L'homme à l'agenda
23 janvier 2007
Un de ces récents matins
Le train se traîne. Un retard et son arrivée vers Satin Lazare au lieu d'être bienvenue, n'est plus que tolérée. "Pour votre sécurité, ne descendez pas sur la voie" en dit une autre, humaine celle-là.
Ma sécurité m'arrange, je suis plongée dans un bouquin aux parfums Mansfieldéens (1), et j'y suis bien, mais bien. Je ne veux pas en sortir, jamais, pas avant la fin au moins, surtout pas pour affronter l'usine et ses contraintes cruelles, le contretemps pour moi est une bénédiction, un sursis.
Ce n'est pas le cas de tous les voyageurs. Un homme non loin de moi, en uniforme de jeune cadre dynamité de fatigue à suivre les objectifs qu'un tyran d'entreprise lui aura fixés, compulse d'un air plus paniqué qu'énervé, un agenda format ministre et rempli à cette image.
Les pages de la semaine sont grandes ouvertes sur ses genoux, et j'y vois au feutre épais noir un nombre impressionnant de rendez-vous prévus. Des noms, des téléphones, des lieux bien indiqués, d'une écriture régulière et efficace. On dirait une publicité.
La valise à roulettes de l'homme à l'agenda, semble elle aussi sortie tout droit des pages non sauvées d'un magazine, je suis en présence de la version diffuse de l'homme sandwich. Il est à lui tout seul un encart promotionnel.
Le train arrive, enfin pour lui, déjà pour moi. Il plie vite bagage, moi pas.
Quelques autres sages dans mon genre, ou des désespérés, attendent que le gros des troupes ait terminé de se précipiter pour se lever et descendre sans piétiner.
Quelqu'un qui me précède aperçoit à la place qu'occupait l'homme à l'agenda la très fonctionnelle sacoche noire d'un ordinateur portable, que dans sa précipitation le propriétaire sur-occupé avait délaissée.
Le premier est un type honnête, le voilà qui hèle le distrait qui filait sur le quai autant que les roulettes de son autre bagage le lui permettaient. Celui-ci met un temps à comprendre qu'il est concerné. D'autres voyageurs s'en mêlent. D'abord interloqué, sourcils, froncé, il devient rouge de confusion et de reconnaissance mêlées.
Le porte portable à peine récupéré il repart en courant vers son destin si balisé, non sans remercier, mais si brièvement.
J'admire encore parfois la gentillesse des gens et serre cependant mon livre contre moi. Au moins un que je n'oublierai pas. Le retard est conséquent, je pressens les ennuis.
(1) "Finn Prescott" de Jérôme Lambert si vous voulez savoir.