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Même pas mort

dans Paris, ce soir-même

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C'était le sujet du film qui m'intéressait ; du réalisateur le nom m'était connu et des plus favorable : j'avais aimé ces autres chantiers, pour la plupart vus dans ma jeunesse.

  Etait de plus annoncé un débat auquel devait participer une femme dont j'apprécie le travail et une belle part de la façon d'être.

  Sa présence-même était gage de qualité et de propos intéressants possibles. Or j'ai soif d'apprendre et d'élargir mes compréhensions comme un voyageur des déserts arides de croiser un point d'eau. Mon coeur étant brisé il me faut pour survivre alimenter à grands flots le cerveau, sinon ce sera la fin. Je suis désormais seule à pouvoir y pourvoir, plus personne ne se souciant de ma tardive éducation.  

J'ai donc secoué ma fatigue pour aller voir le film puis les écouter causer.

A mon plus grand étonnement, celui qui prenait la parole avant projection nous a annoncé auprès des deux intervenants prévus la présence exceptionnelle du réalisateur en personne.

Pour être exceptionnelle, à mes yeux elle l'était : je le croyais en effet mort et bien mort.

Or non seulement il ne l'est pas, mais son âge est modéré. Il ne s'agit même pas d'un de ces survivants extra-ordinaires dont la longévité prêterait à confusion.

  J'ai passé un temps certain et tout à fait vain à chercher avec qui j'avais pu le confondre et l'enterrer prématurément.

  Le débat valait le détour. Le fantôme parlait fort bien.


Brève de couloir

Entrée du métro Saint Paul, mercredi 18 octobre 2006, début d'après-midi.

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Un clochard plutôt joyeux, déblatère à grande voix un ensemble confus de considérations politico-philosophiques. Il se tient en haut près de l'entrée et harangue ainsi les voyageurs qui montent ou descendent les escaliers de la ligne 1.

Une femme qui me précède dit alors le plus sérieusement du monde à celle qui semble être sa fille et qui sagement l'accompagne :

- Le nombre de gens dingues qu'il y a dans les rues, ça frise la folie.

J'ai réussi à ne pas éclater de rire. J'étais sans doute trop triste. Je me suis donc gardée sa phrase pour plus tard. Enfin ce soir elle m'amuse un peu.

[photo d'archives (11 juin 2005, ça n'est pas rien): à deux rues de là, des garçons non pas fous mais prétendûment mauvais]

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Vingt heures cinquante deux

Entre place et porte de Clichy, stasera alle 20 ore 52

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Au terme d'une journée harassante et décisive où j'ai tenté avec mes dernières forces de remettre ma vie sur des rails supportables, je lis dans le métro du retour vers la maison.
 
Je le fais avec soin et sérieux, un ami le matin m'a demandé "Est-ce que tu arrives encore à lire ?". De ce qu'il m'aura dit, c'est cette question qui me sauvera sans doute : tant que la réponse sera oui c'est que je serai en vie et dans l'envie qu'elle dure. J'en avais moins conscience avant qu'il ne le demande.
   
Ça tombe qu'en plus le livre est bon, c'est un tout nouvel Estuaire.
Comme marque-page, le port'nawak que j'avais sous la main à savoir les feuilles où j'avais imprimé l'itinéraire pour me rendre à une expo photo près de Pernety et sur l'une d'elle la copie hâtive d'une phrase qui m'y avait émue.
   
Alors que je tourne la page sans l'y glisser aussitôt, la jeune femme qui était assise à côté de moi et dont je n'avais jusque-là pas eu conscience de la présence, m'adresse une parole embarrassée sur le mode Oh pardon vous allez trouver ça bizarre, mais est-ce que je pourrais revoir la phrase, là, celle sur le prêtre russe qui était marquée.
      
Je mets un instant à comprendre qu'il ne s'agit pas d'une phrase du livre mais de celle que j'avais notée. Je lui passe mon papier. Elle la relit en entier avec toute l'attention requise de qui cherche à mémoriser.
Alors je cherche de quoi écrire pour la lui noter. Mon carnet étant en bout de pages, c'est finalement sur un dossier qu'elle tenait mais avec mon stylo qu'elle en prendra copie. Je lui explique qu'il s'agissait d'un court extrait d'un texte plus long pour une expo photo. Elle semble intéressée alors je lui parle de celle-ci, où elle se tient, pourquoi, l'idée, la beauté des textes et des images aussi.
   
Sur la ligne 13 les places de bout de wagon fonctionnent par lots de six. Je prends soudain conscience que j'ai quatre autres auditeurs, qui m'écoutaient aussi et semblent intéressés dont un qui s'en serait bien mêlé, mais qui comme je répète que c'est à l'Entrepot paraît satisfait d'une réponse à une question qu'il ne posera plus.
   
Je descends à Porte, nous nous quittons ma voisine et moi sur un Bonne soirée réciproque et heureux. L'escalator pour une fois n'est pas en panne.
   
En haut il pleut serré. Les véhicules sont pris dans un embouteillage bruyant sur l'ensemble du secteur. Alors que je tente une photo en prenant appui de fortune sur un arbre, un passant s'en rend compte qui malgré le détour imposé et l'eau du ciel qui arrose, évite de passer dans le champ. Nous échangeons un sourire.
   
Je reprends espoir.
   
[photo : celle dont je parle juste au-dessus]

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Je vends pas les autres

   

Hier soir, sortie d'usine, dans le métro mais pas la 13

   

C'était un jour à trop pas de chance, il y en a des comme ça. Alors il a fallu qu'en sortant du boulot je me mange dans le métro la confuse de service en mode "J'en veux au monde entier".
Je n'en voulais pour ma part à personne, mais j'ai pensé qu'en associant sa haine et mon désespoir ça pourrait vite voisiner une forme de terrorisme.

Elle était entrée comme un lot commun à la station Opéra. Je n'avais remarqué d'elle que son gros pull orange alors qu'il faisait chaud, puis qu'elle m'avait (légèrement) assommée sans l'ombre d'une excuse.

Je vis en effet plutôt dangereusement : trop petite pour que les gens se rendent compte que leur bras ne me passera pas vraiment au dessus, trop grande pour qu'il le fasse, et me calant souvent en cas d'affluence debout contre un strapontin près de la porte dans l'espoir de pouvoir malgré tout ouvrir un livre.

Celui de ce soir-là, entamé la veille et abandonné à grand regrets après trajet du matin, m'avait prise et bien prise  (1).  Je n'en pouvais plus d'en attendre la suite et donc malgré le monde je l'avais ouvert.

Cette attitude ou peut-être celle de mon voisin, un jeune gaillard fatigué affalé sur son strapontin malgré la foule, l'avait peut-être exaspérée, je ne saurais dire, toujours est-il qu'elle s'élança soudain sans avertissement dans un discours aux accents belliqueux :

"- Moi quand j'ai des ennemis, que ce soient des curés ou pas, je m'en prends à eux, pas aux autres. Moi je vends pas les autres. Je m'en prends pas aux handicapés, aux femmes et aux enfants".

Déçue qu'elle n'ajoute pas "d'abord" pour la beauté du texte, je me félicitai intérieurement de n'être pas curé, une profession à risques quand on y pense.

Elle descendit peu après.  Je plaignis intérieurement ceux qu'elle allait rejoindre, à moins qu'elle-même pour solitude insupportable, et repris au calme le cours à peine interrompu de ma lecture.


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Librairie 107

samedi 14 octobre 2006, en fin de matin

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Nous sortons d'à la poste notre leçon de patience (1) quand Stéphanot me demande si nous pouvons passer à la librairie 107.
Il est invité pour l'après-midi même à l'anniversaire de son ami Nourredine et souhaite lui offrir un manga en cadeau.
   
J'acquiesce avec plaisir quoi que non sans appréhension, je connais ma propension à ne pas sortir d'une librairie sans livre et de ce mois-ci la fin a commencé financièrement dés le huit alors c'est pas le moment.
      
   
Or la 107 en vend, des mangas, pas un choix infini car ses murs ne se poussent pas, mais certains des bons. Par ailleurs nous aimons ces lieux, si exigus qu'il faut attendre la sortie du client précédent pour pouvoir y entrer, et où les livres grimpent en piles plus ou moins précises du sol jusqu'au plafond.
Le libraire, un homme jeune qui a repris un fond de commerce aux allures séculaires peine à tenir derrière son comptoir encombré, mais sa mémoire est bonne et il sait dans quel entassement pyramidal se dissimule quoi.
    
C'est l'une de mes deux librairies clichoise d'urgence, quand
une envie d'élégie me saisit à la gorge, que je ne retrouve plus chez moi un ouvrage précis dont la consultation immédiate m'est plus indispensable qu'un biberon au bébé, quand je veux me rassurer que qui j'aime existe encore du moins sur le papier.
   
Il doit d'ailleurs ce matin me trouver l'air étrangement apaisée par rapport à ces états d'urgence.  Ce matin, j'accompagne. Rien d'autre, promis.
   
Au mur quelques rayons gardent un ordre parfait : sont ainsi proprement regroupés sur trois étages les "Ecoles des loisirs" entre polars (2ème verticale en partant du fond) et science fiction (étagères derrière la porte) selon un ordre institué par l'ancienne propriétaire des lieux et que le successeur a respecté.
   
Pendant que Stéphanot effectue un choix sur lequel je sais n'être que de piètre conseil, je laisse mon regard effleurer les titres. L'un d'eux me saute aux yeux et me fait chaud au coeur. Qu'il vive encore, si longtemps après première parution est un fort bel exploit, je suis heureuse qu'on le voit si bien, reconnaissante de le croiser ici comme une présence favorable.
      
Au même instant mon garçon pousse un cri de joie : il a trouvé le bon volume, le présent parfait et demande aussitôt un paquet cadeau. Par élan d'espérance et de reconnaissance je craque pour un Malraux qui me paraît rare et m'intrigue, coincé qu'il était à portée de ma main.
   
[photo : in situ] 
    
(1) la bise à ceux à qui ça rappelle quelque chose
(écouter Saint Denis  )

Merci Marsaud

   

Depuis le 19 avril, une sortie d'hôpital, ce n'est pas un hasard, vos mots m'accompagnent. Depuis que je suis seule à tenter de travailler les miens, ils sont certains soirs mon unique secours pour tenter d'avancer envers et contre une vie qui ne veut pas, et qui m'a fait désespérer jusqu'à ceux qui voulaient m'aider.

    

Ce soir, au sortir d'un concert où vous nous avez régalés, où vous avez prouvé une fois de plus la force du collectif et du partage, que ça avait encore un sens (1), je voulais juste vous dire merci.

   

Merci aussi à Lyor, Neobled et Rouda, les 129H qui en juin dernier m'ont également aidée.

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Ton amoureux en pyjama sur la ligne 13

Porte de Clichy sortie ligne 13 côté Balzac, mercredi 11 octobre 2006, 22 heures 32
    
C'est parce qu'il me précède en montant de quelques marches que je remarque qu'il est en chaussons, des mules grises simples, propres et de bon goût, légèrement pelucheuses comme ce qu'on met chez soi. Par ailleurs il semble vêtu pour usage extérieur d'un manteau léger noir, dépasse un pantalon sombre.
    
Il chahute gentiment avec une jeune femme de son âge, comme font parfois les amoureux qui ne tenant pas à afficher en public leurs élans de sensualité, cherchent une forme plus ludique de proximité physique. Ils sont rieurs.
   
Elle aussi a un manteau noir ou marine très foncé. Des tongs orange aux pieds, après tout pourquoi pas, le temps depuis deux jours ou trois est ici fort clément. En revanche c'est très nettement un pyjama rose en pilou avec des dessins aux petits coeurs fleuris qui sur elle permet la jonction entre le sombre et le clair, le chaud et l'estival.
   
Leur insouciance évidente écarte l'hypothèse d'une fuite précipitée d'un appartement en flammes, ou catastrophe similaire, ils sont donc délibérément en tenue d'intérieur et ont pris le métro ainsi.
   
Voyageurs sortant et passants pressés les croisent sans l'ombre d'un regard, j'en viens donc à douter de l'exception de leur vêture.
Après tout, ne serais-je pas moi-même en anomalie avec mon jean et mon caban trop chaud (mais en partant j'avais si froid) ?
   
Avant de les croiser j'avais le coeur serré et les larmes en maraude, leur vue m'a réconfortée mais pas suffisamment pour me donner la force de les interpeller et leur demander l'aumône d'une photo. En haut des escaliers il partent de leur côté et j'avance vers Clichy.
   
Je le regrette. Ils étaient beaux.
Et si heureux.
   

Du mur émouvant l'amour effacé

D'assez bon matin, un de ces jours-ci

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Une vie un peu rude nous apprend à profiter de peu, très peu, parfois micro-peu.
   
Un petit secours des matins difficiles m'était ainsi en passant sous le pont qui mène à la gare, d'où j'attrape quand tout va bien le train qui me permet après quelque changement d'arriver à l'usine, de lire au vol les inscriptions.
 
Bien évidemment traînaient quelques insultes, de vulgaires tags en forme de signatures assez peu compréhensibles, mais également des poèmes au pochoir, et parfois même des déclarations d'amour .
    
Sans imaginer un seul instant qu'elles puissent être à mon adresse, j'aime à penser qu'il existe quelqu'un quelque part qui sache aimer encore, que ça ne finisse pas forcément mal pour tout le monde, et qu'on s'en sort à l'occasion.
   
  Je rêve aussi, mais dois-je l'avouer que Miss-Tic honore un jour mon quartier de sa visite. Ça me ferait allégresse pour au moins une journée.
    
Seulement d'aucuns préfèrent un mur moche et terne à un mur vivant quoique désordonné, ils sont même prêts pour ça à ouvrir une ligne budgétaire, et voilà que ce matin je passe devant un mur repeint. Mort. Vide. Beige. Pâle et impavide, à l'image propre et nette de mon vide affectif.
      
Déception encaissée, je poursuis dés lors mon chemin d'un pas hâtif et terne, les yeux rivés au sol. Le train sera à l'heure, moi aussi à le prendre. Sur les quais, dans des panneaux qu'il nous faut contourner, la publicité quant à elle, s'étale tout à son aise ; vue et vie polluées.
   
[photo : sous le pont des trains, lundi dernier matin]

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Le bon chemin

mardi 10 octobre 2006, avenue de l'Opéra, fin de matinée

extérieur jour plein soleil

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L'appareil photo est prêt à l'emploi entre mes mains, je n'ai plus qu'à ôter le cran d'arrêt mettre le jus et en 1,7 secondes je pourrai prendre au vol du bus 27 l'opéra en photo, agrémenté de touristes et passants, l'ambiance presque festive d'un mardi d'octobre plus estival qu'un août passé.

photo 1

C'est alors qu'à l'arrêt qui précède, ou peut-être celui d'avant, j'aperçois LA photo à prendre. C'est bien entendu celle que je ne ferai pas : un respect des personnes que du bus je ne peux contacter, pas même d'un geste ou peut-être seulement d'un geste auquel

elles ne pourraient pas me répondre pour dire si ça ne les dérange pas.

Et pourtant elles sont si belles, toutes les trois ; car elles sont trois.

Une dame plus toute jeune aux cheveux teints mais qui ne trompent pas (les racines grises se voient à 5 mètres), et deux jeunes femmes de type asiatique, que leur allure m'indique japonaises.

Elles sont assises au café en terrasse, à ces petites tables rondes dont Paris est friande.

Quand je les aperçois, elles sont réparties 2 + 1 : la dame aux cheveux bicolores auprès de l'une des jeunes japonaises ; l'autre jeune femme toute seule à la table voisine.

Les deux premières sont penchées sur un plan et je perçois nettement la difficulté de la dame, supposons-là française, à expliquer quelque chose qu'elle ne sait pas ou pas trop bien.

Quelqu'un dans le bus vient s'asseoir sur le siège voisin, et m'adresse un mot d'excuse pour m'avoir un peu bousculée, c'est très bref mais suffisant pour qu'au moment où je relève les yeux, les dames soient à présent en configuration 1 + 2.

Les deux jeunes japonaises désormais à leur table en train de scruter leur plan, et s'indiquer du doigt un itinéraire, Non, fait l'autre de la tête et qui en montre un autre.

C'est alors que la dame semi-grise, semble héler celle qui était venue la consulter l'instant d'avant. De l'intérieur du bus, je n'entends fichtre rien.

La jeune Japonaise reprend le plan qu'entre temps tenait son amie et revient auprès de la régionale de l'étape, laquelle toute heureuse et d'une main ferme y trace en transparence un autre chemin.

Elle rayonne de ce bonheur d'une mémoire retrouvée. La touriste alors la remercie en sourire, et petits mouvements de tête signifiant clairement merci oh merci beaucoup. Puis elle rejoint sa copine et à son tour reproduit sur le plan le tracé.

J'imagine à la dame française, un mari, un blog ou un chat auquel en rentrant, plutôt d'humeur allègre, elle racontera, Tiens tu sais ce matin j'ai dépanné deux jeunes Japonaises. Figure-toi qu'elles voulaient aller au ...

Et les deux jeunes femmes de retour au pays, raconter à leurs parents, leur frère, un fiancé, Tu sais quoi, à Paris les gens sont très serviables. Ils sont toujours prêts à aider quand on cherche notre chemin.

L'interlocuteur masculin s'en ira d'un commentaire moqueur sur ces Frenchies décidément trop charmeurs, et l'une ou l'autre jeune femme se récriera, Mais non, le plus souvent c'était des dames, et de l'âge de maman.

Le bus passe devant l'Opéra. Tout en pensant à elles, je prends la photo espérée.

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Une conversation si anodine

REALITE
 
Cantine, d'usine, ce midi (un jour d'automne de l'an 2006)
   
L'amie avec laquelle je déjeune à la pause, me fait toute joyeuse :
- Alors comme ça, tu as vu Géraldine ?
 
Je n'ai pas vu Géraldine, une ancienne collègue commune, depuis un siècle ou deux, donc son propos m'étonne.
 
Je me rappelle ensuite qu'un de mes handicap dans cette vie qu'on a est qu'en marchant je songe à trop de chose et ne vois pas les gens, ou bien tout au contraire crois voir ceux qui n'y sont guère.
Je réponds, hésitante :
- Peut-être que nous nous sommes croisées et que je ne l'ai pas vue mais elle moi si ?
   
Ma copine complète alors le tableau :
 
- Ah non, c'était pas juste se croiser, c'était se voir et discuter un bon moment, Josiane m'a même dit que Géraldine et toi aviez parlé de Thierry et que d'ailleurs [elle me rapporte ce que de ce Thierry d'après Josiane dixit Géraldine j'avais dit, c'est même plutôt précis].
 
Je tombe en pleine bras-m'en-tombance (1) : non seulement je n'ai pas vu Géraldine, mais le Thierry m'est inconnu. Je sais vaguement son existence qui m'avait été mentionnée par plusieurs personnes comme quelqu'un de leur service, mais pas son identité. L'amie est à son tour surprise, pourquoi aurait-elle douté des dires de Josiane sur quelque chose qui n'avait rien d'extraordinaire, une simple conversation.
   
En croisant plus avant nos informations, nous parvenons à une explication plausible : une tierce personne, que j'ai réellement rencontrée et qui connaît les quatre autres, aura mis un nom (celui de Thierry) sur des propos plus généraux ; une ou deux incompréhensions ou approximations plus tard, et j'avais fait une rencontre que je ne n'avais pas faite et parlé péremptoirement d'un homme qui m'était inconnu.
    
(1) directement inspiré de la fameuse bras-ballance de Cequejefaisdemesjours
   
   
FICTION
   
ç'aurait pu être n'importe où en France mais pour simplifier on dira Paris, d'avant le 9 octobre 1981, du temps où la peine de mort existait toujours mais l'exploitation des traces d'ADN pas encore.
   
celui qui accuse (2) :
 
- Josiane Martin a témoigné ici même que Géraldine Dupré, le jour de sa mort avait déjeuné avec vous, que vous vous étiez entretenus assez longuement, notamment d'un certain Thierry Mirfond sur les capacités professionnelles duquel vous aviez émis certains jugements précis.  Vous êtes donc la dernière personne à avoir vu Géraldine Dupré vivante. Elle avait téléphoné à Josiane du bureau de poste de la rue Bachaumont afin de la prévenir qu'elle serait en retard pour reprendre le travail cet après-midi là, qu'elle ne se sentait pas très bien, qu'elle repassait chez elle. C'est en ne la revoyant toujours pas revenir passé 16 heures que Josiane a décidé de faire après son travail de le détour par le domicile de sa collègue dont elle avait un double des clefs puisqu'elle lui rendait de menus services, notamment aux vacances, découvert son cadavre puis donné l'alerte.  Vous pouviez tout à fait avoir attendu Géraldine Dupré hors du bureau de poste, l'avoir accompagnée ensuite puis agressée à son domicile.
Quelle est votre version des faits ?
   
l'accusé :
- Je n'ai pas vu Géraldine Dupré depuis plusieurs années. C'était pour moi une collègue. On s'entendait bien, pourquoi j'aurais fait ça. Et puis je ne sais pas qui c'est, Thierry Mirfond. Ça fait longtemps que j'ai changé de service, si c'est un collègue à elles toutes, je le connais pas, moi.
   
celui qui accuse :
- Josiane Martin, une personne digne de confiance comme le confirment ses états de service, est totalement affirmative sur les propos qu'au téléphone Géraldine Dupré a tenus. De plus la concierge de son immeuble a bien vu qu'elle rentrait à une heure inhabituelle et qu'elle était accompagnée d'une silhouette masculine dont la description correspond exactement à votre taille et votre corpulence. Elle a précisé que l'homme était vêtu d'un duffle coat brun clair, c'est le cas de votre manteau. De plus ce jour-là je vous rappelle que vous aviez pris un congé, que votre hiérarchie vous avait accordé avec bienveillance bien qu'il fût demandé de façon un peu cavalière et en dernière minute.
   
l'accusé :
 
- Mais c'est juste que ma mère m'avait envoyé un télégramme qu'elle montait à Paris, que ça faisait un peu longtemps que j'avais pas fait le ménage, et du rangement, une journée pour tout plus les courses, c'était pas du luxe.
 
celui qui accuse :
 
- Les courses, vous avez donc vu ou parlé à des commerçants ? Dites nous donc lesquels.
 
l'accusé :
- je vais à la boulangerie rue Montorgueil, l'épicier est tout près. Et puis aussi j'étais passé à la pharmacie, celle de la rue des Petits Carreaux.
   
celui qui accuse :
 
- A quelle heure était-ce ?
 
l'accusé :
 
- Ben, le matin, vers les 10 heures je dirais. Après je suis rentré sans traîner, je voulais faire le mén...
 
celui qui accuse :
 
- Vous l'avez déjà dit. Et l'après-midi ?
 
l'accusé :
- Après je suis resté chez moi tout le temps, je vous dis, j'ai rangé.
   
celui qui accuse :
 
- Y a-t-il quelqu'un qui puisse attester de votre présence à votre domicile cet après-midi là ?
 
l'accusé :
 
- Ben non, j'étais tout seul, moi. Ma mère ne devait arriver que le lendemain, c'est pour elle que je voulais que ça soit tout bien propre, vous comprenez.
 
celui qui accuse :
 
- Et la concierge, chez vous ?
 
l'accusé :
 
- Non, ce matin-là je l'ai pas croisée. Quand je suis remonté avec les courses, le courrier était déjà glissé sous la porte.
 
celui qui accuse :
 
- Des voisins, avez-vous croisé des voisins ?
 
l'accusé :
 
- Ben, non, personne. Vous savez, c'est tout des gens qui travaillent dans mon immeuble. A mon étage, c'est des studios, des célibataires comme moi, on part tous au travail le matin, et on rentre le soir. Là c'était juste parce que ma mère ...
 
celui qui accuse [avec lassitude et agacement ] :
 
- Oui j'ai compris.
 
(2) je n'ai pas les compétences de Maître Eolas dont le billet de ce jour m'a inspiré celui-ci. Bien sûr je pourrais "faire comme si" en reprenant les fonctions qu'il mentionne et en mettant moins de flou entre enquête et accusation, mais ça serait comme un peu tricher. Je ne cherche pas ici à être documentaire, juste à incarner un engrenage par un dialogue, une situation fictive transposée d'une réalité anodine.
   
nb. : prénoms fictifs de partout, bien évidemment.
   
9 octobre 2006 :  25 ème anniversaire du décret de promulgation de la loi portant abolition de la peine de mort.

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