Previous month:
novembre 2006
Next month:
janvier 2007

0 billets

Apprendre à finir (1)

(1) emprunt sauvage et sans autorisation (je ne sais pas comment le joindre) d'un titre de Laurent Mauvignier et qui c'est sans doute imposée malicieusement après que j'aie lu ceci :

Avant "Les Bienveillantes", il y avait "Les Bienveillantes" !!! sur le blog d'Alain Mabanckou complété de cela :

Touche pas à mon titre sur le blog de Pierre Assouline alors que je cherchais si un feu d'artifice partant de la Tour Eiffel allait ou non avoir lieu au soir du 31 (charmes imprévus de l'internet)

Pict0024_2

Samedi 30 décembre 2006, vers les Grands Magasins.

 

Elle tient tendrement la main de son amoureux et badine un peu, saluant d'un retentissant :

- How are you, boy ?

le bibendum gonflable qui garde la vitrine et qui ne répond rien.

Le garçon de son côté s'est arrêté sans broncher, la regarde et l'écoute avec le sourire niais de qui se sent sexuellement apaisé, ce mélange inégalable de fatigue et de contentement. Repu.

Ceux-là ont bien commencé leur séjour à Paris pour la nouvelle année.

Je n'ai pour ma part que l'épreuve de la fatigue et du corps douloureux, je sors rincée d'un cours de danse intense, où malgré tous nos efforts conjugués, je ne suis pas parvenue vraiment à infléchir la pente fatale de mes sombres pensées.

La fin d'une année rude ne peut être facile. La solitude l'a emporté, malgré ça et là un signe encourageant,  et la présence à mes côté d'un formidable Stéphanot.

Je rentre donc à pied pour tenter de respirer un peu de l'air heureux des touristes insouciants qui nous font l'honneur de venir de loin pour célébrer l'an nouveau à notre porte, quand nous-mêmes priviligiés sur place n'avons rien prévu, ou si peu.

Les groupes se hèlent, les photos fusent. J'admire les équipements, du pseudo professionnel imposant au telefonino multi-carte qui peut filmer mieux que servir à parler.

Ces deux autres, là, semblent bien sages à côté de cette agitation. Ils ont fait quelques emplettes, portent chacun un sac mais sans être trop chargés. Quand ils me croisent j'entends l'italien.

Je ferme les yeux, rêve un instant d'être là-bas. Je choisis Sienne, pourquoi pas. Mais ils n'ont pas l'accent toscan. Mon songe sera pour une autre fois.

Le bonheur hélas n'est pas si contagieux. Mon sac de sport m'allourdit l'épaule. Je me fraie un passage jusqu'à la rue du Havre. J'y arrive consciente d'avoir perdu du temps d'auprès les miens sans être parvenue à alléger mon chagrin. J'avise une cabine téléphonique que les affiches sauvages ont rendue remarquable. Je la photographie avant d'être tentée. Si j'appelais ?

Au moins Wytejczk, d'entre ceux et celles qui sont loin de moi ou loin de ma vie et me manquent, le remercier de sa carte, lui souhaiter, légèrement en avance, une excellente année.

Et puis je me ravise. J'ai si peur d'encombrer. J'ignore trop de choses de sa vie présente ainsi que le motif de son éloignement.

Je range mon appareil photo et me hâte vers la gare voisine, prendre vite un train, et de vitesse ma peine. Un quart d'heure plus tard je suis à la maison. Stéphanot et sa soeur m'accueillent joyeusement. Les congés leur font du bien.

La cuisine est remplie, on prépare un brin de repas dans le désordre et le mouvement. Et pourtant j'y suis seule (2).

[photo : ceux dont je parlais ; arrières de l'Opéra Garnier]

(2) merci encore à Tippie pour son très beau billet

sur ce :

   

Lire la suite "Apprendre à finir (1)" »


Mes voisins [des temps] anciens - partie 3 - Louis F Céline

La Garenne - (d)Rancy, vendredi 29 décembre 2006

Pc290027

Mon troisième voisin, m'embarrasse bien.

J'avais lu "Le Voyage ..." sans préjugé, sans doute encore très jeune et n'y connaissant rien, probablement un hasard de bibliothèque, quelqu'un qui le rendait et je passais après.

Je me prends une grande claque en pleine gueule. A peine un peu moins que pour le 1984 d'Orwell, quoi que concernant ce dernier à part la si poétique langue Ingsoc, je n'ai pas de souvenirs du style.

De celui du "Voyage ...", si.  A tel point que j'ai d'abord cru à un récit récent, je devais être tombée sur une édition des années 60, un temps où l'on bavardait peu autour de l'oeuvre. On la présentait, c'est tout.

J'ai un souvenir (mais n'est-il pas recomposé ?)  d'avoir cherché à me documenter. Mais qui peut bien être le type qui écrit comme ça ?

1932 ? Ouah !

Autant je me méfie de la précocité, sans doute parce que je ne crois (presque) qu'au travail, autant je suis sensible à ceux qui ont de l'avance sur leur temps. Et lui, mazette, de l'avance, il en avait.

Des phrases me restaient collées à l'intérieur du crâne. Je voyais la guerre. Pensais à mon grand-père (1). J'y étais.   

Et même si je détestais ça, les tranchées, le gars capable de m'y balancer, juste en assemblant des mots, je l'admirais, et j'aurais bien aimé l'aimer bien. C'est assez logique quand on admire quelqu'un. On aimerait tant que ceux qui savent sachent.

Las, je tombe rapidement sur des déclarations effrayantes, des appels à l'extermination. Je pense à de la provocation, je n'y crois pas et puis je lis des commentaires et là "Oh non".

Je me dis, affligée, que le monde est mal fait, ce serait tellement plus simple à la fin si les bons étaient les gentils et les nuls les méchants (2).

Après, je n'ose plus trop le lire. Je sais que je ne pourrais plus le faire comme avant, plus apprécier les mots sans arrières-pensées.

Je ne sais plus si ni quand j'ai réellement lu "Mort à Crédit". Mon souvenir en est instable.

Je suis d'ailleurs quelqu'un qui ne sait bien que douter. D'où sans doute une (trop ?) large tolérance. Seulement quand il s'agit de désigner une partie de population comme responsable des maux des autres, et inciter ceux-ci à la haine envers elle, surtout si le déterminant de cette partie est une origine de naissance à laquelle elle ne peut rien, la tolérance je ne l'ai pas. Sans doute leur haine qui déteint.

Alors le docteur Destouches, ce voisin des temps précédents, qui peut-être pour (certains de) ses proches fut un type presque bien, il m'encombre, m'effraie et me désole.

Il refuse en ricanant toute circonstance atténuante.

Je pars malgré tout ce matin photographier l'un des lieux de cette banlieue qu'il a détestée et qu'au contraire j'ai appris à aimer. J'en reviens glacée ; avec l'image d'une inscription presque effacée. Peut-on garder une oeuvre et oublier qui l'a donnée ?

(1) maternel qui avait "fait" Verdun et en est revenu. Du coup je me considère comme une descendante de miraculé. Ce qui aide certains jours, et d'autres au contraire non (je ne devrais pas être là, je suis vraiment de trop).

Cf.  un billet récent de Kozlika qui évoque un peu ça

(2) et peu importe si tout le monde fume
(private joke, pardon)

[photo : Destouches effacé ; 10 rue Fanny, Clichy La Garenne, le dispensaire alors tout neuf où le docteur Destouches travailla de 1929 à 1937 ; auparavant il tint un temps un cabinet privé au 36 rue d'Alsace où également il logeait]

Lire la suite "Mes voisins [des temps] anciens - partie 3 - Louis F Céline" »


Bons bisous de Moscou

jeudi 28 décembre 2006, dans ma boîte aux lettres puis sous mes yeux ébahis

Cimg1401_rec_copie

J'attends quelques paquets, du matériel informatique léger et complémentaire, un CD commandé, le cadeau [de Noël] de la grande, mais dans le fond pas de courrier [postal].

Les voeux s'échangent désormais sur l'internet en grande majorité, et comme dans la famille nous survivons assez peu je n'ai guère de proches d'un très grand âge que les ordinateurs auraient effrayés, à qui en envoyer respectueusement au moyen de timbres et papier.

Je me trouve donc surprise de trouver dans le lot de courrier du matin une carte postale, très belle, très moscovite, la place rouge sous la neige juste ce qu'il faut mais pas trop afin qu'on la reconnaisse.

Je la retourne aussitôt, je ne savais pas que quelqu'un de ma connaissance y séjournait, la signature est très lisible :

Wytejczk

Mon coeur saute de joie, pour ma part j'attends un instant : que fait-il là-bas et quand et que dit-il ?

Il dit peu mais c'est doux :

" Je n'ai pas donné de nouvelles depuis longtemps. Ma vie a changé, tu sais. Je pense bien à toi"

et puis agrémenté d'un :-) "Bons Bisous de Moscou".

Le cachet de la poste fait peut-être foi mais je ne sais pas le lire, seulement les chiffres. Un 10 et puis l'année, 2006, celle où nous sommes pour quelques jours encore. Quel mois ? Décembre ? Novembre ? Je renonce à déchiffrer.

C'est bien son écriture.

Bon alors le 10 de quelque chose de cette année-là, il était loin, il devait aller bien (suffisamment pour écrire, le faire et y songer) et il pensait à moi.

Ainsi confirmée dans mon existence, je dédaigne l'ascenseur et monte quatre à quatre nos trois étages pour prouver aux tartares qu'ils peuvent bien arriver, ouvre la porte sans coup férir, j'avais déjà la clef à la main, tiens, et toute joyeuse brandis la carte sous les yeux d'un Stéphanot que le bruit d'une cavalcade qui lui fut familière mais ne l'était plus depuis de longs mois a attiré dans le couloir d'entrée. Il a compris au son que quelque chose s'était passé et amariné au pire est immédiatement soulagé de comprendre que pour une fois du bon, enfin, est arrivé.

Il connaît mon ami qu'il a déjà croisé plusieurs fois et sais, même si je n'en parle guère, que son absence prolongée et inexplicable me pèse et me tourmente.

L'enfant lit, sourit, ses yeux me disent "au revoir tristesse", mais quand même il s'interroge :

- Qu'est-ce qu'il est allé faire là-bas ?

- Je sais pas moi, l'espion. Et je rigole bêtement.

Enfant de fin du siècle, d'une période de guerres tièdes, meurtrières et éparpillés et dépourvue de mur allemand, il ne comprend pas l'allusion. Alors j'essaie d'expliquer l'ancien monde, celui du temps de ma jeunesse, celui qui est déjà plus dans les livres d'histoire que dans la mémoire vive des gens, quand dans les films USaméricains ce n'étaient pas les mêmes méchants que maintenant.

Le micro cours d'histoire improvisé et incomplet achevé, je scrute une dernière fois la carte, comme si elle pouvait m'apporter d'autres nouvelles, entre les lignes déjà trop brêves. Puis je la glisse dans mon sac à main au creux solide de l'agenda 2007 que l'usage n'a pas encore déformé. Je la perdrais moins vite ainsi ou bien lui aussi.

Pour la première fois depuis de longs mois, aujourd'hui j'ai rangé ; sérieusement ; de nombreux papiers.

[photo : pas celle que j'aurais souhaité afficher mais un quelconque pêle-mêle]

 

Lire la suite "Bons bisous de Moscou" »


Fumetti

Ici et ce matin

Cimg1374 Je lis ces mots ce matin

"Bon. Noël était passé"

dans le livre que j'ai en main (1).

A mon réveil je le pensais. Je me sens soudain à nouveau accompagnée. Je sais pertinemment que ça ne saurait durer.

Il me faut accomplir aujourd'hui quelques corvées pas seulement ménagères, un trajet un peu long mais nécessaire, ranger malgré l'appréhension que j'en ai, rien n'est plus douloureux que de retomber sur les traces hasardeuses (2) d'un bonheur perdu.

Je cherche courage sur l'internet. Déjà hier l'annonce d'une naissance m'avait apporté son rayon de soleil. Peut-être qu'aujourd'hui aussi, une bonne nouvelle m'attend.

Las, en cette période de fête où peu d'amis sont chez eux, ma messagerie pour une fois ne comporte que des missives impersonnelles ou purement pratiques. Je parcours distraitement la "check-list" du Monde quand je tombe sur un petit lien qui promet bien 

et, peu après, son cousin (plus guerrier mais la seconde partie est somptueuse).

Ce sont deux animations à l'idée de départ si belle pour qui pense souvent à l'âme des ordi[nateurs]. Elles ont semble-t-il été conçues par un certains Alan Becker.

Je doute fort qu'il s'agisse de celui-ci, même si les êtres humains sont fort imprévisibles et que je suis bien placée pour savoir que personne ne connaît jamais vraiment qui que se soit.

En revanche, je veux bien croire qu'il s'agisse de celui-là, auquel je prédis un grand avenir si la vie ne l'accidente pas.

Pour faire bonne mesure, j'ai complété ma vision de fumetti, par le père, l'ancêtre, celui de ma jeunesse (c'est dire s'il date) :

LA LINEA

d'Osvaldo Cavandoli.

(1) "Ensemble c'est tout" d'Anna Gavalda. Un excellent livre de convalescence.

(2) un message imprimé juste avant de quitter la maison et glissé dans une poche, un début de réponse édité par précaution lors d'une interruption exogène mais qui conserve le texte du premier envoi et tant de choses personnelles de tout ce qu'on peut se passer et s'échanger quand on est en amitié (et qu'on fait la même taille ;-)

   

[photo : le gris et les lumières ; Clichy la Garenne, this very morning]

Lire la suite "Fumetti" »


Les pères (Noël) (sus)pendus

      

Taverny (Val d'Oise) lundi 25 décembre 2006

Pc250028   

Ce n’est certes pas la première année que ces pauvres sangsues rouges sévissent à nos fenêtres, mais la mode semble en avoir gagné ; dans nos banlieues reculées, une surenchère entre voisins, mon rouge est plus beau que le tien.

J’avais déjà l’énergie en berne, entre soucis de plomberie, coupure d’électricité, nuit raccourcie, émission de radio matinale qui m’avait fait trop d’effet, contrainte familiale à honorer, solitude en sentiments (1) qui me brûlait plus que jamais. La brume depuis Paris, nous accompagnait. Bref, le gris était plus que parfait.

On arrive à destination, voilà que cette enfilade sordide achève de me plomber, un comité d’accueil de (sus)pendus sans leur gibet et pour signifier quoi ? Qu’au domicile où ils sont accrochés, on aime trop consommer ou bien se conformer ? Qu’on a perdu en route tout sens de la beauté ?

Comme des cotillons tristes d’un lendemain de fête forcée qu’on n’aurait pas encore balayés, ils nous renvoient à notre condition de piteuses unités de consommation. Croit-on vraiment nos descendants dupes du mensonge de société ?

J’espère que Stéphanot et sa sœur nous savent gré de ne pas les avoir bernés, et qu’il n’ont pas eu à subir comme moi autrefois (2) la dictature par la bêtise naïve de ceux qui ne doutent pas, de nous être contentés d’organiser par le passé une distribution discrète qui offrait un peu de magie mais sans baratin ni duperie aucune et de n’avoir appuyé le (très léger) mystère que de silence et de sourires tendres.

Au moment de partir, soulagée à l’idée de pouvoir retourner travailler (3) et rentrer répondre tranquillement aux amis qui m’ont depuis jeudi écrit (4), j’en ai même repéré un avec échelle incorporée.

Pc250018  

On n’arrête pas le progrès. Est-ce qu’au moins ça amuse certains pauvres enfants ?

[photos prises aujourd’hui même : hélas pour cette fois je n’invente rien]

(1) je ne suis pas seule physiquement, ni en réalité ni en semi-fiction.

(2) depuis 2 ou 3 jours je me sens moins seule

(3) mon travail personnel bien entendu

(4) ce n’est pas que je sois adepte d’une quelconque discrimination calendaire, c’est juste que les messages à peine précédents sont partis chez le dépanneur en même temps que l’ordinateur qui les abritait.

Lire la suite "Les pères (Noël) (sus)pendus" »


Un bon compagnon de route et de déroutes

Clichy la Garenne, dimanche 24 décembre 2006 avec l'aide de son jeune remplaçant

Compagnon_de_route_081206cimg0972_1 Jamais je n'aurais imaginé qu'une "note en tu" puisse un jour concerner un objet.

Pourtant ce soir c'est de lui que je souhaite parler. Pauvres humains que nous sommes, si souvent défaillants, nous avons du mal à ne pas songer que si certains objets inanimés ont une âme, les ordinateurs sont bien de cela.   

Il avait trois ans peu ou prou et un clavier parfait, extrêmement confortable, dont à force de travail j'avais rendu brillantes d'usure les touches les plus fréquemment employées.

On s'entendait bien. Il avait accompagné mes premiers essais d'écriture un peu sérieux,   j'ai participé grâce à lui à quelques travaux dont je suis fière, fait de belles rencontres sans l'avoir recherché, beaucoup échangé de mots et de photos.

Depuis la rentrée il manifestait d'évidents signes de fatigue et de saturation ; comme un être humain qui serait surmené.

Je tentais de le ménager, d'anticiper ses coups de moins bien, d'effectuer quelques sauvegardes à la façon dont un homme ou une femme qui sent sa mémoire devenir fragile prend des notes à longueur de journées et établit des listes. J'usais ma patience dans de longues périodes où une information anodine lui prenait longtemps à récupérer, je ne pestais pas quand il se déconnectait. J'étais juste, parfois, affligée.

Mais jamais je ne lui en voulais. Je voyais bien qu'il ramait.

Le premier mercredi de décembre il a défailli pour de bon, comme un coma électronique. J'ai tenté en vain de le réanimer.

A la clinique des petites machines, ils ne m'avaient rien promis.

Et puis ils étaient parvenu à le rétablir, à nouveau il fonctionnait avec toutes ses données. Seulement il suait l'essoufflement comme moi la solitude, peut-être aussi qu'il a voulu m'aider ; en disparaissant il contraignait qui dit m'aimer à témoigner de son sentiment et de son assentiment à mon activité par un effort immédiat et concret.

Il y a quelques jours, il s'est éteint à nouveau. Il me reviendra sans doute et non sans quelques unes (j'ai bon espoir, est-ce illusoire ?) des données qu'il contenait. Mais il aura probablement un nouveau disque dur. Une greffe de cerveau en somme.

On ne reconnaît pas encore aux humains la liberté de mourir dans la dignité selon le choix qu'ils souhaiteraient face à la maladie fatale (1) ou à l'accident presque mortel qui les laisse souffrir d'épouvantables séquelles, alors pour les ordinateurs de qui n'est pas fortuné, c'est l'acharnement électronique thérapeutique assuré.

J'espère qu'il ne m'en voudra pas s'il finit différent mais sauvé, en d'autres mains que les miennes déjà fort occupées par un plus jeune que lui, pour l'instant fringant et fiable et qu'à l'inverse de l'instar d'un nouvel amant j'ai commencé par habiller puisqu'il est venu nu.

Je tenais à remercier mon premier ordinateur de cuisine pour sa loyauté sans faille de petite machine fidèle, qui dans la détresse du début de l'année m'avait permis malgré tout de tenir en me permettant de travailler. Et bien évidemment tous ceux et celles qui avaient participé à la conception d'un si bel outil. 

(1) exemple récent ici , parmi hélas tant d'autres, celui de Piergiorgio Welby à présent délivré. Merci à Embruns de me l'avoir fourni.

Un immense merci aussi à Kozlika sans le secours de laquelle je ne m'en serais pas sortie.

[photo : lui-même avant notre première séparation pour panne]

Lire la suite "Un bon compagnon de route et de déroutes" »


Monsieur Hulot prend des vacances (1)

Jeudi 21  décembre 2006, à la nuit tombée

J'aurais dû me méfier. Quand les quais et la rame de la ligne 14 ressemblent à ceux de la ligne 13 à l'heure d'aller travailler, c'est que forcément il y a anguille sous roche, panne sous rail, retard à prévoir.

Mais peu après mon arrivée sur le quai, la sonnerie retentie, comme je crains d'être en retard à un rendez-vous précis, et que même en manteau et malgré mon sac à main à dos je ne suis pas bien grosse, je me glisse dans le véhicule en partance.

Madeleine vient sans attendre, je consulte ma montre, même si une fois sur place je cherche un peu le lieu du concert,  je serai à l'heure.

C'est étrange, nous voici sur le quai de la direction opposée.

Et il y a plein de monde sur l'autre rive.

Serions-nous collectivement passés dans une autre dimension ? Aurais-je commis l'erreur de prendre l'Eurostar plutôt que Météor et ainsi rejoint un pays où les rames roulent à gauche ?

Autour de moi, on se partage entre maugréments et hilarité. J'ai comme l'idée que beaucoup d'entre mes compagnons de route n'en sont pas à leur premier Satin-Lazare / Madeleine.

A l'instant où après avoir entendu un crachouillis inaudible dans le micro, digne d'un quai de gare accueillant monsieur Hulot, je comprends qu'on va repartir en arrière et que Madeleine après tout c'est un peu mieux que rien, compte tenu de ma destination, les portes se referment.

Même si une fois sur place je cherche un peu le lieu du concert,  je serai à l'heure.

Si une fois sur place je cherche un peu le lieu du concert,  je serai en retard.

Autour de moi, le retour à la case départ, joint au spectacle de la surprise de quelques nouveaux venus qui n'avaient pas eu le temps d'envisager ce qui les attendait, rend l'hilarité victorieuse.

Entre deux hoquets rigolards une dame dit, Ben heureusement qu'à cette heure-ci le travail on s'en retourne.

Plusieurs dégainent leur téléfonini, je serais en retard chérie, fait donc manger les gosses. D'autres se sont sur eux un peu tassés, sans mot dire ni maudire extérieurement, mais on sent que ce tour de manège métro intempestif risque de leur poser quelques problèmes sérieux.

J'imagine le grand Jacques (2) parmi nous, comme il se serait régalé. Je ne crois pas en l'au-delà mais je tente malgré tout mentalement de lui envoyer la scène. J'ai une confiance farfelue en mes capacités d'émission - réception. Quelqu'un la recevra bien et qu'elle fera marrer.

A Satin-Lazare, la population locale se scinde en deux groupes hésitants : les uns sortent précipitamment, craignant une condamnation pendulaire à perpétuité, les autres restent, bien décidés à ce qu'enfin on les entraine vers la destination prévue.

Si une fois sur place je cherche un peu le lieu du concert,  je serai en retard.

Plus aucun doute,  je serai en retard.

Je file avant même d'entendre complètement le message enfin écoutable d'avertissement et d'excuse d'un incident technique trafic interrompu pour cause de ... veuillez empruntez les ...

3 + 11, ça va le faire.

Beaucoup de monde sur la trois. Je ne suis pas la seule à avoir envisagé ce subterfuge de substitution ; de ce fait des arrêts plus longs.

Plus aucun doute,  je serai en retard.

Plus aucun doute,  je suis en retard.

Au changement à Arts et Métier, je consulte ma montre, constate affligée qu'il est déjà l'heure à laquelle je devrais être arrivée. Même en songeant à Tati, soudain je m'amuse moins.

(1) hé non, ce n'est pas une supplique politique, que sinon j'aurais écrit, monsieur Hulot, prends des vacances ... :-) même si je fais partie de ceux que ça agace de vivre dans un pays qui ne retrouve un sens minimaliste de l'écologie que tous les autrefois 7 et désormais 5 ans. (cela dit si il en ressort enfin quelque chose de concret et qui soit de bon sens, je n'ai rien contre bien au contraire, c'est juste le côté brouhaha médiatique réglé comme un coucou suisse qui me déplume)

(2) Tati, forcément.

PS : finalement je suis arrivée tout juste pour le début réel, d'un concert de bon niveau et qui m'a fait du bien et plaisir d'y entendre quelqu'un que j'aime beaucoup.


Complice (involontaire et) congelée

Montreuil, à la sortie de Croix de Chavaux, tout récemment au bord du soir (1)
    
Pict0005_1
 
Je n'ai pas faim, non, pas vraiment. Mais froid. Ça oui. Alors une sorte de bon ou mauvais sens populaire me pousse à me nourrir, avaler un truc chaud, presque n'importe quoi. Mais brûlant. Et maintenant.
    
Je sens venir la défaillance.
   
Ça tombe bien, à la sortie du métro, sur la gauche aussitôt, se trouve un traiteur chinois. Un riz gluant, un potage pékinois, quoi que ce soit ça ira. Et généralement ce n'est pas trop cher. Moins que la crêpe française d'en face si je la prends autrement qu'au sucre. Le sucre court ne m'aide pas, je ne sais pas pourquoi. Et je n'ai pas de goût à ça.
      
Décidément, j'ai de la chance dans mon malaise, une seule cliente est là. Je n'attendrai pas. Il est préférable dans ces moments-là de ne pas se louper, s'effondrer en grelottant à l'orée d'une boutique, on a beau tenter d'expliquer entre deux dents qui claquent que ce n'est rien juste une crise de froid, ça fait mauvais effet. Surtout quand on est comme moi équipée de deux paires de chaussettes, de chaussures d'homme aux semelles épaisses, d'un gros pull sur un petit, d'un bonnet, d'un machin à capuche, d'une écharpe chaude, d'un manteau cohérent et de mitaines de laine, alors qu'il fait encore au dessus de zéro (bon sang comment vais-je survivre aux froids de février ?). Qui d'inconnu pourrait comprendre que ceux que j'aime en partant ont éteint le chauffage comme définitivement ?
Je ne suis pas Julie Andrews dans Victor Victoria, un malaise dans ce cas ne me permettrait guère de rencontrer que des ennuis.
    
La cliente est corpulente. Massive. Une de ces armoires ambulantes aussi larges que hautes. Même sur la ligne 13 personne n'ose les piétiner. Un tel volume impose le respect. Elle a de plus un port de reine et le français travaillé de qui est fier de le parler.
   
Et commande à n'en plus finir toutes sortes de plats et en quantité. Je me dis "Just my luck", tente de me détendre, allez, dans la boutique il ne fait pas si froid.
Je donnerais n'importe quoi pour que Wytejczk y entre à l'instant, s'exclame "Salut ma petite Gilda ! On se prend quelque chose ? J'ai un peu de temps, là", s'excuse d'un sourire auprès de celle dont la liste n'en finit pas, et demande aussitôt poliment deux thés chinois fumés et fumants qu'on consommerait sans tarder.
 
Quelqu'un effectivement entre à l'instant dans la boutique et salue à la cantonade.
   
Seulement en place de l'ami espéré, c'est un monsieur élégant et qui alors que la cliente précédente clôt enfin sa commande, demande une brioche à la viande, chauffée s'il vous plaît.
      
En temps normal, habituée par mon peu de présence physique à être purement ignorée, je laisse filer. Il y a toujours tôt ou tard une bonne âme qui s'aperçoit que je suis là et l'attente use moins d'énergie que de hausser la voix. Mais là je sens que si je patiente trop ça va mal tourner, en plus que la bouffée d'air froid qui a accompagné l'homme lorsqu'il entrait est en train de s'enrouler autour de moi comme le python motivé autour du petit Mowgli.
      
Alors je signale doucement que c'est mon tour et indique ce que je souhaiterais. Le type se confond en excuses, il dit j'ai pas fait exprès, insiste pour que je le pardonne, ce qui est déjà fait, c'est juste que j'ai trop froid pour parler, trop froid pour expliquer que d'habitude c'est pas grave mais que là je vais pas bien et puis d'abord je n'ai pas envie de lui raconter ma vie, moi, à cet homme.
    
La commerçante met enfin mon riz à chauffer, mais le soulagement est de courte durée. Car elle s'inquiète : où est passé le chèque que la cliente précédente a fait ? J'esquisse un signe que je n'en sais rien, peu importe en fait : la boutiquière a déjà quitté les lieux tellement précipitamment qu'elle laisse la porte ouverte.
    
Je n'ai ni la force d'aller la fermer ni celle de demander au resquilleur de le faire ; lequel d'ailleurs ne dit plus rien. C'est déjà ça.
    
Elles reviennent. La cliente volumineuse fouille dans son sac à main, y trouve le chèque effectivement écrit, et dûment signé, s'excuse sur le mode "Où avais-je la tête ? Vous voyez, je l'avais même signé, j'ai dû le reprendre sans faire attention, je n'ai pas fait exprès."
   
Tiens, lui non plus, tout à l'heure. Il avait même ajouté : - J'ai cru que vous étiez ensemble.
   
A présent c'est moi qui le croit ; à leur sujet. Avec le sentiment désagréable d'avoir joué le rôle du jambon dans le sandwich.
 
La tenancière chinoise remercie, fait signe que c'est bon, leur laisse quant à elle le bénéfice du doute. La femme corpulente quitte les lieux en saluant cette fois poliment. Puis moi, puis l'homme presque sur mes talons. Sa hâte me le rend d'autant plus suspect.
   
Entre la mastication, la chaleur de l'aliment et ces questions que je me pose, j'ai enfin moins froid. Je reprends, perplexe, mon chemin. S'ils sont de connivence, leur technique est bien au point. Le montant du chèque n'était pas anodin. 
   
(1) l'expression n'est pas de moi mais on dirait que pour cause d'emploi du temps qui tend à scinder mes journées salariales en deux parties étanches dont le chien et loup est la charnière, elle m'a définitivement adoptée.
(PS  pour qui de droit : si ça t'embête je l'ôte)
      
[photo : aux abords de la boutique, un des jours d'avant]

Médée dans ma cuisine

Cuisine_171206

 
dimanche 17 décembre 2006, Aubervilliers
    
 
 
 
 
La première partie du spectacle avait lieu autour d'un confessionnal. Certains effets comiques à mon goût délicat semblaient un peu outrés ; le public, lui, appréciait. Je ne suis donc probablement qu'une snob minoritaire.
   
 
Le texte, hélas, était daté années 70 et avait mal vieilli ; même si le propos conservait hélas toute son actualité : en tentant de retrouver son fils une femme au sein d'une communauté recouvrait un peu de la liberté qu'elle n'avait pas dans son foyer. Mais le mari, pourtant volage, et le fils la faisaient rechercher par les carabiniers pour abandon de domicile fixe.
   
 
J'admirais le travail de l'actrice, Ariane Ascaride. C'est pour elle que j'étais venue, pour elle et pour la seconde partie du spectacle, Médée, en raison d'un livre que j'ai lu et aimé au printemps dernier.
   
 
Seulement en admirant je restais en dehors, glacée dans mon chagrin, pensant à nos connaissances communes, au centre nautique Michel Thermos si proche de sa maison (1), à mon ordinateur défaillant, à mon coeur gros comme le déficit sur mon compte en banque (n'y voyez pas de lien de cause à effet, ça irait certes mieux sans soucis financiers mais sur la période c'est bien le cadet).
   
 
 
Quand tout à coup, à l'occasion d'un changement de décors préludant à la seconde partie, je vis Ariane dans ma cuisine. La scène lui ressemblait à présent d'une façon troublante, n'y manquait que l'ordinateur (2) et quelques meubles en pin que nous n'avons jamais eu les moyens de remplacer élégamment.
   
 
 
Le hic c'est que tout en préparant une recette à vous assassiner un honnête homme et en décapitant deux poulets comme l'originale aurait fait de deux gosses, elle y était Médée, furieuse, blessée, possédée et émouvante enfin quand pendant la cuisson elle s'attaquait au repassage (3) tout en nous offrant sur ce passage le texte poignant de Dario Fo et Franca Rame.
 
Je me suis prise à craindre que ce soit mauvais signe. J'eusse en effet préféré que ma cuisine servît de cadre à un conte de fée, qu'une Belle au bois dormant (4) bien réveillée vienne m'y guérir d'avoir croqué une pomme et non pas qu'une Médée, même bien aimée par ricochets, vienne y déverser sa douleur son désespoir de n'être plus la dulcinée de son Jason et sa soif de vengeance extrême comme une vaine tentative de résurrection. 
   
 J'ai failli en repartant, machinalement faire la vaisselle, mais j'avais trop ri et trop pleuré, puis il y avait du monde, ça m'en a dissuadé. Ma vraie cuisine est plus intime ; et équipée d'un micro onde qui manquait à Médée.
   
 
 
Devant un doux thé à la menthe servi au bar du théâtre, je me suis peu à peu remise, ai retrouvé les trois dimensions de notre univers apparent et mes esprits aussi. Pour reconnaissance du spectacle accompli, j'aurais volontiers embrassé Ariane qui passait y saluer quelques parents ou amis. Je n'ai pas osé. Peur d'encombrer à présent chevillée.
   
 
 
Alors j'ai repris le métro vers ma propre cuisine, délabrée mais calme, et le chemin simple des mots sur l'internet.
    
 
   
 
 
(1) par rapport à chez moi s'entend.
 
(2) en attendant d'avoir une chambre à soi  un bureau.
 
 
(3) Je n'ai jamais rêvé de faire l'actrice, quoi que bonne panouilleuse, mais là j'ai compris pourquoi :-) .
 
(4) L'expérience m'a appris à me méfier des princes charmants et à valoriser les compétences indépendamment du sexe des personnes qui les possèdent. La belle au bois dormant étant une experte en réveils difficiles, c'est elle que j'embaucherai.
 
 
 
[photo : parce que ce qui précède n'était pas une blague (hélas)]
   
 
 
Plus d'info et, s'il y reste un peu, un extrait délicieux en real player par ici .

Lire la suite "Médée dans ma cuisine" »