D'une élégie la lente lecture
18 août 2006
Elégie : n. f. 1. antiq. gréco-lat Poème écrit en distiques faits d'un hexamètre et d'un pentamètre.
2. petit poème sur un sujet mélancolique
orig. - gr. élégéia, poème dans le mètre élégiaque et élégos, chant de deuil.
(dictionnaire usuel Quillet "par le texte et par l'image" 1963 - hé oui tout le monde ne dispose pas du Robert 2007 -)
Elégie : n.f. petit poème mélancolique tendrement désuet qui parle de mort si possible mais trop long quand même quand on a une soeur de famille, un mari, deux enfants (et même pas de chien), n'empêche rudement beau quand c'est écrit par certains (au hasard, Rilke), enfin pour ce qu'on parvient à en lire.
(définition personnelle d'usage)
Vacances, calme espéré, poésie enfin. La poésie longue se plie mal à la trépidance de ma vie citadine.
Un tempo lent lui convient mieux.
Je compte profiter des congés pour faire orgie d'en lire. Une amie m'en a conseillé quelque grand cru classé.
Seulement en vacances, nous sommes en famille, 24 heures sur 24 et le logis ne comporte qu'une pièce, un escalier et un dortoir sous combles. Environnement peu propice. Et les repas à préparer, ou la flemme de, mais alors restaurant, difficile d'ouvrir un recueil discret entre la poire et le fromage, le choix du dessert et prendrez-vous un café ? oui merci.
Etonnez-vous après ça que la poésie soit plutôt une affaire de riches ou de grands solitaires.
Enfin ce soir, l'homme consent à embarquer la descendance vers une destination festive. Je me jette littéralement sur le petit poche bilingue, ce bon choix dont on m'a pourvue. Je commence à lire à haute voix, je comprends mieux comme ça et la musique aussi.
La première strophe me dépayse, c'est que j'arrive tout droit de la vaisselle partielle (1) du dîner, et puis je dois consulter un peu la traduction, savoir si ce qui m'est obscur est volontaire d'expression du texte (2) ou dû à ma méconnaissance de la langue originale.
Mais comme un émigré de retour au pays après un trop long exil, je retrouve rapidement mon acclimatation et me voilà embarquée loin, bien loin des torchons sales et des miettes que chassent les mouches. Je me sens enfin bien. E.T. phone home.
Peut-être au moins ce soir pleurer pour une bonne cause et non pas de chagrin nombriliste.
bzbzbzzbzbzbzbzbzzbzb
La table de chevet de mes vacances émet une vibration d'abeille et tremblote un tant soit peu.
Mon téléfonino, qui en était la cause, comporte volontairement peu de numéros inscrits, je me méfie d'une éventuelle urgence et préfère aussi ne garder la trace que des jours presque heureux, je ne sais donc aux chiffres qui s'affichent reconnaître qui appelle.
A la voix non plus puisque je n'entends que mes Allo qui se réverbèrent sans que j'entende rien d'autre, malgré une bonne indication de réseau.
Je raccroche, plus déçue de l'interruption que de l'appel manqué. J'espère juste s'il ne s'agit pas d'une erreur que mon interlocuteur rappellera.
Il rappelle alors que je redécollais tout juste. Quelqu'un de ma famille qui loge non loin de là. Je crois qu'il répond à un message que j'avais laissé sur son répondeur, il ne l'a en fait pas reçu car n'a plus d'unités sur son téléphone portable, tu comprends il ne me sert pas (mais alors pourquoi en avoir un ?), je réitère l'invitation que j'y avais énoncée, il ne sait pas, doit en parler au conjoint, me rappellera, conversation banale et somme toute assez chiante, j'étais bien mieux là-haut, pourquoi faut-il qu'il appelle toujours au mauvais moment, sur mes temps sauvés et qu'ainsi il réduit.
L'essentiel ayant été dit et nos saluts effectués, je fais "fin d'appel", me replonge dans l'élégie, toute magie rompue. Tant que ceux que j'aimais de près m'apportaient leur chaleur et leur affection, je trouvais naturel d'en distribuer à ceux que la vie a disposé sans que j'ai choix à mon entour. A présent presque seule, je ne trouve plus ni force ni patience. Ce sont-ils jamais soucié vraiment de moi autrement que comme d'un exemple de non-conformité sur lequel déverser leurs reproches plus ou moins voilés ?
Je relis à voix haute un passage précédent, force un brin ma concentration, qui revient enfin.
Et la porte en-bas, s'ouvre, laissant passage à un Stéphanot tout joyeux de ses exploits forains, d'une peluche qu'il a gagnée. Je l'écoute avec plaisir, non sans perdre le poème.
J'y reviens, tenace, quand se tarit son flot de commentaires allègres, mais pour deux vers à peine. Son père entre à son tour et me narre en second la bonne fortune filiale, dont il semble fort fier.
Je pose à regret l'élégie et vais finalement me laver les dents, en songeant à l'attrait indéniable des haïkus tellement plus compatibles avec ma condition. Une élégie, c'est un peu long.
Je n'ai pas renoncé, j'attends juste que s'endorment progéniture et époux, malgré ma petite lampe demeurée allumée. Dés qu'ils auront eu pour moi cette tolérante bonté, je reprendrai le poème, et l'écoute des mots un peu anciens mais si chargés de sens
Demain je serai fatiguée, une nouvelle fois sans doute ; quelque chose me dit que je ne regretterai pas.
(1) l'homme a dit, laisse je m'en chargerai en rentrant
(2) le sujet s'y prête, vie, mort(s) (prématurées), anges, amours crépusculaires, au-delà et nuits d'ici. Ca manque un peu de princesses mais elles ne sauraient tarder. (je rigole, mais j'adore)
titre précédent :
La longueur de l'élégie (et son peu de compatibilité avec les contraintes familiales)