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Digne fils de sa mère (j'en conçois quelque effroi)

mardi 27 février 2007, droit vers la Belgique en "montant"

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Je ne devais pas entrer dans cette librairie. Il ne fallait pas.

La lettre reçue le matin-même de mon banquier me l'indiquait clairement "interdite de librairie jusqu'à nouvel avis".

Bien sûr il ne l'exprimait pas comme ça, il mentionnait juste l'ampleur inaccoutumée de mon découvert habituel. Mais je sais bien d'où me viennent les seules dépenses exagérées et que je suis incapable de maîtriser surtout en période basse.

Avec les pulls bien sûr.

Seulement voilà, il pleuvait. Stéphanot l'héroïque qui m'accompagnait avait les pieds trempés. Et aussi un peu froid (il aura fait tout l'hiver sans un manteau celui-là, Mais non Maman, j'ai pas froid, sauf que là si).

Et puis ce n'est pas une librairie comme les autres, il y a plein de livres en anglais, un joli rayon papeterie et aussi pour lui des cartes Yu-Gi-Yoh.

Je me laissais d'autant mieux convaincre que j'avais l'illusion de pouvoir être raisonnable et l'espoir solide en montant aux étages de parvenir à prendre une élégante photo du beffroi et de la Grand Place en contrebas.

Après une halte au rayon cartes de jeux qui lui fit briller les yeux d'envie, Stéphanot consentit à m'accompagner vers ces hauteurs plus littéraires puis historiques, techniques et même physiques et comptables (dernier étage).

Alors que nous montions les marches vers une salle qui selon les jours accueille personnes studieuses ou artistes invités, ainsi qu'aux murs des expositions mais qu'il ne pouvait connaître puisque n'étant jamais venu en ces lieux, il me dit d'un ton de pure conversation, le même qu'il emploierait pour dire, Tiens voilà une boulangerie on y trouvera du pain,

- Toi, tu vas voir quelqu'un que tu connais.   

Un instant après c'était vrai et dans ces termes mêmes.

(La suite concrète reste privée ainsi que la moralité : faut-il ou ne faut-il pas écouter son banquier ?)

Je m'en suis sentie à la fois ravie soulagée et verte d'angoisse. De cette étrange faculté de micro-déplacements sur la dimension temps, il serait donc héritier. Qu'allons-nous devenir ? C'est un cadeau empoisonné. Je me promis en rentrant de demander conseil à Eugène, notre dragon domestique qui peut-être saurait me rassurer.

[photo : en haut des escaliers précités]


Heurtée

la semaine passée, un soir, plutôt tard, dans le métro (pour changer)

 

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Il était grand et fort.

Pas moi.

Je suivais par hasard de sortie de rame un homme qui tirait avec peine une semblait-il lourde valise à roulettes. Nous venions de descendre et derrière nous les portes sonnaient déjà leur fermeture.

A la fois l'homme aux roulettes a tourné et un type qui voulait monter a surgi soudain où il se tenait.

Déterminé à monter dans cette rame-là et pas la suivante, il m'a giclée comme l'aurait fait un rugbyman d'un élément de l'équipe adverse, le ballon en moins.

Je n'ai rien vu venir, ni rien ressenti sur l'instant, mais deux secondes après, d'un coup encaissé au passage dans les côtes et au sein  gauches, j'ai failli m'effondrer. Une vraie vue de trente six chandelles, presque décomptées.

Par chance à Satin Lazare où je me trouvais et sur cette ligne (la trois) les bancs sont encore larges, en fait une longue bordure plus ou moins marbrée. Je me suis affalée en silence sur la plus proche, tentant de retrouver mon souffle que le choc et la douleur avaient coupés.

Deux femmes qui avaient vu la scène malgré sa brièveté se portèrent à mon secours. Elles traînaient pourtant d'encombrants bagages. Un homme un peu plus loin esquissa un mouvement similaire mais les voyant laissa faire.

Je mis un temps à leur répondre, mais ce n'était plus la voix qui manquait, juste qu'il me fallait au préalable évacuer une phrase à peine lue et qui résumait trop parfaitement l'instant à moins que ce ne fut l'inverse :

" Tout de même leur amabilité me déroute. Il me semble si souvent [...] être une personne faite pour les coups" (1).

Je me dis que si à présent, non contente de panouiller ici ou là sous diverses silhouettes, il fallait que je vive chaque chose que je lisais, j'allais mourir encore plus fréquemment, que ça deviendrait terriblement fatigant (à la longue).

Je parvins enfin à leur dire que C'est gentil mais que ça va aller, que c'était juste que je ne m'y attendais pas.

Elles repartirent alors vers leur train en commentant entre elles, scandalisées, la brutalité du passager pressé.

J'attendis encore un peu que la tête cesse de me tourner et que le sol se stabilise de préférence vers le bas. Puis je rassemblai mes affaires et repris mon chemin parisien.

Je n'avais pas lâché mes livres mais le sac à main si.

(1) Philippe Besson "Se résoudre aux adieux" ed Julliard en haut à gauche de la page 20 

[photo : la même ligne mais un autre jour et dans un autre sens]

 


Mon fils se méfie

dimanche 25 février 2007 dans le métro, en allant vers Saint Michel

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J'ai convaincu Stéphanot d'aller avec moi au ciné.

C'est un film que j'ai déjà vu et beaucoup apprécié.

Il y est apparemment question de natation, un ancien champion qui tente un retour, un jeune qui cède aux états d'âme, beaucoup d'entraînements, un marathon de nage en eaux libres. Il en s'agit bien sûr. Mais j'y vois surtout une bien belle réflexion sur filiation,  transmission, vocations, difficultés économiques et de conciliations. Sur l'amitié aussi, mais en filigrane et sans mots grandiloquents, sans mots du tout d'ailleurs, ou si peu.

Comme on ne l'embarque pas au cinéma comme ça, j'ai dû à Stéphanot de l'histoire raconter l'entame.  Et l'allécher avec la nage.

Seulement c'est bien connu, Maman n'aime que les films où il ne se passe rien. C'est donc suspect qu'elle en adore un bien.

Pris d'un doute subtil, dans le métro il se renseigne :

- Mais des images de compétitions, il y en a quand même ?

Je réponds : - Oui t'inquiète. C'est juste que c'est pas comme dans les films américains, genre à tous les coups le héros gagne à la fin après plein de ralentis et d'effets spéciaux.

Il m'interrompt :

- Ça je sais, les films américains c'est quand ils gagnent au début, et puis ils perdent un peu, ils sont malheureux, y se passe un truc, et puis à la fin ils gagnent.

[une pause]

- Les films français, c'est y perdent tout le temps, y sont contents quand même, du coup ils continuent et à la fin ils gagnent une fois.

Alors moi, tout en riant :

- C'est pas faux, t'as tout compris. Sauf que là, le film, il est Argentin.

Regard de sa part, plein d'appréhension :

- Et alors, ça veut dire quoi ?

Moi, en mère indigne et crapuleusement fière d'elle :

- Que c'est plutôt comme les Français.

[pause ménagée]

- En pire (à la fin ils gagnent même pas).

Il lève les yeux au ciel, et prend un air résigné et courageux modulo Quand-faut-y-aller-faut-y-aller.

[photo : l'affiche du film à Saint Michel aujourd'hui encore mais pour combien de temps]

PS : je tiens à préciser qu'au bout du compte et malgré qu'on l'ait vu en V.O. (- Quoi il va falloir que je lise les sous-titres ? - Ben oui, mais tu sais lire, non ?), il a bien aimé.

Juste regretté que "Ça manque de nage" (vous avez affaire à un grand passionné, je tiens à préciser), et dormi un peu pendant le marathon final (séquence de toute beauté, mais y est-on sensible à 12 comme on peut passé 40 ?).

Lire la suite "Mon fils se méfie" »


"Les adolescents troglodytes"

vendredi 23 février 2007, soir tard

samedi 24 février 2007, nuit tôt

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Certains livres sont plus forts que nous. Il est de ceux-là et qui ne voulait pas se laisser gâcher par une lecture hâtive en période trop tourmentée.

Il a donc soigneusement évité de me tomber entre les mains dés le début d'année qui fut chez moi bien bas, je l'aurais lu alors à l'aune de mon désespoir intime. Il ne méritait pas ça.

Il s'est donc déguisé, se gravant dans ma tête sous un nom d'emprunt, que je persistais à réclamer à ma libraire, laquelle évidemment ne se souvenait pas de l'avoir croisé parmi les sorties.

Pressentant ensuite que j'allais le morceler lors d'une lecture par bribes qu'une reprise sur les chapeaux de roues après le 8 janvier lui promettait, il s'est débrouillé pour sauter dans les mains de quelqu'un d'autre, lequel était par profession un peu plus maître de son temps, quoi qu'en période de promotion de son propre travail.

Cette semaine, il s'est enfin laisser approcher. Un enchaînement plus calme que prévu, un jeudi de congé, quoi que fort occupé, me laissait augurer la possibilité d'une lecture d'un seul trait si l'envie m'en prenait. Autrement dit enfin, LE moment favorable.

En pratique il n'en a rien été. Si la vie se passait comme on prévoit qu'elle le fasse, ça se saurait. Vaincus par l'adversité et quelque festivité, lui et moi avons donc dû nous découvrir par bribes, ce que j'aurais souhaité éviter.

Au bout du compte, cette résignation n'aura fait qu'apparaître davantage ses qualités. Même abandonné par la force d'une fin de trajet et d'une activité intense à accomplir alors, il restait prégnant, les personnages présents à mon esprit et qui ne me quittaient guère.  Le peu de jours que sa lecture m'a duré avaient une densité particulière.

Je me sentais moins seule. J'étais devenue aussi passagère de la navette scolaire qui dans ce récit tient un rôle principal. J'étais avec eux, les enfants et les jeunes, ainsi qu'Adèle le conducteur la conductrice qui exerce son métier avec coeur et conscience. J'ai eu froid les jours de neige, plissé des yeux les jours trop lumineux, car là-haut plus qu'en bas le soleil tape fort. Là-haut car en montagne.

Sans avoir quitté Paris et son coin, j'ai en effet passé deux jours sur un plateau où le vent règne quand il veut.

En dire plus serait raconter, la 4ème de couv, ci-joint photographiée vous en dira mieux que moi.  Je signale cependant qu'il faut prévoir un peu de temps : c'est un livre qu'on ne peut pas lire qu'une seule fois. A peine fini il appelle à y relire, comme d'amis devenus chers on se remémorerait le jour de la rencontre et les premiers temps partagés.

Et je m'arrêterai là ... pour le plaisir de poursuivre la seconde lecture que la première n'a pas épuisée.

J'attends déjà un autre livre avec grande impatience, malgré que les personnages n'y reviendront pas et que j'aimerais bien les revoir comme des amis de longue date, un peu perdus de vue alors qu'on ne le souhaitait pas

"Les adolescents troglodytes" d'Emmanuelle Pagano chez P.O.L.

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Où j'en viens à comprendre après 25 ans d'usage la légendaire mauvaise humeur des garçons de café parisiens

un midi d'un jour d'hiver (en semaine), dans l'un des "beaux quartiers"

Cimg2468 Le court trajet matinal entre le métro et le lieu de travail et d'études où je me rendais m'avait permis de calculer le quartier : un seul café presque normal sur une lieue à la ronde. Peu du reste se mangeait. Ou alors fort cher (on devinait).

En parisienne agguérie et peu fortunée, j'avais donc rusé : sortant des locaux discrètement 10 minutes avant la pause de déjeuner, juste afin d'avoir une place pour prendre un repas sans tarder ni traîner.

De ce fait je fus bien traitée, au point d'en concevoir quelque crainte que mon air triste ait fait pitié.

Je m'attaquais non sans appétit à des chicons-jambon gratin maison (1) quand les consommateurs de même provenance que moi affluèrent par vagues proches successives.

En deux bouchées tout fut rempli. Mais le personnel ne s'était pas miraculeusement multiplié ni les mètres carrés dont le nombre

limité obligeait les serveurs à quelques prouesses d'adresse peu propice à la course.

Deux femmes dont une fourrée (2) s'installèrent à la table tout contre la mienne, poussant pour se faire une chaise dans mon genou droit pourtant rangé sans fantaisie à la verticale de mon buste.

Mes pieds furent épargnés.

Le garçon responsable de notre série de table semblait exténué. Il secouait sa fatigue mais je la percevais. Il est des métiers où le moindre moins bien physique ne pardonne guère. Malgré ses efforts, il se trouva vite débordé.

De courtois comme il l'avait été avec moi lors de mon arrivée en temps de paix, il passa avec les nouveaux arrivants à pâle et monosyllabique, puis à un ton de lassitude excédée. 

Alors qu'il s'efforçait de slalomer entre les tables, fournissant en premier les plats chauds déjà prêts, je sentis que ma tout juste voisine commençait à s'agacer de n'être pas servie.

De toute évidence elle était pressée et avait déjà fait, ainsi que l'amie qui l'accompagnait son choix d'après le menu affiché à l'entrée.

Elle hêla donc l'homme à son second passage, sans doute vexée que dés le premier il n'ait pas daigné prendre sa personne en considération. Il se méprit, les voyant attendre devant une table toute vide il leur passa les menus, alors même qu'elle disait :

- On a déjà choisi.

Mais il était déjà retourné en cuisine et n'entendit pas. A cette absence de mot, la femme qui n'avait pas tombé le vison (3) depuis qu'elles attendaient qu'il prenne leur commande, se leva d'un bond et franchit la porte qui était proche.

L'amie mit un temps à comprendre, d'autant que l'autre en guise de réponse n'eût qu'une mimique de type, Viens, on y va. Comment peux-tu dans ces conditions envisager qu'on reste là ? Allez ouste. Elle suivit alors comme à contre-coeur et sans doute consciente du fait que dans le quartier peu d'autre choix s'offrait.

Il apporta alors mon dessert que j'avais pour ma part fort peu attendu et se tournant vers la table qu'elles venaient de quitter, eût un regard des plus las. J'aurais bien tenté un peu d'humour pour consolation, mais déjà il avait disparu, rempochant les menus.

Au moment de payer je choisis d'aller directement en caisse. Son bref coup d'oeil reconnaissant m'en remercia. J'aurais volontiers laissé un pourboire mais le prix du repas en heures de mon travail d'usine m'en dissuadait hélas. Je me promis générosité ultérieure si jamais par miracle la vie me devenait un jour favorable.

Déjà la remplaçante des renonçantes réclamait son omelette (au fromage)en insistant sur son peu de temps accordable au repas.

En plus d' Au revoir me vint Bon courage, pendant qu'en maugréant il filait la voir sans peut-être m'entendre.

[photo : comme hier les silhouettes qu'on y entrevoit n'ont rien à voir avec l'histoire]

(1) c'est la bonne impression que j'en ai eue. Peut-être suis-je bien naïve ? En tout cas c'était bon et ça colmatait (juste ce qu'il me fallait à ce moment donné).

(2) j'entends par là qu'elle portait une veste en fourrure (vraie ? fausse ? je n'en sais rien)

(3) ça n'en était probablement pas, mais dans sa tête elle en portait un.


Une rage rentrée

mercredi 21 février, RER B allant vers le nord, en soirée mais pas très tard.

P2210083 A peine assise j'ai ouvert mon livre, sans prendre le temps de vraiment ôter de mon épaule le petit sac à dos usé qui me fait office de sac à main.

Il déborde donc un peu de ma place mais le train est assez vide. En diagonale en face de moi se tient une jeune femme qu'il n'importune pas. Moins en tout cas qu'un voyageur assis là et qui aurait des jambes.

Elle est installée dans le sens de la marche. Moi pas.

Peu me chaut, ce bouquin est trop fort, on pourrait être sur un bateau par vent de force 6 que je ne souffrirais pas du mal de mer le temps d'en terminer la lecture.

Je ne voulais d'ailleurs pas le faire dans les transports, mais depuis des jours que j'attends le moment opportun qui me permettra de le lire tout d'une traite, j'ai mal calculé mon coup et quand j'ai dû quitter mon domicile pour un cinéma prévu, j'ai dû à contre-coeur me résoudre à le prendre quitte à en poursuivre la découverte du texte dans de mauvaises conditions plutôt qu'à le laisser complètement jusqu'à mon retour maison.

Une station. Monte un homme peu encombrant (il s'installe discrètement) en face de moi sans que j'ai besoin de replier mes pieds).

Une autre station. La jeune femme descend. Arrive un gaillard plutôt grand, le genre costard cravate parce qu'il faut bien et qu'à peine sorti du lieu de travail il dissimule sous une parka sportive. A ses bras un de ces sacs à dos qui peuvent dissimuler un ordinateur portable si on le souhaite.

Curieusement, le type s'assoit non pas à la place laissée libre par la précédente passagère mais juste à côté de moi, c'est-à-dire dans le sens inverse de la marche du train, ce qui m'oblige à tirer vers moi mon sac et le prendre sur mes genoux. Ce n'est pas pratique car s'y logeait déjà une poche plastique contenant quelques emplettes ainsi que la petite sacoche de mon Olympus (bien-aimé).

Je me demande vaguement pourquoi, ça me semble pas très logique en plus qu'il a posé son sac à dos en face de lui donc s'il s'était lui-même mis là nous aurions pu harmonieusement partager la place à mes côtés pour mon sac et le sien.

Mais le livre m'appelle plus fort que les agissements de mes commensaux de transports (1).

Ce n'est qu'à un tournant de page nécessitant méditation, ou brêve respiration tant le chapitre était prenant, que je lève les yeux sans focale réelle. Suffisamment cependant pour me rendre compte que mon voisin d'en face possède un beau visage, un beau visage des temps anciens. Eût-il été Grec qu'il aurait hérité du nez droit des statues antiques.  Mais il n'est pas Grec, il est Africain.

Je remarque aussi son air triste et qui ne doit pas qu'à la fatigue d'une longue journée de travail. A-t-il remarqué le mien ?

Le téléfonino de mon voisin de droite émet alors un bruit douteux. En fait cet homme à peine assis s'est absorbé dans un jeu.

A retardement, atterrée, je comprends : il n'a pas voulu s'assoir en face car l'homme qu'il aurait cotoyé vient visiblement d'Afrique.

Alors qu'il s'excite sur son gadget électronique, c'est sa propre proximité qui soudain m'est insupportable. Je me lève d'un bond et vais me poser plus loin, non sans honte de ne plus me sentir capable de dire quoi que ce soit. Il y a un an et demi, avant les abandons et les adversités, sans hésiter je l'aurais fait, de l'air ahuri qui m'est naturel j'aurais demandé :

- Pourquoi ne vous mettez-vous pas en face ?

Mais là je n'en ai pas la force et je m'en veux car le pauvre homme triste peut en plus supposer que je le fuis aussi.

C'est trop tard, je suis arrivée.

Sur le quai, avec l'esprit de l'escalier qui me caractérise, j'aurais mais un peu tard, la bonne idée. J'aurais dû aller m'assoir près du paria, en rendant pour ce faire ostensiblement son sac à son propriétaire et ce au moment même où il venait de s'installer.

A défaut d'avoir bien réagi, je prends une photo du train.

[photo : le quai à Châtelet, le train ; les silhouettes qu'on entrevoit ne sont pas celles de ce récit]

(1) oui je sais ce terme sous-entend le partage d'un repas mais bon, il y a de ça, un temps de proximité partagée (et tant pis si elle n'est pas alimentaire).


Olympia qu'as-tu fait là ?

mardi 20 février 2007, ligne 1, Champs Elysées Clémenceau, aux environs de 10 heures 10

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De ma fille et de moi je ne sais trop qui ce matin en fait accompagne l'autre. Un de ces rendez-vous nécessaires, qu'on appréhende un peu. Nous sommes à l'heure mais sans gras. Aussi en bonnes parisiennes lors du changement que le trajet nous impose, nous hâtons le pas en direction du bout du quai qui à l'arrivée nous rapprochera de la sortie.

Un groupe d'enfants petits. Centre aéré sans doute. 5 ou 6 ans à l'estimée. Globalement plutôt sages, en détail un peu turbulents.

La voix d'une accompagnatrice me sort soudain de mes propres préoccupations :

- Olympia, qu'est-ce que tu lui as fait ? Olympia vient là !

Et une petite effectivement se rapproche de l'adulte près de laquelle se tient déjà un petit gars à l'air tout malheureux.

Je m'attends, c'est plus fort que moi à ce qu'elle l'appelle Ernest, Théodore ou Amadée, voire même Roland, mais on est dans la vraie vie, il ne faut pas exagérer. Ni non plus s'attarder.

En fait le rire qui me saisit est si fort et je peine tant à le contenir, que j'ai très fort accéléré, et la soeur de Stéphanot, se fatigue à me suivre. La rame arrive, j'y saute d'un bond et m'effondre sur la première banquette venue afin de m'y gondoler à mon aise en vagues silencieuses d'avoir été au début endiguées.

Ma fille reprend son souffle puis se marre aussi,

- C'est le prénom, c'est ça ?

Elle ne croit pas si bien dire. Je lui explique alors Hoffmann, les contes, l'opéra, l'Olympia qu'il y avait là.

- Non ? me fait-elle incrédule.

Et puis :

-Merci de ne m'avoir pas appelée comme ça.

J'en ris encore en l'écrivant.

[photo : un autre quai, un autre métro, un peu plus tard]

   

PS : CE BILLET N'EST PAS UNE FICTION, nous avons vraiment entendu ces mots. Fallait-il que ça tombe sur moi ! En tant que porteuse douloureuse d'un prénom d'opéra qui semble infléchir ma vie sentimentale à l'aune de celle de son héroïne, je me demande si les parents de la petite Olympia sont de grands mélomanes ou au contraire pas. 

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Le jour où j'ai renaqui (ça se dit ?)

vendredi 19 février 1999,  au siècle dernier.

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A force de me conseiller en lecture, elle me connaît mieux que moi, ce que j'aime, ce qui ne passe pas, les auteurs auxquels je suis sensible et ceux qui me laissent froide.

Ce jour-là je n'attends pas de conseil : j'ai pris à toute allure un sandwich à la cafétéria, j'ai des bouquins à rendre que je compte juste poser et vite remonter à mon bureau, tenter de résoudre une de ces situations inextricables dont tout informaticien d'un brin d'expérience connaît la survenue : ça plante quelque part, mais semble-t-il d'ailleurs, de là où si l'on est pas administrateur ou ingénieur système on n'accède pas. Aucun interlocuteur salvateur en vue et le résultat du travail ainsi bloqué est attendu par tous et pour tout de suite.

Mon chef de l'époque, un type bien, a compris que je n'étais pour rien dans les difficultés rencontrées. Il m'a proposé un rendez-vous en tout début d'après-midi afin de faire le point et de tenter ensuite de peser de son poids hiérarchique vers d'autres services qui pourraient ou devraient nous aider mais qu'une demande de la part d'une grouillote de mon acabit laisse de marbre.

De ce fait je suis d'autant plus motivée pour arriver devant lui avec un minimum de résultats, je pense que ça ferait avancer les choses si je parvenais bien qu'en n'ayant pas tous les accès, à diagnostiquer précisément la panne ou du moins la source de nos difficultés.

Je suis donc pressée. Il est 12 h 40.

Seulement la bibliothécaire ne l'entend pas de cette oreille. Elle me signale que ce midi tu es là pour parler de tes livres, peut-être en dédicacer, que c'est là, juste à côté, dans la salle de répétition de ceux qui s'essaient au théâtre.

Ton nom me dit quelque chose, effectivement, mais c'est pour une mauvaise raison. De toi je n'ai rien lu, même avec mes enfants. Stéphanot n'a pas 4 ans seulement depuis longtemps déjà nous pratiquons l'histoire du soir, un "moment de paradis" pour lui (sic), et pour moi souvent le seul secours de difficiles journées. L'instant de trève, celui qui vaut la peine qu'on fasse l'effort de continuer. Donc ça aurait pu.

Il se trouve que non.

J'explique à mon amie bibliothécaire que oh oui j'aimerais assister à ce moment intéressant, mais que ça tombe trop mal, le chef, les fichiers, l'informatique en panne ...

Alors elle habituellement si douce, se met en colère. Elle me donne un ordre :

- Tu y vas, tu y vas 10 secondes et tu t'en vas après, mais tu y vas.

Sidérée, je comprends soudain qu'elle voudrait très fort en être, y aller et écouter, mais qu'elle est de permanence, que ça la rend malheureuse de manquer un événement à l'origine duquel elle est peut-être, oui, oui, je comprends très bien ça, que ça la met en colère que ceux qui ont la chance de n'en profitent pas. Je pense, je lui dois bien ça.

Je me dis aussi que pour qu'elle se mette dans un tel état, la personne invitée ne doit pas être n'importe qui.

Allez, mon chef est sympa, il attendra bien un quart d'heure pour une fois.

Alors je fais un truc inouï (2) : j'obéis.

Elle vient de changer nos vies.

Il attendra une heure et demi (sinon deux).

(to be continued ou peut-être pas, ou peut-être plus tard (1) à l'ombre d'un ricochet ;  je voulais juste ici marquer un anniversaire)

Merci infinimement à Brigitte Patient qui pour son émission "Journal Infime" sur la Radio Suisse Romande a donné vie à ce texte.

On peut pour l'instant (07/03/07) l'écouter sur le site de la radio à la date du lundi 5 mars ("L'écrit du blog")

(1) dans 37 semaines si tout va bien.

(2) pour qui me connaît bien. J'ai un problème en effet avec l'autorité.

[photo ultérieure : je ne suis pas chez moi]

[photo : les lieux du crime ;-) huit ans après]

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Un manteau de saison

samedi 17 février 2007, en toute fin d'après-midi

Je sors d'une librairie amie (1), sinon heureuse du moins réconfortée. C'est un de mes refuges face à l'adversité.

J'ai dans le même quartier une autre course à faire, et qui sera assez rapide, je compte un quart d'heure elle me prendra 20 minutes, puis je suis attendue non loin de là. Pour ce dernier trajet il me faudra revenir sur mes pas.

C'est ainsi que je m'en suis rendue compte.

La dame essayait un manteau. Dans une boutique aux vitrines larges, bien visible de la rue.

Pas n'importe quel manteau, un manteau de fourrure.  On pourrait penser, logique pour la saison, à défaut de toute autre considération.

Sauf que.

Hier à Paris et même aujourd'hui, on voisinait les 20 degrés.

Par 20 degrés celsius, au sus et au vu du moindre passant, la dame essayait un manteau, marchait, se mirait, écoutait les commentaires du vendeur enthousiaste qu'on pouvait presque lire sur ses lèvres, ou deviner aux gestes flatteurs qu'il effectuait.

Peut-être qu'ils soldent, me dis-je, dé-s-intéressée (2) et puis je n'y pense plus.

Seulement quand je suis repassée au même endroit 20 bonnes minutes plus tard, elle y était toujours, peut-être munie d'une autre pièce, peut-être était-ce la même (3) et qu'elle hésitait.

Le vendeur semblait toujours aussi véhément.

Et moi aussi songeuse.

Par un temps si clément passer tant de temps à essayer un vêtement pour l'instant inutile, à hésiter sur une dépense somptuaire, à accaparer une autre personne user son jugement et ses capacités de persuasion, et visiblement se délecter de l'exercice.

J'aurais aimé alors entrevoir Wytejczk,  le hêler, Tu as vu la dame ? Et par le temps qu'il fait ?

Ecouter ses commentaires moqueurs, en rajouter à mon tour. Mais son absence brillait de plus belle.

Après un premier sourire au spectacle de l'essayage, c'est le coeur gros qu'en direction d'un grand boulevard je remontais la rue. Wytejczk quand reviendras-tu ?

(1) La Libreria ; 89, rue du Fbg Poissonnière 75009 Paris où se tiendra vendredi une rencontre dédicace avec Vincenzo Cerami (à 19 heures)

(2) au sens littéral. Je ne déteste pas un bon blouson de cuir issu du recyclage d'une victime d'abattoir, mais les fourrures je n'aime personnellement pas ça. 

(3) je n'ai pas fait gaffe et je n'y connais rien.


Ma première mort un an après

(texte en vue d'un slam ; à rebosser en ce sens)
   
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Personne ou presque ne l'a su, sauf peut-être l'assassin.
Et encore.
   
Il m'a sans doute vue repartir poliment et sur mes propres jambes, sans blessure apparente, après l'avoir salué, non sans une grande tristesse et avoir demandé pour la dernière fois des nouvelles de connaissances communes auxquelles je tenais dans l'au-d'ici.
   
Je suis morte l'an passé, en février un peu loin de chez moi. C'était un vendredi. 
Le coup fatal encaissé, j'étais à peine un peu plus transparente qu'à l'ordinaire. Tout en n'y étant plus (1). Ce qui me restait de corps solide déjà m'encombrait. J'ai pensé le balancer dans le canal voisin ou sous un transport quelconque, puisque tout transport désormais me serait impossible.
    
Hélas ou heureusement, un homme sensible et attentif, que je connais de vue et qui se trouvait là pour raison de boulot, m'a aperçue passer ; pauvre carcasse vide, ce qu'il en restait.
Et il m'avait suffisamment croisée en d'autres circonstances pour percevoir que ça n'allait pas.
Il me l'a dit
- Oh vous, ça va pas.
ou quelque chose comme ça.
   
Il semblait trop vivant, en forme, les yeux pétillants, pour être mort aussi. J'en ai conclu que même mourir je n'avais pas su, seulement partiellement, imparfaitement, comme toujours dans ma vie.
   
Si la vie après ma mort est aussi foireuse que ma vie pendant ma vie, j'étais mal barrée.
 
J'ai voulu faire un effort envers celui qui gentiment se faisait secourable alors que je ne suis rien pour lui que quelqu'un qui lit et qui n'aime pas tout ce qu'il écrit. Je n'ai donc pas répondu :
- C'est normal, je suis morte.
mais simplement :
- On m'a quittée.
   
Et comme je ne voulais pas peser, ça n'était pas mon boulot sur terre, c'est pas dans les limbes que ça va commencer, j'ai embrayé sur son travail, un ouvrage que j'en aimais, la solitude comme il savait la rendre. J'étais à présent bien placée pour confirmer.
   
N'eût été le contexte et mon état gazeux, ce fut une belle conversation de terriens. Il était attendu, j'ai pris congé puis, erré dans les allées.
 
 
C'était un lieu clos. Le froid n'y passait pas. A moins que ce soit mon état qui faisait que je ne le sentais pas.
   
Une proche buvette m'avait servi la veille un jus de fruits délectable. Je n'avais ni faim ni soif, n'éprouvais plus rien d'autre que du chagrin, mais l'esprit scientifique qui m'habitait en vie ne m'avait pas quitté, lui. Pour vérification j'en ai donc à nouveau commandé un.
La mort m'avait laissé tous mes objets, mes accessoires, mon sac à main, mon portefeuille, mon fidèle et loyal appareil photo et jusqu'à mes bouquins qu'elle me condamnait ainsi à trimbaler de toute éternité.
   
Je n'ai donc eu aucun souci pour payer cet achat d'impulsion fantôme.
J'ai été particulièrement polie avec la vendeuse, probablement plus qu'un humain en exercice. Je tenais beaucoup à ce que tout se passe bien. Je craignais d'effrayer si elle me regardait avec un tant soit peu d'attention. Mon reflet furtif sur la paroi brillante d'un stand m'avait renseigné sur mon état étrange de transparence livide. J'étais presque effacée, mais pas tout à fait.
Je n'ai pas été déçue. La boisson, pourtant identique à celle de la veille était insipide. Seulement : liquide.
Quand on est mort, on n'a plus de goût.
A rien.
   
A peine plus tard ou bien juste avant, car le temps alors n'est plus linéaire, j'ai croisé Pennac. Son "Merci" la veille m'avait amusée et quand ma fille était petite ses "Kamo" furent de nos plus belles lectures-du-soir-avant-de-s'endormir, avec aussi "L'oeil du loup". Stéphanot, lui, lit les premiers pour le collège. Forcément il trouve Kamo un peu ennuyeux. L'époque n'est plus la même et la patine scolaire empoussière jusqu'aux mots les plus beaux.
   
Je vois l'homme poser sur moi son regard bienveillant. Il me dit : - Vous savez, vous ressemblez à une de mes anciennes élèves. Elle avait été gravement accidentée. Vous lui ressemblez vraiment.
Puis comme pour me rassurer :
- Elle s'en est sortie.
    
J'ai regardé mes mains que je sentais à peine, mes bras sous pulls et manteau que leurs épaisseurs dissimulaient mais qui eux non plus n'avaient plus de poids. J'ai dû murmurer : - Moi, je ne sais pas.
   
Je me suis alors souvenue que de mon vivant je prenais des photos, beaucoup. J'aimais rendre (ce) service. J'ai donc demandé au monsieur une adresse où je pourrais lui envoyer un portrait de lui que j'avais effectué l'année passée. D'ailleurs il s'en souvenait et bien volontiers me l'a confiée.
   
Je venais de toucher mon premier travail d'après la mort. Retrouver l'image, la faire imprimer, l'envoyer par la poste concrète.
 
J'ai alors compris qu'entre la vie et la mort finalement peu changeait, que je ne m'en sortirais pas comme ça, que j'allais être obligée de continuer. Ainsi chaque ombre poursuit son monde, en parallèle de ses voisins, de ses vivants et des suivants.
Celui de la réalité est pourvu de désirs, sensations, goûts et contrastes, chaleur et glaciation. Celui-là désormais continue sans moi.
   
Celui où je vis ma mort est plutôt gris et froid. Et dépourvu de sens fors celui du devoir. La mort ne permet pas d'échapper à ses responsabilités. J'en vois que ça déçoit. 
      
[photo : à la gare du lieu du crime, le lendemain peut-être]
   
(1) le double-sens est voulu ainsi que les jeux de mots plus ou moins privés dont ce texte est truffé. Pardon à ceux que ça agace, je n'ai pas pu m'empêcher. Ceux qui savent ou qui devinent, rigolez, ça sera toujours ça que la tristesse n'aura pas.