libre un sac à main à la mode, très féminin. L'autre main tient celle de son petit copain, lequel avec celle qui lui reste porte une paire de jumelles dont on sent qu'il aimerait faire usage ASAP (3).

- Alors si j'comprends bien on est juste venus voir des choses en l'air, déclare-t-elle du ton de celle dont c'est l'après-midi qu'on a foutu ainsi.

Le gosse à 4 ou 5 ans. Quelqu'un lui tient aussi une main dans la sienne. Son papa, à n'en pas douter. Ils nous précèdent vers la sortie.

- Tu te souviendras que tu as vu l'A 380 dit l'homme à l'enfant d'un ton intermédiaire entre question et supplication douce.

L'enfant ne répond pas mais il lève les yeux vers son géniteur. Je devine un regard heureux et confiant (- J'ai compris Papa, t'en fais pas).

Pour me faire plaisir Stéphanot renonce à la navette. Nous marchons donc jusqu'au RER. Ce n'est pas si loin. Je m'en veux de la tristesse qui m'étreint. C'était une bonne journée. Vraiment bien. Des contrôleurs trop zélés ne sauront pas me la gâcher. Seul le chagrin ne cède en rien.

Et pourtant.

Je travaillais mieux si je mourrai moins. Il me faudrait sortir de ce cercle fatal. Eugène aimerait m'aider, même lui ne sait que dire, que faire, comment intercéder.

    

(1) pour le sort d'un enfant, pour un exploit réussi qui ouvre la voie à d'autres et à quelques progrès, pour des prises de positions politiques en faveur de régimes effrayants

(2) pour ceux qui ont des loisirs inoccupés ou le plaisir du calcul mental : Sachant que nous sommes en juin 2007 et que j'ai fait abstraction des demi, évaluez l'âge du capitaine.

(3) As Soon As Possible.

[photo : Statue de Charles Lindbergh à la sortie du site]

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Des écobons l'oubli gracile

(et des Caisses Express le nom immérité)

jeudi soir, à l'heure où les musiciens festoyaient

Ma mission consistait à rapporter des vis d'un diamètre précis à un bricoleur qui s'impatientait. Le supermarché voisin dûment pourvu d'un rayon bricolage n'avait bien évidemment pas le modèle recherché, j'approximais donc en prenant deux autres types d'accessoires qui à défaut, du moins je l'espérais, pourraient remplacer.

L'heure était trop tardive pour s'en aller ailleurs chercher meilleure fortune de consommation.

J'avais donc en main, en plus de mes affaires personnelles, deux objets et deux seulement.

Les rares caisses pourvues d'êtres humains étant Cimg5704_3 fermées à cette heure se garnissaient d'abondantes files d'attente. Malgré un vestige hésitant (1) de principes de défense de l'emploi salarié, je choisis donc de tenter ma chance à l'une de ces nouvelles Caisses Express où le client se fait caissier.

J'en repérai une sans attente constituée,  une vieille femme d'apparence asiatique y enregistrait ses achats, lesquels semblaient en nombre raisonnable et ses gestes ceux d'une habituée.

Las, ma journée de labeur avait assommé mes rares neurones restants, je ne m'étais pas rendue compte qu'elle faisait les bons gestes mais les faisait lentement. Avec une sorte de recueillement méditatif étonnant.

J'observais un instant non sans fascination. Deux jeunes gars, comme moi fort peu munis d'achats, vinrent prendre place à ma suite, sans doute attirés par mes deux boîtes de visserie, je veux dire le fait que je n'avais rien d'autre.

Ils eurent un regard inquiet en s'apercevant à retardement que l'accomplissement des taches de la cliente qui me précédait durait plus longtemps que ça n'aurait dû. Au bout du compte elle fit ce qu'elle devait et mon tour arriva.

Bien entendu l'un des codes barres ne passait pas (ajouter caissière au nombre des emplois que je ne saurais occuper). Spontanément les deux gars vinrent à mon secours, ce qui était dans leur intérêt immédiat, ils me passèrent les vis au pistolet plutôt qu'au lecteur à plat (2). Je glissai un billet dans la fente prévue à cet effet, ramassai ma monnaie, les vis dans un sachet, et libérai la place sans tarder.

C'était compter sans la superviseuse. Car si les Caisses Express n'ont pas de caissiers elles ont des sortes de bergères chargées de veiller au bon travail des usagers.

- Madame, madame, me héla-t-elle en me courant quasiment après, vous oubliez vos Ecobons.

Et elle me tendit l'équivalent en format d'un long ticket de caisse, réductions pour des achats que n'habitant pas le quartier je n'effectuerai jamais.

Sa satisfaction du devoir accompli était si éclatante alors qu'elle me remettait le ruban de papier, que je ne sus que la remercier en tentant d'y mettre toute la reconnaissance qu'elle en attendait (connaissant mon peu d'aptitude à feindre quoi que ce soit, je suppose qu'elle n'en a aucunement été dupe, j'espère seulement qu'elle m'a su gré de l'intention que j'avais, quand au fond de moi je ne pensais qu'à maudire tous les Ecobons si peu écologiques (3) (quel gâchis d'encre et de papier et d'énergie de fabrication puis d'éventuel usage) et leurs inventeurs jusqu'aux 15 ème générations).

Je gagnai la sortie d'un pas rapide, bien décidée à rattraper le temps perdu par l'usage d'un mode express si mal nommé.

   

(1) hésitants parce que je ne suis pas certaine qu'il soit heureux à moyen terme de maintenir des gens dans des emplois si pénibles et peu intéressants. En même temps si c'est ça ou rien, c'est mieux ça que rien. J'ai lu avec bonheur "Je vais bien ne t'en fais pas" d'Olivier Adam et je m'en souviens.

(2) je sens l'ombre d'une contrepèterie mais je ne la vois pas. Et malheureusement cette phrase est au premier degré, il ne m'est rien arrivé de torride. Il ne m'arrive plus jamais rien de torride depuis que je suis chagrinée. Le chagrin ét(r)eint en même temps qu'il nous brûle.

(2) les Ecobons ayant ceci de communs avec les pinacothèques que le mot qui les désigne ne les fait pas ressembler à ce qu'ils sont. N'est-pas, Chondre ?

[photo : in situ, à peine décalée (je ne tenais pas trop à immortaliser le vigile aux yeux sévères qui sans ciller m'observait), comme une vision du supermarché du (proche) futur, entièrement déshumanisé]

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Pourquoi dans les opéras ils meurent toujours à la fin ?

Ce matin, je crois. Dans la cuisine, c'est évident.

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(billet relu et corrigé le 21/06/07 à 0 h 50 pardon pour ceux et celles qui l'auront lu avant)

Ce n'est pas une question enfantine de Stéphanot, comme il lui en reste encore quelques-unes en réserve avant l'âge des certitudes coupantes qu'on assène à l'entourage.

C'est moi qui la pose. A haute voix. Devant son air interrogateur alors qu'il passe dans la cuisine à la recherche d'un verre de lait. Son air interrogateur face au mien, probablement affligé, perdu dans mes pensées abyssales et récurrentes, mon "western intérieur" (1).

J'ai dit la première chose qui me passait par la tête, après avoir vu "Un Bal Masqué" hier, ce que Stéphanot sait. Ma question ne devrait donc pas trop le surprendre.

Je suis en fait en plein accès de "Smoking - No Smoking"  syndrome. Rien à voir avec la cigarette mais tout avec le film d'Alain Resnais.

Le fiston l'ignore qui me répond rigolard :

- Ben parce que si ils le f'saient au début, y aurait p'us rien à raconter.

Puis abandonne les lieux, lui et son lait.

Il y a deux mois, j'ai croisé Mathieu, à la terrasse d'un café. Il ne me connaît guère, mais je sais qui il est.  Un des plus proches amis de Wytejczk jusqu'à une époque que je ne saurais dater. Il était seul, sirotait son café en lisant un texte qu'il anotait. J'ai craint de l'importuner en l'abordant sauvagement pour lui demander des nouvelles d'un pote avec lequel je l'avais su fâché sans connaître précisément la cause de leur divergence. Nous n'avions jamais été vraiment présentés, même si nous nous sommes plusieurs fois retrouvés en présence lors d'occasions festives, et puis surtout, il travaillait.

Je ne supporte pas qu'on m'interrompe quand je travaille. J'essaie en toute logique de ne pas faire subir aux autres ce que je ne sais encaisser sans souffrance, donc ce jour-là je me suis abstenue.

Et ce matin, ce tourment fuligineux soudain mais non sans cause, j'aurais mieux fait de le faire, bon sang c'était ma chance, une chance inouie d'enfin comprendre, peut-être que lui SAVAIT, peut-être que j'aurais pu comprendre, et après tout qu'aurais-je risqué ? Il m'aurait au pire éconduite poliment ou froidement, ne se souvenant pas de mon visage, et pressé d'avancer dans ce qu'il faisait.

Alors comme le personnage de Sabine Azéma dans le film, je regrette cette "cigarette" que j'aurais dû allumer (2) et qui aurait peut-être remis ma vie sur ses rails propres et changé son cours devenu trop sombre.

Par une question d'opérette sur l'opéra, j'ai tenté de masquer mon regret, et ce chagrin si profond.

Y suis-je arrivée parvenue arrivée ?

 

(1) pour autant que je puisse en juger la paternité de cette expression est de Pierre Murat (Télérama).

(2) incapable de me souvenir 17 ans après avoir vu le film si c'était l'option Elle l'a allumée qui débouchait sur une des fins heureuses, ou au contraire celle où elle s'y refusait. Dans le doute je garde la version qui m'autorise une phrase affirmative.

[photo : Opéra Bastille, mardi soir à l'heure des saluts du Bal]


Perdu puis retrouvé

Un café parisien, XVème arrondissement, aujourd'hui même

Cimg5610  Elle me connaît depuis longtemps et s'étonne qu'après notre déjeuner amical je ne file pas en courant vers un autre lieu où l'on m'attend.

Sale habitude de parisienne sur-occupée, qui mène deux vies et trois travails, et tente depuis plus d'un an de semer ses chagrins à la course plutôt que sur un mode plus statique mais chimique ou causant.

Elle n'a pas tort, si je prend mon temps, c'est que j'ai rendez-vous peu après au même endroit avec Marcel, un de ces écrivains d'avant.

Pas Pagnol (1), mais Proust, pas lui mais deux ou trois pages qu'il a écrites, et une personne qui depuis  13 ans s'attache à recueillir des lectures multiples, nous sommes à présent plus de 600, afin au bout du compte que soit lue "La Recherche ..." dans des lieux de vie quotidienne, par vous ou moi ou qui veut bien et lit comme il peut, souhaite ou aime.

J'ai passé un bon moment, j'espère seulement que je n'ai pas trop desservi le texte, qui était un bonheur à dire à voix haute, alors même que Stéphanot vient de me licencier comme lectrice du soir pour cause d'âge dépassé (2).

Même si vous n'êtes pas de Marcel Proust un lecteur habituel, ni non plus ammariné à lire, même si (surtout si) vous vous croyez trop jeune, ou trop vieux, ou pas assez qualifié, ou pas tout à fait à l'aise en français, vous pouvez essayer, ça ne coûte rien et c'est pour la beauté du geste, celle qui fait tant de bien. Vous pourrez même choisir un lieu que vous aimez. Ce que j'ai fait.

Pour s'inscrire

Le site de Véronique Aubouy où le projet est décrit.

Il est également évoqué chez Rue89 , chez Pierre Assouline et brièvement chez Yves Duel un des participants qui m'a précédée.

(1) qui pourtant a beaucoup compté pour moi, je l'ai déjà (trop longuement, un peu envahissant) raconté chez Emmanuelle (parmi les commentaires ici)

(2) pas le mien, le sien.

PS : Quant à la légendaire longueur des phrases de cet auteur, n'ayez crainte, les virgules c'est pas fait pour les chiens, et il les place fort bien. Pas besoin d'être un champion d'apnée ou de nage avec palmes, ni même pour les fumeurs d'arrêter de fumer, vous vous en sortirez fort bien.

[photo : les pendules de l'enclos, juin 2007, comprend qui peut]


Une grossière évidence s'impose

Lieu institutionnel culturel parisien quoiqu'international, ce soir même

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(billet en chantier à relire )

Les journées d'usine me plongent dans un état d'abrutissement épuisé. Je ne connais donc rien de mieux (1) à l'heure de la sortie que d'aller écouter quelques brillants conférenciers sur des sujets si possible éloignés de mes préoccupations quotidiennes, histoire de me décaper les neurones et rentrer chez moi ensuite toute intégrité retrouvée.

De la table ronde de ce soir, l'un des participants me convenait parfaitement, étranger, parlant un français d'une haute qualité, il avait cette grâce, que possèdent certaines personnes d'intelligence supérieure, de nous tirer vers leur niveau sans même qu'on s'en aperçoive. Le temps qu'on les écoute ou qu'on parle avec eux, on oublie nos propres limites, les raisonnements les plus subtils deviennent lumineux, la complexité familière et le manichéisme étranger.

Le retour au niveau initial est parfois douloureux, mais le souvenir d'avoir su penser malgré la fatigue et les épuisements, nous pousse à récidiver et ainsi lentement, quand la vie ne nous a pas offert dés l'arrivée la chance d'en être, on peut malgré tout parvenir à un état décent de compréhension du monde et ne plus s'en laisser si facilement compter par les arracheurs de cerveaux maîtres de certains médias.

Je me suis donc sentie le temps d'un début de soirée parfaitement compétente en histoire de l'Europe, surtout sur le XXème siècle, comprenant les guerres (sans les excuser) les paix (en rêvant qu'elles aient pu durer), Munich (traité) et une Berlinoise (femme), que les communistes français auraient fait de bons dissidents russes (2) et toute une foule de subtilités humaines et historiques dont je me serais seule cru incapable d'appréhender le moindre élément.

A la séance de dédicace élégante (3) qui s'ensuivit, je décidai donc de faire à son égard une entorse à mon régime sans achat de livres, un grand classique avant l'été quand on souhaite que notre débit en compte perde ses kilos en trop afin de ne pas se faire trop voyant sur la plage (4).

J'achetai ainsi l'objet par un biais peu avouable (5) puis m'en retournai auprès de mon sauveur d'un soir. Une dame déjà lui causait. A la bise qu'il lui avait faite alors que j'entrais dans la salle je compris une vieille amitié, une belle complicité. A la conversation qu'ils menaient alors que j'approchai, je devinai ceux qui, vivants des existences chargées éloignés l'un de l'autre, ne se voient pas souvent et sont heureux d'une occasion offerte.

J'ai donc agi envers eux comme j'aimerais qu'on le fasse pour moi à leur place, attendu patiemment, légèrement à l'écart, pas trop pour que ma présence soit visible, suffisamment pour que leur conversation me soit désormais inaudible.

Généralement, passé l'impatience des retrouvailles et l'échange de nouvelles qui se bousculent d'avoir été trop longtemps différées, l'un des deux au moins s'aperçoit que quelqu'un patiente, celui qui est présent en ces lieux pour son travail accomplit sa tâche et plus tard, une fois ses lecteurs satisfaits, ou entre deux s'ils sont peu nombreux, reprend le fil de sa conversation affectueuse.

Quand on est le lecteur il est aisé alors de patienter, on a en main de quoi s'occuper. Ce que je commençais à faire avec délectation.

Arriva alors une jeune femme, peut-être a-t-elle dit bonsoir, je n'en suis pas certaine, qui faisant fi de toutes personnes présentes à l'exclusion du conférencier lui-même auquel elle se mit à débiter quelques platitudes sur le mode "J'aime beaucoup ce que vous faites, mais je n'ai encore rien lu", s'imposa en lui tendant un exemplaire de son plus récent ouvrage.

L'amie ayant vite évaluée à quel type d'admiratrice elle avait à faire, opéra un replis stratégique immédiat vers une autre de ses connaissance non sans m'avoir jeté au passage un regard comme pour s'excuser (mais de quoi ? De l'intervention intempestive dont elle n'était pas l'actrice ?).

La péronelle pérorait. Son interlocuteur s'efforçait probablement inconsciemment de rehausser la portée des propos échangés, mais la donzelle semblait fière des platitudes qu'elle enfilait comme les fillettes des perles en plastiques pour confectionner des colliers de poupées. Elle avait superbement ignoré ma présence pour affirmer la sienne mais à présent plusieurs fois par son regard quêtait le mien comme pour approbation de sa grande pertinence. Je ne lui en fis pas l'aumône. La charité a ses limites.

Finalement il prit l'initiative de lui demander son prénom, dont elle ne put s'empêcher de faire l'historique car il marquait avec l'auteur des origines géographiques communes.

Quand elle partit enfin, il chercha des yeux son amie la vit occupée par ailleurs, et moi l'éclat passager de regret dans ses yeux, il se tourna alors de mon côté, sembla lui aussi du regard s'excuser de l'intervention intempestive précédente, et se montra avec moi particulièrement attentif comme pour racheter  cette faute qu'il n'avait pas commise. Ce fut lui qui mena la conversation. Je m'efforçais d'exprimer sans excès encombrant ma reconnaissance pour cette soirée sauvée et mes deux trois neurones secourus puis cédai ma place aux suivants car le bavardage de la précédente avait créé une file d'attente.

Totalement inconsciente des désagréments qu'elle avait causés, l'impétrante faisait déjà admirer sa dédicace à quelques personnes présentes, des connaissances ou des amis qui hôchaient la tête sans qu'on puisse à distance savoir si leur admiration était feinte ou teinté d'un verni de sincérité, ou si ce n'était pas l'efficacité de la jeune femme qu'ils louaient. Je pris alors conscience de mon insuffisance. Si d'aventure l'homme qui signait ne s'était pas tourné vers moi, en me considérant d'emblée comme la personne d'après, j'aurais sans doute encore été en train de poireauter, tandis que toutes les sans-gênes du monde feraient admirer le produit d'une inconduite que personne n'oserait jamais leur reprocher.  Et que peut-être aussi je devais d'avoir été à mon tour considérée comme existente à l'intervention de l'une d'elles. Sa désinvolture absolue m'avait donc rendue service.

N'est-ce pas se débrouiller au plus mal que de devoir son salut à quelqu'un dont on méprise les actes ? Plongée dans mon habituelle perplexité face à cette évidence même, je pris le chemin de ma maison, non sans avoir admiré un petit Klein au passage, presque surprise que personne ne vienne s'interposer par inadvertance ou mépris des autres, entre mon objectif et son sujet. 

(1) en fait si : faire l'amour avec transports et tendresse. Mais à mon âge et même avant, il est plus difficile de trouver un amant opérationnel qu'un conférencier passionné. Va donc pour la conférence en garnissage du 7 à 9 (heureux aînés qui pouvaient se permettre leurs récréations en 5 à 7).

(2) je grossis le trait volontairement pour faire sourire quelque passant régulier que je connais bien ; mais il y avait de ça anyway.

(3) quelques livres sont discrètement en vente près du vestiaire, les auteurs - conférenciers s'attardent tranquillement dans une salle voisine sur le lieu même de leur intervention, on se sent entièrement livre libre de les solliciter ou pas. Rien à voir avec le type d'organisation où ils attendent derrière une pile de bouquins dont on sent bien que la non diminution éventuelle risque d'abîmer leur soirée et s'ensuivre d'une nuit agitée.

(4) le second intervenant était très bien aussi, je veux pas dire, mais son oeuvre pesait 35 euros, mieux valait n'y pas penser [à l'achat éventuel [un seul instant]]

(5) chèque parfait d'apparence mais fort peu provisionné malgré sa modicité.

[photo : Institut Néerlandais, jeudi soir ; nb : les personnes de la photo n'ont rien à voir avec celles du billet sauf peut-être celle qui signe et qui y est cachée par les silhouettes présentes]


Wunderbar und wunderlich

Clichy la Garenne, un appartement, 3ème étage, ce matin

Pict0019

(version provisoire)

C'est curieux, j'ai déjà pris le courrier ce matin en allant acheter une absence de journaux (1), par ailleurs un livre et un seul (2) que j'attendais est arrivé hier sans que j'aie eu à cavaler poireauter à la poste grâce aux complicités conjointes de notre gardienne et de voisins compatissants, et pourtant ça sonne et c'est encore un facteur.

Celui-ci livre les paquets, j'ouvre par l'interphone et lui indique l'étage puis je trouve que ça fait un bruit comme un extrait de déménagement et qu'il met bien longtemps à prendre l'ascenseur ce garçon.

Effectivement quand il en pousse la porte il est muni d'un volumineux paquet qui semble assez pesant et au nom de mon mari.

Soucieuse de son intimité (3) mais néanmoins perplexe compte tenu de la taille et du poids de la chose (aurait-il commandé un nouvel aspirateur sans m’en parler au préalable ? Etonnante initiative ...) je n'ouvre pas le carton mais passe à l'homme un coup de fil. Il s’étonne autant que moi et me demande de regarder de quoi il peut s'agir.

En fait c'est une caisse énorme pour un simple grille-pain , qu'escortent deux tasses très blanches et très design ainsi qu'un kilo de café frais et qui sent bon quand on ouvre la jolie boîte qui le contient.

Il nous est envoyé par le service commercial de l'entreprise germanico-chinoise de Pologne à laquelle nous avions à la Noël 2005 acheté notre formidable machine à expressos de nos rêves (et la machine et les cafés).

Laquelle machine s'était à l'époque rapidement mise au diapason familial et conformée à la poisse ambiante de la période en tombant en panne au bout de quelques jours malgré le traitement déférent que nous lui accordions comme toute personne qui vient d'acquérir un bien matériel d'une valeur excessive (4) tend à le faire à l'égard de celui-ci.

Nous n'avions à l'époque rencontré aucun problème pour un échange standard qui nous fut proposé aussitôt et réalisé dans un délai correct. Cette mésaventure était donc oubliée, comme tant d'autres péripéties d'alors dont elle était de loin la moins douloureuse.

Et voici qu'aujourd'hui en juin 2007 les services commerciaux du fabriquant de la cafetière de luxe "ayant connaissance des soucis que [n]ous av[ons] rencontrés" et "pleinement conscients des lourds désagréments et inquiétudes que cela a pu [n]ous causer"  ont "souhaité nous offrir" cet ensemble inattendu. Et je suis même priée d'accepter des excuses que je n'attendais pas.

J'ai relu trois fois le courrier, cherchant l'éventuel défaut caché, la petite étoile et le renvoi ad-hoc précisant combien le miracle livré allait nous être facturé, le service que nous serions priés de rendre en échange ... mais non, aucune embrouille, le slogan de l'entreprise étant "Beyond reason" je me suis dit qu'il n'y en avait peut-être aucune  résigne à accepter le présent en tant que tel.

Depuis ce matin j'ai donc pris 2 kilos (au moins), en tartines grillées beurrées, tout en songeant qu'il serait extrêmement consolateur que les services après-vente du ciel "et de qui peut bien s'y trouver" (ou pas), prennent l'habitude de procéder ainsi pour ceux des dysfonctionnements de nos vies dont nous ne sommes pas ou fort peu responsables.

Une maladie chronique, une voiture livrée, un mari volage, lave-linge ET lave-vaisselle, diagnostic flippant un peu trop vite établi, trois bibliothèques sur-mesure déjà montées ...

Rien hélas ne pourra jamais compenser les amis disparus alors qu'ils sont toujours en vie et qu'on les aime encore, même les succès professionnels les plus éclatants qu'ils nous aurons offerts.

Je reprends un café, renonce à la treizième tartine et si je fumais allumerais une cigarette.

(1) évidemment grève générale le jour du Canard.

(2) les temps sont durs

(3) on pourrait toujours rêver qu'il se soit enfin trouvé une riche maîtresse qui lui offrirait de volumineux et somptueux cadeaux, l'entretiendrait et moi par ricochets, je pourrais enfin me consacrer à mon travail et ne plus perdre de temps à , non, rien.

(on remarquera que depuis que (presque) tous ceux qui (je croyais) m'aimaient de près m'ont quittée, je suis d'une absolue amoralité ; il ne sera pas dit que je n'aurais pas fait un louable effort d'adaptabilité).

(4) et s'est endettée sur 10 mois pour l'acquérir

[photo : l'engin, en vrai]