Mon pays s'agrandit
31 janvier 2007
Hier et aujourd'hui, ici mais ailleurs aussi
Il a fallu un film, un bon film, pour que 23 ans après en être sortie je prenne soudain conscience d'un élément sans doute fort peu fortuit de ma vie :
des amis que j'avais en classes préparatoires (1) seules deux me sont restées et pourtant l'une habite loin (Californie).
Elles présentent toutes deux un point commun c'est d'avoir fait partie de la diaspora Vietnamienne, arrivées en France toutes jeunes pour cause de guerre en leur pays.
Je n'y avais jamais pris garde, j'ai pour habitude de me souvenir des gens pour ce qu'ils sont eux-mêmes pas pour leurs origines, types physiques et toutes caractéristiques contre lesquelles ils ne peuvent rien. Je fais également le plus souvent abstraction de leur situation professionnelle sauf si elle engendre des contraintes spécifiques dont il faut tenir compte pour nos revoyures, ou si leur métier provient d'un choix réel et heureux de leur part. Cas hélas assez rare dans notre société. La plupart de mes amis "font avec", et ces dernières années trop d'entre eux font sans ou dans le grandement insatisfaisant.
Il a fallu un film, un bon film, que j'allais voir dans l'espoir (3) d'échapper un moment au poids de ma vie, pour que je me rende compte que les seules à avoir su aimer la fille d'alors perdue dans un monde de concurrence qui n'était pas le sien au delà des deux années de souffrances communes, résister à l'usure de ces temps-là, puis à mes silences de soucoupe à malheurs ou de chargée d'enfants petits, à mes accès de militantismes parfois divergents, à mon intarrissabilité dés qu'il s'agit de livres et à mon changement brutal des trois dernières années, viennent d'un même pays.
Il y a sans doute par là quelque chose du partage, de la patience, de l'indulgence aussi, sans doute par ici un peu moins répandues. Qui sait ? Un respect de l'autre qu'on sait peut-être là-bas ne souhaiter pas nécessairement à son image. Un humour tendre quand celui d'en France traditionnelle est plus aggressif. L'humilité énergique de ceux qui ont dû tôt ou tard repartir à zéro en ayant perdu une vie d'avant.
Une façon de considérer soi et le monde qui me convient aussi.
De même que manger avec des baguettes, ce qu'elles m'avaient appris et qui me sert toujours.
Plus que les maths, certainement, qu'ensemble nous ingurgitions.
[photo : Porte de Choisy, mercredi 31 janvier 2007, à défaut de pouvoir mieux faire]
(1) pour les non-français : années de préparation après le baccalauréat (correspondant donc aux premières années universitaires) aux concours d'entrée à ce que par ici on appelle les grandes écoles. Il y en a de commerce, d'ingénieurs et de probablement de tout autres choses. Pour ingénieurs, celles que j'ai subies, ça dure 2 ou 3 ans (souvent on redouble la seconde année pour tenter de réussir l'entrée dans une école de plus haut prestige) et sauf à être vraiment exceptionnellement doué c'est bûcher, bûcher, bûcher, quelque chose comme 19 heures sur 24, 7 jours sur 7. Si on en meurt pas on développe une capacité de travail effrayante (2) (entre autres choses qui le sont). Je ne crois pas que ça ait beaucoup changé.
(2) ce ne sont pas des mots, la mienne a effrayé. Et pourtant je ne suis pas quelqu'un de pleine santé.
(3) non déçu, malgré que l'émotion dégagée par certaines scènes m'ait inévitablement renvoyé comme c'est souvent le cas d'une oeuvre réussie quel que soit son domaine, à ma propre expérience.
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