dimanche 20 avril 2025, jardin d'une belle maison vers Melun
(version sans doute un peu provisoire mais pas le temps de relire, pour l'instant je dois filer)
(le début est ici)
crédit photo : Etienne Dupriez - avril 2007 -
Je souris face à la sagacité du petit bonhomme, mais ne réponds rien. J'aimerais qu'il lui reste quand il les retrouvera, une envie de poser la question à ses parents.
Il me confirme sans le savoir la justesse de mon silence, en regardant sa soeur d'un air entendu et moi d'un coin d'oeil provocateur (Ah c'est comme ça, tu ne veux rien dire, mais je saurai quand même, na !) :
- On demandera aux parents en rentrant.
Puis il revient à la charge quand de toutes façons je m'apprêtais à raconter :
- Et pour Papa, pour la photo, alors ? Comment tu peux savoir la date comme ça ?
Patiemment et en souriant, je reprends le fil du récit :
- Précisément parce que ce n'était pas un dimanche comme les autres. Ces élections dont je vous parlais elles étaient importantes, vous savez. Cinq ans avant, les gens avaient fait n'importe quoi. La politique ne les intéressait plus, ils étaient un peu tous déçus, persuadés que tout était joué alors beaucoup n'avaient pas voté, ou voté pour des petits partis. On s'était retrouvés au second tour avec un parti de haine et de dictature face à un autre qui ne représentait qu'une partie des tendances du pays. Bref on avait eu peur.
Je lis une foule de questions dans le regard de la petite, deuxième tour, dictature ... Son frère la fait taire d'un regard, mais j'y réponds malgré qu'elles restent muettes :
- La dictature c'est quand on perd la liberté de penser et de dire ce qu'on pense sous peine de se retrouver en prison. C'est par exemple quand les journaux, je veux dire les sites n'ont pas le droit de nous dire ce qu'ils savent où alors seulement une petite partie. Le second tour c'est parce qu'à l'époque le plus souvent un seul scrutin, je veux dire un seul vote ne permettait pas de départager les candidats. Alors on en faisait un premier, on gardait les deux pour qui les électeurs avaient le plus voter et 15 jours plus tard on votait pour l'un ou l'autre de ce choix restreint.
Là je vois que c'est le garçon qui s'apprête à me demander :
- Et si on n'aimait ni l'un ni l'autre ?
Mais comme il se retient, je passe moi aussi à la suite.
- Et donc ce dimanche là pour la première fois depuis très longtemps les gens étaient presque tous allé voter, ils l'avaient fait très sérieusement et en même temps un peu joyeux et anxieux (pour certains qui avaient peur que ça recommence), et je me souviens très très bien de cette ambiance là.
Comme justement on avait un peu tous peur, les amis que j'aimais bien et moi, on s'était retrouvés dans un Parc pour passer ensemble un morceau d'après-midi. Pas être tout seuls face à notre peur. C'était une bonne idée de mon amie Fulie.
Comme il faisait très très beau, j'avais un peu poussé Stéphanot à venir avec moi. Il aurait préféré rester jouer sur son ordinateur ou sa PS2.
Là, le petit-fils, technique :
- La PS2, mais pourtant en 2007, c'était déjà la 3 !
moi, doucement triste :
- Elle coûtait cher, on pouvait pas. Il se contentait de la 2.
Alors la fille de ma fille, silencieuse jusque-là, la photographie et la vie de son oncle ne l'intéressant guère intervient :
- Même si c'était la 3, c'était trop y a longtemps !
Puis comme si elle me faisait un cours :
- Tu sais Mamie, on en est à la 17 à présent.
Pour ne pas la décevoir, je prends un air vaguement admiratif et proteste comme à l'ordinaire :
- Pas Mamie, non, s'il te plaît. Soit Grand-Mère soit mon prénom.
Le petit-fils qui craint qu'on ne s'éloigne, et que son adolescente de cousine ne s'énerve, intervient :
- Et Papa, alors ? Il était venu avec toi ?
Je reprends rapidement :
- Oui mais il n'était pas content, il disait qu'il s'ennuyait, qu'on ne parlait que de nos blogs et des élections.
L'ado soudain admirative :
- Vous aviez des blogs ? Déjà ?
Je ne peux réprimer un petit sourire, cette ombre de fierté qu'on peut éprouver d'avoir été au bon endroit au bon moment, d'avoir vu la chance se présenter et su la saisir, puis profité pour contribuer à en faire quelque chose de bon pour les autres après soi :
- Et oui, ça avait commencé dans ces années-là. On était des pionniers en quelque sorte. Et encore je n'étais pas des tout premiers, j'avais dû attendre de pouvoir m'acheter un ordinateur à la maison, une connexion et tout.
Obstiné le petit-fils, recentre :
- Et donc Papa, il s'ennuyait ?
Patiente je reprends :
- Oui. Et comme j'avais sur moi deux appareils photos un moyen qui prenait des photos magiques et un petit pour tous les jours qui traînait toujours dans mon sac, je lui avais prêté le petit pour qu'il puisse s'occuper en attendant que nous repartions.
Ce n'était pas la première fois que je le lui passais. Sans être passionné, parce que sa passion à part les jeux et les mangas
La plus petite m'interrompt :
- C'est quoi les mangas ?
Son frère, un peu sec :
- Les BD, en fait. Les vieux ils disent comme ça.
Je proteste :
- A l'époque ça n'était pas tout à fait pareil. Les BD existaient d'avant, elles étaient différentes.
Mais comme je sens l'auditoire réticent, j'abandonne ma tentative de mise au point culturelle.
- Je disais qu'à part les jeux et les mangas, sa passion c'était la piscine. La photo à l'époque il aimait bien mais sans plus.
Alors ce jour-là sans bouger du coin où on était assis, des photos il en avait prises une vingtaine dont des portraits de moi, des amis qui étaient là et des enfants devant un manège et puis parmi elles une photo magique, un petit gars qui jouait au foot avec son père et faisait une tête juste à ce moment là. Il l'a pris au meilleur instant possible de la suspension, disait que c'était un coup de chance. Mais moi je sais que pas seulement, que c'est aussi une vitesse de lien entre l'oeil et la main et savoir anticiper sur le temps de déclenchement et que c'est comme pour les musiciens, on peut devenir très bons à force de travail sans avoir l'oreille absolue, mais si on l'a dés le départ, et qu'on l'accepte, tout le travail qu'il faut après pour en faire quelque chose, c'est qu'on a trouvé son chemin.
La plus petite me regarde avec des yeux ronds, elle n'a pas tout compris, et pourquoi soudain je leur parle de musique, l'adolescente sa cousine, s'applique à l'air ennuyé de qui entend radoter, et le garçon fier de son père a les yeux tout brillants. Je sais qu'il pense peut-être que moi aussi, je vais demander un appareil de grand, je veux aussi essayer, papa ne me prête pas les siens il a peur que je les abîme.
J'entends alors un son de cloche, celle de la grille du jardin sans doute. Wytejczk sans doute et enfin !
L'ado en décalage, tente de faire un effort de participation positive, peut-être aussi qu'après tout ça la tracasse de n'avoir pas tout à fait tout compris :
- C'est quoi Grand- Mère, l'oreille absolue ?
Tout en me levant pour filer ouvrir, je réponds en rigolant :
- Savoir par exemple que cette cloche émet un sol.
Elle lève les yeux au ciel et ne bouge pas d'un pouce. Ses cousins bondissent à ma suite. Ils connaissent un peu mon ami pour le voir de loin en loin et je crois que Stéphanot qui le fréquente depuis tout gosse et lui voue une belle affection leur a beaucoup parlé de lui, peut-être en lui attribuant une belle vie aventureuse car faite de multiples voyages, peut-être même une vie d'espion.
L'espion-explorateur est en tout cas bien arrivé au bout du fond lointain de la banlieue parisienne. Nous l'accueillons, joyeux.
- Tu la connais, toi, la photo de Papa, sa première, de quand il était petit ? lui demande le garçon à peine les bises échangées.
Je vois passer chez mon ami une once de surprise, très brève, on échange un regard de douce connivence mais qui me surprend, il s'en souvient donc ? Il l'avait reçue ?
- Oui très bien, ta grand-mère me l'avait envoyée le jour-même. Et je l'avais trouvée formidable.
[photo : LA photo prise par Stéphanot le dimanche 22 avril 2007 et que j'ai pieusement conservée]