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Etre là malgré soi

ce soir vers Bercy, mais auparavant d'autres soirs ailleurs

"Vous voulez une place" dit d'un ton tout à fait affirmatif le type placé délibérément juste en haut de l'escalator, certain que je viens là pour ça, forcément.

Je me contente de faire non de la tête et passer mon chemin. Entre les mains d'un autre revendeur celui-là plus discret, j'apercevrais le nom du groupe qui s'apprête à passer ce soir à Bercy : Linkin' ParkCimg5124_3 

Je ne déteste pas, d'ailleurs j'écoute fréquemment "Minutes to midnight" au casque ces jours derniers, mais j'ignorais qu'ils passaient là ce soir et j'ai bien mieux à faire.

Autour de moi un nombre impressionnant de personnes qui ont l'âge et l'allure et l'énergie anticipative joyeuse de ceux qui vont à un concert rock, je suis sans doute du lot la seule qui n'était pas là pour ça.

En trois semaines, c'est la troisième fois qu'un scénario similaire se produit. Je me trouve dans un lieu à une heure précise qui donnent toute certitude à ceux qui m'y voient que je suis venue là pour ça, alors qu'il n'en est rien, je suis simplement en avance pour l'événement suivant, ou bien je viens pour participer moi-même à un spectacle quelque peu ultérieur ou comme ce soir je viens pour tout autre chose mais qui tient du même quartier.

Rien de plus dommageable aujourd'hui que le mépris passager d'un parfait inconnu, Ma petite dame plus loin vous ne ferez pas meilleure affaire disait son regard peu amène et éloquent, parce que je n'avais effectivement pas de billet d'entrée, ce en quoi son évaluation était juste.

Les fois précédentes étaient cependant beaucoup plus délicates, tout portait à croire que j'imposais ma présence alors qu'elle n'était pas souhaitable. Cette persistance dans la perfection des apparences trompeuses me laisse d'un coup si perplexe que j'en interromps ma marche. A la plus grande surprise de qui me suivait et se rendait réellement au concert prévu. Il me dépasse sans maugréer, ce qui est déjà beaucoup. Peut-être a-t-il perçu une douleur dans mon arrêt ?

Je regarde avec une pointe de regret, comme une envie de confortable conformité, ceux qui sont là pour ça, puis reprends mon propre chemin qui ne faisait que croiser le leur. Mais pourquoi si souvent ? Et pourquoi à ce point ? Pourquoi suis-je toujours celle de trop ? Celle qui aurait dû être ailleurs mais qui est là quand même ?

Je me hâte vers mon rendez-vous, je refuse désormais que le plomb des questions que l'existence m'impose me mette en retard.

[photo : Bercy ligne 14, ce soir]

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Silence on slame

aujourd'hui,  Saint-Malo

Sur les remparts

Quand certaines d'entre nous vont travailler à Cââânnes pendant le festival, nous nous contentons d'aller étudier à Saint-Malo .

Il est un peu difficile d'être au four, au moulin et au Grand Bé, saluer Chateaubriand, croiser Wytejczk (ou pas), slamer, écouter les autres, rencontrer des amis (ou les louper de peu), chercher des lieux encore ouverts pour manger, dormir, lire, dénicher un cyber-endroit, y télécharger des photos sur ce blog, se réjouir et peu pleurer.

Donc le prochain billet,

aura lieu

un peu plus tard.

(si la vie veut)


On n'a pas l'air malouins

P5260009_2 samedi 26 mai 2007, loin de Paris justement

Il est 14 heures, nous passons devant une crêperie. Stéphanot a faim : nous sommes à peine plus tôt descendus du train qui nous amenait à un festival où nous devons slamer.

Mais la crêperie, à 14 heures, elle ne sert plus rien.

L'homme à qui j'ai posé la question ajoute mentalement "Vous n'êtes pas à Paris".

Je m'en rends d'ailleurs compte en cherchant une poubelle pour un mouchoir en papier que je tenais en main. Aucune à l'horizon.

Nous passons devant un café-brasserie, demandons humblement si malgré l'heure se serait possible ...

Devant l'air désolé du fiston et sans doute mon allure solvable on nous concède un plat du jour.

Stéphanot s'en régale et qui plus tard me demande, Dis maman, mais ailleurs qu'à Paris, on ne peut pas manger quand on a faim ?

Il s'étonne aussi de l'absence de métro malgré la taille apparente de la cité et ses abords. La mer ne remplace pas, même si on y circule (en bateau pour ceux qui le peuvent).

Je trouve enfin une poubelle.

La présence de l'enfant rend le dépaysement sensible, pur citadin qu'il est. Seule je n'aurais rien vu, pas envisagé de déjeuner en dehors des clous horaires traditionnels, ni même l'existance d'un métro au bord de l'eau (1).

[photo : aux abords du Palais du Grand Large, Saint Malo samedi 26 mai 2007] 

(1) A-priori ridicule d'autant que certains ports en ont tout à fait, ne serait-ce en France que Marseille.


Il suffira d'un cygne, un matin

mercredi 23 mai 2007, opéra Bastille, Lohengrin de Mozart Wagner mise en scène de Robert Carsen

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(pour des raisons bassement alimentaires, suite du billet seulement ce soir

si tout va bien)

Depuis le temps que je vais à l'opéra (1), c'est la première fois que des voix je n'entends rien. Les chanteurs n'y sont pour rien, ni non plus que l'orchestre qui ne les couvrait pas, c'est moi, juste moi.

J'étais probablement au bout de mon impasse, l'acier moral qui m'a blessée mutilait mes sens et ma capacité à apprécier les chants.

Seuls ont survécu dans l'immédiat et au souvenir les choeurs qui chez Wagner sont souvent si puissants si anguleux si soudain et si forts, qu'ils me rappellent non sans frémissement les 80000 spectateurs d'un stade de France chaviré de bonheur et de surprise à mon 1/253 d'entrée en scène en 1998. J'exagère ? L'énergie y est ainsi qu'une certaine touche d'harmoniques légèrement dissonants et pointus.

A plusieurs reprise je les trouve remarquables, étrangement émouvants (2).

La tête ailleurs, je suis l'histoire de loin aux mouvements de foule et de lumières, comme si seule la mise en scène devait tout me raconter ou le récit m'être révélé par ce curieux cygne passablement raidasse qui détonne avec la fluidité et la beauté du reste et débarque un jour de détresse du principal personnage féminin, charmante et blonde Elsa. Une bécassine presque béate dans mon genre qui se la fait accroire par une méchante optimale, et laisse le doute en elle s'insinuer jusqu'au maléfice. Aurais-je aussi gâché mon cygne dans ces moments où l'on teste la force de nos amours ? Je n'ai plus que ces questions-là au bout de mon impasse et n'aurais probablement jamais tout ce qui brille dans mes mains, quand Elsa, au moins, un temps en profita. Elle aura eu les yeux qui brillent, elle, avant de gaffer fatal et être à l'origine du retour de l'oiseau muet et du départ de son amour (grand).

Je comprends l'allemand, pas assez pour l'opéra. Seulement j'oublie que ce n'était pas écrit dans le livret en latin français, et omets de lire les sous-titres sauf certaines phrases qui décontextualisées me restent, Jurons vengeance dans la nuit sauvage de nos corps, ou cet extraordinaire Devant lui (3) tout message est vain, il dissipe les ténèbres de la mort, trop perdue sans doute dans les miennes propres et sans Graal à disposition immédiate. On n'en trouve pas déjà dans les distributeurs. Ni des saints, ni des lights, ni des Graal zéro, ou décaféïnés. Notre société de consommation n'est donc point encore à son paroxysme. Ça ne saurait tarder. Marchands de tous les temples, je pense que pour le Graal de poche, il y a un marché surtout pour ceux qui seraient Wi-Fi compatibles.

Pendant ce temps deux hommes solides en costumes trois pièces s'affrontent au sabre ou bien à l'épée. Le temps qu'on s'habitue, l'un des deux est salement tué.

La femme en robe blanche git de tout son long sur le sol de la scène grise, je comprends que je ne l'ai pas vue tomber, cherche encore à saisir ce qui a pu lui arriver, y renonce en voyant entrer en scène un petit Nicolas (4) tout de blanc vêtu et qui plante un arbre porteur d'espérance (c'est souvent le boulot des arbres qu'on plante) et marque de la fin, la fin de quoi déjà ?

Je mets même un moment avant de comprendre qu'il est temps d'applaudir, soulagée à la pensée qu'un concours de circonstances pour une fois favorable me permettra en juin une séance de rattrapage (5). Et rassurée sur ce point précis que la durée de l'oeuvre est plutôt supportable. 

A peine plus tard, je rentre chez moi sans pour autant regagner ma vie. Celui qui ce soir-là sans grommeler m'accompagne fredonne l'air nuptial si souvent emprunté, quand traîne dans ma tête une chanson morticole (6) dont je ne sais d'où elle me vient, ou plutôt trop bien.

(1) Kozlika, savoure cette phrase, c'est à toi que je dois ce sentiment soudain et surprenant  d'être une vieille briscarde du rang 9
(2) ce qui est dit ou chanté à toutes forces l'est relativement rarement.
(3) le Graal pas le cygne
(4) Pavsic
(5) je suis pas contre une intercession bénévole de ceux qui en sont capables auprès des mânes de Robert S. et François-René de C. afin qu'un séjour prochain en leur cité bien-aîmée me soit enfin l'occasion de guérir d'un des mals qui me minent, et que je puisse ainsi accessoirement assister à la session de rattrapage l'esprit serein et concentré au lieu de divaguant comme l'allure de ce billet.
(6) je ne peux hélas pas faire de lien, mais le terme m'en a été remis en mémoire par un certain Kael commentant sur le blog de monsieur Le Chieur ; la chanson était effectivement "C'est aujourd'hui dimanche, tiens ma jolie maman, voici des roses blanches, toi qui les aimais tant"

[photo : station Bastille, ligne 1, détail ; mercredi 23 mai 2007]

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Quand Cécile remplace Rita

vers la rue du Faubourg Poissonnière, mardi après midi, vers la fin

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Toute d'efficacité parisienne, j'intercale entre un rendez-vous médical et un moment de poésie prévu une course nécessaire située à proximité de mon cours de danse du samedi.

Etrangement, dans une période où pour moi les vents contraires soufflent avec régularité (1), tout se passe vite et bien, j'économise même 30 euros au passage sur la dépense prévue, il est très surprenant d'obtenir un petit quelque chose favorable quand plus rien ne voulait l'être.

C'est peut-être cette disposition d'esprit qui m'a poussée alors que je m'apprêtais à recycler la somme épargnée et le temps d'interstice qui me restait, dans quelques livres italiens (2), à faire un petit crochet vers une église voisine donnant depuis peu sur une rue devenue piétonne et où des enfants souvent jouent au ballon.

Les églises comme les cimetières ont ceci de réconfortants à leurs heures d'ouverture, qu'on peut s'y recueillir en paix, écluser en silence et au calme quelques chagrins, y encaisser nos douleurs d'être au monde sans inquiéter quiconque. En l'occurrence j'avais également deux mots à dire à Sainte Rita, qui a semble-t-il tenté à mon égard samedi soir un bon geste mais en me plaçant dans une situation inextricable et des apparences trompeuses et irréductibles, tel le pauvre jardinier à l'heure du crime et qui n'a pour alibi que les rosiers qu'il taillait. Les saintes Rita ne sont pas si répandues, j'espérais cependant attendrir l'une de ses collègues afin qu'elle intercède à supplier pour moi l'octroi d'une seconde chance prochaine que je saurais enfin employer afin que le futur de plusieurs d'entre nous soit plus harmonieux et ainsi utile aux autres. Sainte Cécile m'allait fort bien, je suis (vaguement) (un peu) musicienne aux heures perdues que je n'ai pas.

L'église était ouverte mais presque vide. Une femme priait assisse sur une chaise du milieu du transept ; un homme jeune agenouillé à l'orée d'une chapelle spécifique. Mes chaussures plates et sportives hélas faisaient sur le beau et vieux plancher un boucan d'enfer modulo crouic crouic, ce n'était pas l'endroit adéquat. Marcher sur la pointe des pieds ne changeait rien à mon handicap caoutchouteux. J'ai donc économisé mes pas en direction de Sainte Cécile, laquelle n'avait hélas plus une seule lueur d'espoir disponible à ses pieds, pas même un cierge cireux et pâle.

Je me suis donc contentée d'une station assise - crouic - à proximité - crouic crouic - et d'un Notre Père en néerlandais - silence -, puis j'ai calmement laissé la vague de chagrin venir, envahir, et pour partie passer.

Ce n'est qu'ensuite seulement qu'en levant des yeux asséchés vers l'extérieur du monde et l'intérieur des voutes, j'ai pu admirer la délicatesse des teintes murales comme en sont parfois en ces lieux préservées (3), traces que nos vieilles églises n'ont pas de tout temps porté l'austérité.

Puis je suis ressortie vite fait - crouic crouic crouic crouic crouic crouic - , j'avais trop tardé, j'étais en retard.

Finalement c'est au café accueillant où plus tard j'ai retrouvé quelques bons amis qu'une bougie fut allumée. Petit dieu des bouquins et des bons copains, de cette loupiote voudras-tu bien ?

   

(1) et ce n'est même pas réconfortant de constater qu'on n'est pas la seule personne dans ce cas.

(2) j'étais rue du faubourg Poissonnière côté Grand Rex, et La Libreria est juste au bout.

(3) c'est le cas dans l'une des chapelle de la remarquable "double" cathédrale de Coutances. Je n'y connais pas grand chose mais je pense qu'à Saint-Eugène Sainte-Cécile il s'agit d'une restauration récente réussie.

   

[photo : Eglise Saint-Eugène Sainte-Cécile 4 rue du conservatoire, 75009 Paris, porte d'entrée ; mai 2007]

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Un caffè ristretto

un midi, une cafétéria (1. récent, 2. moins mais les machines si)

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L'amie qui a partagé mon déjeuner est comme moi d'origine italienne. Il nous en reste quelques "séquelles", dont celle d'aimer le café fort.

A la cafétéria qui nous accueille ensuite, elle passe donc la commande en précisant à la serveuse :

- Deux cafés serrés s'il vous plaît.

La dame s'exécute, alors que nous poursuivons notre conversation. Avec les autres consommateurs, nous sommes en file indienne rang d'oignon le long d'un fin comptoir, ce qui nous place généralement côte à côte. De ce fait j'écoute mon amie tout en regardant distraitement la personne qui s'active à préparer nos breuvages.

Je prête attention aux paroles et non pas à ma vue. La succession des gestes familiers se fixe cependant sur l'écran encombré d'un coin de mon cerveau.

Nos cafés, un tout petit fond de tasse, serrés avons-nous dit, arrivent sur un plateau qu'on tend à l'amie (qui a probablement payé à mon insu alors que je l'écoutais). Elle le prend et le dépose sur une table voisine autour de laquelle nous nous installons.

C'est alors seulement, sans doute parce que durant cette dernière opération qui requerrait vigilance pour ne rien renverser, mon interlocutrice est restée silencieuse, que le petit film préalable de ce que j'avais observé se débobine. Je revois deux filets de café couler dans le vide de la plaque d'évacuation, un geste preste de la serveuse pour à peine auparavant écarter les tasses de la trajectoire juste, et son index droit encore plus tôt appuyant sans plus de manipulations ou précisions pré-requises sur la touche "Expresso" de la machine usuelle.

Des cafés dégustés, n'était serrée que la quantité. Nous en avons bien ri.

(s'en souvenir cependant pour la prochaine fois, inutile de payer à taux plein un demi-café)

[photo : ce que j'avais sous la main, on fera mieux la prochaine fois]


billet relu et (légèrement) corrigé le 14 février 2012

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Les bourgeois compatissants

vendredi 18 mai, au noir du soir, en sortant du théâtre de Chaillot

Vivelabourgeoisie_2 crédit photo : Pierre Cavard

Quand nous sortons du théâtre nous constatons qu'il a plu. Peut-être que c'était le cas à notre arrivée mais hâtifs et joyeux, nous n'en avions rien vu.

La foule est lente à s'écouler au sommet du grand escalier. Stéphanot avec la sveltesse de ses moins de 12 ans alourdis d'un simple manga pour le métro et qu'il tient à la main et ne lira pas (quand nous sommes ensemble, si la rame n'est pas trop bruyante, généralement nous bavardons), se glisse vers la droite où une seconde porte est ouverte en sortie du porche, mais qu'étrangement personne avant nous n'emprunte.

Il se trouve que cette voie est un peu humide, une flaque étendue quoique fort peu profonde la couvre en grande partie, rien d'insurmontable cependant à qui est normalement chaussé.

Le fiston qui a bien repéré que la clientèle de l'endroit ne ressemblait pas tout à fait à la population de notre chère banlieue, me confie alors sur un ton sentencieux :

- Les bourgeois compatissants n'aiment pas mouiller leurs chaussures.

Devant ma perplexité quant au "compatissants", parce que pour les chaussures quoi que n'étant pas bourgeoise je veux bien admettre l'utilité de les maintenir au sec, le voilà qui m'expose sa théorie de la bourgeoisie :

- Alors tu vois, il y a trois sortes de bourgeois, le bourgeois-bourgeois, le bourgeois compatissant et le bourgeois moyen. Le bourgeois-bourgeois, il s'en fout s'il mouille ses chaussures, soit il en rachète des neuves, soit il a un gouvernant (1) qui va les lui nettoyer à peine il sera rentré.

Le bourgeois compatissant, lui, il n'est pas trop dans la société de consommation, alors il préfère garder ses chaussures et puis il va pas non plus réveiller son gouvernant à minuit pour qu'il lui cire les pompes. Donc il fait gaffe à pas les mouiller, parce que comme c'est un bourgeois quand même, il voudra pas, le lendemain matin, aller en chaussures sales.

Le bourgeois moyen l'étant par définition et donc probablement peu digne d'intérêt, je n'ai pas su le sort qu'il réservait à ses pompes. Et comme entre temps nous étions dans la station Trocadéro, les semelles assez peu sèches, et que notre métro de prolétaires arrivait, je n'ai pas osé insister pour obtenir la théorie complète. Déjà comme ça, elle me convenait.

(1) On disait bien "une gouvernante" dans les livres d'antan pour jeunes filles de bonnes familles, pourquoi pas un gouvernant ?

[photo ultérieure : ce soir le chargement ne fonctionne pas (quel dommage elle était bien)]

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Petit cantique du quantique

vendredi 18 mai 2007, entre Laplace, Arcueil et Gentilly

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[billet non relu, mais pas encore tout à fait ça]

C'est une journée particulière, je le sais, je le savais, je m'y attendais. On ne va pas sans trembler saluer pour la dernière fois un bon copain, un fameux vieux pote qui déjà n'y est plus ou pas, mais pas dans nos pensées.

Il fait un temps parfait, le printemps à Paris sait faire son paradis. Quand il en veut ainsi.

Les jours d'avant, si froids, ce n'était pas le cas.

On dirait que pour l'ami, il a fait un effort.

Je connais mes faiblesses, j'avais tout préparé, l'adresse, comment m'y rendre, un rendez-vous consolateur après, et même quelques habits repassés, que le RER gratifiera obligeamment de quelques taches, afin que je ne cesse pas de me ressembler.

On se retrouve, on se rassemble, tout se passe au moins mal. Le signe parfait d'une vie réussie n'est pas dans les traces de pouvoir, les actions d'éclats, ou l'argent amassé, non et je l'ai sous les yeux ce matin. C'est quand un nombre impressionnant de chaque homme ou femme personnellement (1) croisé se déplace malgré tous les encombrements de nos vies modernes et vient saluer une dernière fois celui ou celle qui n'est plus là. Un proche l'exprime bien qui prenant la parole évoque la capacité de celui que nous pleurons à transformer une rencontre éphémère en amitié solide.

Je ne sais pas quand la porte parallèle s'est ouverte en moi, peut-être après un coup de fil bien réel reçu sur mon téléfonino alors que devant l'établissement où elle devait avoir lieue nous attendions le début de la cérémonie.

J'étais soudain déjà venue. Les paroles prononcées m'étaient familières, le choix des musiques déjà connu. Il devint difficile de faire le peu de gestes requis. Tu saisiras une rose. Tu la déposas sur le cercueil. Tu écris quelques mots tristes et sages sur un registre ouvert. Tu eus en cet instant la sensation de rédiger sous la dictée (mais de qui ?).

Tu téléphoneras au rendez-vous ultérieur. Tu avais salué les quelques personnes de ta connaissance déjà sorties en cet instant. Les conversations sont déjà tracées il faut les prononcer comme en écho étrange.

Tu ne devrais pas t'attarder, il est difficile de parler du passé avec des personnes qui sont dans le présent. Tu l'apprendras il y a 8 ans, un jour de février.

Le chat de Schrodinger m'empêche de trop flipper. Je me sais sensible aux dimensions du monde. Et mal arrimée à celles du temps. Longtemps après ma seconde mort, l'explication viendra.

Tu connais ce chemin jamais emprunté par coeur, prendras quelques photos afin de te raccrocher. Il fallut éviter d'arriver en retard au déjeuner. Ces immeubles te sont familiers.

Leurs silhouettes grises soudain me raccrochent. Oui je les connais, je les connais de photos de Robert Doisneau. Les images et certains mots me font tant d'effet que longtemps après ils me restent ; comme s'ils provenaient de ma propre histoire.

Plus loin d'ailleurs je verrai les panneaux annonçant une nouvelle exposition de ses travaux  et qui achèveront de me rassurer.  Et puis c'est sans doute tout simple, cette banlieue sud n'est pas sans similitudes avec la banlieue nord de ma lointaine enfance.Cimg4819 

Strates successives et anarchiques de constructions de tous types et époques, léger vallonement. Et ce temps (météo) des printemps d'antan. Mon sentiment de déjà-vu vient de là certainement.

Je pense à l'ami parti. Des séquences reviennent. Des rires en commun. L'ouverture d'un fût dans les chais à Ardbeg. Des images rassurantes quoi que désormais teintées de tristesse, venues tout droit du simple passé.

Le répit est de courte durée, je prends sans hésiter une rue qui monte, puis tourne à droite dans une avenue arborée. Et à nouveau je me décalque, présent - passé - lieux déjà traversés et pourtant, non jamais, pas que je sache. Il est troublant de se sentir à ce point vaciller pour excès de certitude, de douter car soudain on s'aperçoit qu'on connaît trop bien ce qu'on ne savait pas.

Je longe un stade. Il m'est familier. Les silhouettes aussi, qui s'entraînent à ne rien faire. Leur avenir semble tout tracé.

Et si ce n'était pas Doisneau ? Et si au lieu de photos il s'agissait de livres, d'un livre en particulier, lu pour partie avant qu'il ne paraisse (2) ? Je prends des photos pour vérification amicale ultérieure éventuelle.  Agir n'éloigne pas le chagrin du deuil mais me rassure pour un plus tard que soudain je rêve serein.

Dans un apaisement accablé, je parviens à mon rendez-vous à l'heure précise que j'avais indiquée en quittant le crématorium. Un avantage du "déjà-vu" c'est qu'on connaît le temps qu'on met.

   

(1) se méfier des effets trompeurs de la notoriété (beaucoup de monde, peu d'affection)
(2) comment ne pas être déphasée après ça ;-)

[photos : vendredi 18 mai 2007, les immeubles gris "de Doisneau" (c'est peut-être faux), puis la banlieue sud un peu comme au nord (entre Laplace,  Arcueil et Gentilly) ]

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On a le VAL qu'on peut (les dormeurs)

mercredi 16 mai 2007, around midnight, ligne 9

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Il se fait tard et le film vu m'a passablement secouée. Je m'y attendais pourtant.

J'ai bien un livre à lire, c'est par devoir et non pour loisirs. Il m'agace et m'irrite, alors je manque de courage pour l'ouvrir (en même temps j'ai hâte d'en être quitte).

Alors bien calée sur mon siège dans une rame presque déserte, pendant plusieurs stations seules deux jeunes filles qui se partagent silencieusement les cordons blancs d'un i-pod me tiennent compagnie, je somnole les yeux humides et lourds.

Les stations défilent. La plupart sont encore munies de ces sièges-bac oranges,plus pur style seventies et chasse aux clodos.

Hélas, priver de bancs ceux qui n'ont pas ou plus de lit, ne les empêche ni d'exister ni d'en avoir besoin. Je remarque ainsi vers Robespierre ou bien Maraîchers, un type qui dort, position foetale, plié à même le sol au pied d'une série de trois sièges brillants.

Je ne détourne même pas le regard, ammarinée que je suis à ma propre impuissance.

A peine plus tard, je ferme à nouveau les yeux, conservant en rétine quelques beaux graphs qui ont remplacé les éternels Dubo ... Dubon ... Dubonnet des zones sombres entre deux stations.

A la suivante à nouveau presque au même endroit et dans la même position que le collègue précédent, un pauvre type qui dort. Celui-là n'a même pas calé sa tête sur un vague linge ou paquetage, non, il en écrase à même le sol.  Je sais à quelle vitesse une vie peut sombrer, j'interroge son histoire. Mais il n'émet plus rien. Malgré les vitres sales et un peu de distance, j'entrevois une respiration ; et me rassure à peu de frais.

Allez, je tente quand même d'ouvrir le bouquin. Seulement je n'accroche rien. Le film me revient. Les idéalistes, courageux mais aux pieds d'argile. Et les sans-pitié toujours les mieux armés. A croire que le cynisme se sait périlleux et en péril qu'il préfère agresser pour vaincre.

Une station plus loin est équipée de bancs de bois, récents et élégants ; pour autant soigneusement entrecoupés de petits accoudoirs métalliques. Ceux des malheureux qui ont la bonne taille ont trouvé la parade, un des accoudoirs recouvert d'un manteau, d'un truc mou, d'un balluchon permet de poser la tête, le suivant peut-être franchit par le creux des genoux, une lampée de quoi qu'il reste et au lit.

Ils sont bien trois ou quatre dans cette station là, au moins hors-sol, jusqu'à la fermeture. Leur restant de nuit est bien mesuré. Ce métro est probablement l'avant-dernier.

Effet des beaux quartiers ou de rondes plus sévères, les stations d'après République sont dépourvues d'habitants, je n'y entrevois que quelques voyageurs plutôt rares que la fatigue du jour rend calmement patients.

Les deux jeunes filles descendent à Bonne Nouvelle en chantonnant joyeusement cet air qu'elles ont à l'oreille et dont j'ignore le nom. La bulle de joie de vivre qui les entouraient disparaît avec elles. J'ai l'impression de les connaître, mais de n'avoir jamais pu partager leur insouciance, y compris en mon temps d'avoir eu leur âge, sans doute rendue de naissance et circonstances trop vieille pour jamais mourir jeune.  Pict0003

Je replonge dans mon livre toxique, ne sachant plus quoi ni à qui penser.  En désespoir de toutes causes, autant travailler.

[photos : in situ, à quelques stations près]

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Croisements réconfortants

lundi 14 mai 2007, à Paris puis en (proche) banlieue

Pict00024 J'enrage tout ces jours d'être à ce point affaiblie que je ne peux lutter. Je saisis au vol quelques bribes de bonheur, comme qui sait qu'il aura faim ou soif je tente de faire durer jusqu'à la suivante et de traverser ainsi les jours.

A contre coeur mais puisqu'on l'a brisé, je me contrains à mettre le monde à distance, qui tourne si mal qu'il ne peut que m'enfoncer alors que déjà je tends à sombrer.  On s'est protégé de moi sans que j'en sache la cause ou si peu, par ricochet me voilà obligée de dresser à mon tour de misérables barrières. Pour la première fois j'éprouve une forme de colère sourde envers qui m'a mis hors d'état de défendre nos convictions partagées. Cette souffrance qui ne s'atténue guère a cette fois des conséquences qui en concernent d'autres. Je ne le supporte pas. C'est trop d'absurdité.

Je me sais solide combattante quand je reste moi-même. Pourquoi avoir fait de moi un fantôme quand la lutte nous était commune ? Au nom de quel égoïsme incompréhensible ?

Je n'ai pas choisi cette situation-là et deviens étrangère en mon propre pays.

Dans ces conditions chaque éclat d'espoir prend une force inouïe.

C'est une jeune femme. Elle attend quelqu'un adossée au mur d'un immeuble de bureau. C'est l'heure du déjeuner, son ami(e) ou sa collègue, ou peut-être plusieurs d'entre eux ne sauraient tarder. Pour autant, elle lit. Elle lit comme je lisais, dés la moindre minute.

A présent j'ai plutôt tendance à pleurer.

Je n'ai pas perdu l'oeil d'aigle, on m'a tout arraché fors ça et l'endurance à la nage. Rimbaud. Poèmes. Les illuminations. On se lit donc encore des poèmes dans la rue dehors en plein Paris et en pleine jeunesse. Ça me remettrait presque le coeur en marche ainsi que le rêve d'une connexion d'outre-tombe (prévenir au moins Arthur, qu'au XXIème siècle son travail compte encore, qu'il n'a pas tant souffert pour rien).

Elle est si absorbée dans son livre que je n'ose l'aborder.

Au même soir, dans mon quartier, je me hâte vers la piscine. Je suis en retard. Légèrement. Au bout de la rue une silhouette adolescente qui marche d'un bon pas quoiqu'un peu fatigué. 

Je me sens immédiatement rassurée par cette présence lointaine, sans trop savoir pourquoi. Nos pas nous rapprochent et alors malgré le gris chien-et-loup de la clarté du ciel (ou son absence de) je comprends : c'est Stéphanot qui revient de son propre entraînement.

Plus tard encore, à mon retour. Une silhouette désormais familière sur le pas de la porte d'un rez-de-chaussée voisin. Une jeune femme et qui fume.

Elle ne doit pas souhaiter déranger les siens et son logement donne sur la rue. Alors souvent elle se tient là, plus tout à fait chez elle, pas complètement dehors, sur le bord, à l'orée. Parfois quelqu'un avec elle discute.

Je ne connais d'elle que sa silhouette, le plus souvent à contre-jour d'un réverbère à peine plus loin.

Elle habite la nuit de notre avenue calme. Je n'ai pas hâte qu'elle s'arrête.

Notre rue est si belle surtout aux soirs de pluie. Henry ne l'aimait pas, mais moi si.

[photo : in situ puis floutée grainée]