Günter glauben
27 août 2006
jeudi 17 août 2006 mais ça faisait un paquet de jours que ça me tracassait quand j'ai écrit ce billet, et alors je ne disposais pas d'assez d'internet pour le publier sans attendre.
Les gens sont compliqués. Je suis bien placée pour le savoir, j'en crève depuis 6 et 11 mois, moi qui suis née bécassine binaire 0 ou 1 comme mes amis les ordinateurs dont les caprices apparents, pour qui les connaît, sont toujours explicables.
Alors oui, Günter (Grass) cet homme que j'admirais, que je tenais pour solide, à qui j'accordais sans hésiter ma confiance de lectrice, avait nazilloné comme tant d'autres sa jeunesse allemande.
Pourquoi cet aveu tardif et dans le fond pas si surprenant pour qui sait le contexte (1) me blesse-t-il à ce point ?
Je ne connais pas cet homme, je ne suis de lui qu'une lectrice distante (je l'ai finalement assez peu lu, j'avoue).
Ce n'est même pas le soupçon de marketage qui me rend mal à l'aise, quoiqu'il soit inévitablement présent : rien de tel qu'une "petite" polémique pour "lancer" un "produit culturel", ça c'est pour le lamentable du monde d'aujourd'hui. Le thème de celle-ci est d'une ravissante efficacité :-( .
A moins d'une abyssale et inattendue dette fiscale ou accablement de cet acabit qui peut rendre un homme aux abois financiers, je ne le crois pas désireux d'une telle pratique.
Je tiens cet aveux tardif pour une nécessité intime, de celle que les humains ressentent au seuil de leur fin quand la vie les a laissé poursuivre jusqu'à son issue biologique.
Pas plus que passé un certain âge une femme encore amoureuse n'a intérêt à trop connaître de l'emploi du temps d'un mari, il n'est recommandé de trop en savoir sur ce que les survivants de guerre ont pu y traverser. A qui n'est pas d'entre les bourreaux décisifs, il me semble bon d'offrir le bénéfice du doute. Ca vaut aussi pour les justes, pour les héros, pour qui a bien agi par intime conviction. S'en voir à posteriori officiellement félicité (alors que dans le dur de l'action la grande solitude voire la réprobation (quand ce n'était pas la trahison) sont si souvent de mise) est difficilement supportable. La bonté préfère l'oubli et se satisfait des liens personnels que ses accomplissements auront renforcé.
Me convenait donc de croire sans chercher à savoir plus, que cet homme comme tant de sa génération avait servi ni plus ni moins que ce à quoi on l'obligeait. Je n'imaginais pas qu'il n'ait accueilli la fin de la dictature et des combats avec soulagement.
Par ailleurs je ne me sens capable d'indulgence ni pour son peu d'années d'alors, ni pour son cumul d'aujourd'hui.
On est à 17 ans capable de discernement, peut-être même davantage qu'ensuite, et pour l'avoir croisé à un salon du livre encore récent je l'estime (sauf changement dernier) épargné d'éventuelles atteintes d'âge qui amoindriraient sa réflexion.
Je ne parviens pas non plus à me dire que cette histoire ne me concerne pas. Un vieil allemand que je ne connais guère et qui pour soulager sa conscience avoue une bribe sombre de son personnel passé, après tout, que devrait m'importer ?
C'est la confiance qui est touchée, un homme dont les convictions semblaient sans faille ait avoué qu'il en avait, ou du moins en avait eue. La mienne est déjà dévastée, il m'en restait une part collective, que cet aveu achève de briser. Comme un drame public qui viendrait confirmer une tragédie intime sur la même longueur d'âme.
J'aimerais croire ce qu'actuellement il dit, croire que cet aveu n'en cache pas d'autre potentiel pire encore, croire que la vie adulte entière de cet homme et son travail accompli sont la preuve solide de ses qualités et l'ancien engagement un égarement. Un an plus tôt j'y serais parvenue. A présent je n'en ai plus la force.
Je ne sais plus que penser. Le chagrin est victorieux.
(1) ça tombe que pour travail perso je potasse pas mal sur la propagande quotidienne et l'enrôlement des familles dans l'italie fasciste ; je ne pose sans cesse cette question de savoir comment les miens et moi y aurions réagi dans une période où manquait vite à manger et où qui n'avait pas sa carte (du parti de la dictature) ne trouvait en ville pas ou peu à s'employer. A partir de quel moment les défenses tombent et le doute s'insinue ? A partir de quel moment la force d'être seul contre tous, par exemple à soutenir que des lois racistes sont inhumaines en plus qu'injustes, nous abandonne-t-elle face aux arguments falacieux de la meute forte de son identité consanguine et qui par naissance vous tient pour englobé (2) ?
(2) question toujours d'actualité et que je me pose en connaissance de cause, la peur d'embastillage en moins.
[photo personnelle prise lors du salon du Livre de Paris, porte de Versailles en mars 2001]