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Il lisait Bessette assis ...

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sur un escalier de passage.
    
 
Qui ou quoi attendait-il ? Un taxi pour l'emmener ? Un ami pour le chercher ? Un train à prendre mais plus tard ?
   
Il semblait fort peu pressé, plongé à fond dans sa lecture, indifférent au lieu gris et inconfortable, insensible aux passants, le plus souvent chargés qui parfois le frôlaient.
   
J'ai voulu aller lui parler, du choix de ce livre en particulier et du bonheur qu'il apportait.
    
Puis j'ai eu peur. Peur avant tout de déranger. Depuis que je suis de trop dans ma famille élective, cette crainte domine douloureusement ma vie. Si je dérange jusqu'aux miens, alors qu'on fut si bien, qu'en sera-t-il de tout autres ?
 
A mes yeux, interrompre quelqu'un dans son plaisir de lire est une sorte de crime. Il aurait fallu qu'il lève les yeux, consulte sa montre, guette une arrivée possible. Or il n'en était rien, il était captivé.
 
Peur aussi de ma fragilité. Je suis si fort en manque de parler du fond des livres à ma bonne hauteur, celle de qui en est née loin mais a nagé jusqu'à eux. Si d'aventure j'étais tombé sur un interlocuteur de ça capable, j'aurais sans doute pleuré. A quoi bon dans ce cas importuner quelqu'un qui sans vous semble heureux ?
 
Alors je me suis contentée de capturer l'instant, conserver la trace objective et consolante qu'au début du XXIème siècle il existait en France, à Paris, des personnes capables de s'abîmer dans un objet fait encore de papier et d'assemblage de signes, comme ça, en plein milieu et d'un jour et du chemin.
    
[photo volontairement floue, gare Montparnasse, vendredi 27 octobre 2006 dans l'après-midi]

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Comment la blague d'un conducteur au lieu de rire peut faire pleurer

      
(sous titre à l'attention toute particulière de Labosonic : Encore un micro-enfer pavé [de bonnes intentions])
   
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En sens sud / nord, la ligne 13 se montre favorable aux conducteurs créatifs. Elle leur donne en effet la parole pour l'annonce cruciale de La Fourche et qui prévient les voyageurs de la direction qui va être prise, si possible au moment où ils peuvent encore descendre si ce n'est pas pour eux la bonne.
    
Un conducteur un peu distrait ou décalé d'une minute peut être cause d'un long retard si l'usager sans méfiance ne se rend pas immédiatement compte de sa mésaventure, doit ensuite attendre une rame dans l'autre sens puis à La Fourche recommencer le guet du bon.
   
Celui de ce soir est, à l'oreille, tout jeune et franchement facétieux. Il nous averti d'une voix fort normal "Ce train se dirige vers Saint Denis ..." alors que nous étions dans un bon jaune (1) conforme à l'affichage de quai (2).
Puis très vite et tout fiérrot, il nous fait,
"Mais non c'était une blague. On va bien vers Gennevilliers / Gabriel Péri."
Autour de mois les gens sont partagés entre hilares et râleurs. Je suis la seule à être tombée dans du triste.
    
C'est que j'étais assise (3), que je lisais profondément un merveilleux album rapporté d'une séance de cinéma  et que le temps fort bref pendant lequel j'ai cru au changement d'aiguillage, je me suis dit tant pis.
    
Tant pis, je n'interromps pas le fil des images et des textes, j'en ai trop besoin, j'en suis incapable, tant pis je vais là où l'on me mène et tant pis si je ne rentre pas. Le manque des mots plus fort que les raisons du reste. D'une telle constatation le chagrin fut extrême.
   
Finalement j'ai subi ce coup de coeur étreint pour rien, la direction était la bonne c'est-à-dire celle de chez moi, je suis rentrée sans délai dans un appartement habité de dormeurs. Personne au fond ne risquait de s'inquiéter, j'aurais pu disparaître en paix.
   
En espérant faire rire, on peut donc peiner, comme en se voulant du bien parfois on se détruit.
   
(euh ... bon dimanche ...)
   
(1) note de l'auteur à l'attention des lecteurs frais émoulus par ici :
code couleur de la ligne 13
jaune = Gennevilliers Gabriel Péri (variante un peu datée : "Asnières Gennevilliers")
bleu = Saint Denis Université (variante du siècle passé :  "Saint Denis Basilique")
   
(2) il faut savoir que sur notre ligne, ça n'est pas toujours le cas. Il y a des fantaisies, surtout au soir quand on s'en retourne chez soi bien fatigués et aussi comme en politique des changements d'orientations à la dernière minute et susceptibles d'induire en erreur l'électeur  le voyageur le plus aguerri.
   
(3) oui vous avez bien lu. Il est parfois possible passé une certaine heure et un certain coefficient d'épuisement qui sans doute fait pitié, de trouver en retour banlieue sur la ligne 13 une place assise.
   
[photo : ligne 13, certes, mais le 18 ou 19 octobre]

Regarde la tour comme elle est grande

   

vendredi 27 octobre 2006, Montparnasse, début d'après-midi

 

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Elle a cet air heureux, hésitant et résolu de ceux qui arrivent enfin à Paris après l'avoir longuement souhaité et pour qui ça n'a pas été forcément facile. Ceux dont les lendemains sont fait d'interrogations mais qui pensent que puisqu'ils sont parvenus jusque-là il n'y a pas de raison que la suite ne tienne pas ses promesses.
    
Le découragement viendra plus tard.
   
Elle est fort jeune et un peu palôte, porte un beau bébé sur le dos dont au premier coup d'oeil on ne doute pas qu'il est bien le sien. Installé dans une sorte de dispositif artisanal fort bien cousu et qui tient des portages africains comme du sac à dos, le petit a les yeux vifs et grands ouverts. Il n'a pourtant pas l'air bien vieux.
    
Ils sortent du métro à la gare Montparnasse, elle lève les yeux et voit la tour.
   
- Regarde la tour comme elle est grande !
fait-elle a son enfant.
   
Deux types qui attendaient dieu préfère ne pas savoir quoi dans une voiture discrète mais pas très bien garée, l'entendent par leur vitre ouverte.
Le conducteur vaguement goguenard mais en même temps ému, jette un oeil à la tour comme s'il la voyait pour la première fois, puis vers la jeune femme. J'ai l'impression que s'il avait été seul il l'aurait apostrophée plutôt gentiment sur le mode
Vous avez bien raison, elle est vraiment très haute, histoire d'entamer la conversation voire plus si affinité.
      
Mais accompagné et peut-être en service, il se tait. Je lis dans le sien une forme de regret quand nos regards très brièvement complices se croisent en passant.
   
Comme une femme qui a trop lu, je pense à Fantine et je souhaite mentalement très fort à la maman et au bébé de ne rencontrer aucun Thénardier ou le moins possible. Puis je me dis Arrête de faire de chaque silhouette que tu entrevois le sujet d'un drame italien, à commencer par la tienne.
 
Je sors mon Olympus de sa sacoche, le passe autour de mon cou, enlève le cache de l'objectif, et entame aussitôt une fructueuse chasse-photos.
      
 
[photo : la Tour Montparnasse, cet après-midi même]

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Le marabout facturait en euros

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Dans ma boîte à lettre, mercredi 25 octobre 2006

   

Je repasse à la maison entre un rendez-vous médical, une balade imprévue et un cinéma plus tardif.

   

Machinalement j'ouvre la boîte à lettre. A l'instant où je me rends compte de l'inutilité de mon geste (j'ai déjà relevé mon courrier au matin), j'y aperçois un petit papier écrit en vert sur fond blanc.

   

C'est l'annonce d'un marabout, ces enchanteurs des temps modernes. Il y a fort  longtemps quand elles ont commencé à fleurir et à se distribuer un peu partout à Paris, nous en avions avec quelques collègues entamé une collection que nous scotchions au mur près des ordinateurs.

   

C'était l'époque où ceux-ci tombaient peu en panne mais nécessitaient pour chaque tâche un temps de traitement, parfois même un peu long, où ils n'étaient pas multi-tâches et où nous devions à plusieurs nous en partager un ou deux.

   

Les textes exubérants des marabouts égayaient nos moments d'attente, certaines pépites lues à haute voix nous faisaient rire en coeur, quand un programme ne fonctionnait pas on se choisissait mentalement un allié efficace, le professeur Maboutouré saurait-il m'assurer le retour sans bug du compilé ?

   

Je n'en avais pas vu ni lu depuis longtemps. A croire que les marabouts du XXIème siècle avaient déjà assuré leur clientèle et se contentaient désormais du bouche à oreille. Celui-ci annonçait clairement son tarif. Il s'agissait d'euros désormais, preuve que l'époque avait changée.

 

Les thèmes, eux, étaient les mêmes, la chance qu'on cherche toujours (en vain), l'envoûtement qu'on voudrait éviter (trop tard), toutes sortes de réussites possibles (et impossible), la sexualité retrouvée (tiens, le vi*gr* n'aurait donc pas assommé le marché ?) et inévitablement l'être aimé.

 

Celui du jour se proposait de le ramener définitivement et qu'il ou elle "courr[e] derrière [nous] comme le chien derrière son maître". Je me dis qu'un retour dans ces conditions serait chose fort désagréable, au moins autant qu'un départ inexpliqué.

 

Cet argument publicitaire contre-productif me fit sourire. Ma bonne santé retrouvée, sans l'aide du moindre mage, y contribuait sans doute. J'admirais néanmoins le délais de 3 jours ainsi que la disponibilité affichée, puis jetai le document dans la poubelle recyclable.

 

Après tout c'était un papier. Eugène qui lit dans nos pensées de cuisine, pour le salon c'est un peu loin, émit un rire léger.

 


Le dernier M*c D*

 

jeudi 26 octobre 2006, Grands Boulevards, 16 heures 08

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A les voir je me sens soudain hors du temps. Deux gosses tout vifs, une huitaine d'années, et qui jouent aux pistolets en s'accompagnant de bruitages comme on n'en faisait plus depuis tous les Star Treks et autres spatiales Odyssées.
   
Ceux-là se font Pan ... Pan ... comme aux westerns d'antan.
 
De plus, aucun adulte repérable alentour et qui semblerait au moins un peu en charge. Deux gamins qui jouent dehors et comme tout seuls, ainsi que je faisais petite avec ceux du quartier mais en périphérie et sur des allées secondaires peu pourvues en circulation.
 
Car le problème est là. Si je les ai d'emblée repérés, c'est aux coups de freins brutaux suivis de klaxonages multiples que leur présence déconcertante, certes sur un passage piéton mais au vert des voitures et au rouge pour eux, a suscitée.
   
Juste devant le Grand Rex, là où le grand boulevard mérite si bien son nom et appelle peu à la flânerie, il fallait oser ou ne douter de rien ou ne se rendre absolument pas compte.
   
En les voyant si bien pris par leur jeu, ils n'ont même pas tourné la tête au bruit furieux des automobilistes, j'opte mentalement pour la dernière solution. Elle est de loin la plus inquiétante et me laisse à penser que le M*c D* où ils rentrent résolument joyeux, s'ils en repartent dans l'autre sens selon la même façon, risque de constituer l'ultime et le dernier de leurs trop courtes vies.
   
Je me tranquillise à bon compte en estimant que selon toute logique ils y rejoignaient, sinon un adulte du moins une sage grande soeur ou un vaillant cousin et que ceux-ci sauraient mieux les veiller au retour qu'à l'hasardeux aller.
   
[photo d'archive : 13 novembre 2004, la circulation sur les Grands Boulevards à hauteur de Bonne Nouvelle]
   
   

Balade automnale autant qu'imprévue

   
ce mercredi après-midi, dans le neuf-deux chic et big-brother-is-watchingué.
   
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Je sors songeuse d'un rendez-vous médical dont l'absence totale de mauvaise nouvelle annoncée me prend au dépourvu. Depuis plus de deux ans, je m'étais amarinée au perpétuel pire. On s'habitue à tout au delà de tous soupçons.
Il me faudra donc chercher ailleurs la cause de mes douleurs. Je sais bien un peu où, mais pas y remédier.
   
J'avais prévu un temps d'attente éventuellement un peu long, j'ai eu cette chance qu'il ne le soit pas du tout. Sauf à filer dare dare chez moi travailler, ce dont le soulagement, bizarrement, me rend incapable, me voilà donc pourvue du bien le plus précieux : un morceau de temps libre, extérieur et imprévu. J'arme mon appareil photo et laisse faire mes pas.
   
Malheureuse confiance ; ceux-ci me guident en effet vers des lieux où deux ans plus tôt, j'étais passée chercher Farid (1) un jour occasionnel qu'il travaillait là et, me sachant presque voisine, me l'avait fait savoir.
 
Je me souviens de son accueil chaleureux, comme il était content que j'ai fait le détour, de ses clients nombreux, du temps ensuite compté. Nous n'avions pas pu aller prendre un pot ensemble, comme nous l'avions espéré, alors je m'étais contentée de l'accompagner au métro puis dedans jusqu'à ma propre correspondance.
 
Je manque de grand-frère, mes imprévoyants parents ayant omis de m'en procurer un, aussi avais-je naturellement parlé à celui de mon meilleur ami de mes tracas d'alors, rétrospectivement si légers, dont la décision après un deuil qui m'avait éreintée, de passer à temps partiel à l'usine malgré les doutes qui m'assaillaient.
Il m'avait réconfortée et encouragée en ce sens.
 
Mes pas d'aujourd'hui redonnent vie à cette conversation décisive que jamais ma mémoire n'avait effacée mais que rien depuis ne m'avait fait rappeler au grand jour. Je ressens encore physiquement sa bourrade amicale au moment de se quitter et qui disait allez, tiens bon,  Wytejczk m'a parlé de toi et je sais que tu y arriveras.
 
C'est un gamin du coin qui me sauve de ces souvenirs si bons devenus si douloureux car comment est-il possible qu'après s'être voulu tant de bien mutuel on se soit disparus (2), il se précipite vers moi, un peu embarrassé mais pas trop, Madame s'il vous plaît, madame, vacances de la Toussaint vous l'écrivez comment ?
      
- Tu veux dire Toussaint ?
Il acquiesce sous les yeux attentif d'un copain en rollers. J'épelle
- T. O. U. deux S. A. I. N. T.
tout en pressentant un enjeu possible ; ce que confirme la soudaine fierté de l'ami à roulettes :
- Tu vois, j'te l'avais bien dit. Ça vient des saints.
et l'autre qu'au nom de la vérité orthographique j'ai profondément déçu, qui se justifie en désespoir de cause :
- Ben oui mais je pensais que comme c'était pour des vacances ...
   
Un marchand de crêpes chaudes fraîches qui était à deux pas et que la scène amuse, ajoute son grain de sucre sel
- Pourquoi, tu te croyais déjà à celles de Noël ?
alors les deux garçons, complices sur ce coup-là et peut-être consommateurs habituels, d'esquisser en sa direction une mimique du type, Oh vous, hein, ça suffit.
   
Par gratitude, j'achète une crêpe, puis salue le trio.
   
Une jeune fille sourde et muette me tend alors une pétition, mais ne sachant pas simultanément, lire, manger, signer et tenir un appareil photo, je décline lamentablement son offre.
   
Deux femmes qu'en marchant je dépasse, discutent de coïncidences. L'une d'elle semble exaltée par celle qui sans doute les a fait se retrouver, l'autre bien plus mesurée mais qui reste polie.
 
Deux jeunes filles croisent trois garçons rigolards mais qui s'abstiennent de plus. L'une d'elle porte l'une de ses besaces "US" verdâtres qui équipaient jadis mes collégiens contemporains et semblent depuis un ou deux ans revenues en tendances.
 
Je pense une fois de plus au temps et aux époques. M'efforce à contre-coeur d'oublier Farid de mes pensées, à cet effet me concentre sur quelques photos que je m'attarde à prendre encore sur zone, puis rentre à pied chez moi, remplir minutieusement les feuilles de soins qu'on m'a confiées sans manquer aussitôt d'aller les poster, preuve que sans doute j'ai sérieusement changé.
   
(1) frère de Wytejczk ; voir entre autre cet ancien billet
   
(2) cf ce billet de Joëlle que j'ai lu aujourd'hui
 
[bande son : inévitablement et de façon très banale  la "promenade sentimentale" de la B.O. du film Diva (Vladimir Cosma), que pour l'instant ce soir encore l'on peut écouter chez Shaggoo que je remercie]
    
[photo : Levallois Perret aux abords de la médiathèque Albert Camus, mercredi 25 octobre, milieu d'après-midi]

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Les gens de Paris manquent de courtoisie

Dans le train, avant-hier en arrivant à Paris vers les neuf heures du soir

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Ce n'est pas un de ces marmots au nez morveux, insoucieux de lui et dont on se soucie peu. C'est un petit gars bleu marine, blondinet et bien sage, et qui tout méticuleux range dans son petit sac les coloriages et crayons dont on a occupé son trajet. Pourtant il n'est pas bien vieux, à vue d'oeil je lui donne 5 ans, 6 peut-être ; il faut dire qu'il est plutôt petit, menu, occupant peu d'espace.
   
Le train est entré en gare, les voyageurs sont priés de le quitter et de veiller en français puis flamand à ne pas oublier leurs affaires personnelles.
Une file de descendants se forme plus rapidement qu'elle ne peut sortir. Je n'ai ni correspondance ni hâte particulière, je laisse passer les plus pressés. 
   
Aux côtés du fils bleu sombre mais plus proche de la fenêtre, sa mère affairée s'occupe d'un plus petit qu'il convient d'aider à mettre son blouson. De bonne composition celui-ci se laisse faire sans dire un mot. Peut-être a-t-il dormi et est-il encore un bon pied dans les songes. Peut-être est-il encore là-bas où un papa, sans doute, est resté.
   
Le plus grand, fatalement, se retrouve côté couloir, prêt à partir mais attendant son restant de famille. Son petit format fait que les grandes personnes le frôlent en l'ignorant, qui sait si certaines les yeux fixés vers l'horizon d'un métro ou d'un taxi à prendre, ou l'impatience de retrouvailles ne l'ont pas bousculées.
   
Alors le petit dit à sa mère, en une constatation de douloureuse surprise :
      
- Maman, les gens de Paris ils disent pas pardon. 
   
La mère qui à présent se hâte de rassembler les derniers paquets et accorde à leur coin de compartiment l'ultime regard circulaire qui hélas bien souvent n'empêche pas l'abandon catastrophique du doudou imprudent qui s'est échappé en glissant derrière une tablette ou le creux invisible d'un accoudoir, reprend mécaniquement :
 
- Oui tu as raison, les gens de Paris ils sont pas très polis. Les gens de Paris, ils sont pressés.
    
Je perçois une brève déception dans le regard du fils, il attendait sans doute une explication plus consistante quant à ce manque flagrant de civilisation.
   
J'hésite à leur parler, me tais finalement par égard pour la jeune femme qui a déjà tant à penser en simultané que répondre à l'intervention incongrue d'une parfaite inconnue ne serait qu'une interférence pénible supplémentaire. A la place j'esquisse un sourire à l'attention du petit bonhomme perplexe et m'applique à bien le contourner, mais surtout sans dire pardon. Je ne souhaite pas invalider sa si sérieuse constatation par un contre-exemple dés lors incompréhensible.
   
[photo : la gare du nord, mais en septembre] 

L'alarme à l'oreille

      
Dans le train, hier au bord du soir ( ;-) )
      
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Ma bienveillance naturelle m'ordonne de vous déconseiller tout voyage ferroviaire en ma compagnie. Non pas tant que j'estime celle-ci particulièrement désagréable, probablement ni mieux ni pire qu'une autre, mais parce que je suis fortement affublée de la malédiction du bébé qui pleure et de sa variante moderne, le jeune homme qui regarde un DVD sur ordinateur sans casque.
   
La magie du marketing qui m'avait permis de voyager exceptionnellement en première à pas cher, était en train de me permettre vérification scientifique que ce phénomène récurrent n'était pas lié à une question de classe économique, quand dans le wagon une alarme insistante se mit à retentir.
   
   
Une note aigue, monocorde, et que ne couvrait pas le brouhaha ambiant. Le bébé qui pleure était pourtant dûment secondé par un morceau de petite famille dont la mère s'efforçait de tenir les petits, turbulents et joyeux, et par le passage de l'homme à chariot chargé de la distribution des plateaux repas (je recommande le vin plutôt que le coca ) qui n'était pas sans me rappeler des temps anciens où parfois je voyageais loin et donc prenais l'avion.
Je n'identifiais pas du son insistant la provenance. Il semblait envahissant de façon invariante et linéaire. Le bébé n'en pleurnichait ni plus ni moins. Personne autour de moi ne semblait s'en gêner. Chacun vivait sa vie. Quant à moi je lisais, et seuls les malaises ou les éléments extérieurs violemment insupportables ou intrusifs peuvent me détourner de cette activité.
    
L'alarme persistait mais j'en avais déjà fait l'entière abstraction, pourvu qu'une explosion éventuelle n'intervienne pas avant la fin du chapitre,  quand un contrôleur passa qui semblait vérifier les bagages. Je souris en songeant au sac de Destroopers   (1) que je rapportais de ma brève escapade en pays limitrophe et que je n'avais pas pris la peine d'étiqueter bien qu'il ait trouvé sa place dans le porte-bagage au dessus des sièges.
 
Mais l'homme ne vérifiait pas les étiquettes, s'il s'arrêta presque à mon niveau ce fut pour demander à mon voisin suivant si la valise qui nous surplombait était bien la sienne. Ce dernier mit un temps à répondre, j'imaginais que peut-être il écoutait quelque musique au casque quand la demande avait été formulée.
Puis il dit que Oui, que c'était la sienne.
Le contrôleur le somma alors poliment mais fermement d'ouvrir, Vous n'entendez pas ce bruit ?.
   
Le voyageur se leva, ouvrit, prit un objet, j'imagine un réveil, qu'il fit taire rapidement. Je n'avais pas levé les yeux car je percevais son embarras sans avoir besoin de voir son visage.
Il ajouta comme qui confesse une faute, mi à l'adresse du contrôleur mi à celle des autres passagers alentours qui soudain le scrutaient tous :
 
- Pardon, je suis désolé, je suis mal entendant.
 
Puis il reprit sa place.
J'ai alors pensé à mon privilège, celui de la musique possible. J'ai eu honte de toutes mes tristesses quand je peux voir pour lire et entendre pour l'écouter.
   
C'est seulement plus après, en tournant la page du chapitre entamé, que j'ai pris conscience que le bébé, jugeant sans doute lui aussi ses tourments fort luxueux (2), avait cessé ses pleurs.
    
(1) publicité totalement gratuite et désintéressée, sauf à apprendre sur le tard que l'arrière beau-frère de la fille de la grand-tante issue de germains de mes amis de Belgique y travaille. J'en parle parce que je les trouve bons et plus difficile à trouver en France que les speculoos, donc davantage intéressants à rapporter d'une incursion au pays voisin.
(2) à moins qu'il n'ait perçu la vanité de ses efforts quand à leur voisin immédiat.
   
[photo : in situ ]

Les enfants, où sont les enfants ?

(titre sauvagement emprunté à Colette, c'était plus fort que moi) (1)

   

Loin de Paris mais qu'en sait-on après tout, des toilettes publiques il y en a assez partout.

Je sors des toilettes et me dirige vers les lavabos. Devant moi une femme, son petit sur les talons.

Elle appelle d'une voix forte :

- Yannis, où es-tu ?

puis avec une nette coloration d'inquiétude

- Yannis je ne te vois pas.

Et le gamin à peine derrière, d'une petite voix timide :

- Mais je suis là, maman.

Elle se retourne, rassurée, constate de visu sa présence bien réelle et  constate sur un mode tellement atonal qu'il contient fortement le reproche qu'elle a tenu à taire :

- Tu étais juste derrière.

Le petit n'ajoute rien, ces 5 ou 6 ans ont bien compris qu'une forme de colère maternelle rôdait.

Il se dirige tout droit vers le robinet d'eau et sur la pointe des pieds entreprend de se laver les mains. J'en fais autant dés que le passage se libère.

   

PS : prénom bien sûr un brin modifié, car il s'agit d'une pure scène vue

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Le cadeau inconsolable

Un samedi, une librairie, Montreuil

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La vie me sourit en ce samedi-là, un film que j'ai aimé,  (1) un moment presque heureux,  une dédicace mais  sans la soupe  dans une  librairie que j'adore.

Je pense à mes enfants et Sanseverino, qui est présent, personalise la signature d'un petit message qui leur va bien.  Pour la première fois depuis fort longtemps je ressens un peu moins fort la pression du chagrin, je sais qu'ils seront contents, lui semble heureux de faire plaisir et ses deux acolytes également satisfait de la façon dont le public a perçu leur travail.

Je passe à la caisse ; une micro-pile de CD tout neufs. Gianmaria Testa. Un tout récent que je ne connaissais pas et qu'ils sont fiers ici d'avoir déjà en vente.

Imprégnée par la douce euphorie de cette fin d'après-midi, à l'ombre des rires et des murmures qui proviennent à l'étage supérieur des dédicaceurs et de leur public détendu, je songe soudain à Wytejczk qui apprécie beaucoup le chanteur italien.

Alors qu'une des libraires à présent me paufine pour les enfants un paquet cadeau du livre d'"U" joliment personnalisé, je me dis que peut-être il ne sait pas qu'un disque nouveau vient de sortir, que ça lui ferait plaisir de l'écouter sans tarder.

- Attendez, je vais prendre aussi le CD. Je connais quelqu'un à qui il devrait plaire.

Le sourire de la jeune femme n'est pas que commercial, peut-être aime-t-elle aussi les mélodies du chanteur, peut-être a-t-elle pris personnellement l'initiative de la pile propice,  je sens un plaisir partagé qui me fait chaud au coeur.

J'achète ainsi le disque qu'elle m'emballe pour offrir.

Ce n'est que plus tard, assez plus tard, dans le métro ligne 9 du retour, peu après République (Pont de Sèvres - Mairie de Montreuil) que la réalité brutale me rattrape avec la force d'un coup porté. L'estomac qui encaisse. Le souffle qui manque.

Comment offrir un cadeau à quelqu'un qu'on ne voit plus et qui peut-être a quitté la ville ?

Cela a-t-il encore un sens ?

    

(1) pour ceux qui n'ont pas le temps de cliquer de liens en liens il s'agit du film "U" de Grégoire Solotareff et Serge Elissalde avec (entre autre, car ils sont tous bien) l'inoubliable Sanseverino pour la musique et le rôle du chat Kulka 

[photo :  le vrai CD qui a inspiré ce billet par ailleurs partiellement fictif]

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