Lieu institutionnel culturel parisien quoiqu'international, ce soir même
(billet en chantier à relire )
Les journées d'usine me plongent dans un état d'abrutissement épuisé. Je ne connais donc rien de mieux (1) à l'heure de la sortie que d'aller écouter quelques brillants conférenciers sur des sujets si possible éloignés de mes préoccupations quotidiennes, histoire de me décaper les neurones et rentrer chez moi ensuite toute intégrité retrouvée.
De la table ronde de ce soir, l'un des participants me convenait parfaitement, étranger, parlant un français d'une haute qualité, il avait cette grâce, que possèdent certaines personnes d'intelligence supérieure, de nous tirer vers leur niveau sans même qu'on s'en aperçoive. Le temps qu'on les écoute ou qu'on parle avec eux, on oublie nos propres limites, les raisonnements les plus subtils deviennent lumineux, la complexité familière et le manichéisme étranger.
Le retour au niveau initial est parfois douloureux, mais le souvenir d'avoir su penser malgré la fatigue et les épuisements, nous pousse à récidiver et ainsi lentement, quand la vie ne nous a pas offert dés l'arrivée la chance d'en être, on peut malgré tout parvenir à un état décent de compréhension du monde et ne plus s'en laisser si facilement compter par les arracheurs de cerveaux maîtres de certains médias.
Je me suis donc sentie le temps d'un début de soirée parfaitement compétente en histoire de l'Europe, surtout sur le XXème siècle, comprenant les guerres (sans les excuser) les paix (en rêvant qu'elles aient pu durer), Munich (traité) et une Berlinoise (femme), que les communistes français auraient fait de bons dissidents russes (2) et toute une foule de subtilités humaines et historiques dont je me serais seule cru incapable d'appréhender le moindre élément.
A la séance de dédicace élégante (3) qui s'ensuivit, je décidai donc de faire à son égard une entorse à mon régime sans achat de livres, un grand classique avant l'été quand on souhaite que notre débit en compte perde ses kilos en trop afin de ne pas se faire trop voyant sur la plage (4).
J'achetai ainsi l'objet par un biais peu avouable (5) puis m'en retournai auprès de mon sauveur d'un soir. Une dame déjà lui causait. A la bise qu'il lui avait faite alors que j'entrais dans la salle je compris une vieille amitié, une belle complicité. A la conversation qu'ils menaient alors que j'approchai, je devinai ceux qui, vivants des existences chargées éloignés l'un de l'autre, ne se voient pas souvent et sont heureux d'une occasion offerte.
J'ai donc agi envers eux comme j'aimerais qu'on le fasse pour moi à leur place, attendu patiemment, légèrement à l'écart, pas trop pour que ma présence soit visible, suffisamment pour que leur conversation me soit désormais inaudible.
Généralement, passé l'impatience des retrouvailles et l'échange de nouvelles qui se bousculent d'avoir été trop longtemps différées, l'un des deux au moins s'aperçoit que quelqu'un patiente, celui qui est présent en ces lieux pour son travail accomplit sa tâche et plus tard, une fois ses lecteurs satisfaits, ou entre deux s'ils sont peu nombreux, reprend le fil de sa conversation affectueuse.
Quand on est le lecteur il est aisé alors de patienter, on a en main de quoi s'occuper. Ce que je commençais à faire avec délectation.
Arriva alors une jeune femme, peut-être a-t-elle dit bonsoir, je n'en suis pas certaine, qui faisant fi de toutes personnes présentes à l'exclusion du conférencier lui-même auquel elle se mit à débiter quelques platitudes sur le mode "J'aime beaucoup ce que vous faites, mais je n'ai encore rien lu", s'imposa en lui tendant un exemplaire de son plus récent ouvrage.
L'amie ayant vite évaluée à quel type d'admiratrice elle avait à faire, opéra un replis stratégique immédiat vers une autre de ses connaissance non sans m'avoir jeté au passage un regard comme pour s'excuser (mais de quoi ? De l'intervention intempestive dont elle n'était pas l'actrice ?).
La péronelle pérorait. Son interlocuteur s'efforçait probablement inconsciemment de rehausser la portée des propos échangés, mais la donzelle semblait fière des platitudes qu'elle enfilait comme les fillettes des perles en plastiques pour confectionner des colliers de poupées. Elle avait superbement ignoré ma présence pour affirmer la sienne mais à présent plusieurs fois par son regard quêtait le mien comme pour approbation de sa grande pertinence. Je ne lui en fis pas l'aumône. La charité a ses limites.
Finalement il prit l'initiative de lui demander son prénom, dont elle ne put s'empêcher de faire l'historique car il marquait avec l'auteur des origines géographiques communes.
Quand elle partit enfin, il chercha des yeux son amie la vit occupée par ailleurs, et moi l'éclat passager de regret dans ses yeux, il se tourna alors de mon côté, sembla lui aussi du regard s'excuser de l'intervention intempestive précédente, et se montra avec moi particulièrement attentif comme pour racheter cette faute qu'il n'avait pas commise. Ce fut lui qui mena la conversation. Je m'efforçais d'exprimer sans excès encombrant ma reconnaissance pour cette soirée sauvée et mes deux trois neurones secourus puis cédai ma place aux suivants car le bavardage de la précédente avait créé une file d'attente.
Totalement inconsciente des désagréments qu'elle avait causés, l'impétrante faisait déjà admirer sa dédicace à quelques personnes présentes, des connaissances ou des amis qui hôchaient la tête sans qu'on puisse à distance savoir si leur admiration était feinte ou teinté d'un verni de sincérité, ou si ce n'était pas l'efficacité de la jeune femme qu'ils louaient. Je pris alors conscience de mon insuffisance. Si d'aventure l'homme qui signait ne s'était pas tourné vers moi, en me considérant d'emblée comme la personne d'après, j'aurais sans doute encore été en train de poireauter, tandis que toutes les sans-gênes du monde feraient admirer le produit d'une inconduite que personne n'oserait jamais leur reprocher. Et que peut-être aussi je devais d'avoir été à mon tour considérée comme existente à l'intervention de l'une d'elles. Sa désinvolture absolue m'avait donc rendue service.
N'est-ce pas se débrouiller au plus mal que de devoir son salut à quelqu'un dont on méprise les actes ? Plongée dans mon habituelle perplexité face à cette évidence même, je pris le chemin de ma maison, non sans avoir admiré un petit Klein au passage, presque surprise que personne ne vienne s'interposer par inadvertance ou mépris des autres, entre mon objectif et son sujet.
(1) en fait si : faire l'amour avec transports et tendresse. Mais à mon âge et même avant, il est plus difficile de trouver un amant opérationnel qu'un conférencier passionné. Va donc pour la conférence en garnissage du 7 à 9 (heureux aînés qui pouvaient se permettre leurs récréations en 5 à 7).
(2) je grossis le trait volontairement pour faire sourire quelque passant régulier que je connais bien ; mais il y avait de ça anyway.
(3) quelques livres sont discrètement en vente près du vestiaire, les auteurs - conférenciers s'attardent tranquillement dans une salle voisine sur le lieu même de leur intervention, on se sent entièrement livre libre de les solliciter ou pas. Rien à voir avec le type d'organisation où ils attendent derrière une pile de bouquins dont on sent bien que la non diminution éventuelle risque d'abîmer leur soirée et s'ensuivre d'une nuit agitée.
(4) le second intervenant était très bien aussi, je veux pas dire, mais son oeuvre pesait 35 euros, mieux valait n'y pas penser [à l'achat éventuel [un seul instant]]
(5) chèque parfait d'apparence mais fort peu provisionné malgré sa modicité.
[photo : Institut Néerlandais, jeudi soir ; nb : les personnes de la photo n'ont rien à voir avec celles du billet sauf peut-être celle qui signe et qui y est cachée par les silhouettes présentes]