Ken, le vent et l'orge
Tous les mariages ne naissent pas libres et égaux en droits

La cuvée à Edmond

mercredi soir au L*cl*rc de Clichy, intérieur nuit.

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- Oh Benoît, c'est pas la peine !
    
A l'injonction de "l'ami-qui-s'y-connaît", Benoît retire prestement son verre et sa personne de la position stratégique qu'il occupait auprès de l'Amiral de Beychevelles.
J'en profite pour me glisser et demander sans hésitation un verre de château Marsau (1). Je le dis probablement d'un ton de détermination calme qui me vaut un coup d'oeil approbateur du sommelier servant, complété d'un commentaire technique dont je perçois au moins l'impression laudative, sur un choix qui serait de fin connaisseur.
    
Ce que cet homme consciencieux ne sait pas c'est que mon budget frise le ridicule et que je n'achèterais rien ou presque quelle que soit la qualité du produit présenté, et qu'ensuite si je savais si bien ce que je voulais goûter c'est que je m'étais mise en tête plutôt que de me hasarder à une verticale de Bordeaux, de faire une transversale littéraire (1 bis).
   
La matière y est : j'ai entamé la soirée au côte de Duras,  et j'espère bien l'achever en apothéose sur un Château Monte-Christo, cuvée Edmond Dantès.
   
Nous sommes au supermarché pour la grande soirée annuelle d'inauguration de la foire aux vins.
   
  Grand moment de la vie locale, car au bord de Paris, il existe une vie locale et presque villageoise. Monsieur le Maire passe goûter quelques crus, le photographe de la gazette municipale immortalise l'instant, un couple se précipite, réjoui, sur l'ultime caisse de Château-il-est-très-bon-mais-pas-si-cher et s'en repartent heureux comme des gamins gâtés à la Noël, de grands fils ado, en l'absence d'un père fatigué ou parti, accompagnent leur mère, s'efforçant d'aider au choix et efficaces porteurs par leurs statures toutes neuves ...
jusqu'à un certain point. J'aperçois l'un d'entre eux dont l'initiation gustative a été trop poussée sans doute, s'asseoir délicatement au milieu des yaourts avec un soupir combiné d'aise et d'épuisement.
Et puis le lot habituel de collègues en goguettes, de pseudo-connaisseurs et de vrais connaissants, ceux qui viennent pour affaires et ceux qui viennent pour profiter. Ces derniers seront déçus, le buffet n'est plus ce qu'il était, et de sages petits-fours désormais remplacent les huitres et les foies gras dont on nous régalait il y a quelques années.
   
    
Alors que j'attends l'Homme parti chercher un sac ou un petit chariot, je contemple pensive le vide laissé par les caisses emportées sur des palettes qui à peine plus tôt disparaissaient sous l'empilage.
   
- Ça, va, me fait gentiment un des sommeliers d'un soir, vous avez l'air ... (il pense triste, il corrige in extremis) perplexe ?
Prise au dépourvu, je réponds un
- Je regardais le vide, il est venu si vite.
que curieusement, ou peut-être parce qu'il avait lui-même chargé nombre de caisses, il comprend.
Mon époux revient, on discute à trois, le vendeur conseille, nous restons raisonnables.
      
Un type apostrophe son pote retrouvé au détour d'un point de dégustation :
- Oh là, quand je vois la tête que t'as, je me dis je dois être pareil, tu crois pas qu'il serait temps qu'on se rentre ?
C'est ce qu'entre-temps nous faisons, j'ai loupé le Monte-Christo, mais pas nos voisins de caisse qui repartent chargés, goûté un bon Tokaij dont le nom ne m'est pas resté.
   
Je persiste à songer à la vitesse du vide, celle à laquelle il se crée, et plus tard m'endormirai sur une image de palettes abandonnées et tellement inutiles quand elles ne portent rien.   
   
[photo : Edmond Dantès, mal cadré, au passage en caisse]
   
(1) pour le nom (1 bis) pour l'explique : pour ceux qui ne seraient pas des habitués ni versés dans le slam je rappelle que ce nom est en phonétique le patronyme civil de Grand Corps Malade.

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