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Adieu Johnny, je t'aimais bien

jeudi 31 août 2006, 13 heures 12

 

Longtemps je n'en ai strictement rien eu à cirer. Quel rapport autre qu'une fausse coïncidence de prénom pouvait-il en effet y avoir entre une grande reine rousse du glamour de l'après-guerre et une petite banlieusarde brune des années soixante-dix qui aimait le foot, les bouquins et les maths ?

Paris en m'accueillant m'a rendue cinéphile, c'était de l'ordre de l'inévitable. Etudiante libérée du carcan familial, j'ai enfin fait connaissance de l'autre Gilda (1). Je me suis dit que j'étais condamnée de toute éternité à décevoir mon père, qu'en me prénommant, car je n'étais pas dupe, ses attentes avaient été au delà de tout réel possible. Ma mère était une très jolie rousse (2). Moi pas.

Indépendamment du reste, le film m'avait plu.

J'étudiais les sciences, menais une vie austère avec peu de distractions.

Vint la danse. En héritage d'un amour perdu, je décidais de m'y mettre. Je venais de très loin : j'habitais difficilement un corps mal coordonné et très souvent malade, marcher me posait question, je me cognais sans cesse et surtout ne comprenais pas l'intérêt qu'éprouvaient les êtres humains à se secouer de conserve et en cadence au rythme de sons émis. Une prof patiente m'admit dans son cours, malgré qu'à la beauté de l'ensemble je nuisais.

Nous ne nous sommes pas quittées. J'ai fait des progrès.

Arriva le chant. L'évidence d'un soir d'octobre. L'appel du Requiem (3). La découverte que j'avais une voix plutôt coopérative à défaut d'autres qualités.

Depuis bientôt trois ans, je suis passée à l'effeuillage. Plus psychologique que physique, ça vaut mieux pour tout le monde, mais n'empêche il y a de ça.

Alors forcément Johnny, Johnny Farrell à présent je pense à lui. Bien sûr il m'a mené la vie dure, comme quasiment tous ceux dont je me prends passion, une vieille malédiction peut-être.

Mais c'est la vie qui était rude et faisait de nous des êtres en lutte, combattant souvent les mauvais ennemis et se blessant en réciproque au lieu de s'épauler.

Bien sûr, bon vieux Glenn, après "Graine de violence", je t'ai perdu de vue.

Mais l'affection y était. On n'efface jamais des sentiments si forts.

On m'a dit que tu étais malade, je suis soulagée que tu ne souffres plus.

Ca n'empêche qu'aujourd'hui je me sens en deuil (j'ai hélas l'habitude).

Good bye peasant, g'bye Gwyllyn !

(1) je n'imaginais pas un seul instant que vingt ans plus tard la vie m'offrirait le cadeau d'une belle rencontre et si inattendue

(2) je parle de ma vraie mère de la vraie vie, qui en son jeune temps était rousse aux yeux verts. Quand je l'avoue, on me croit rarement.

(3) de Verdi, forcément.

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Le 15 septembre à 10 heures 10

         
Si vous avez envie de vous souvenir plus tard de ce que vous aurez fait le 15 septembre 2006 à 10 heures 10 et que vous possédez un appareil photo numérique, que par ailleurs l'idée de participer à un blog lié à une expo photo vous tente, n'hésitez pas :
Prenez une photo ce jour-là et à cette heure précise, où que vous soyez et envoyez là à l'adresse suivante :
10heures10[at]free.fr
les photos seront publiées ultérieurement sur
Plus d'infos par ici .
et merci par avance à tous ceux qui voudront bien participer.
PS : attention cependant aux soucis éventuels de droits à l'image, pas de personnes reconnaissables à moins de leur accord.

Comment Madonna m'a menée à Pier (Paolo)

       
dimanche 27 août 2006, toujours le mitan de l'après-midi à peine un peu après
      
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Je suis fort atteinte du syndrome de consolation nécessaire : plus on me rend triste, plus le monde me semble dépourvu de sens et tournant sur la tête (si tant est qu'un globe en ait une), plus j'éprouve tel le jeune Adrian Mole le besoin irrépressible de me tourner vers la grande littérature pour consolation (en V.O. à la mémoire, to turn once more to great litterature to (for a ?) solace), les livres si on ne les perd pas, ils ne vous lâchent jamais.
   
Je rentrais donc vers mes pénates, un peu triste un peu seule malgré un bon moment à peine écoulé, mais qui ne couvrait pas le vide du message concernant à la fois Günter Grass, Jonathan Litell, Serge Joncour et leurs travaux, les jeux électroniques en consolettes portables, la dernière facétie de Stéphanot, et nos travaux domestiques que je ne pouvais même plus me permettre d'envoyer en rentrant, du moins en totalité plus personne de ma connaissance n'étant désormais à même d'apprécier simultanément ces différents sujets, et de m'en offrir en retour un avis encourageant, drôle ou éclairant, somme toute : amical et tendre, quand je tombais non sans (agréable) surprise sur une librairie ouverte.
En fait de librairie, c'était plutôt un marchand de journaux qui complétait ses rayons d'un peu de livres, mais pour un dimanche on s'en contentait bien.
      
Je me retins de l'achat du tout nouveau Desarthe, que je saurais aimer, elle est de celles dont je me sens proche même sans la connaître, mon budget est en berne et je m'étais déjà accordé la dépense d'un repas pris à l'extérieur, me concédait un poche.
    
Le choix n'était pas grand, entre classiques (déjà possédés sinon bien lus), tout venant et déjà lus. Puis une biographie de Pasolini me sauta dans les mains, elle était d'un prix raisonnable, comportait quelques photos (je résiste mal aux photos), et m'en voilà pourvu.
      
Je me rends compte chaque jour que je connais fort insuffisamment son oeuvre, qu'il faudrait que j'aille y voir de plus près, et qu'à de grandes nombreuses différences dues à nos conditions si diverses, il y a un fort cousinage qui ne demande qu'à m'enseigner. J'étais donc contente d'un pas potentiel de plus vers moins d'ignorance.
    
On était tout près de Bercy. Je comptais y prendre la ligne 14 pour remonter vers mon nord ouest domiciliaire. Ce que je fis en lisant et sans larmes.
   
Ce n'est que le lendemain, aux infos fatigantes du radio-réveil, que je compris pourquoi peut-être ce dimanche là et pas un autre, la boutique d'où je tenais ma fructueuse lecture s'était trouvée ouverte : un concert de Madonna, quelques heures plus tard devait s'y tenir et avait eu lieu. Je devais donc d'une certaine façon Pier Paolo à une Madone de substitution, ce n'était pas pour me déplaire.
    
[photo : sur le même boulevard, à peine un peu avant en distance]

Un merci méritoire

Paris, vers Daumesnil, dimanche 27 août 2006, mitan d'après-midi

P8270006 Elle a le format et l'équilibre instable de qui n'est pas sans roulettes depuis fort longtemps.

Je ne sais pas comment j'ai pu percevoir sa présence car ni son petit vélo ni elle-même ne font de bruit et qu'elle arrivait dans mon dos alors que sortant d'un déjeuner en bonne compagnie, je marchais pensive sur le large trottoir arboré.

Cependant quelque chose m'a fait me retourner, je l'ai vue qui arrivait droit sur moi si je ne bougeais guère, ou aurait dû se détourner. Elle en avait le temps et la longueur disponible. Au travers de la concentration formidable requise pour le simple équilibre son regard néanmoins indiquait   qu'elle m'avait vue.

J'ai estimé tout naturellement qu'un pas de plus ou de moins me mettait plus facilement hors de sa trajectoire qu'elle n'en ferait le détours, ai fait ce pas, ça allait de soi.

Alors qu'elle passait à ma hauteur sans avoir eu besoin de se dévier, elle me gratifia d'un bon Merci bien timbré sans quitter un seul instant des yeux sa ligne d'horizon ; polie mais prudente.

J'ai d'autant plus apprécié qu'elle le fasse. Qu'une si petite fille soit capable en plein effort de tant de civilité m'a laissée toute admirative. D'autant que je n'attendais rien et que je suis toujours aussi surprise qu'on remarque mon existence.

Avec ou sans vélo je lui souhaite en retour un bon et long chemin

[photo : in situ, le temps de dégainer et de laisser la longueur de champ respectueuse des discrétions]


Günter glauben

         
jeudi 17 août 2006 mais ça faisait un paquet de jours que ça me tracassait quand j'ai écrit ce billet, et alors je ne disposais pas d'assez d'internet pour le publier sans attendre.
    
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Les gens sont compliqués. Je suis bien placée pour le savoir, j'en crève depuis 6 et 11 mois, moi qui suis née bécassine binaire 0 ou 1 comme mes amis les ordinateurs dont les caprices apparents, pour qui les connaît, sont toujours explicables.
Alors oui, Günter (Grass) cet homme que j'admirais, que je tenais pour solide, à qui j'accordais sans hésiter ma confiance de lectrice, avait nazilloné comme tant d'autres sa jeunesse allemande.
 
         
Pourquoi cet aveu tardif et dans le fond pas si surprenant pour qui sait le contexte (1) me blesse-t-il à ce point ?
    
Je ne connais pas cet homme, je ne suis de lui qu'une lectrice distante (je l'ai finalement assez peu lu, j'avoue).
       
Ce n'est même pas le soupçon de marketage qui me rend mal à l'aise, quoiqu'il soit inévitablement présent : rien de tel qu'une "petite" polémique pour "lancer" un "produit culturel", ça c'est pour le lamentable du monde d'aujourd'hui. Le thème de celle-ci est d'une ravissante efficacité :-( .
   
A moins d'une abyssale et inattendue dette fiscale ou accablement de cet acabit qui peut rendre un homme aux abois financiers, je ne le crois pas désireux d'une telle pratique.
    
Je tiens cet aveux tardif pour une nécessité intime, de celle que les humains ressentent au seuil de leur fin quand la vie les a laissé poursuivre jusqu'à son issue biologique. 
   
Pas plus que passé un certain âge une femme encore amoureuse n'a intérêt à trop connaître de l'emploi du temps d'un mari, il n'est recommandé de trop en savoir sur ce que les survivants de guerre ont pu y traverser. A qui n'est pas d'entre les bourreaux décisifs, il me semble bon d'offrir le bénéfice du doute. Ca vaut aussi pour les justes, pour les héros, pour qui a bien agi par intime conviction. S'en voir à posteriori officiellement félicité (alors que dans le dur de l'action la grande solitude voire la réprobation (quand ce n'était pas la trahison) sont si souvent de mise) est difficilement supportable. La bonté préfère l'oubli et se satisfait des liens personnels que ses accomplissements auront renforcé.
   
Me convenait donc de croire sans chercher à savoir plus, que cet homme comme tant de sa génération avait servi ni plus ni moins que ce à quoi on l'obligeait. Je n'imaginais pas qu'il n'ait accueilli la fin de la dictature et des combats avec soulagement.
   
Par ailleurs je ne me sens capable d'indulgence ni pour son peu d'années d'alors, ni pour son cumul d'aujourd'hui.
On est à 17 ans capable de discernement, peut-être même davantage qu'ensuite, et pour l'avoir croisé à un salon du livre encore récent je l'estime (sauf changement dernier) épargné d'éventuelles atteintes d'âge qui amoindriraient sa réflexion.
      
Je ne parviens pas non plus à me dire que cette histoire ne me concerne pas. Un vieil allemand que je ne connais guère et qui pour soulager sa conscience avoue une bribe sombre de son personnel passé, après tout, que devrait m'importer ?
   
 
C'est la confiance qui est touchée, un homme dont les convictions semblaient sans faille ait avoué qu'il en avait, ou du moins en avait eue. La mienne est déjà dévastée, il m'en restait une part collective, que cet aveu achève de briser. Comme un drame public qui viendrait confirmer une tragédie intime sur la même longueur d'âme.
   
 
J'aimerais croire ce qu'actuellement il dit, croire que cet aveu n'en cache pas d'autre potentiel pire encore, croire que la vie adulte entière de cet homme et son travail accompli sont la preuve solide de ses qualités et l'ancien engagement un égarement. Un an plus tôt j'y serais parvenue. A présent je n'en ai plus la force.
      
Je ne sais plus que penser. Le chagrin est victorieux. 
   
(1) ça tombe que pour travail perso je potasse pas mal sur la propagande quotidienne et l'enrôlement des familles dans l'italie fasciste ; je ne pose sans cesse cette question de savoir comment les miens et moi y aurions réagi dans une période où manquait vite à manger et où qui n'avait pas sa carte (du parti de la dictature) ne trouvait en ville pas ou peu à s'employer. A partir de quel moment les défenses tombent et le doute s'insinue ? A partir de quel moment la force d'être seul contre tous, par exemple à soutenir que des lois racistes sont inhumaines en plus qu'injustes, nous abandonne-t-elle face aux arguments falacieux de la meute forte de son identité consanguine et qui par naissance vous tient pour englobé (2) ?
(2) question toujours d'actualité et que je me pose en connaissance de cause, la peur d'embastillage en moins.
    
[photo personnelle prise lors du salon du Livre de Paris, porte de Versailles en mars 2001]

Quand le 26 août évoque un 17 avril

   
samedi 26 août 2006, à l'approche de 17 heures
   
Encore jet lagguée d'un retour de Normandie (du point de vue de la vie électronique, une décennie nous sépare), j'allume machinalement la radio sur France Culture en fin d'après midi. C'était ma distraction de là-bas, j'y avais, via une première recherche sur les leçons de littératures avec Cécile Wajsbrot puis partant de là, le repérage d'une émission où il fut question de Virginia Woolf, pris l'habitude à ces heures d'écouter Radio Souvenir, un invité causant avec l'animateur à partir d'archives sonores qu'ils avaient choisies. Ce n'est pas sans émotion jeudi, que j'ai ainsi (ré)entendu en compagnie de mon fils pour lequel il s'agit de témoignage d'un monde ancien, la dernière intervention radiophonique de Salvador Allende.
   
J'oublie donc aujourd'hui que nous sommes en week-end, que le programme n'est probablement pas le même, j'ai tellement envie d'entendre causer de choses plus intéressantes que les frigos, les dossiers d'inscription, les découverts en compte et les machines à laver (1), que tout bêtement, j'allume un vieux poste (2) qui dans ma cuisine voisine la machine à expresso ; celle qui parle italien.
   
Au moment précis où je me dis mais non, c'est samedi ça doit être tout autre chose, j'entends une de ces archives, ça cause des Khmers Rouges, Pol Pot, le 17 avril 1975. Me reviennent alors en une vague compacte tous les films de Rithy Panh qui avaient fait mon grand intérêt (3) à La Rochelle l'an dernier. Et ce texte que j'y avais écrit, car la date m'avait frappée, que faisais-je alors (4) ? Qu'en comprenait-on ici ?   
      
Après, je me rends compte qu'il s'agit d'une autre émission procédant d'une démarche similaire et qu'au jeu des concordances et coïncidences j'ai encore comme au manège attrapé "Le pompon les petits, le pompon".
Le sujet est si fort, qu'on en ait des souvenirs directs ou comme moi davantage dus au cinéma cambodgien ou à des lectures, que j'en oublie bien vite mes péripéties personnelles.
 
Je pense au peintre Van Nath, le survivant qui par son travail témoigne de l'horreur, comment dans l'un des films il dialogue en calme apparent et en tout cas sans haine avec ses anciens bourreaux.  Je songe aux peuples opprimés, et que ça ne s'arrange pas.
    
(1) quoiqu'il ait aussi été question d'électro ménager mais fort brièvement
(2) preuve que les vacances ont laissées des séquelles, puisque je n'ai pas eu pour premier réflexe de me connecter via l'internet alors qu'en temps normal c'est désormais ma façon d'écouter la radio (et très rarement en direct).
(3) on ne peut pas précisément dire qu'il s'agit de bonheur.
(4) de retour chez moi je m'étais précipitée sur mes anciens carnets de jeune adolescente.


Excès ou absence

jeudi 24 août 2006, ailleurs mais ça pourrait ici.
   
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Des poireaux dépassent d'un de ces sacs de supermarchés que de nos jours on nous vend puis nous échange quand l'usage les atteint. Elle est de jupe et d'allure inusable, silhouette massive que des années en nombre indéterminé ont alourdie peu à peu.
      
Elle vaque, affairée. Prochain repas à préparer, lessive laissée à elle-même, facteur attendu, vieux galant à contenter ou feuilleton à suivre, on la sent légèrement hâtive et peu soucieuse de croiser sa voisine, son ancienne collègue ou son amie des cours d'informatique.
    
Stéphanot et moi rentrons vers déjeuner.  Notre chemin nous la fait suivre sur le trottoir près de la rue passante où il ne convient pas de jouer au débord. Son allure soutenue, ça tombe bien, nous arrange.
      
Elle passe donc sans vraiment ralentir devant chez le marchand de journaux, point stratégique du circuit des courses du matin et risque maximal de croisure de connaissances.
Elle attendra tantôt pour acheter Femmes Actuelles. Souvent l'été ils sortent un supplément Chiens et chats.
      
Des chiens et chatons il y en a justement là, sur l'image du présentoir, des sets de table. J'en suis à me demander pourquoi diable un marchand de journaux se met-il à vendre des sets de table et à quand les aspirateurs, quand sans vraiment ralentir la dame d'un petit geste de sa main encore libre caresse l'image plastifiée du chiot le plus charmant.
   
Stéphanot, aussitôt fait celui qui tombe en arrêt devant l'image et regarde à l'envers si l'animal n'y serait pas.
   
Je retiens mon rire jusqu'à éloignement de la personne qui involontairement a inspiré mon clown personnel.
   
Il appartient plus au sens de l'improvisation de l'enfant qu'au geste de la femme : est-elle si seule qu'un câlin de PVC la console ou au contraire si comblée qu'elle a de la tendresse à redistribuer jusqu'auprès d'icônes de gondoles ? Pensait-elle en nostalgie à un toutou qu'elle avait eu pour compagnon ou était-elle simplement guillerette et d'humeur badine à l'idée d'un rendez-vous vers lequel elle se pressait ? 

Un été sans faim

      

Un lundi soir, en août, dans un bon restaurant de la rue Richer.

 

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L'homme entre d'un pas timide et résolu. Je pense aussitôt qu'il vient pour se proposer à travailler, et qu'il tombe un peu mal.

Nous sommes en effet les derniers clients du restaurant ce soir. Nous y fêtons le père de Stéphanot et moi mon dernier jour d'usine et son avant-dernier jour de bureau avant vacances.

D'ailleurs le chef est à présent venu discuter avec nous, lui aussi a terminé sa journée, du moins le croit-il. En zone non directement touristique la basse saison est fort basse et les fortes chaleurs qui ont précédé n'ont pas incité les habitants à autre chose qu'à du grignotage frais. Or lui nous propose une fine cuisine française de type régal des papilles.
A aucun moment de la soirée nous n'avons été nombreux.

Le visiteur tardif parle avec le serveur. Je me demande en quelle langue, l'un comme l'autre paraissant étrangers. Hésitations sémantiques ou requête délicate, iIs semblent parlementer. Je finis par me demander si le demandeur ne cherche pas un quelconque dépannage tabagique. Quelle chose dans sa démarche, ou sa nervosité enrobée d'une sorte de lassitude me l'a fait penser en manque. Mais de quoi ?

Sur un signe de son collègue le chef nous abandonne après une brève civilité. Nous le voyons disparaître en cuisine. Nous pensons sans l'articuler que peut-être à l'occasion ils font des plats à emporter, à titre de dépannage. Et que c'est très pratique.

Un semblant de conversation nous revient, au sujet du vin, qu'en fonction de la saison nous avions choisi léger et frais, à moins que de nos desserts. Succulents.

Je perçois un mouvement et lève les yeux. L'homme nous salue bien poliment tout en mordant à pleines dents un formidable sandwich d'où s'échappent quelques feuilles de laitue et le bon rouge des tomates. Ses yeux brillent.

Le chef nous rejoint, émet un commentaire sur la difficulté de préparer à cette heure la garniture adaptée à une requête imprévue.
Mon mari manifeste un l'étonnement quand j'ai déjà compris car je voyais l'homme de face alors que mon compagnon lui tournait le dos : le pauvre bougre avait faim, il faisait tout bonnement l'aumône ; tentait sa chance. Combien de refus avait-il essuyé ? Quelle est cette société où un être jeune et à première vue valide ne trouve pas à s'employer quand tant de travaux manquent de bras (1) ?

Notre ami cuisinier ajoute, Un gars tout seul, on peut bien le dépanner. Mais le problème c'est si ça devient une habitude, ou s'ils reviennent à plus.
Il a un geste pour signifier, on verra bien, on avisera.

J'en ai oublié la musique d'ambiance, une radio agaçante, publicités incluses. J'ai vu ce soir un homme heureux ou du moins soulagé. Où qu'il dorme, ce sera l'estomac plein.
Mes parents encore enfants ont souffert de la guerre, ils ont connu la faim. Je ne sais pas l'oublier.   

(1) ils manquent le plus souvent également de budgets, j'en suis consciente. Mais n'est-ce pas le signe que quelque chose ne tourne particulièrement pas rond ?


D'une élégie la lente lecture

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Elégie : n. f. 1. antiq. gréco-lat Poème écrit en distiques faits d'un hexamètre et  d'un pentamètre.
2. petit poème sur un sujet mélancolique
orig. - gr. élégéia, poème dans le mètre élégiaque et élégos, chant de deuil.
(dictionnaire usuel Quillet "par le texte et par l'image" 1963 - hé oui tout le monde ne dispose pas du Robert 2007 -)

Elégie : n.f. petit poème mélancolique tendrement désuet qui parle de mort si possible mais trop long quand même quand on a une soeur de famille, un mari, deux enfants (et même pas de chien), n'empêche rudement beau quand c'est écrit par certains (au hasard, Rilke), enfin pour ce qu'on parvient à en lire.
(définition personnelle d'usage)

Vacances, calme espéré, poésie enfin. La poésie longue se plie mal à la trépidance de ma vie citadine.
Un tempo lent lui convient mieux.
Je compte profiter des congés pour faire orgie d'en lire. Une amie m'en a conseillé quelque grand cru classé.

Seulement en vacances, nous sommes en famille, 24 heures sur 24 et le logis ne comporte qu'une pièce, un escalier et un dortoir sous combles. Environnement peu propice. Et les repas à préparer, ou la flemme de, mais alors restaurant, difficile d'ouvrir un recueil discret entre la poire et le fromage, le choix du dessert et prendrez-vous un café ? oui merci.

Etonnez-vous après ça que la poésie soit plutôt une affaire de riches ou de grands solitaires.

Enfin ce soir, l'homme consent à embarquer la descendance vers une destination festive. Je me jette littéralement sur le petit poche bilingue, ce bon choix dont on m'a pourvue. Je commence à lire à haute voix, je comprends mieux comme ça et la musique aussi.

La première strophe me dépayse, c'est que j'arrive tout droit de la vaisselle partielle (1) du dîner, et puis je dois consulter un peu la traduction, savoir si ce qui m'est obscur est volontaire d'expression du texte (2) ou dû à ma méconnaissance de la langue originale.

Mais comme un émigré de retour au pays après un trop long exil, je retrouve rapidement mon acclimatation et me voilà embarquée loin, bien loin des torchons sales et des miettes que chassent les mouches. Je me sens enfin bien. E.T. phone home.
Peut-être au moins ce soir pleurer pour une bonne cause et non pas de chagrin nombriliste.

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La table de chevet de mes vacances émet une vibration d'abeille et tremblote un tant soit peu.
Mon téléfonino, qui en était la cause, comporte volontairement peu de numéros inscrits, je me méfie d'une éventuelle urgence et préfère aussi ne garder la trace que des jours presque heureux, je ne sais donc aux chiffres qui s'affichent reconnaître qui appelle.
A la voix non plus puisque je n'entends que mes Allo qui se réverbèrent sans que j'entende rien d'autre, malgré une bonne indication de réseau.

Je raccroche, plus déçue de l'interruption que de l'appel manqué. J'espère juste s'il ne s'agit pas d'une erreur que mon interlocuteur rappellera.

Il rappelle alors que je redécollais tout juste. Quelqu'un de ma famille qui loge non loin de là. Je crois qu'il répond à un message que j'avais laissé sur son répondeur, il ne l'a en fait pas reçu car n'a plus d'unités sur son téléphone portable, tu comprends il ne me sert pas (mais alors pourquoi en avoir un ?), je réitère l'invitation que j'y avais énoncée, il ne sait pas, doit en parler au conjoint, me rappellera, conversation banale et somme toute assez chiante, j'étais bien mieux là-haut, pourquoi faut-il qu'il appelle toujours au mauvais moment, sur mes temps sauvés et qu'ainsi il réduit.

L'essentiel ayant été dit et nos saluts effectués, je fais "fin d'appel", me replonge dans l'élégie, toute magie rompue. Tant que ceux que j'aimais de près m'apportaient leur chaleur et leur affection, je trouvais naturel d'en distribuer à ceux que la vie a disposé sans que j'ai choix à mon entour. A présent presque seule, je ne trouve plus ni force ni patience. Ce sont-ils jamais soucié vraiment de moi autrement que comme d'un exemple de non-conformité sur lequel déverser leurs reproches plus ou moins voilés ?

Je relis à voix haute un passage précédent, force un brin ma concentration, qui revient enfin.
Et la porte en-bas, s'ouvre, laissant passage à un Stéphanot tout joyeux de ses exploits forains, d'une peluche qu'il a gagnée. Je l'écoute avec plaisir, non sans perdre le poème.

J'y reviens, tenace, quand se tarit son flot de commentaires allègres, mais pour deux vers à peine. Son père entre à son tour et me narre en second la bonne fortune filiale, dont il semble fort fier.

Je pose à regret l'élégie et vais finalement me laver les dents, en songeant à l'attrait indéniable des haïkus tellement plus compatibles avec ma condition. Une élégie, c'est un peu long.

Je n'ai pas renoncé, j'attends juste que s'endorment progéniture et époux, malgré ma petite lampe demeurée allumée. Dés qu'ils auront eu pour moi cette tolérante bonté, je reprendrai le poème, et l'écoute des mots un peu anciens mais si chargés de sens    
Demain je serai fatiguée, une nouvelle fois sans doute ; quelque chose me dit que je ne regretterai pas.

(1) l'homme a dit, laisse je m'en chargerai en rentrant   
(2) le sujet s'y prête, vie, mort(s) (prématurées), anges, amours crépusculaires, au-delà et nuits d'ici. Ca manque un peu de princesses mais elles ne sauraient tarder. (je rigole, mais j'adore)

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La cosmétique de la soeur (bonne)

   

pas tout à fait à Paris mais ça aurait pu, samedi 12 août 2006

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J'ai failli ne pas l'acheter.

Je suis peu consommatrice de cosmétiques, mélange de résignation (j'aurais beau faire je ne serai jamais une belle blonde), de manque de moyens, de maugréages maritaux (l'homme étant allergique à la fois aux parfums et aux  dépenses y afférentes) et puis bon j'ai autre chose de mieux à faire, quoi.

J'utilise donc 2 ou 3 produits que j'ai croisés et qui me conviennent, n'en changeant que contrainte et forcée par la course aux nouveautés qui fait que leur producteur les abandonnent.

Et c'est vraiment pour éviter d'avoir la peau parcheminée et le corps puant.

Je m'apprétais donc à procéder au réapprovisionnement annuel de l'un d'eux quand j'ai découvert avec surprise sur l'emballage, ma foi fort bien mise en valeur une citation de soeur Emmanuelle.

Elle fait partie de ceux dont je ne partage qu'en partie les convictions, ce qui ne m'empêche pas de l'admirer profondément.

Entre tant d'autres choses, j'avais apprécié ses prises de positions empreintes d'humanité et de pragmatisme au sujet de la contraception.

Voir ses paroles recyclées par l'industrie du marketing m'a consternée.

Et puis ma famille attendait sur le trottoir humide, la fille n'étant pas entrée pour ne pas être tentée, Stéphanot et son père n'ayant que l'envie de quitter les lieux, mon mouvement de colère n'a pas résisté à leur impatience, à mon ignorance absolue des alternatives possibles et à l'utilité que j'avais du produit.

Lâchement, je l'ai acheté.

Qu'auriez-vous fait à ma place ?

 

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