Une expo
Les hommes bavards et grands

La commentatrice

à la Bastille qui n'est plus une prison et en l'absence de RolandoPict0001 , jeudi 25 janvier 2007

Elle était assise juste derrière moi, légèrement sur la droite, la voix chevrottante des personnes très agées.

Celles qui l'accompagnaient n'étaient pas des gamines, déjà joliment périmées, je m'empresse de le dire tant que je peux encore un peu. Elles sortaient grand-maman ou leur joyeuse Tatie Danielle.

Ça jacassait et ça gloussait, dés le moindre entracte. Seulement Mamie Danielle, transportée jusqu'ici et tout court, exultait, et l'exprimait sans savoir s'arrêter.

Elle commentait l'opéra comme on commente un match. (Presque) à haute voix.

J'ai failli m'en exaspérer, d'autres autour de moi l'étaient suffisamment et qui se retournèrent à plusieurs reprises, alors je choisis de leur déléguer cette part désagréable de ressentiment pour me concentrer sur l'essentiel : la drôlerie de la situation.

Ça n'était pas les actions de Rocheteau, ni même Rolando (Villazon) porté pâle, qu'elle pouvait mettre en phrases, mais elle se débrouillait très bien la dame avec ce qu'elle avait sous les yeux, parfois péremptoire (dans ces jugements sur le chant en cours) d'autres fois perplexe (entre toutes ces jolies dames blondes dont l'une des titulaires aussi était absente, j'avoue qu'on s'y perdait) et questionnant comme un enfant qui l'accompagnait.   

Je crois qu'en fait elle était un peu sourde et parlait plus fort qu'elle n'en était consciente.

Aux moments sentimentaux, quoique démonstratifs, Ma bien-aîmée ma voix t'implore, étrangement elle se taisait. Quels souvenirs l'agitaient qui la réduisaient au silence ? Ah, je t'aime fût-ce au prix de ma vie.

Elle goûtait bien la sienne en ce soir de janvier d'un siècle que sans doute elle n'espérait pas joindre, si loin de sa naissance.

Et quand elle a chantonné la barcarole, d'un air ravi et pas si faux, c'est son murmure qui m'a émue et les "chut" voisins énervée.

[photo : flou volontaire d'avant la représentation]

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