mercredi 15 novembre dans l'après-midi, ici
Nous passons d'un pas hâtif et mou devant l'office du tourisme de notre bonne banlieue, hâtif car les heures filent et que nous avons encore à faire, mous car Stéphanot tient un bon rhume et moi une grande fatigue.
Je me propose d'y entrer vite fait afin d'attraper le programme du ciné. A cet instant dans la vitrine une affiche m'attire l'oeil. Il s'agit je crois d'un spectacle de théâtre pour petits et grands.
Le titre n'est pas d'une grande originalité "Le prince noir". Personnellement il me ramène à des lectures d'enfance de type chevaux sauvages au début de l'histoire et bien moins à la fin. J'ai vaguement le temps de me dire qu'il s'agit peut-être d'une adaptation de ces anciens récits, quand mes yeux perçoivent l'accroche,
" La fille du roi est amoureuse mais d'un prince noir venu d'Afrique !!!"
Je la prends comme une insulte, une injure faite à des amis, que les points d'exclamation (trois, afin qu'on comprenne bien) et le "mais" parachèvent. C'est quoi ce racisme flagrant sous couvert de bons sentiments, qu'est-ce que ça change d'abord que le prince soit noir ?
Pourquoi la fille du roi ne le serait-elle pas (1) ?
Qu'il vienne d'Afrique, maintenant on sait : ça veut dire qu'il y a de gros risques qu'on l'y renvoie en charter avant la fin de l'histoire.
Non sans colère je pousse la porte du local, les employés sont là et qui travaillent, l'un d'eux renseigne un habitant. Un autre travaille sur écran. Ils sont de toutes couleurs comme les gens d'ici, un noir, un blanc foncé, une palôtine au fond qui attrape un dossier.
Après qui râler ? Et au fond qu'y peuvent-ils ?
Je n'ai ni le coeur ni le courage de les interrompre dans leur activité. Je salue brièvement puis saisis sur les présentoirs le programme que je recherchais.
Ai-je bien fait ? N'était-ce pas un peu de lâcheté, une fois de plus, de laisser filer, de laisser faire, de se dire qu'à part éviter soigneusement ce spectacle on n'a aucun pouvoir sur la bêtise des autres ?
Stéphanot n'a rien remarqué qui tousse fort puis éternue. Il me demande un mouchoir, je lui passe les miens. Nous poursuivons notre chemin.
(1) ce que ce "mais" méprisant semble indiquer.
[photo : l'affiche en question (ce n'est pas une fiction)]
Ce billet n'est pas sans rapport, une fois de plus, avec l'un de Kozlika .
Tout en faisant semblant de ne pas l'être, ou de l'être moins qu'avant, notre société me semble terriblement discriminatoire. Au lieu de vrais débats d'idées, de progression dans la confrontations d'opinions différentes, on focalise sur ce que les gens sont.
A part qu'elle ne nous jette pas (directement) en prison c'est une forme de dictature et son cortège de questions insidieuses qui ne devraient à mes yeux même pas se poser, tellement ça irait de soi : des homosexuel(le)s peuvent-ils (elles) se marier ou être parents ensemble ?
Une femme peut-elle être présidente de la République ? Un prince noir peut-il aimer une fille de roi ? ...
Il serait peut-être temps, à la place de s'interroger sur ce que les gens font, en commençant par ceux qui ont des responsabilités vis-à-vis d'un pays, d'une entreprise, d'une collectivité et qui seraient peut-être de par les charges qu'ils ont briguées puis obtenues (parfois et pour certains, non sans mérite, j'en suis consciente aussi) un tout petit peu censés ne pas déroger aux principes qu'ils voudraient que les autres suivent : par exemple (en ouvrant au hasard le Canard Enchaîné du jour),
est-il normal qu'un président de la République française ait un compte abondamment crédité au Japon ?