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Instantanés de salon

Porte de Versailles, parc des expositions, mardi 27 mars 2007 et un brin des jours d'avant

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Je l’entends d’ici raconter aux petits-enfants qu’elle n’aura pas : « Il fut un temps où pour ma signature on attendait deux ou trois heures. Ils étaient gentils et patients. Canalisée par des barrières de sécurité, la file d’attente faisait le tour du stand, pourtant l’un des plus grands. D’une année à l’autre je les reconnaissais. ». Ils ne la croiront pas. Les livres seront ces vieux objets de papier qui prendront la poussière encore chez quelques vieux (pas tous). Et puis c’est bien connu, grand-mère, elle exagère. Elle a trop d’imagination et de jolis chapeaux.

 

Il est écrivain non sans succès, mais son métier, sa profession, c’est journaliste. Il n’a plus de journal (pour l’instant). Alors il est triste (très). J'aimerais tant être efficace à le réconforter. Mes peines profondes savonnent mes mots. Je ne peux aider que par ma ponctuelle et petite présence.

         

A m’a parlé du livre de C. B m’a parlé du livre de C. J’ai parlé à A de B et de ses livres. J’ai parlé à B de A et de ces livres. A, B et C se sont rencontrées sur un autre salon, un autre lieu de réunion. A et C ont récemment achetées leurs nouveaux livres respectifs le même jour à la même heure. A et B se lisent à présent. Je rencontre C et j’achète sa plus récente parution. Il était temps. (lire les livres écrit par quelqu’un qu'on aime bien serait donc bien une relation réflexive, symétrique et transitive, autrement dit une relation d’équivalence ; des maths le vocabulaire précis m’a toujours ravie).

            

Je rencontre sur le même stand trois personnes que j’avais déjà croisées ou connaissais mais séparément, dont l’une le matin même dans le tram T3. Certaines avaient de moi parlé déjà aux autres (mais pas forcément). La conjonction fut fort joyeuse. J’espère ne pas les avoir déçues. Je regrette de n’être qu’une et que celle-là mais suis du rire provoqué plutôt heureuse et fière.   

 

Au couple en face de lui et venu pour une dédicace, il évoque l’ANPE où il pointe désormais. La femme fait : - Oh, l’ANPE, puis cherche des yeux le regard de son homme, lequel esquive et baisse le sien. J’ai le coeur serré. Lui aussi, qui se dit « J’ai gaffé ». Cette société nous brise qui ne nous permet pas nos propres métiers.

         

On dirait du théâtre, tout s’enchaîne au plus mal. J’assiste à ta colère rentrée. La perfection du pire appelle le fou-rire. Je voudrais aider, ne sais plus le faire, crains de te fâcher pour toujours et à jamais, envie d’en pleurer. L’autre là-bas insiste. Je retiens toutes mes larmes et la tendresse que j’ai. Nous échangeons un regard. J’ai peur de le mouiller. Un dessin bref mais appliqué est fait pour une enfant vive et pourtant sage. Soudain tout s’arrange. Presque.
Qui suis-je encore ? Qui est restée ? Que reste-t-il ?

         

On l’a chargé de débarrasser les plateaux vides des repas passés. Il s’acquitte de sa tâche avec zèle. Et nous dérange à trois reprises dans nos conversations. On perd un peu le fil, à force.

         

Au premier jour on grelottait. Au dernier jour les gens étouffaient de chaleur. J’étais mieux au dernier, micro climat parfait pour mon gel intérieur.

Les paparazzi se déchaînent. Leur gibier fait bonne figure (s’y efforce en tout cas). Qui peut aimer la gloire fors les êtres de pouvoir ? La fausse chaleur des flashs, à l’heure de mourir, vous en souviendrez-vous ?

            

Soudain j’ai faim (mais ça coûte cher).

            

Il y a de la colère, il y a de la révolte. Des gens disent, crient, écrivent. Mais au fond, qui écoute ?

         

Les lecteurs sont des lectrices de 45 à 65 ans. Sous leurs ravalements elles semblent presque heureuses. D’être là en tout cas. Certaines ont l’air sympa, avenant ou énergique. D’autres sont trop semblables pour être de vraies vivantes. L’usure et les malheurs ou les vies vides ont eu raison d’elles. Peut-être que les livres sont leurs seuls compagnons. J’écrirai (aussi) pour ces soeurs aînées que la vie n’a pas gâtées et qui pourtant ne lâchent pas prise.

            

Je rencontre une femme remarquable. Je rêve de la revoir et qu’on se parle (longuement) et que je sois (enfin) moins bête (après). Elle n’aura pas le temps (forcément). Si j’étais journaliste, ça serait possible. (regrets).

      

Des compliments fusent au sujet d’une amie, d’un travail qu’elle a fait. J’exulte. C’est sincère car qui saurait (qu’en un coup de fil je peux cafter) ? Plus tard, par mail, je le ferai. C’est promis.

      

Le petit gars dans une allée soudain saigne du nez. Sa mère essuie, sans paniquer. Ils poursuivent leur chemin comme si de rien n’était. D’un peu loin, j’ai crains pour lui. Tandis qu’eux paraissent habitués.

       

Il me parle de Saint-Malo qu’il a quitté ses jours derniers. La tempête et sa beauté, dés lors qu’on n’est ni marin et ni en mer. On l’attend chez lui, là-bas. Il n’en dit rien mais à ses mots je le sais. Qui m’attend désormais ? Et où ça ?

   

Il interrompt soudain sa signature pour saluer affectueusement un vieux couple et une femme, cette dernière de son âge. Je la prends pour sa femme, puis me dis mais non, puis si quand même puis je comprends :
- Pardon dit-il à ses lecteurs, c’était mon ex-femme avec ses parents.
Je me dis Evidemment. Ceux qui attendaient ont l’air un peu surpris. Alors il ajoute, d’un ton calme, doux, sans regret, apaisé, simplement pour expliquer :
- C’est elle qui m’a quittée.
J’aime les gens qui savent aimer.

 

Il explique : je me droguais par haine des autres, de vous tous en fait (geste circulaire vers le public pas trop clairsemé, de ce débat parmi tant d’autres) et de moi-même. A présent, ça va. Je suis (même ?) content que vous soyez là. Plus tard il évoquera, mais sans pathos et seulement parce qu’on le lui demandait, la mort qu’il a frôlée. Je le savais avant qu’il n’en parle. Il avait lui aussi la douceur des revenants. Quel amour fut si fort qui l’a ainsi tiré de ses démons comme du néant ?

Je suis heureuse que nous trouvions du temps pour nous parler. Comme deux vieilles amies que je ressens nous sommes. Alors qu’en temps réel cela fait juste un an. Cet écart m’étonnera toujours. Je l’ai éprouvé avec tous ceux qui me sont devenus proches. Douloureusement j'ai appris à m’en méfier, car il n’est pas toujours partagé et quand il l’est trop bien, il peut effrayer. Le temps dans ma tête n’est pas celui des calendriers. Je sais parfois m’y déplacer, mais sans aucune maîtrise.

         

Une jeune et jolie femme vient le remercier pour un réconfort amical qu’il lui a offert il y a trois ou quatre ans sur leur lieu de travail, alors commun. Il ne s’en souvient pas avec précision, ce qu’elle comprend fort bien. Pour lui ce moment-là était un parmi d’autres, il y avait été lui-même, attentif à autrui, sensible, et tout prêt à aider, mais à ses yeux rien d’exceptionnel, un geste de réconfort, des paroles bienveillantes et qui allaient de soi. Pour elle un moment difficile qu’il avait permis de surmonter. Il est content, quoi qu’un peu surpris d’avoir été si utile. Elle est soulagée d’avoir pu remercier. Je sais ce qu’ils éprouvent. J’avais été moi aussi, ailleurs et l’an passé celle qu’on secoure par inadvertance. Les entendre me rassure sur la permanence d’une humanité. Sauvons-nous les uns les autres, si possible sans le faire exprès. C’est plus léger à porter.
Après.

          

Je rentre chez moi tard par T3 + 13 et j’avoue j’aime ça.

PS de 17 h 45 : Je m'aperçois que j'ai probablement emprunté son titre de billet à Inframnésie, j'espère qu'il ne m'en voudra pas, bien que nous soyons l'un comme l'autre de dangereux récidivistes du chassé-croisé (Aurions-nous certaines mêmes lectures et influences sous-terraines? :-) )

[photo : in situ ; pas cadrée comme je voulais, trop à droite, mais j'ai passé mon temps, ce salon durant, soit à mal cadrer soit à ne pas avoir de netteté]

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Brèves d'allées (non dallées)

en vrai c'est comme de la moquette

Hangar du livre, porte de Versailles, yesterday when all my troubles seemed so far away (air connu)

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La foule se presse encore plus au dimanche qu'au samedi. Je n'en savais rien, peu habituée ici à circuler mais plutôt à rester fixe, auprès d'un stand ou de salles de conférences.

Mais ce dimanche c'est différent, je passe voir un ami, sa femme et leur fiston, avoir le privilège immense d'être sa première dédicataire (?) pour son premier roman,

me faire vendre un livre pour mon plus grand bonheur (hé oui un seul, et en plus dans une collection poche), puis écouter quelqu'un que j'aime beaucoup, mais qu'on fait parler sur un sujet fort lointain de son bouquin et si j'étais heureuse de l'entendre quand les micros daignaient fonctionner et mes  voisins de passage se taisaient, j'ai terminé d'écouter sans avoir encore compris pourquoi sur ce thème précis on l'avait conviée.

Ensuite je dois retrouver une troisième personne, rencontre quelqu'un d'autre par hasard d'allée, en rejoins in extremis une quatrième qui faisait des heures sup., n'ose pas saluer un cinquième assailli par ses admirateurs.

Bref, au lieu de rester fort sagement à m'instruire au sujet de l'Inde où je n'aurais sans doute jamais les moyens d'aller, j'arpente stupidement des allées surchargées.

En arpentant, j'esquive des coups, j'en reçois d'autres, j'écrase quelques pieds, me les fais écraser, et puis j'entends. Florilège (ce qu'il en reste 24 heures après) :

- Y a au moins vingt pour cent des gens qui savent pas lire qui sont là. (sic) (un homme pas tout jeune à un autre qui l'accompagne et qui, philosophe, lui répond : )

- Ben p'têt qu'y viennent pour apprendre.

- Vendredi y avait personne, c'était génial (une connaisseuse qui aime la solitude).

- Le fils de Serge Lama, il est illusionniste (une femme, péremptoire et fière de son info. à une autre plus jeune qui ne réagit pas (à mon avis elle s'en fout autant que moi), mais la première attribuant l'indifférence à de l'incompréhension, insiste :)

- Magicien, quoi.

Plus tard :

- Une famille d'artistes.

A l'issu de la journée, j'entends enfin un auteur indien, passionnant dans ses propos et fort bien interviewé. L'instant mérité.

[photo : une allée à l'heure des arpèges indiens]

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Telle Saint Louis sous son chêne

hangar parisien rempli de bouquins et d'êtres humains une fois par an au moins, ces jours-ci

La première fois que je l'ai croisée, j'étais affalée sur le fauteuil voisin, reposant mes vieilles jambes et goûtant un bouquin. Pour me faire de la place, une jeune femme préalablement assise là où j'étais à présent, s'était déplacée vers elle, fort civilement. Tout le monde n'agit pas comme certaines banlieusardes de l'ouest, heureusement.

C'était une vieille dame souriante, bien calée dans le siège, une canne à portée de main et qui parlait à ma voisine.

Elles étaient l'une et l'autre en grande joyeuse conversation. Je les ai crues parentes, ou bien amies, n'y prenant pas garde plus que ça (le livre était trop bien et me faisait marrer).

Plus tard dans l'après-midi, venant écouter non loin de là un débat sur le polar, je suis revenue un instant me poser.

Elle était toujours là, semblant n'avoir pas bougé, et toujours en grande conversation, souriante et animée.

Mais son interlocutrice, au lieu d'être brune, cette fois était blonde.

Elle aura probablement passé un fort intéressant salon, rencontrant plus de monde qu'elle ne l'aurait fait en bougeant, accordant conseils de lecture et considérations avisées à qui à l'occasion venait là lui parler.

Je ne sais pas qui elle est. Mais autour d'elle l'atmosphère était bonne et calme. Sa présence contribuait.

Aujourd'hui je passerai voir si elle est toujours là.

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Ce qu'on ne peut pas faire sur la ligne 13

Entre porte de Vanves et je crois Montparnasse, ligne 13 ce soir tard même

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Sur la ligne 13 on peut discuter avec son voisin inconnu (plus facilement que sur une autre, je crois avoir remarqué), insulter et se faire insulter ou frapper, probablement voler (compte tenu de l'entassement ordinaire les pickpockets s'en donnent sans doute à coeur joie), concasser (aux heures de pointe), épuiser d'impatience (quand la branche vers laquelle on va n'est jamais la bonne par rapport au métro qui arrive).

En revanche, il y est pratiquement impossible de pleurer.

Il faut toujours que quelqu'un s'efforce de vous en empêcher.

Pourtant ce soir nous étions peu. Montée non loin du terminus, j'avais, fait exceptionnel que j'étais bien incapable de savourer, les 6 sièges d'extrémité de rame pour moi toute seule. Je n'ai même pas eu conscience de me laisser aller, plongée dans un abîme de perplexité ou plutôt devenue cet abîme à force de ne plus rien comprendre à rien, je pleurais. C'était très calme très silencieux, juste le chagrin (1) qui s'égouttait, pas moyen de faire l'économie de cette humaine humidité.

C'est alors que le type monté à la dernière station s'est avancé vers mon coin. J'ai bien perçu même sans le voir, qu'il marquait un temps d'arrêt en voyant mon état liquide, culturellement (plus que physiquement ?) les hommes sont désemparés face aux larmes.

Plutôt que d'essuyer, ce qui dépassait mes forces en présence, je m'efforçais de me rendre transparente, invisible (beaucoup plus facile, comme chacun sait). Les roues crissaient épouvantablement comme elles ne savent faire que sur cette ligne et puis la 7.

Ça lui a donné L'Idée. Je l'ai même entendu penser, très fort, je crois

- Je sais, je vais lui demander pour les fenêtres.

- Pardon madame, a-t-il alors soigneusement articulé afin que malgré mon état supposé je comprenne tout bien, est-ce que ça vous dérange si je ferme les fenêtres ?

Il avait gagné, j'ai dit Non, bien sûr, d'autant que j'avais froid, l'ai aidé à rabattre celle de mon côté  et la fuite d'eau oculaire s'est instantanément tarie. Satisfait, il s'est installé en diagonale opposée face, comme le font les gens polis quand l'espace libre y est, tandis que j'ouvrais un de mes livres au hasard. Jusqu'à la station où il descendait, j'ai senti que par instant son regard m'effleurait. Cet inconnu veillait qui s'est éclipsé en silence, probablement rassuré sur le sort de la voyageuse accablée que j'avais incarnée.

(1) croisé  Wytejczk dans un hangar où il travaillait mais où j'étais en fait venu soutenir quelqu'un d'autre sans savoir qu'il s'y trouverait, échangé trois mots d'apparence fort civils, sauf que j'ai cru avoir en face de moi mon vieux grand-père normand visité à l'hospice, tout poli et souriant d'avoir de la visite, soulagé de s'être souvenu de nos prénoms, mais ne sachant visiblement plus à quel passé nous rattacher, lisse comme une savonnette sans conversation possible. Un pur échange de méthode de langues. Jusqu'à sa voix qui n'était plus sienne, mais sa version aéroportine, quoi qu'en français. Que nous lui est-il arrivé ?

[photo : La mort dans l'âme, cimetière des Batignolles, 29 décembre 2006, métro Porte de Clichy]


Jamais sans elle

Hangar parisien plein de bouquins et peu chauffé, aujourd'hui même

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  Trop contente d'avoir enfin pu me procurer un des bouquins dont je guettais la sortie, qu'on m'avait annoncée lointaine et qui finalement était disponible ici, je me précipite vers un grand fauteuil blanc, pas exactement confortable mais au mérite d'être existant.

Sur l'un des sièges voisin deux jeunes gaillards de l'âge de mon Stéphanot. Et qui attendent.

L'un enfoncé assis, l'autre à demi perché stoïque, sur l'accoudoir.

Ils attendent des filles, leurs amies ou peut-être leurs soeurs. Soupirs.

- Elles font chier les filles, pourquoi elles arrivent pas ?

- Je sais pas, allez, on attend jusqu'à 14 heures.

- Et puis après, quoi ? On fait quoi si elles viennent pas ?

Haussement d'épaule du premier gars  :

- Ben je sais pas, moi, on y va.

Silence. Aussi peu convaincu de part que d'autre.  Après un soupir d'impuissance :

- Ah, si j'avais un téléphone portable !

Silence encore. Association d'idées. L'enfoncé confortable au creux du fauteuil reprend :

- Tu pourrais vivre, toi, sans télé ?

L'autre sérieux et comme s'il y avait maintes fois pensé :

- Je crois pas, c'est comme une drogue. Je pourrais pas m'en passer.

Le premier, après réflexion :

- Moi, ça dépend. Si je pouvais voir mes séries par ailleurs, ça irait. Tu sais, dans ma classe, il y a un gars chez lui il a pas la télé.

- Ah bon ? répond le second, incrédule.

- Il s'appelle Thomas, ajoute le copain comme si le prénom constituait en lui-même une explication.

En fait c'est sa mère, la télé elle en veut pas.

Puis, après un silence songeur, sans doute à cause d'une potentialité de cause à effet :

- C'est le premier de la classe.

Péremptoire, l'autre répond :

- Moi, ch'pourrais pas.

Avant que mon livre ne me rattrape, j'ai le temps de me demander s'il s'agissait de se passer de télé ou d'être le premier. Ça ne dure pas, je lis avec délectation et puis les filles arrivent. Les deux garçons, bonnes pâtes, ne maugréent même pas.

[photo in situ, enfin pas bien loin]

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Par les pieds ?

un midi d'usine, aux alentours de la cantine

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C'est le printemps.

Je sors du bâtiment où j'étais au travail et me sens saisie par un souffle glacé. A vouloir me vêtir trop sexy, je ne dois pas être assez couverte (un tee-shirt échancré, mi-chemin entre le damart et le marcel, un chemisier de solide coton, une veste très épaisse à l'allure militaire d'opéra (1), un imperméable usé à la chaude doublure, des mitaines, un bonnet, des Doc Marteen's mais pas celles qu'on croit, un pantalon vert d'hiver).

Comme l'écrivait ces jours-ci si bien Alexgallardo :

"Para ser el primer dia de la Primavera, hoy hace un frio que no tuvimos ni durante el invierno." (2)

C'est alors que je tombe ou peu s'en faut, sur un homme en tee-shirt et l'air parfaitement à l'aise, malgré la température et un carton lourd qu'il porte dans les bras.

Je l'envie et ne l'envie pas, mais pour les deux éléments me demande de la même façon :

- Comment fait-il ?

Apparaît soudain dans mon champ de vision un homme légèrement plus âgé et sérieusement mieux couvert qui pousse jusqu'au bord du trottoir un haut chariot à roulettes. Ils sont en pleine livraison, miraculeusement épargnés par la traditionnelle file de véhicules bloqués et klaxonnants.

Des deux celui-là est le chef, qui le prouve en tonnant :

- Prends donc le temps d'aller passer un truc, tu vas attraper la mort.

Touchée par tant de sollicitude, je me demande à nouveau comment, mais différemment.

(1) normal, c'est un surplus qui en vient.

(2) Traou, c'est pour toi que je laisse la V.O.

[photo : in situ, peu après]


La belle et fraîche embrouille

métro parisien, ligne 9, un de ces soirs après l'usine

 

Une seule place est libre, des 4 qui sont devant moi, je m'y installe et me jette dans le livre du jour (1). Ma voisine est en grande discussion avec celle d'en face. Prise aussitôt par ma lecture je ne leur prête d'abord guère attention mais apparemment une part indépendante de mon cerveau est parvenue à s'extraire de mes sillons habituels de fin de journée, et de l'accablement de savoir en très mauvaise passe quelqu'un que j'aime bien et a analysé sans que j'y prenne garde, "jeunes collègues et amies, conversation de fin de journée travaillée".

Pour l'heure je n'en ai aucune conscience, la mère du narrateur lutte contre la maladie, son père joue du piano pour lui apporter quelques minutes d'évasion et donc de soulagement, j'entends avec eu "une sonate de Prokofiev" puis "un adagio de Chopin".

Il faut un éclat de voix pour m'en sortir. La conversation paisible et en pur français de mes voisines est soudain en train de virer à l'aigre et leur langage de retrouver le feu de leur jeunesse.  Elles n'ont ni la bourgeoisie ni la mémèritude (Que vais-je faire ce soir à dîner ? Quel programme à la télé ?) bien ancrée.

D'abord navrée d'avoir été extirpée de Chopin, je m'amuse à comprendre qu'il s'agit d'une embrouille classique de filles, l'une accuse l'autre de propos à son égard qu'une troisième lui avait dit que celle-ci avait tenus. Difficile de faire plus classique fors l'amoureux chipé ou l'amant dans le placard et Ciel son mari.

L'accusée proteste : - Parce que tu crois qu'j'ai qu'ça a faire de bavasser sur toi ! Non mais tu t'prends pour quoi ?

et ma voisine, véhémente :

- Si c'est comme ça j'te calcule plus, tu m'prends trop la tête.

Son (ex-?)amie se drape alors dans un silence indigné et celle qui me côtoie sort un vague magazine.

Je m'étonne intérieurement d'un vocabulaire que mes enfants jugeraient démodé et me demande par ailleurs combien de stations il leur faudra pour se parler à nouveau, combien de jours si elles jugent l'offense grave. Les griefs exprimés, il est à parier que la réconciliation ne saurait vraiment tarder.

Le tueur d'amitiés est le silence pas l'engueulade. En gagnant la porte je pense à quelques-uns de mes chers disparus, non pas tant qu'ils soient morts qu'éloignés obscurément par nos vies, ou un propos malheureux que j'aurais pu leur tenir.

Grâce aux deux disputantes, je viens en effet de prendre conscience que sauf à respecter un strict anonymat, je ne parle pas des uns aux autres, à moins d'une information précise à transmettre, d'une gratitude extrême, d'une question directe qui me piège ou d'un cas que j'estime de force majeure (2). Ça ne m'aide pas à comprendre ma solitude présente, ça élimine soudain une cause possible d'éloignement à laquelle je n'avais jamais songé.

Un escalier plus tard, je retrouve Chopin et le calme surpeuplé de ma chère ligne 13.

   

Sans le bonjour d'Alfred.

 

(1) le très bien "Horowitz et mon père" d'Alexis Salatko que je lis pour Le livre de Poche

(2) une connaissance commune va mal et nécessite secours


Non sono capace di non pensare a lui

lundi 19 mars 2007, Clichy-la-Garenne

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Ma soeur d’origine est quelqu’un de bien.      

Eût-elle été parisienne qu’elle aurait connu ce soir le bonheur de voir en une d’un gratuit vespéral, le portrait d’une de ses vieilles connaissances, un copain de lycée, talentueux et travailleur. Il y parlait j’imagine, de sport et peut-être politique, je n’ai pas su happer le journal à fortiori lire l’article. Un des rares sportifs de haut niveau que j’ai du mal à soupçonner de tricheries physiques plus ou moins légales, je le dis sans ironie, c’est Stéphane Diagana.

      

Je suis moins fréquentable.

      

Ce même matin c’était mon tour de voir piétiner en grande une d’un gratuit quelqu’un que je connais. Je ne saurais prétendre que nous soyons amis, nous nous sommes aux temps calmes causé(s?) littérature sur l’internet (1), puis croisés à un salon du livre, et ensuite revus à deux ou trois reprises lors de rassemblements destinés à le soutenir alors qu’il était menacé d’extradition vers l’Italie.

Je n’ai aucun capital de notoriété, ni capital tout court, et tout ce que je peux raconter ne contribuera au mieux qu’à m’attirer quelques ennuis, je ne suis pas à ça près, dans ma petite vie aux fins de mois précoces.

Quand j’ai pris sa défense parmi tant d’autres il y a deux ans, argumentant alors inlassablement sur la parole d’un pays d’accueil qu’on retirait soudain, sur la contumace italienne si rigide, sur l’efficacité perverse du système des « repentis » de la justice de mon autre pays qui peut certes permettre le démantèlement de réseaux mafieux (2) mais présente toutes les garanties d’allégations les plus créatives de la part de ceux qu’on pousse ainsi à la délation non sans arguments physiquement convainquants, et sur la vie paisible et sans danger pour ses concitoyens que l’homme, quelles que soient les accusations qui pesaient sur lui depuis 20 à 30 ans plus tôt, menait à présent, j’ai perdu quelques amis.

Non pas tant ceux qui n’étaient pas d’accord, je conçois très bien que n’ayant pas le même passé que le mien, ni la culture des deux pays, ni la même sensibilité on ne partage pas les mêmes convictions, que ceux qui ont fui toute discussion en se mettant aux abonnés absents.

Non contente d’être passablement gauchiste quoiqu’en dehors des clous (aucun parti ne m’a jamais vraiment convaincue, trop catégoriques, trop utopistes à mes yeux, ou bien trop compromis), féministe comme on n’en fait plus, et écologiste molle (3), voilà que je défendais un terroriste assassin, c’en était trop. Je suppose qu’en me voyant à peine un an après me débattre avec quelques autres pour qu’on n’oublie pas deux otages en Irak, dont l’un n’était même pas français et l’autre d’un journal au gauchisme alors avéré, ceux-là se sont dit qu’ils avaient bien fait de me mettre à distance, elle avait qu’à pas y aller.      

   

Peut-on changer ?

       

J’ai beau me dire depuis hier soir, depuis que j’ai reçu, tardivement, l’info après une si belle journée, trop intense pour trouver le moindre temps de suivre l’actualité, que je ne peux pas faire grand chose, que je suis par ailleurs et pour l’instant trop fragile en moi-même, trop esquintée par plus d’une année de profond désarroi personnel, pour pouvoir aider qui que se soit, je pense à Cesare Battisti.

Devenu jouet d’ambitions politiques diverses et variées, enjeu de négociations entre plusieurs nations, alors qu’il n’est qu’un type qui demandait à finir calme auprès de sa famille en assumant son gagne-pain et son boulot d’écrire, ce qu’il fait plutôt bien.    

         

Je ne sais pas prier, ça manque de dieux dans ma tête, je sais juste écrire ici un billet. Fâchez-vous si vous voulez, mais moi, cet homme, si peu que je sois, si coincée dans ma banlieue, je le laisse pas tomber, et je pense à lui et aux siens avec tendresse et affection. Qu'on lui accorde au moins une chance d'être rejugé.

         

(1) rencontre virtuelle initialement effectuée pour le site Mauvais Genres, à présent fermé, et repris pour partie sur le tout nouveau site bibliosurf.

(2) généralement au profit d’un ou plusieurs autres, ne rêvons pas.

(3) en gros je veux bien trier mes déchets, limiter mes utilisations de produits, entre autre lessiviers polluants, prendre prétexte d’une économie d’énergie pour ne plus faire le repassage ;-) , me passer le plus possible d’utiliser une voiture, éviter en toutes choses la surconsommation mais je sais que j’aurais du mal à réduire l’usage de l’ordinateur et de l’internet qui sont mes outils de vie et de travail et à acheter moins de livres.

[photo : gare Satin Lazare, ce matin]


En attendant un autobus

pas tout près mais peu importe

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Sandrine : - Pas trop creuvant ton voyage ?

Eric : - Non, ça va, c'était pas mal en fait. Le rugby, quand t'es partie de la maison, ils en étaient où en fait ?

Sandrine : - Comment veux-tu que je sache, je regardais pas le rugby, moi. [faisant un effort pour s'intéresser ]Mais pourquoi, y a un match ?

Eric, un peu las : - Ben oui, c'est le tournoi des six nations, peut-être la France elle va gagner.

J'avais pas pensé quand ils m'ont dit un train ce matin, j'aurais dû demander une résa pour hier soir.

Sandrine : - Ça aurait peut-être fait tard, non ?

Eric, pas convaincu : - Ouais mais comme ça j'aurais vu le match.

Sandrine pense Et puis on aurait pu être ensemble cette nuit, au lieu de tous seuls. Mais comme il n'ajoute rien, elle non plus.

Après un silence comme ça.

Eric : - T'as prévu quoi pour ce soir ? [il est évident qu'il parle de manger]

Le bus arrive. La réponse se perd.

[photo prise de loin, je ne sais qui ils sont, ni ce qu'ils se disaient - Grenoble, samedi 17 mars 2007, vers le centre ville ; je pense qu'elle est assez floue pour préserver l'anonymat, j'espère ne pas me tromper]

PS : toute ressemblance avec un Eric que je connais en vrai ne peut être liée qu'au prénom (lequel a été choisi ici par fréquence d'attribution / âge)

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La belle mort de Lucie Bernard

   

vendredi 16 mars 2007, à l'heure du déjeuner

 

Ne regardant plus la télé, sauf (é)mission particulière, écoutant peu la radio depuis qu'un ami avait dû quitter celle qui l'employait, pas si connectée qu'on pourrait le croire (je bouge beaucoup mes jours de liberté et les journées d'usine je suis coupée du monde), il m'arrive encore d'avoir ce privilège d'apprendre par le papier la mort de ceux que j'admire.

Pour les mauvaises nouvelles, l'encre et la feuille font moins mal. On peut pressentir au titre que ça va mal tourner, se recueillir avant de poursuivre, s'acclimater à l'idée, mettre le journal ou la lettre de côté avant d'y retourner courage reconstitué.

La voix humaine est, elle, impitoyable qui avance dans ce qu'elle assène, se préoccupant d'autant moins des effets induits qu'elle est médiatisée et qu'il ne s'agit pas de quelqu'un qui en présence nous parle.

J'ai donc eu cette sorte d'étrange chance concernant Lucie Bernard (1) et que j'admirais depuis longtemps comme je le fais rarement des gens. La vie m'a en effet acclimatée aux meilleurs abandons et faiblesses des plus forts. Sur la durée personne ne tient la confiance bien longtemps. Nos talons d'Achille, dés lors qu'atteints, nous font boîter et nos imperfections font souffrir ceux qui nous aiment.

Mais elle, bien que connue de moi uniquement par le prisme déformant des médias, ne m'a jamais déçue. Militante inlassable. Son bonhomme de chemin. Sa route auprès des autres. La discrétion sauf quand il fallait l'oublier afin de se faire entendre.

Alexgallardo le dit mieux que moi, photo à l'appui.

Quelqu'un avait laissé un journal dans le métro, j'ai pris sa place et son ancienne lecture, une photo de Lucie jeune et sans même avoir lu j'ai compris. Je savais son grand âge  et son implication à témoigner jusqu'à très tard. Je savais qu'une actrice que j'aime avait failli l'incarner à l'écran, j'en parlais un peu avant-hier.

Depuis l'instant où j'ai appris que pour Lucie Aubrac tout était fini mais en son âge, au vrai bout d'une vie, je pense à elle, au courage que pour moi elle incarne si fort. A la ténacité pour tous les temps d'après, pas nécessairement ceux des hauts faits, mais ceux du quotidien et de la transmission.

"Mi homenaje" anch'io. Merci madame Aubrac, merci pour ceux qui suivent.

(1) dite Lucie Aubrac

Un beau billet en hommage également chez Pierre Assouline

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