Où j'en viens à comprendre après 25 ans d'usage la légendaire mauvaise humeur des garçons de café parisiens
22 février 2007
un midi d'un jour d'hiver (en semaine), dans l'un des "beaux quartiers"
Le court trajet matinal entre le métro et le lieu de travail et d'études où je me rendais m'avait permis de calculer le quartier : un seul café presque normal sur une lieue à la ronde. Peu du reste se mangeait. Ou alors fort cher (on devinait).
En parisienne agguérie et peu fortunée, j'avais donc rusé : sortant des locaux discrètement 10 minutes avant la pause de déjeuner, juste afin d'avoir une place pour prendre un repas sans tarder ni traîner.
De ce fait je fus bien traitée, au point d'en concevoir quelque crainte que mon air triste ait fait pitié.
Je m'attaquais non sans appétit à des chicons-jambon gratin maison (1) quand les consommateurs de même provenance que moi affluèrent par vagues proches successives.
En deux bouchées tout fut rempli. Mais le personnel ne s'était pas miraculeusement multiplié ni les mètres carrés dont le nombre
limité obligeait les serveurs à quelques prouesses d'adresse peu propice à la course.
Deux femmes dont une fourrée (2) s'installèrent à la table tout contre la mienne, poussant pour se faire une chaise dans mon genou droit pourtant rangé sans fantaisie à la verticale de mon buste.
Mes pieds furent épargnés.
Le garçon responsable de notre série de table semblait exténué. Il secouait sa fatigue mais je la percevais. Il est des métiers où le moindre moins bien physique ne pardonne guère. Malgré ses efforts, il se trouva vite débordé.
De courtois comme il l'avait été avec moi lors de mon arrivée en temps de paix, il passa avec les nouveaux arrivants à pâle et monosyllabique, puis à un ton de lassitude excédée.
Alors qu'il s'efforçait de slalomer entre les tables, fournissant en premier les plats chauds déjà prêts, je sentis que ma tout juste voisine commençait à s'agacer de n'être pas servie.
De toute évidence elle était pressée et avait déjà fait, ainsi que l'amie qui l'accompagnait son choix d'après le menu affiché à l'entrée.
Elle hêla donc l'homme à son second passage, sans doute vexée que dés le premier il n'ait pas daigné prendre sa personne en considération. Il se méprit, les voyant attendre devant une table toute vide il leur passa les menus, alors même qu'elle disait :
- On a déjà choisi.
Mais il était déjà retourné en cuisine et n'entendit pas. A cette absence de mot, la femme qui n'avait pas tombé le vison (3) depuis qu'elles attendaient qu'il prenne leur commande, se leva d'un bond et franchit la porte qui était proche.
L'amie mit un temps à comprendre, d'autant que l'autre en guise de réponse n'eût qu'une mimique de type, Viens, on y va. Comment peux-tu dans ces conditions envisager qu'on reste là ? Allez ouste. Elle suivit alors comme à contre-coeur et sans doute consciente du fait que dans le quartier peu d'autre choix s'offrait.
Il apporta alors mon dessert que j'avais pour ma part fort peu attendu et se tournant vers la table qu'elles venaient de quitter, eût un regard des plus las. J'aurais bien tenté un peu d'humour pour consolation, mais déjà il avait disparu, rempochant les menus.
Au moment de payer je choisis d'aller directement en caisse. Son bref coup d'oeil reconnaissant m'en remercia. J'aurais volontiers laissé un pourboire mais le prix du repas en heures de mon travail d'usine m'en dissuadait hélas. Je me promis générosité ultérieure si jamais par miracle la vie me devenait un jour favorable.
Déjà la remplaçante des renonçantes réclamait son omelette (au fromage)en insistant sur son peu de temps accordable au repas.
En plus d' Au revoir me vint Bon courage, pendant qu'en maugréant il filait la voir sans peut-être m'entendre.
[photo : comme hier les silhouettes qu'on y entrevoit n'ont rien à voir avec l'histoire]
(1) c'est la bonne impression que j'en ai eue. Peut-être suis-je bien naïve ? En tout cas c'était bon et ça colmatait (juste ce qu'il me fallait à ce moment donné).
(2) j'entends par là qu'elle portait une veste en fourrure (vraie ? fausse ? je n'en sais rien)
(3) ça n'en était probablement pas, mais dans sa tête elle en portait un.