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Tous les mariages ne naissent pas libres et égaux en droits

(et ça me rend bien triste)

à Clichy au bord d'un soir d'orage, à Montréal d'esprit

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Elle lit bien et en prenant les voix. Elle en connaît de coeur le texte, normal puisqu'elle l'a écrit. Il s'agit
d'Une pièce montée  , un récit de mariage dans la grande bourgeoisie, là où l'on a le budget de ses rêves et des rêves de grandeur accessible.
   
Un mariage tout classique, un homme jeune et même amoureux lors de leur décision, une femme jeune et jolie, intelligente et non démunie. Leurs grands soucis sur la période sont un curé humaniste que son vague à l'âme rend défectueux ainsi que, du point de vue de l'épousée et de son impeccable soeur, la présence dans la parentèle d'une petite fille handicapée et qui pour les photos cadre mal avec leur idée exclusive et excluante de la perfection.
    
En attendant l'union a bel et bien lieu, malgré les tensions, malgré les chagrins passés et à venir, malgré les dissensions familiales et les rôles dans lesquels cette structure humaine confine enfin chacun.
    
Les voilà donc mariés, les beaux hétéros de papier.
   
Je suis dans l'assistance, celle d'une petite bibliothèque sympathique de banlieue. Le livre m'intéresse que j'ai pour partie lu. Bel humour et fine analyse de nos travers universels ou particuliers (1). L'auteur en dit un brin trop (2) mais avec enthousiasme, les passages choisis pour lecture sont les bons, et pourtant je décroche.
   
Je décroche parce que je pense à quelqu'un que je croise régulièrement et que j'aime bien.
Mais qui hélas en ce même jour se marie loin. Le hélas est pour le "loin". Ses noces même ici n'auraient pas fait tant de chichis mais je le pense une joie plus franche. Si son conjoint et lui l'avaient souhaité, ils n'auraient pas eu, même de la part d'un curé tolérant une vraie bénédiction nuptiale. Ce n'est pas mon cas, mais j'imagine que pour qui est croyant, ce rituel peut compter fort. Qu'un dieu refuse obstinément une partie de ses créations me dépasse l'entendement. Parce que celui dont je parle est des hommes qui aiment les hommes, leur union doit s'exporter.
   
Ce n'est ni juste ni justifié.
    
Je comprends décidément fort mal cette inclinaison humaine qui consiste à condamner qui ne nous ressemble pas. Des adultes qui n'agissent pas sous la contrainte physique ou économique devraient pouvoir baiser à leur guise sans que les autres se mêle de décréter ce qui est bien et ne l'est pas.
   
Blandine Le Callet s'excuse soudain et vérifie l'absence d'enfants dans la salle, avant de lire un passage un peu cru, pas tant que ça, c'est juste que le mot b*te (3) y revient plusieurs fois.
 
Je me dis alors que je  ne comprends  pas davantage cette difficulté qu'on a ... à appeler un chat un chat :-) .
Je suis encore perplexe au moment, plus tard, où il nous faut rentrer, sous la pluie parisienne et songe au temps québécois. Fait-il là-bas si froid ? Le bonheur réchauffe-t-il assez pour tenir aux longs hivers ?
En me souvenant d'un bon sourire du Capitaine attendant ce jour, je sais soudain que oui.
       
   
(1) il y a de la satire sociale dans ce bouquin-là. Les mariages simples n'y sont pas écornés, seulement ceux qui ressemblent au théâtre ou à des films aux montages férocement raccords, bref, à des pièces, montées.
   
(2) je veux dire : de son livre, pour qui ne l'a pas encore ouvert.
L'éternelle difficulté qu'évoquait une fois Matoo de parler d'un livre ou d'un film et donner l'envie d'aller y voir sans trop en dévoiler.
   
(3) Suite à une utilisation militante du mot "pornographie" en début d'année et qui m'a certes apporté des visiteurs nombreux de pays fort lointains et répressifs (dramatique corrélation), mais probablement pas les bons et qui n'auront pas trouvé ici ce que désespérément ils recherchaient,  je prends désormais mes précautions. Je ne serais pas la première à recourir à l'autocensure pour lutter contre l'audimat. :-(
   
[photo volontairement floue car prise in situ (pas de Montréal, hélas)]

La cuvée à Edmond

mercredi soir au L*cl*rc de Clichy, intérieur nuit.

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- Oh Benoît, c'est pas la peine !
    
A l'injonction de "l'ami-qui-s'y-connaît", Benoît retire prestement son verre et sa personne de la position stratégique qu'il occupait auprès de l'Amiral de Beychevelles.
J'en profite pour me glisser et demander sans hésitation un verre de château Marsau (1). Je le dis probablement d'un ton de détermination calme qui me vaut un coup d'oeil approbateur du sommelier servant, complété d'un commentaire technique dont je perçois au moins l'impression laudative, sur un choix qui serait de fin connaisseur.
    
Ce que cet homme consciencieux ne sait pas c'est que mon budget frise le ridicule et que je n'achèterais rien ou presque quelle que soit la qualité du produit présenté, et qu'ensuite si je savais si bien ce que je voulais goûter c'est que je m'étais mise en tête plutôt que de me hasarder à une verticale de Bordeaux, de faire une transversale littéraire (1 bis).
   
La matière y est : j'ai entamé la soirée au côte de Duras,  et j'espère bien l'achever en apothéose sur un Château Monte-Christo, cuvée Edmond Dantès.
   
Nous sommes au supermarché pour la grande soirée annuelle d'inauguration de la foire aux vins.
   
  Grand moment de la vie locale, car au bord de Paris, il existe une vie locale et presque villageoise. Monsieur le Maire passe goûter quelques crus, le photographe de la gazette municipale immortalise l'instant, un couple se précipite, réjoui, sur l'ultime caisse de Château-il-est-très-bon-mais-pas-si-cher et s'en repartent heureux comme des gamins gâtés à la Noël, de grands fils ado, en l'absence d'un père fatigué ou parti, accompagnent leur mère, s'efforçant d'aider au choix et efficaces porteurs par leurs statures toutes neuves ...
jusqu'à un certain point. J'aperçois l'un d'entre eux dont l'initiation gustative a été trop poussée sans doute, s'asseoir délicatement au milieu des yaourts avec un soupir combiné d'aise et d'épuisement.
Et puis le lot habituel de collègues en goguettes, de pseudo-connaisseurs et de vrais connaissants, ceux qui viennent pour affaires et ceux qui viennent pour profiter. Ces derniers seront déçus, le buffet n'est plus ce qu'il était, et de sages petits-fours désormais remplacent les huitres et les foies gras dont on nous régalait il y a quelques années.
   
    
Alors que j'attends l'Homme parti chercher un sac ou un petit chariot, je contemple pensive le vide laissé par les caisses emportées sur des palettes qui à peine plus tôt disparaissaient sous l'empilage.
   
- Ça, va, me fait gentiment un des sommeliers d'un soir, vous avez l'air ... (il pense triste, il corrige in extremis) perplexe ?
Prise au dépourvu, je réponds un
- Je regardais le vide, il est venu si vite.
que curieusement, ou peut-être parce qu'il avait lui-même chargé nombre de caisses, il comprend.
Mon époux revient, on discute à trois, le vendeur conseille, nous restons raisonnables.
      
Un type apostrophe son pote retrouvé au détour d'un point de dégustation :
- Oh là, quand je vois la tête que t'as, je me dis je dois être pareil, tu crois pas qu'il serait temps qu'on se rentre ?
C'est ce qu'entre-temps nous faisons, j'ai loupé le Monte-Christo, mais pas nos voisins de caisse qui repartent chargés, goûté un bon Tokaij dont le nom ne m'est pas resté.
   
Je persiste à songer à la vitesse du vide, celle à laquelle il se crée, et plus tard m'endormirai sur une image de palettes abandonnées et tellement inutiles quand elles ne portent rien.   
   
[photo : Edmond Dantès, mal cadré, au passage en caisse]
   
(1) pour le nom (1 bis) pour l'explique : pour ceux qui ne seraient pas des habitués ni versés dans le slam je rappelle que ce nom est en phonétique le patronyme civil de Grand Corps Malade.

Bloquée (seconde partie)

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Comme ses prédécesseurs de bonne volonté, elle tente de passer sa propre carte afin de me libérer, ce qui ne fonctionne pas davantage qu'à leurs tentatives.
   
Je n'ai même pas le courage d'articuler : - Ça ne marchera pas, d'autres ont essayé.
c'est elle qui parle : - Voulez-vous que j'aille appeler quelqu'un ?
Je ne dis pas non.
Elle rigole, c'est plus fort qu'elle et ça me plaît beaucoup. Quand on mène une vie grise il est deux façons de sauver une journée du néant qui nous englue : apprendre un mot nouveau ou faire marrer quelqu'un.
Son rire signifie que celle-ci n'a pas été perdue.
   
En plus que cette personne est formidablement efficace, je n'ai pas le temps de m'inquiéter qu'elle revient, me fait "Il arrive" comme si elle évoquait le prochain messie, lequel la suit effectivement de peu, patibulaire à souhait en tout cas d'allure générale car lui aussi en me voyant ainsi bloquée sourit.
   
Ses muscles en l'occurrence ne lui serviront guère, c'est de l'usage d'une simple carte aux attributs magiques complétée d'une action avec une sorte de clef, qu'il me libère enfin.
Il est déjà trop tard pour remercier la dame qui a profité de la manoeuvre en cours pour, tel un ange des Ailes , s'éclipser discrètement après un bref salut. Mais le monsieur, non. Il fait un geste pour dire de rien.
   
La bouffée d'optimiste qu'accompagne mon élargissement me fait rêver un instant qu'il me demande "C'est quoi, votre livre ?", mais ce soir ce n'est pas cinéma et ma vie reprend son cours là où les mécaniques rétives l'avaient suspendue.
   
Je me retrouve sur le bon quai, sans perdre plus de temps ni m'égarer.
Sauf que.
Celui-ci est terriblement bondé. Ça sent son incident. Je me dis qu'au point où j'en suis ça n'est pas bien grave, que de toutes façons la répète est entamée et que courir ne sert à rien. Je commence à attendre, tout comme mes compagnons de rails.
   
L'attente qui se prolonge ne me vaut rien, voilà que je songe au cocasse potentiel de la scène dont j'ai involontairement joué le rôle principal, je me vois la raconter joyeusement à  Wytejczk. Et soudain ça ne va plus. Les moindres deuils, y compris d'une amitié profitent fort bien de nos brèves faiblesses. Me voilà désemparée et cueillie au coeur de mon âme chagrinée, par l'annonce officielle que la cause du retard est un "accident voyageur" à quelques stations de là.
   
J'arriverai ce soir à la chorale plus en retard que jamais. Concassée, comprimée, mais encore en vie et sans doute en voix.
   
[photo : le métro, ligne 1, je crois]

Bloquée (première partie)

    

un jeudi comme un autre entre l'usine et le chant

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Je suis trop chargée. Je suis toujours trop chargée les soirs de chorale.
Aux 3 bouquins de secours plus celui de lecture en cours (1) s'ajoute alors  quelque partoche qu'inévitablement je me traîne.
Epaisse. Lourde.
   
Par dessus le marché, le jeudi est le jour des suppléments livres, que j'ai pris depuis quelques mois l'habitude d'acheter.
 
Donc, 3 ou 4 livres, une partition épaisse, un Libé, un Le Monde, voire en début de mois un Matricule des Anges (2), plus toutes sortes de paperasses dont je repousse le tri à plus tard, ainsi que les impressions de messages personnels reçus dans la journée, consultés hélas à la va-vite et que j'espère ainsi pouvoir lire sans attendre mon tardif retour maison ; car le jeudi, je suis d'usine.
   
D'usine et usée : je me suis en sortant trompée de direction et mes pas m'ont guidée là où mon coeur me mène et qui était aussi l'itinéraire que je suivais du temps où mon père malade incurable était soigné pallié à Jeanne Garnier.
   
C'est donc à une station qui sans m'éloigner de ma destination, pas tout à fait ne m'en rapproche, que je plonge dans la moiteur du métro. Je présente mon vieux Pass Navigo à la machine de contrôle, laquelle m'accepte sans regimber, ainsi que les tourniquets, mais ça se gâte soudain au niveau du pont-levis, des douves et du mâchicoulis, voilà que la seconde porte reste fermement bloquée, et moi coincée entre l'étape précédente et celle-ci.
   
Quand j'écris coincée, ce n'est pas un vain mot. Tout juste puis-je entrouvrir le livre que j'ai à la main.
Ce que je fais comme si une étincelle de génie pouvait en sortir et qui me dégagerait. Après tout Aladin avait bien sa lampe, pourquoi pas moi mes bouquins.
    
Quelques personnes serviables tentent de me délivrer avec leur propre titre de transport mais l'appareillage complet s'est mis entre-temps en anomalie, ils ont un geste d'impuissance et s'en vont tenter leur propre chance plus loin.
Passe une petite dame énergique comme les pré-retraité(e)s peuvent l'être, débarrassés du stress professionnel mais point encore âgés, et pour certain en pleine santé.
Cela semble le cas de celle que mon calme résigné fait rire.
   
C'est davantage de l'épuisement, sinon je pense que je tenterais l'escalade, et puis le chapitre en cours est trop bon pour en devoir le différé de lecture à un dysfonctionnement. La machine hostile qui m'empêchera de lire est priée d'attendre ma mort avant d'exister.
   
(to be continued)
    
(1) non, non pas le Littell, celui-là est trop gros et m'est (pour l'instant) trop insoutenable, il trône donc sur ma PAL
au pied de mon lit qu'il contribue à rendre difficilement accessible
   
(2) si quelqu'un sait ce qu'est devenu le magazine "Senso" je suis preneuse.
Et puis "Miss Star Club" aussi, qui semble également avoir disparu des kiosques.
   
[photo : dans le métro, le même soir mais sur une autre ligne en fait]

Une partie de cache-cache

    
Sur le trajet d'un bus 26, ce dimanche, à l'orée de l'après-midi.
   
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Elle est assise, pensive, sur un banc vert foncé, un petit chien en laisse bien sage à ses côtés. Une toute jeune fille, devant un bâtiment d'école.
   
Le bus a ralenti mais je ne la vois pas, perdue dans une mélancolie qui ne doit rien à l'automne et beaucoup à ma vie, la tête appuyée sur le carreau un peu sale, mon Olympus bien-aimé à portée de main. Je reviens du Père Lachaise, une chasse-photo écourtée : partie là-bas pour cause de septembre et défunt relativement récent à honorer, joints à une lumière parfaite, arrivée à pied d'oeuvre sous un gris de pré-pluie, j'ai capitulé peu avant les premières gouttes. On peut certes sous une averse prendre des photos formidables, mais je tiens à la peau de mon outil de travail.
 
Il me prouve à l'instant toute sa reconnaissance en me lançant un vibrant appel à photo. Je lève les yeux, aperçois l'enfant. Ou plutôt les enfants car entre temps l'a rejointe un petit frère, du moins un jeune garçon qui en présente toutes les apparences, et d'âge et d'air [de famille].
   
Alors que je sors mon appareil de sa sacoche, ôte vite son capuchon, les deux du bancs se causent. Le plaisir des retrouvailles, sans qu'elles aient été pour le moins démonstratives, ne m'a pas échappé. La jeune fille n'est plus triste. Ils échangent quelques mots, puis elle lui caresse tendrement la joue et se lève et s'éloigne dans une course allègre, aux lèvres un sourire léger. Le petit bonhomme qui à son arrivée avait saisi la laisse du toutou, dans le même temps tourne sa tête sur ses bras repliés.
On a compris qu'il compte.
   
Elle se dissimule (mal) derrière un arbre de la placette. J'ai le coeur qui bat fort, je loupe malgré l'Olympus la première photo, pas pensé au reflet. J'ai conscience aigue d'être en temps de paix aussi fortement que si je rentrais d'une guerre, où si nous nous apprêtions à y plonger bientôt, ce jeu des deux enfants est une trêve précieuse, il ne faut, je ne dois pas la laisser s'envoler, c'est un cadeau qu'il nous font. Mes réflexes reviennent pour la seconde photo. Je saisis l'offrande avec reconnaissance.
   
Soudain le bus accélère et change de direction. De ma vue ils ont disparu. Je range mon appareil. Avec soin et tendresse. 
 
Un doux merci à Monsieur KA qui a précisément recadré mes photos comme je n'aurais pas su le faire et certainement pas trouvé le temps.
   
    

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A la "Folies ..." (d'encre)

       

Montreuil, librairie Folies d'encre, mardi soir dernier

   

"Entre le rêve et la réalité il n'y avait que l'épaisseur du pare-brise".

Assise en haut des marches, elle tricotait en écoutant, attentive à l'oreille et machinale aux mains. Je pensais à la révolution, aux tricoteuses d'antan.

 

Pict0020 "Les minutes s'égouttaient sur le fil blanc du temps".

Accompagné par son père, la ressemblance et l'écart d'âge ne laissent aucun doute, un garçon comme Stéphanot se tient au seuil de la librairie.

Soudain intéressé.

Je remarque les tons désuets bleus et grèges de ses vêtements d'aujourd'hui, très doux dans le contre-jour. A défaut de la mer, le soleil se couche ici derrière le conservatoire.   

Par son entrée côté dalle, il illumine chaleureusement le magasin.

Son parent ne l'entend pas de cette oreille, qui le saisit sous le menton, lui embrasse les cheveux, lui glisse, je le suppose une justification, et l'entraîne vers l'extérieur qu'ils n'avaient pas vraiment quitté. Encore un qu'on arrache aux livres. Pour un peu je courrais leur dire : "- Attendez !".

"Le monde s'éloignait d'elle chaque jour davantage".

Il a cette coupe de cheveux à la mode qui ressemble à celles d'il y a 30 ans, frange un peu longue et qui vers l'extérieur délicatement rebique. Il ne semble pas venu pour les livres, il vient voir l'un des libraires, pas un autre, personnellement, visiblement ils se connaissent, échangent à mi-voix quelques mots brefs puis attendent l'interruption suivante de lecture et l'intermède musical pour sortir. Je les vois causer tranquillement, longuement sur la sorte de parvis d'ici.

"Les larmes lui donnaient l'air d'une aquarelle inachevée"

Le texte me reprend et je les perds de vue.

"[comme ? ...] les gens qui rendent visite à un malade et que le silence oppresse."

Tiens, moi le silence me va, c'est l'absence qui m'oppresse.

J'avais oublié que je ne pouvais plus écouter Chopin, mon alchimiste attitré, dont trois notes des compositions entendues au piano en période basse transforment tout droit mes douleurs intimes en toutes les larmes de mon corps. 

Zut alors, je me fais toute petite à l'étage où je suis installée. J'attends la raison sèche.

Elle revient dieu ou qui veut bien merci à la fin des lectures, quand l'auteur prend la parole, aussi ému que moi mais pour d'autres raisons.

La soupe ultérieure achève de me remettre d'aplomb. Ce lieu est mon refuge ou du moins l'un d'entre eux.

Je voudrais remercier ceux qui font qu'il existe.

Toutes les phrases sont extraites à la mémoire (1) du livre de Pascal Garnier

"Comment va la douleur ?"

(éditions Zulma)

(1) donc sans doute non sans approximation, mais j'ai tenu à ne pas corriger : elles sont telles qu'elles me sont restées, et fidèles marques du livre sinon du mot-à-mot.

Ce ne sont pas les plus belles ni les plus importantes, le bouquin vaut mieux que ça. Mais celles qui ont trouvé le chemin de ma mémoire, comme ça, instantanément.

[photo : in situ, peu avant la lecture pour ne pas déranger]


Saint Martin à Satin Lazare et le diable à Champs-Elysées (Clémenceau)

hier en la soirée, ligne 13, sur un quai puis dans la rame

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"Le seigneur, je l'ai déjoué." affirme-t-il à la femme qui posément et alors que d'un geste de sa main droite tenant un mégot allumé il venait d'interdire à une jeune personne de venir s'asseoir à côté de lui sur l'un des sièges de Champs-Elysées, lui a fait remarquer, C'est pas sympa ce que vous faites.
   
"Les gens je les effraie, c'était mieux qu'elle vienne pas. Moi j'ai tout connu, toutes les religions, tout, j'ai été le diable pour ma famille, j'ai lâché mes frères musulmans, vous croyez au paradis, et bien pas moi. L'enfer c'est la vie ici, c'est un paradis d'enfer.
Vous comprenez ?"
 
Il est heureux d'avoir trouvé une oreille sinon attentive du moins patiente. Elle émet un signe d'écoute qui n'est pas d'assentiment et lui, ravi, depuis le temps qu'il provoquait son monde avec sa cigarette, mais en vain, poursuit ses considérations philosophico ésotériques.
 
Je suis un peu déçue, certains d'entre les pauvres hères que l'on croise ici ou là et ne sont plus en état que de dévider à la face du monde leur confusion mentale font preuve parfois d'une sorte de logique délirante éblouissante. Ce n'est pas son cas, il s'enlise dans l'incohérence, quoique par ailleurs il semble plutôt bien en point, presque un "look", petite barbiche pointue tel un diable faustien et qui sied parfaitement à ces propos, bien plus sombres et tourmentés que l'ensemble de son être. Il est propre sinon bien vêtu et fors la clope il ne pue pas.
 
Il semble satisfait de la qualité de son auditoire, ma voisine, son écoutante, me paraît rompue à l'exercice, ferait-elle un de ces métiers d'accueil où l'on secoure la détresse que ça ne m'étonnerait pas.
7 mois plus tôt je crois que j'aurais engagé conversation avec l'une comme avec l'autre, qu'on aurait peut-être fini par aller boire un pot.
  Contrairement à certains qui l'ont agressive, ce type a la détresse poignante, on sent un désir de communiquer, seulement les mots lui échappent. Peut-être au fond voulait-il simplement nous parler du temps qu'il fait ou de celui qui passe.
    
Au lieu de ça, le voilà qui clame, non sans douloureuse poésie :
- Moi j'ai rien, pas de famille, pas d'amis (je leur ai fait trop de mal), je suis l'âme exacte.
 
La rame arrive à quai. La femme et moi nous levons. Avant de s'avancer, elle a un geste amical envers le type, lui tape doucement l'épaule comme aurait fait un pote ; au point qu'il en arrache un Merci à son incohérence.
Je crois que ce soir, un instant, il ira moins mal.
 
Trop fatiguée pour plus je me pose dans un coin, mais m'arrachent au bon livre qu'entre temps j'ai ouvert, le bref dialogue de mon voisin un grand jeune baraqué de banlieue, écouteurs à l'oreille et un type en vêtements de travail tertiaire fripés par une journée trop longue, le 20 minutes un peu froissé qu'il tient par dessus un porte-documents tristement
professionnel.
Il pourrait être mon mari, de fatigue et de lecture. Le gars musclé lui fait à voix douce, craignant visiblement de parler trop fort car avec sa musique il ne s'entend pas
 
- M'sieur, le journal. Je peux l'avoir ?
  L'autre met un instant à comprendre, puis fait :  - C'est que je n'ai pas fini.
Le gaillard mime un tant pis.
 
Arrive Satin Lazare, le cadre fatigué lui tend alors le gratuit :
- Redonnez-moi cette feuille (il désigne la page des mots-fléchés), le reste, c'est bon vous pouvez le garder.
Le plus jeune s'exécute, remercie et se plonge dans la lecture avec une surprenante avidité.
Je pense à Saint Martin. Les manteaux de nos jours sont gratuits et de papiers, mais l'intention y est.
[photo : métro vu d'en haut mais sur une autre ligne]
   

Quand aider n'aide pas

   

mercredi 20 septembre 2006, à l'orée de Satin Lazare

 

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C'est le coup de bourre du déjeuner chez le traiteur chinois.

Beaucoup sont là sur leur temps de déjeuner, ils ne faut pas qu'ils s'attardent.

Alors elles sont nombreuses et bien organisées les femmes qui préparent nos commandes, je fais ce midi-là partie des clients.

Mais ensuite je repars chez moi où m'attendra Stéphanot. La soupe chinoise  ravioli et nouilles,  c'est d'ailleurs pour lui. Le sac traditionnel des "plats à emporter" est sur le point d'être prêt.

L'une des collègues de celle qui me sert a miraculeusement un instant de latence entre deux personnes. Spontanément elle dépose dans mon futur sac quelques-unes des denrées pour moi déjà préparées mais qui étaient posées à côté, tandis que la jeune femme me réchauffait la fameuse (1) soupe.

Puis elle reprend ses propres clients. J'ai aimé ce geste d'entraide spontanée et comme toute habituelle.

Seulement entre temps la soupe est chaude, "ma" serveuse revient. Et qui ne peut plus, en l'état, glisser dans le sac le bol plastique qu'elle tient.

Je la vois échanger avec sa collègue un sourire contrit,  laquelle répond par un geste international de pardon-j'ai-cru-bien-faire.  Ensuite elle ressort les différents produits, pose la soupe, lourde, au fond du sac, l'emballage plus léger avec les nouilles au dessus, ainsi que le reste de ma commande.

J'ai droit pour ma patience à quelques nougats, dont ma fille raffole.

Je repars sans tarder, j'ai peur que mon fils en bon collégien ait en rentrant de ses cours fort faim, et pense un peu songeuse que parfois en voulant aider,  au contraire on n'aide pas.

Cependant leur complicité malgré le rendement requis, m'a fait chaud au coeur.

(1) ce mot est pesé : elle est délicieuse aussi.

[photo : in situ, hier]


Sortir d'un siège en bon état

      

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Siège de l'Unesco à Paris, ce soir même
   
Les poètes et ceux qui les écoutent errent à la nuit orange dans les jardins plus bétonneux que floraux de l'Unesco.
   
La soirée fut douce, de mots anciens et nouveaux, venus d'Europe ou partis d'Afrique,
nous nous quittons repus et satisfait de cette douce bombance, mais le vigile a décidé que la sortie ne serait pas l'entrée, qui nous dirige vers une issue qui n'est pas celle de notre arrivée.
   
Passées les double-portes, c'est le parc où rien n'est indiqué. Des grilles tout autour, une porte mais fermée au loquet, demi-tour autre sentier.
Paroi de verre qui nous sépare de la rue.
   
Sur nos, pas nouveau retour ; j'espère que nous trouverons avant que le grand Fabien, que la vie et une complice attentionnée m'ont encore fait croiser, retardé car fort sollicité, ne doive aussi chercher. Deux femmes dynamiques trouvent enfin l'accès, par un autre côté du bâtiment.
   
Un homme y attend, "La soirée de poésie ?" dit-il au vigile d'un ton que je trouve sec,
celui-ci répond, "C'est bien ici mais c'est fini."
et l'homme, comme agacé qu'on ait pu croire qu'il y prêtait le moindre intérêt :
- Mais je viens juste chercher ma femme, et d'ajouter sans la moindre tendresse :
- Et d'ailleurs la voici.
   
Je suis heureuse que le métro seul m'attende, plutôt qu'un maugréant. Un paisible 6 + 13 me ramène rapidement.
    
[photo : in situ, une fois enfin sur le boulevard]
      
PS : quelques liens me manquent mais je suis exténuée ; la suite un jour favorable.