Instantanés de salon
28 mars 2007
Porte de Versailles, parc des expositions, mardi 27 mars 2007 et un brin des jours d'avant
Je l’entends d’ici raconter aux petits-enfants qu’elle n’aura pas : « Il fut un temps où pour ma signature on attendait deux ou trois heures. Ils étaient gentils et patients. Canalisée par des barrières de sécurité, la file d’attente faisait le tour du stand, pourtant l’un des plus grands. D’une année à l’autre je les reconnaissais. ». Ils ne la croiront pas. Les livres seront ces vieux objets de papier qui prendront la poussière encore chez quelques vieux (pas tous). Et puis c’est bien connu, grand-mère, elle exagère. Elle a trop d’imagination et de jolis chapeaux.
Il est écrivain non sans succès, mais son métier, sa profession, c’est journaliste. Il n’a plus de journal (pour l’instant). Alors il est triste (très). J'aimerais tant être efficace à le réconforter. Mes peines profondes savonnent mes mots. Je ne peux aider que par ma ponctuelle et petite présence.
A m’a parlé du livre de C. B m’a parlé du livre de C. J’ai parlé à A de B et de ses livres. J’ai parlé à B de A et de ces livres. A, B et C se sont rencontrées sur un autre salon, un autre lieu de réunion. A et C ont récemment achetées leurs nouveaux livres respectifs le même jour à la même heure. A et B se lisent à présent. Je rencontre C et j’achète sa plus récente parution. Il était temps. (lire les livres écrit par quelqu’un qu'on aime bien serait donc bien une relation réflexive, symétrique et transitive, autrement dit une relation d’équivalence ; des maths le vocabulaire précis m’a toujours ravie).
Je rencontre sur le même stand trois personnes que j’avais déjà croisées ou connaissais mais séparément, dont l’une le matin même dans le tram T3. Certaines avaient de moi parlé déjà aux autres (mais pas forcément). La conjonction fut fort joyeuse. J’espère ne pas les avoir déçues. Je regrette de n’être qu’une et que celle-là mais suis du rire provoqué plutôt heureuse et fière.
Au couple en face de lui et venu pour une dédicace, il évoque l’ANPE où il pointe désormais. La femme fait : - Oh, l’ANPE, puis cherche des yeux le regard de son homme, lequel esquive et baisse le sien. J’ai le coeur serré. Lui aussi, qui se dit « J’ai gaffé ». Cette société nous brise qui ne nous permet pas nos propres métiers.
On dirait du théâtre, tout s’enchaîne au plus mal. J’assiste à ta colère rentrée. La perfection du pire appelle le fou-rire. Je voudrais aider, ne sais plus le faire, crains de te fâcher pour toujours et à jamais, envie d’en pleurer. L’autre là-bas insiste. Je retiens toutes mes larmes et la tendresse que j’ai. Nous échangeons un regard. J’ai peur de le mouiller. Un dessin bref mais appliqué est fait pour une enfant vive et pourtant sage. Soudain tout s’arrange. Presque.
Qui suis-je encore ? Qui est restée ? Que reste-t-il ?
On l’a chargé de débarrasser les plateaux vides des repas passés. Il s’acquitte de sa tâche avec zèle. Et nous dérange à trois reprises dans nos conversations. On perd un peu le fil, à force.
Au premier jour on grelottait. Au dernier jour les gens étouffaient de chaleur. J’étais mieux au dernier, micro climat parfait pour mon gel intérieur.
Les paparazzi se déchaînent. Leur gibier fait bonne figure (s’y efforce en tout cas). Qui peut aimer la gloire fors les êtres de pouvoir ? La fausse chaleur des flashs, à l’heure de mourir, vous en souviendrez-vous ?
Soudain j’ai faim (mais ça coûte cher).
Il y a de la colère, il y a de la révolte. Des gens disent, crient, écrivent. Mais au fond, qui écoute ?
Les lecteurs sont des lectrices de 45 à 65 ans. Sous leurs ravalements elles semblent presque heureuses. D’être là en tout cas. Certaines ont l’air sympa, avenant ou énergique. D’autres sont trop semblables pour être de vraies vivantes. L’usure et les malheurs ou les vies vides ont eu raison d’elles. Peut-être que les livres sont leurs seuls compagnons. J’écrirai (aussi) pour ces soeurs aînées que la vie n’a pas gâtées et qui pourtant ne lâchent pas prise.
Je rencontre une femme remarquable. Je rêve de la revoir et qu’on se parle (longuement) et que je sois (enfin) moins bête (après). Elle n’aura pas le temps (forcément). Si j’étais journaliste, ça serait possible. (regrets).
Des compliments fusent au sujet d’une amie, d’un travail qu’elle a fait. J’exulte. C’est sincère car qui saurait (qu’en un coup de fil je peux cafter) ? Plus tard, par mail, je le ferai. C’est promis.
Le petit gars dans une allée soudain saigne du nez. Sa mère essuie, sans paniquer. Ils poursuivent leur chemin comme si de rien n’était. D’un peu loin, j’ai crains pour lui. Tandis qu’eux paraissent habitués.
Il me parle de Saint-Malo qu’il a quitté ses jours derniers. La tempête et sa beauté, dés lors qu’on n’est ni marin et ni en mer. On l’attend chez lui, là-bas. Il n’en dit rien mais à ses mots je le sais. Qui m’attend désormais ? Et où ça ?
Il interrompt soudain sa signature pour saluer affectueusement un vieux couple et une femme, cette dernière de son âge. Je la prends pour sa femme, puis me dis mais non, puis si quand même puis je comprends :
- Pardon dit-il à ses lecteurs, c’était mon ex-femme avec ses parents.
Je me dis Evidemment. Ceux qui attendaient ont l’air un peu surpris. Alors il ajoute, d’un ton calme, doux, sans regret, apaisé, simplement pour expliquer :
- C’est elle qui m’a quittée.
J’aime les gens qui savent aimer.
Il explique : je me droguais par haine des autres, de vous tous en fait (geste circulaire vers le public pas trop clairsemé, de ce débat parmi tant d’autres) et de moi-même. A présent, ça va. Je suis (même ?) content que vous soyez là. Plus tard il évoquera, mais sans pathos et seulement parce qu’on le lui demandait, la mort qu’il a frôlée. Je le savais avant qu’il n’en parle. Il avait lui aussi la douceur des revenants. Quel amour fut si fort qui l’a ainsi tiré de ses démons comme du néant ?
Je suis heureuse que nous trouvions du temps pour nous parler. Comme deux vieilles amies que je ressens nous sommes. Alors qu’en temps réel cela fait juste un an. Cet écart m’étonnera toujours. Je l’ai éprouvé avec tous ceux qui me sont devenus proches. Douloureusement j'ai appris à m’en méfier, car il n’est pas toujours partagé et quand il l’est trop bien, il peut effrayer. Le temps dans ma tête n’est pas celui des calendriers. Je sais parfois m’y déplacer, mais sans aucune maîtrise.
Une jeune et jolie femme vient le remercier pour un réconfort amical qu’il lui a offert il y a trois ou quatre ans sur leur lieu de travail, alors commun. Il ne s’en souvient pas avec précision, ce qu’elle comprend fort bien. Pour lui ce moment-là était un parmi d’autres, il y avait été lui-même, attentif à autrui, sensible, et tout prêt à aider, mais à ses yeux rien d’exceptionnel, un geste de réconfort, des paroles bienveillantes et qui allaient de soi. Pour elle un moment difficile qu’il avait permis de surmonter. Il est content, quoi qu’un peu surpris d’avoir été si utile. Elle est soulagée d’avoir pu remercier. Je sais ce qu’ils éprouvent. J’avais été moi aussi, ailleurs et l’an passé celle qu’on secoure par inadvertance. Les entendre me rassure sur la permanence d’une humanité. Sauvons-nous les uns les autres, si possible sans le faire exprès. C’est plus léger à porter.
Après.
Je rentre chez moi tard par T3 + 13 et j’avoue j’aime ça.
PS de 17 h 45 : Je m'aperçois que j'ai probablement emprunté son titre de billet à Inframnésie, j'espère qu'il ne m'en voudra pas, bien que nous soyons l'un comme l'autre de dangereux récidivistes du chassé-croisé (Aurions-nous certaines mêmes lectures et influences sous-terraines? :-) )
[photo : in situ ; pas cadrée comme je voulais, trop à droite, mais j'ai passé mon temps, ce salon durant, soit à mal cadrer soit à ne pas avoir de netteté]
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