Les enfants, où sont les enfants ?
22 octobre 2006
(titre sauvagement emprunté à Colette, c'était plus fort que moi) (1)
Loin de Paris mais qu'en sait-on après tout, des toilettes publiques il y en a assez partout.
Je sors des toilettes et me dirige vers les lavabos. Devant moi une femme, son petit sur les talons.
Elle appelle d'une voix forte :
- Yannis, où es-tu ?
puis avec une nette coloration d'inquiétude
- Yannis je ne te vois pas.
Et le gamin à peine derrière, d'une petite voix timide :
- Mais je suis là, maman.
Elle se retourne, rassurée, constate de visu sa présence bien réelle et constate sur un mode tellement atonal qu'il contient fortement le reproche qu'elle a tenu à taire :
- Tu étais juste derrière.
Le petit n'ajoute rien, ces 5 ou 6 ans ont bien compris qu'une forme de colère maternelle rôdait.
Il se dirige tout droit vers le robinet d'eau et sur la pointe des pieds entreprend de se laver les mains. J'en fais autant dés que le passage se libère.
PS : prénom bien sûr un brin modifié, car il s'agit d'une pure scène vue
(1)
le cri de cette mère, m'a irrésistiblement rappelé ce texte que j'avais connu enfant :
"[...]« Où sont les enfants ? »
C'est alors que paraissait, sous l'arceau de fer ancien que la glycine versait à gauche, ma mère, ronde et petite en ce temps où l'âge ne l'avait pas encore décharnée. Elle scrutait la verdure massive, levait la tête et jetait par les airs son appel : « Les enfants ! Où sont les enfants ? »
Où ? nulle part. L'appel traversait le jardin, heurtait le grand mur de la remise à foin, et revenait, en écho très faible et comme épuisé : « Hou... enfants... »
Nulle part. Ma mère renversait la tête vers les nuées, comme si elle eût attendu qu'un vol d'enfants ailés s'abattît. Au bout d'un moment, elle jetait le même cri, puis se lassait d'interroger le ciel, cassait de l'ongle le grelot sec d'un pavot, grattait un rosier emperlé de pucerons verts, cachait dans sa poche les premières noix, hochait le front en songeant aux enfants disparus et rentrait. Cependant au-dessus d'elle, parmi le feuillage du noyer, brillait le visage triangulaire et penché d'un enfant allongé, comme un matou, sur une grosse branche et qui se taisait. Une mère moins myope eût deviné, dans les révérences précipitées qu'échangeaient les cimes jumelles des deux sapins, une impulsion étrangère à celle des brusques bourrasques d'octobre... Et dans la lucarne carrée, au-dessous de la poulie à fourrage, n'eût-elle pas aperçu, en clignant les yeux, ces deux taches pâles dans le foin : le visage d'un jeune garçon et son livre ? Mais elle avait renoncé à nous découvrir, et désespéré de nous atteindre. Notre turbulence étrange ne s'accompagnait d'aucun cri. Je ne crois pas qu'on ait vu enfants plus remuants et plus silencieux. C'est maintenant que je m'en étonne. Personne n'avait requis de nous ce mutisme allègre, ni cette sociabilité limitée. [...]" Colette
in "La maison de Claudine"