Le pain italien
30 novembre 2006
version 1
Je prends la photo, un peu vite, sans réglages, avant qu'ils ne disparaissent, et le coeur et les enfants.
De les avoir vu faire le mien est plus léger même s'il est toujours gros. Je range soigneusement l'appareil dans son étui et file d'un pas rapide sur le chemin du cinéma.
Ce n'est qu'en y parvenant que je me souviens ma faim. Il est trop tard pour faire demi tour, d'autant plus qu'il s'agit d'une séance avec un invité (1). Alors je prends mon billet et me contente d'un mokaccino sans sucre au modeste mais bienvenu distributeur du Méliès.
version 2
Je me relève après cliché à deux pas de la boulangerie où je comptais aller. Tellement près d'ailleurs, que des clients qui en sortaient me regardent éberlués, comme si soudain j'avais surgi d'un souterrain sous leurs pas.
Ils me tiennent poliment la porte. Je vois aussitôt que la rangée des pains italiens est aussi vide que mon compte en banque, quoiqu'on ne fasse point encore des pains en débit. J'envisage l'éventualité d'une dé-multiplication. J'ai dû esquisser un sourire à cette étrange idée : la jeune boulangère qui respectait mon silence puisque personne ne suivait, sourit à son tour.
Quand elle constate mon retour au monde concret, elle me demande :
- Vous désirez ?
Je désigne des yeux la rangée désertée :
- Il n'y a plus de pains italiens ?
J'ai eu le temps de penser Plus rien ni plus personne, ça a dû me donner l'air triste. Alors, gentille, elle s'empresse :
- Non, tout est parti, mais je vais voir s'il ne nous en reste pas un.
Elle a dû songer, elle vient de loin exprès, ce qui dans l'absolu est plutôt bien vu même si au préalable j'ai fait quelques étapes.
J'esquisse un geste pour lui éviter d'aller dans la réserve, leurs pains ronds semoules (2) sont également très bons. Leur seul défaut étant de ne pas me rappeler l'Italie.
version 2.1
Elle revient d'un air navré. J'achète donc une galette et puis un sablé car ils me semblent bons. Je file ensuite vers le cinéma, où j'arrive in extremis pour la séance prévue (1).
version 2.2
Elle revient toute heureuse avec un pain bien cuit. Elle semble s'en excuser, mais je dis qu'au contraire, j'aime le pain bien doré.
A l'idée du régal qui m'attend, et parce que mon programme du matin m'a plutôt affamée, j'effectue pour payer un geste précipité. Mon porte monnaie-feuille-et-cartes usé s'ouvre sauvagement en sortant de ma poche et répand généreusement ses pièces sur le carrelage au sol. Une personne qui venait d'entrer, spontanément m'aide à ramasser ses semailles perdues. Il n'y en a pas tant, mais suffisamment pour que je puisse faire l'appoint. Je remercie et repars vers le cinéma. Si je résiste plus de 3 mètres à l'appel du croûton c'est uniquement afin de fermer derrière moi la porte de la boutique sans laisser choir de nouveaux éléments.
(1) pour ceux que ça intéresse : Point Blank de John Boorman en présence d'icelui.
(2) une note un jour à venir sur tous les noms que je leur ai croisés (en phonétique pataude : batbot, matlouf, ou à Montreuil galettes semoule) mais je dois au préalable un peu me documenter : ça ne fait que 4 ou 5 jour que j'ai enfin compris que kitab signifiait "livre")
[photo : la boulangerie, la vraie, rue de Paris, et qui fait réellement de l'excellent pain italien (3)]
(3) je tiens à préciser que je n'ai aucun pourcentage sur les ventes, je ne suis qu'une cliente des dimanche et jours cinés.
Billet écrit afin de ne pas laisser cruellement Fulie dans l'incertitude.
(cf. commentaires du billet précédent)
Encore que (je ne sais pas si après on est tellement plus avancé).
Le mode en arborescence m'est probablement revenu d'un ou deux films d'Alain Resnais "Smoking - No Smoking" qu'un billet récent de Traou
et ma propre vraie vie, m'ont remis récemment en mémoire.