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Mon pays s'agrandit

 

Hier et aujourd'hui, ici mais ailleurs aussi 

Cimg1999 Il a fallu un film, un bon film, pour que 23 ans après en être sortie je prenne soudain conscience d'un élément sans doute fort peu fortuit de ma vie :

des amis que j'avais en classes préparatoires (1) seules deux me sont restées et pourtant l'une habite loin (Californie).

Elles présentent toutes deux un point commun c'est d'avoir fait partie de la diaspora Vietnamienne, arrivées en France toutes jeunes pour cause de guerre en leur pays.

Je n'y avais jamais pris garde, j'ai pour habitude de me souvenir des gens pour ce qu'ils sont eux-mêmes pas pour leurs origines, types physiques et toutes caractéristiques contre lesquelles ils ne peuvent rien. Je fais également le plus souvent abstraction de leur situation professionnelle sauf si elle engendre des contraintes spécifiques dont il faut tenir compte pour nos revoyures, ou si leur métier provient d'un choix réel et heureux de leur part. Cas hélas assez rare dans notre société. La plupart de mes amis "font avec", et ces dernières années trop d'entre eux font sans ou dans le grandement insatisfaisant.

Il a fallu un film, un bon film, que j'allais voir dans l'espoir (3) d'échapper un moment au poids de ma vie, pour que je me rende compte que les seules à avoir su aimer la fille d'alors perdue dans un monde de concurrence qui n'était pas le sien au delà des deux années de souffrances communes, résister à l'usure de ces temps-là, puis à mes silences de soucoupe à malheurs ou de chargée d'enfants petits, à mes accès de militantismes parfois divergents, à mon intarrissabilité dés qu'il s'agit de livres et à mon changement brutal des trois dernières années, viennent d'un même pays.

Il y a sans doute par là quelque chose du partage, de la patience, de l'indulgence aussi, sans doute par ici un peu moins répandues. Qui sait ? Un respect de l'autre qu'on sait peut-être là-bas ne souhaiter pas nécessairement à son image. Un humour tendre quand celui d'en France traditionnelle est plus aggressif. L'humilité énergique de ceux qui ont dû tôt ou tard repartir à zéro en ayant perdu une vie d'avant.

Une façon de considérer soi et le monde qui me convient aussi.

De même que manger avec des baguettes, ce qu'elles m'avaient appris et qui me sert toujours.

Plus que les maths, certainement, qu'ensemble nous ingurgitions.

 

[photo :  Porte de Choisy, mercredi 31 janvier 2007, à défaut de pouvoir mieux faire]

(1) pour les non-français : années de préparation après le baccalauréat (correspondant donc aux premières années universitaires) aux concours d'entrée à ce que par ici on appelle les grandes écoles. Il y en a de commerce, d'ingénieurs et de probablement de tout autres choses. Pour ingénieurs, celles que j'ai subies, ça dure 2 ou 3 ans (souvent on redouble la seconde année pour tenter de réussir l'entrée dans une école de plus haut prestige) et sauf à être vraiment exceptionnellement doué c'est bûcher, bûcher, bûcher, quelque chose comme 19 heures sur 24, 7 jours sur 7.  Si on en meurt pas on développe une capacité de travail effrayante (2) (entre autres choses qui le sont). Je ne crois pas que ça ait beaucoup changé.

(2) ce ne sont pas des mots, la mienne a effrayé. Et pourtant je ne suis pas quelqu'un de pleine santé.

(3) non déçu, malgré que l'émotion dégagée par certaines scènes m'ait inévitablement renvoyé comme c'est souvent le cas d'une oeuvre réussie quel que soit son domaine, à ma propre expérience.

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Mes parents se disputent (et les voisins aussi)

Un soir, il y a plus d'un quart de siècle, loin du coeur de la ville

Il est rentré avec sa tête des très très mauvais jours. Il va falloir la jouer serré. Ma mère aussi l'a remarqué, qui s'active nerveusement aux fourneaux et annonce alors qu'il n'est que 18 heures 47 "dans 5 minutes c'est prêt". 

Elle n'a pas compris, la pauvre, que son trop d'empressement nuisait à la ponctualité requise et que si une avance était moins grave qu'un retard, c'était quand même une faute.

J'entreprends de liquider un exercice de maths, vite, très vite avant l'appel du dîner. Mais peine perdue, ma mère croyant bien faire a trop accéléré.

- Tu veux voir ton policier à la télé, dit le père d'une voix sourde qui présage le pire. C'est ça hein ? C'est pour ça hein que tu nous fais manger si vite. Et déjà il monte le ton.

- Je croyais que tu avais faim, hasarde-t-elle.

- Oui j'ai faim, concède le père, enfin.

Nous mangeons. La tension est palpable. Celle qui précède l'orage d'été n'est rien à côté.

Seule ma petite soeur semble ne sentir rien. Elle se fait sage, elle se tient bien. C'est une petite championne du se tenir à carreaux.

Bravement, je tente d'attirer l'attention. Je parle du collège, d'une bonne note reçue,  d'un devoir sur table prévu demain, les maths, mais je les sais bien.

- Tu as trop salé les pâtes, gronde-t-il soudain à l'adresse de la mère, qui ne réplique rien. Quand je rentre de l'usine, quand même je pourrais manger bien.

- Moi je les trouve bonnes comme ça, dis-je en tentant de détourner l'ire paternelle, ne serait-ce qu'un peu. Un tout petit peu.

Puis j'enchaîne sur les maths, Il me reste juste à revoir un chapitre de géométrie Euclidienne, tu sais papa c'était un grec, tu connais sûrement (mon père a fait du latin, je suppose la compétence extensible aux voisins).

- Parce que quand je rentre, je suis crevé moi, j'en ai assez de me tuer pour ça. Et toi tu prépares le repas, tu n'y penses même pas.

- Euclide tu connaissais, hein papa, dis tu sais qui c'est ?

- Tiens toi droite, et pas les coudes sur la table.

- Mais j'ai pas les cou ...

A ce moment, un hurlement.  Ça vient d'à côté. Le mur mitoyen. Les voisins.

- C'est leur télé, ils mettent trop fort, dit trop vite la mère, cherchant à tout prix à cacher l'horrible vérité à sa progéniture.

- Oui c'est la télé, dit la petite, désireuse de se convaincre que son père est le seul un peu méchant de ce monde qui l'a vue naître.

- Non, c'est le voisin en train de tuer sa femme, dis-je du ton le plus Dany Wilde que j'ai pu trouver afin de faire ressortir que non seulement je ne suis pas dupe de leur pieu mensonge mais parfaitement capable d'affronter l'horreur et même d'en rire.

J'ai gagné, ils sont deux à me fusiller du regard et une troisième à me considérer d'un air de reproche avec des larmes aux bords des gros yeux que lui font ses lunettes.

Un deuxième cri après un bruit sourd me sauve la mise,

- Qu'est-ce que je vous disais !

Mais ils sont déjà partis, descendent l'escalier, rassemblés par l'action. Seule la petite n'a pas bougé qui pleurniche sur son assiette.

Ah et puis moi, moi non plus j'ai pas bougé. C'est qu'il y a des priorités à gérer dans la vie et que tant que les parents se coletinent le drame d'à côté, ils en oublient de se menacer.

Les éclats de voix zézaillant du voisin ne laissent aucun doute sur son état : il a encore oublié que l'eau pouvait très bien étancher sa soif. J'entends celle de mon père, qu'il sait avoir forte et ferme quand il le faut.

Marrant, ça fait ressortir son accent.

Ma mère remonte en soutenant la voisine au visage un peu marqué et bouffit par les larmes, mais qui se tient surtout un bras.

J'ai bien appris mon rôle, à force, je salue sans insistance puis prend ma petite soeur presque dans les bras (elle est trop grande, quand même pour ça) et lui dit d'un ton ferme et d'un oeil sans réplique

- Allez, viens, on va se coucher.

Elle ravale un sanglot. Tout ce qu'elle voudrait c'est aller se fourer dans les jupes de notre mère, laquelle a pour l'instant d'autres chats à fouetter.

- J'ai pas fini mon yaourt.

Un coup d'oeil échangé avec ma mère qui en est à tapoter le visage de l'autre femme avec un gant qu'elle a humidifié, me donne l'autorisation d'une réponse inhabituelle :

- Tu le finiras dans ta chambre, et puis je vais te lire une histoire.

(je pense : et mes maths, je les finis quand ? Et si après j'ai pas le temps, est-ce que mes parents me feront un mot ? Et pour dire quoi ? Et à quoi bon, le prof dira, des révisions ça se fait pas au dernier moment).

Les voix d'hommes en bas se sont calmées. On entend du remuage de quelque chose, ils semblent à présent passés à côté. Les petits pavillons sont si collés que parfois entre un bruit d'entre deux cloisons simples et un autre venant de la maison voisine, on s'y perd.

La petite soeur s'endort à mon histoire, tout en frissonnant encore quelques sanglots d'enfant.

Je crois que lui souhaiter de beaux rêves, en l'occurence est superflu.

Quand mon père revient un long temps après, je me fais engueuler d'être encore debout, je dis Je révise les maths.

On m'en concède une brêve indulgence, allez, traîne pas, tu fniras demain.

Et puis :

- Le voisin, quel imbécile.

Au matin quand je me réveillerai pourtant de fort bonne heure pour aller en cours, la voisine ne sera déjà plus là. Mes parents ont soudainement apaisé leur relation. Ma mère pour une fois prend son petit-déjeuner en même temps que lui, alors que d'hab c'est moi et moi seule.

D'à côté aucun bruit. Mais au silence soudain de mes géniteurs quand j'entre dans la pièce, je comprends que je n'en saurais pas plus. Je me grouille de manger et je file dans ma chambre réviser ce qui la veille ne le fut pas.

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Mon ami Marc travaille et gagne

(et me met dans l'embarras)

Ce lundi soir, déjà tard

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Je viens de raccrocher. Et je manque de rappeler. Le faire aussitôt ou ne le faire jamais.

C'était Marc. Un vieux copain. Un moment déjà que j'étais sans nouvelles, d'ailleurs depuis début janvier il faisait partie chaque dimanche des gens que je souhaite appeler, et puis une chose, et l'autre, et du travail, et les repas ou la piscine, un Père Lachaise par-ci par-là et je ne le fais pas.

J'étais donc heureuse de voir son nom apparaître sur l'écran du téléphone, quoique vaguement inquiète à cause de l'heure tardive.

Le son de sa voix m'avait soulagée d'emblée. Un Marc euphorique. Comme rarement ou jamais.

Marc est architecte et ce soir il m'annonçait qu'avec son cabinet il venait de remporter un concours extrêmement sélectif pour un groupe de bâtiments pour les J.O. de Londres, certains étant destinés au logement des athlètes.

Son épuisement était palpable, je pensais que les derniers mois n'avaient pas été de tout repos pour lui, et la tension de l'attente du résultat qui l'avait tenu jusqu'ici l'abandonnait.

Il avait décidé de fêter ça, et très rapidement.

- Samedi ça te va ?

- Euh, oui, ai-je bafouillé en rayant mentalement le cinéma, pourtant intéressant qui était déjà prévu.

- Je compte sur toi pour prévenir Wytejczk, moi je n'y parviens pas.

- C'est peut-être normal, il n'y a pas si longtemps, il était à Moscou.

- Moscou, Athènes, Le Touquet, je m'en fous, mais trouve-le-moi, je voudrais tellement qu'il en soit.

J'avais connu Marc grâce à Wytejczk, ils sont amis d'enfance, je savais leur lien fort, si fort, mais que Marc débordé, par période négligeait. J'en avais d'ailleurs souvent consolé mon ami coursier, et parfois même rappelé son copain pour tenter de mettre fin à une période de silence qui inquiétait celui au métier le plus humble. Lequel n'osait pas déranger la haute altitude neigeuse architecturale que son plus précieux pote était devenu.

Pour lui je le faisais.

Le retournement de situation m'avait laissée perplexe. Quelque chose, décidément ne tournait pas rond.

Prise au dépourvu et par crainte de doucher par une soudaine angoisse pour l'ami en silence je n'avais pas su dire, ces simples mots :

- Depuis une carte postale de décembre, sais-tu, je n'en ai pas non plus.

S'y était substitué malgré moi un étrange :

- Le Touquet, pourquoi Le Touquet ?

comme si Athènes allait de soi.

Marc s'était esclaffé :

- C'est venu comme ça, ma belle-famille, ils ont une maison de vacances là-bas.

Puis fin de conversation. Et je suis là, toute stupide, et malheureuse, et qui n'ose pas rappeler.

Demain.

Demain il faudra bien. Pour faire bonne mesure, je composerai avant de notre ami coursier le dernier numéro connu, ce que par respect pour un silence que j'ai fini par comprendre volontaire, je n'ai jamais osé faire pour mon propre compte. Quelque chose me dit déjà qu'il ne sera plus valable et que j'en pleurerai.

   

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Les hommes bavards et grands

Samedi 27 janvier 2007, Paris, quelque part dans le VIIème arrondissement

    Pict0012_3                                                                                                   

Ils font partie des intervenants à un colloque auquel j'assiste, simple spectatrice de taille moyenne.

Alors logiquement ils se tiennent sur les premiers rangs en attendant leur tour d'aller débattre assis à la grande table qui fait face à la salle.

Quand je m'installe ils sont sur les rangées à l'opposée de celle où je me pose.  J'échange quelques mots avec mes voisines de devant. C'est le deuxième jour et déjà les têtes nous sont familières.

Juste au début des débats, à la réclamation de femmes auxquelles ils masquaient la table des débats, ils déménagent soudain pour se placer juste devant nos rangées.

Peu m'importe de voir, j'entends surtout écouter. Mais leur fausse solution, dégêner les unes pour encombrer les autres, me fait pitié, on dirait des politiciens toiletteurs de chomâge : les personnes concernées existent, simplement déplaçons-les, comptons-les autrement, gommons-les. Seulement rien du problème initial n'est réglé.

Ma voisine de devant soupire : l'un deux très grand lui masque toute vue. Je bénéficie d'un léger recul qui me laisse entrevoir au moins certains visages.

Seulement ils ne sont pas que grands. Ces hommes aussi causent.

Ils sont importants, n'ont pas de temps à perdre, connaissent (probablement) par coeur tous les points abordés et donc règlent pendant celles des autres leurs propres interventions.

Une femme légèrement sur ma droite finit par s'en agacer, et leur demande poliment s'ils peuvent se taire ou s'éloigner.

L'un d'eux, somptueux, répond :

- Mais je suis l'organisateur (1).

Et elle sans se démonter :

- Dans ce cas laissez les gens profiter de ce que vous organisez.

Ce qui ne fut pas fait. La conversation se poursuivit, à voix à peine moins forte.

L'éclat de rire qu'en revanche j'ai (difficilement) contenu n'a pas perturbé le débat. J'aimerais que quelqu'un quelque part m'en soit reconnaissant. L'effort fut grand.

[photo : in situ et presque en directe-laïve]

(1) indépendamment du reste, et pour paraphraser un trait d'esprit fameux, il se trouve que je sais ce singulier bien singulier.


La commentatrice

à la Bastille qui n'est plus une prison et en l'absence de RolandoPict0001 , jeudi 25 janvier 2007

Elle était assise juste derrière moi, légèrement sur la droite, la voix chevrottante des personnes très agées.

Celles qui l'accompagnaient n'étaient pas des gamines, déjà joliment périmées, je m'empresse de le dire tant que je peux encore un peu. Elles sortaient grand-maman ou leur joyeuse Tatie Danielle.

Ça jacassait et ça gloussait, dés le moindre entracte. Seulement Mamie Danielle, transportée jusqu'ici et tout court, exultait, et l'exprimait sans savoir s'arrêter.

Elle commentait l'opéra comme on commente un match. (Presque) à haute voix.

J'ai failli m'en exaspérer, d'autres autour de moi l'étaient suffisamment et qui se retournèrent à plusieurs reprises, alors je choisis de leur déléguer cette part désagréable de ressentiment pour me concentrer sur l'essentiel : la drôlerie de la situation.

Ça n'était pas les actions de Rocheteau, ni même Rolando (Villazon) porté pâle, qu'elle pouvait mettre en phrases, mais elle se débrouillait très bien la dame avec ce qu'elle avait sous les yeux, parfois péremptoire (dans ces jugements sur le chant en cours) d'autres fois perplexe (entre toutes ces jolies dames blondes dont l'une des titulaires aussi était absente, j'avoue qu'on s'y perdait) et questionnant comme un enfant qui l'accompagnait.   

Je crois qu'en fait elle était un peu sourde et parlait plus fort qu'elle n'en était consciente.

Aux moments sentimentaux, quoique démonstratifs, Ma bien-aîmée ma voix t'implore, étrangement elle se taisait. Quels souvenirs l'agitaient qui la réduisaient au silence ? Ah, je t'aime fût-ce au prix de ma vie.

Elle goûtait bien la sienne en ce soir de janvier d'un siècle que sans doute elle n'espérait pas joindre, si loin de sa naissance.

Et quand elle a chantonné la barcarole, d'un air ravi et pas si faux, c'est son murmure qui m'a émue et les "chut" voisins énervée.

[photo : flou volontaire d'avant la représentation]


Une expo

mercredi 24 janvier 2007, BNF, l'après-midi

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Dès en entrant je sais que je n'y parviendrai pas, qu'à peine sortie j'aurai oublié l'essentiel, que je ne saurai pas à me concentrer.

Pourtant cette expo m'intéressait. Mais voilà : la force qui m'a poussée à m'y rendre, à peine sur place m'abandonne. Comme si j'aurais dû profiter des lieux, la BNF en l'occurrence, pour y faire tout autre chose, comme si je m'étais trompé de salle ou d'activité.

Seulement je suis là où je suis, il est trop tard pour changer d'avis et puis changer d'avis pour quoi faire d'autre ? Dans quel secteur du bâtiment aurais-je dû me trouver ? D'où me vient ce sentiment de n'être pas sur le bon chemin et pourtant pas loin ?

Gênée par ma perplexité, je perçois très vite que la folie de l'homme auquel on rend hommage, m'est profondément étrangère et peu compréhensible à mon vieux fond stable, si malmené ces dernières années, mais qui de fait, concentré sur ses propres combats envers la fatale faiblesse d'aimer ses proches plus que soi, se ferme aux mouvements des autres.

L'empathie m'est impossible, j'admire distraitement le résultats de ses travaux, un peu dans le désordre et la parole d'Anaïs Nin qui m'épate. J'ai peur de ne retenir que ça.

Une ribambelle d'enfants petits vient me distraire la déception. Ils sont encadrés par quelques adultes et munis d'une sorte de cahier. Un questionnaire à remplir. Ils s'égaillent sur les lieux et spontanément s'intéressent.

Quelques uns s'allongent naturellement afin de recopier un dessin, dans une de ses postures que l'âge rend d'un inconfort incompréhensif. Mais eux, ça va. Ils se sentent à l'aise comme ça. Pas coincés du crayon. 

Une petite fille curieuse, devant un tableau qu'elle ne comprend pas, ni moi non plus, adulte, quoi que mieux qu'elle je devine, s'adresse poliment à un gardien. Lequel lui répond comme à une grande. Ils s'offrent ainsi une belle conversation. Elle est déçue qu'Artaud soit mort, le croyait "de maintenant". Il lui explique que même s'il est mort il y a presque 60 ans, il est contemporain.

Elle en convient. Pose d'autres question.

La folie n'effraie pas les enfants, pas celle en tout cas qui consiste à perdre la frontière entre rêve et réalité, théâtre et vie réelle, images hallucinées et monde tel qu'il est.

- La dame, alors, c'était sa mère ?

Un film est projeté sur un écran presque muet. Je croyais le suivre. En fait non, je m'aperçois soudain qu'il bouclait et que j'ai vu les mêmes images sans doute deux fois.

Un homme un peu hirsute, comme moi, prend un croquis, comme les enfants. En mieux (les deux).

Un vigile s'inquiète auprès d'un collègue de points d'organisation, heure de la pause ou pas déjà, et puis soudain se fait personnel :

- Je crois que Virginie me fait la gueule. Tu sais pourquoi, toi ?

L'autre se marre :  - Ben c'est parce que tu la kiffes pas. Tu lui plais, toi. Alors ça la vexe.

Le premiern, soudain pensif : - Ben, c'est vrai je la calcule pas. [je l'entends penser : elle est pas mon genre], puis incrédule :

- Tu crois vraiment c'est à cause de ça ?

L'autre répond d'un rire, bien sûr, c'est évident, mon pauvre gars.

Quand j'en ai presque terminé de ma visite, sagement effectuée mais plutôt vaine (comme prévu rien n'est resté fors ce que j'ai scrupuleusement noté), il converse attentivement avec l'une des jeunes femmes qui surveillent les salles.

Virginie ?

Ni kiffée, ni calculée, ni (pour une fois) réellement pressée, je quitte les lieux.

Très solitaire. Je sors même sans croiser aucune connaissance. C'est si rare à Paris. Quelques photos effacent l'impression de défaite. Bien couverte, je n'ai pas si froid.

[photo : in situ, par la fenêtre]

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L'homme à l'agenda

Un de ces récents matins

Le train se traîne. Un retard et son arrivée vers Satin Lazare au lieu d'être bienvenue, n'est plus que tolérée. "Pour votre sécurité, ne descendez pas sur la voie" en dit une autre, humaine celle-là.

Ma sécurité m'arrange, je suis plongée dans un bouquin aux parfums Mansfieldéens (1), et j'y suis bien, mais bien. Je ne veux pas en sortir, jamais, pas avant la fin au moins, surtout pas pour affronter l'usine et ses contraintes cruelles, le contretemps pour moi est une bénédiction, un sursis.

Ce n'est pas le cas de tous les voyageurs. Un homme non loin de moi, en uniforme de jeune cadre dynamité de fatigue à suivre les objectifs qu'un tyran d'entreprise lui aura fixés, compulse d'un air plus paniqué qu'énervé, un agenda format ministre et rempli à cette image.

Les pages de la semaine sont grandes ouvertes sur ses genoux, et j'y vois au feutre épais noir un nombre impressionnant de rendez-vous prévus. Des noms, des téléphones, des lieux bien indiqués, d'une écriture régulière et efficace. On dirait une publicité.

La valise à roulettes de l'homme à l'agenda, semble elle aussi sortie tout droit des pages non sauvées d'un magazine, je suis en présence de la version diffuse de l'homme sandwich. Il est à lui tout seul un encart promotionnel.

Le train arrive, enfin pour lui, déjà pour moi. Il plie vite bagage, moi pas.

Quelques autres sages dans mon genre, ou des désespérés, attendent que le gros des troupes ait terminé de se précipiter pour se lever et descendre sans piétiner.

Quelqu'un qui me précède aperçoit à la place qu'occupait l'homme à l'agenda la très fonctionnelle sacoche noire d'un ordinateur portable, que dans sa précipitation le propriétaire sur-occupé avait délaissée.

Le premier est un type honnête, le voilà qui hèle le distrait qui filait sur le quai autant que les roulettes de son autre bagage le lui permettaient. Celui-ci met un temps à comprendre qu'il est concerné. D'autres voyageurs s'en mêlent. D'abord interloqué, sourcils, froncé, il devient rouge de confusion et de reconnaissance mêlées.

Le porte portable à peine récupéré il repart en courant vers son destin si balisé, non sans remercier, mais si brièvement.

J'admire encore parfois la gentillesse des gens et serre cependant mon livre contre moi. Au moins un que je n'oublierai pas. Le retard est conséquent, je pressens les ennuis.

   

(1) "Finn Prescott" de Jérôme Lambert si vous voulez savoir.


Les joies du bricolage

PRE-REQUIS :

balcon (vue du)

voisins d'en face. tout jeune couple très vieil appartement. Tout à refaire. absence de rideaux et de volets, en travaux.

celle d'en dessous ceux d'en face. Même âge que le bâtiment. Sans enfant ni descendant. Semble-t-il. Voilage transparent. S'en doute-t-elle ?

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AU SOIR TOMBE : lumières dans les maisons.

Perceuse furieuse, mais moins que la voisine. celle du dessous. pas le dimanche, jamais le dimanche.

Alors quand dit le travailleur. Ne sera pas chez lui lundi. Ou sinon si tard. Ou partir si tôt.

Le manche du balais. Taper. Plafond.

Lui n'entend pas. Jeune épouse un peu, trouve que la perceuse fait un bruit bizarre. Craint la panne. Fait signe

STOP.

Il stoppe mais se méprend et l'enlace tendrement. L'épousée en oublie son objet.

Au stop.

Pas longtemps.

boum                        boum                         BOUM                          BOUM

Ça tape, ça retape. Se taper la retape. Regards croisés, hésitants.

Ce n'était donc pas l'outil. Ah ça non. Puis ça s'arrête. Haussement des épaules. Un bébé à préparer. S'y appliquer.

Maintentant.

Balais posé, faire les cent pas, ils vont recommencer, victoire trop facile, quelle indignité, ne pas respecter les dimanche. Pas des séraphins ceux-là. Téléphoner. Quel est leur numéro déjà ?

Téléphoner ? Les renseignements ne sont plus ce qu'ils étaient. Tous ces numéros. Lequel ?

Les amoureux, insoucieux, profitent de leur jeunesse. La perceuse attendra. Un fil pend comme un serpent.

Téléphoner à mon avocat (c'est la vieille voisine). Monter ? N'y pas penser, des étrangers (si c'étaient ?). Ils me font peur, ils me font du bruit.

Entend vaguement des cris, ne les comprend pas. A oublié la volupté depuis avant le siècle dernier.

Que se passe-t-il là-haut. Pas jalouse, pas frustrée. Dangereusement appeurée. Elle appelle.

médecin légaliste (le sien). Perceuse du dimanche, ça va chercher loin.

Jeunes, fatigués, heureux. Sur les lieux. Endormie.

Lui hésitant. Peur du serpent, peur du lundi qui l'arrache à sa vie. Finir le travail avant le travail.  Reprend l'autre outil.

Celui qui fait du bruit.

(Essayez de trouver une onomatopée pour le bruit d'une perceuse, je voudrais vous y voir, tiens)

Qu'est-ce que je vous disais docteur, vous entendez ça ? Là-haut, ce bruit. Je ne vous entends plus ? Docteur quel décret pourrait-me sauver ? Ils sont nombreux et fous, c'est dimanche comprenez vous.

Jeune femme endormie, sourit bruit indifférent, confiance en son amant, prière de remerciement.

Je vous salue Marie.

Ventre invisible mais vie promise. Dans quelques mois. Viendra.

C'est inévitable.

Pour un jour de janvier, il fait plutôt doux. Dort sans couverture. Pas froid.

Serpent assassiné, outils remballés, bien travaillé, aimé, homme (jeune) heureux. A quels doux seins ne s'est-il pas voués ?

Pour un jour de janvier, il fait plutôt doux. Sort un instant. Balcon. Panorama. Limité. Tiens, en face, c'est habité. Ordinateur allumé. Désordre visible (forcément c'est chez moi).

N'allume pas une cigarette (le futur papa (ne le sait pas (encore (elle non plus (d'ailleurs))))). Sing a sad song happily in his mind (ne pas déranger sa bien-aimée).

Pour un jour de janvier, il fait plutôt doux. Ont enfin stoppé. Ce bruit de sauvage. L'enfer chez moi.

L'enfer un dimanche.

A quel saint se vouer ? Défendre son droit à la propriété. Ouvre la fenêtre. Va sur Son balcon (je parle de la vieille dame, quoique pas si âgée. Mais si seule. Louve décatie des steppes citadines). Respire un peu. S'accoude.

Sent la présence masculine silencieuse, au dessus. Voit la cendre tomber.

Alors qu'il ne fume pas.

Recul précipité. Froussarde, va.

Tiens, en face, c'est habité. Ordinateur allumé. Encore une qui fait pas son ménage (forcément c'est chez moi).

Le balais qui tape. Sous peu, un papier bleu (devenir).

Quant au ventre, un bébé (nettement plus tard, on s'en doute)

[photo : dans Paris peu importe où, puisque c'est une fiction]

   

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Les corps cachés

samedi 20 janvier 2007, peu importe à quelle heure

J'avais déjà remarqué aux piscines que nous fréquentons Stéphanot et moi, combien les jeunes générations tendaient à s'emballer, les garçons comme les filles, nouant leurs serviettes de bain à la taille, quand ceux de mon âge, anciens insoucieux adolescents des années 70 aux corps vécus pas encore tout à fait usés, nous baladons le tissus éponge à la main ou passé sur l'épaule.

Au club de sport que je fréquente, je me rends compte aujourd'hui que les vestiaires ont été   pourvus d'aménagements nouveaux : une cabine individuelle, quand depuis deux décennies tout fonctionnait en collectif sans souci particulier, des douches à présent fermées quand les emplacements certes individualisés en restait avant ouverts. Ce qui présentait l'avantage d'éviter tout risque de se cogner à la porte de verre dépoli, me suis-je dit en me tenant le genou droit désormais douloureux.

Sur la même période les télévisions rivalisent d'intrusions, de cobayes humains volontaires pour habiter des lieux filmés, jusqu'à parfois faire l'amour quand le sexe n'est pas leur métier, sous les yeux bienveillants et guetteurs de caméra infra-rouges bien réglées.

Et les panneaux publicitaires qui envahissent chaque jour davantage notre espace visuel citadin, au point qu'aucune marque ne signifie plus rien tant la saturation est grande, présentent toujours davantage de femmes dénudées, ou si peu habillées que c'en est encore pire. Du point de vue de la suggestivité s'entend.   

Quelque chose donc m'échappe, entre le retour du prude et le déballage envahissant. Cette contradiction apparente d'un monde vieillissant.

Je vais demander à Eugène ce qu'il en pense, peut-être a-t-il sur les (dés)organisations humaines un oeil plus avisé que le mien.

      

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Un homme qui attend

Jeudi 18 janvier 2007, encore en vie près de la Bourse

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Il a cet air égaré et touchant de ceux qui débarquent dans un lieu, sur une place, à une ville, pour la première fois, ne s'y retrouvent pas et ont pourtant quelque chose d'important à y faire. Il peut s'agir de travail ou bien de sentiments.

Pour l'heure il sort d'un parking souterrain et je le croise en me rendant à un rendez-vous lié à mon emploi. Je ne suis pas en retard, tout dépendra des contrôles de sécurité et de la diligence ou non des quelques ascenseurs. Bref, on ne m'attendra pas seulement si je ne traîne pas.

En le voyant ainsi et compte tenu de ma tête à chemins, je m'attends à ce qu'il m'intercepte pour demander le sien. Je me demande si je n'ai pas machinalement ralenti le pas.

En prévision.

Mais non.

Tant mieux, je file.

Certaines fenêtres du bâtiment donnent sur l'endroit. A un moment je lève les yeux, pour prendre une respiration, fixer un point lointain. Je m'aperçois un peu surprise qu'il est toujours là. L'homme perdu. L'homme perplexe. Il regarde dans toutes les directions comme qui guette une arrivée. Téléfonino en main.

   

Reprise par mon activité, j'en oublie de suivre son sort de parisien d'emprunt. Un habitué du quartier aurait déjà ouvert un livre ou un journal. Il ne fait pas froid, attendre dehors est supportable. J'en déduis donc qu'il vient de loin.

Ce n'est que le travail qui m'amenait là achevé, alors que je me lève et enfile mon caban, que je constate qu'il est toujours là. Cette fois-ci pendu au téléphone et faisant les cent pas (avec des gestes).

  Le temps de saluer ceux avec lesquels j'en avais terminé, descendre et ressortir, plus d'une heure s'était écoulée entre mon arrivée en ces rues et mon départ. Quand je suis passée devant l'entrée du parking, L'homme était toujours là.

Qui attendait.

Impatiemment.

Quelque chose (mais quoi ?) ou quelqu'un (mais qui ?).

A présent franchement nerveux ; pas encore énervé. Déjà inquiet. Fort perturbé.

Prise par mes propres contraintes, démarches et tracas, je n'ai pas osé lui demander, comme un jour un homme bon pour moi l'avait fait en des termes assez proches : "Quelque chose ne va pas ? Je peux peut-être aider ?". Et puis je n'aurais pas voulu perturber l'éventuelle cause de sa perturbation si toutefois elle arrivait enfin.

Alors je me suis tue, complètement abstenue.   Il n'allait pas si mal, allez ... 

Je ne sais plus quand il convient ou non d'aider. Ça m'afflige plus que jamais. Je crois qu'autrefois je savais. Avant (1)

      

[photo : in situ, carrément]   

(1) référence au billet de Christie sur nos avant/après

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