Non sono capace di non pensare a lui
Par les pieds ?

La belle et fraîche embrouille

métro parisien, ligne 9, un de ces soirs après l'usine

 

Une seule place est libre, des 4 qui sont devant moi, je m'y installe et me jette dans le livre du jour (1). Ma voisine est en grande discussion avec celle d'en face. Prise aussitôt par ma lecture je ne leur prête d'abord guère attention mais apparemment une part indépendante de mon cerveau est parvenue à s'extraire de mes sillons habituels de fin de journée, et de l'accablement de savoir en très mauvaise passe quelqu'un que j'aime bien et a analysé sans que j'y prenne garde, "jeunes collègues et amies, conversation de fin de journée travaillée".

Pour l'heure je n'en ai aucune conscience, la mère du narrateur lutte contre la maladie, son père joue du piano pour lui apporter quelques minutes d'évasion et donc de soulagement, j'entends avec eu "une sonate de Prokofiev" puis "un adagio de Chopin".

Il faut un éclat de voix pour m'en sortir. La conversation paisible et en pur français de mes voisines est soudain en train de virer à l'aigre et leur langage de retrouver le feu de leur jeunesse.  Elles n'ont ni la bourgeoisie ni la mémèritude (Que vais-je faire ce soir à dîner ? Quel programme à la télé ?) bien ancrée.

D'abord navrée d'avoir été extirpée de Chopin, je m'amuse à comprendre qu'il s'agit d'une embrouille classique de filles, l'une accuse l'autre de propos à son égard qu'une troisième lui avait dit que celle-ci avait tenus. Difficile de faire plus classique fors l'amoureux chipé ou l'amant dans le placard et Ciel son mari.

L'accusée proteste : - Parce que tu crois qu'j'ai qu'ça a faire de bavasser sur toi ! Non mais tu t'prends pour quoi ?

et ma voisine, véhémente :

- Si c'est comme ça j'te calcule plus, tu m'prends trop la tête.

Son (ex-?)amie se drape alors dans un silence indigné et celle qui me côtoie sort un vague magazine.

Je m'étonne intérieurement d'un vocabulaire que mes enfants jugeraient démodé et me demande par ailleurs combien de stations il leur faudra pour se parler à nouveau, combien de jours si elles jugent l'offense grave. Les griefs exprimés, il est à parier que la réconciliation ne saurait vraiment tarder.

Le tueur d'amitiés est le silence pas l'engueulade. En gagnant la porte je pense à quelques-uns de mes chers disparus, non pas tant qu'ils soient morts qu'éloignés obscurément par nos vies, ou un propos malheureux que j'aurais pu leur tenir.

Grâce aux deux disputantes, je viens en effet de prendre conscience que sauf à respecter un strict anonymat, je ne parle pas des uns aux autres, à moins d'une information précise à transmettre, d'une gratitude extrême, d'une question directe qui me piège ou d'un cas que j'estime de force majeure (2). Ça ne m'aide pas à comprendre ma solitude présente, ça élimine soudain une cause possible d'éloignement à laquelle je n'avais jamais songé.

Un escalier plus tard, je retrouve Chopin et le calme surpeuplé de ma chère ligne 13.

   

Sans le bonjour d'Alfred.

 

(1) le très bien "Horowitz et mon père" d'Alexis Salatko que je lis pour Le livre de Poche

(2) une connaissance commune va mal et nécessite secours

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