L'insulte
11 juillet 2006
Montreuil, aux abords du métro Croix de Chavaud, un soir de juin
Du début je n'ai qu'une vague idée, un de ces conflits citadins de circulation comme il en survient tant, l'un(e) traverse au rouge (pour les piétons) l'autre démarre au vert clair (pour les voitures) ou néglige de stopper à l'orange foncé.
En plus que je suis à l'intérieur d'une boutique, une librairie pour ne rien cacher (1)
et que j'y suis fort bien, donc peu encline à me laisser distraire.
Ce sont les éclats de voix de la piétonne corpulente qui attirent mon attention. Je l'écris sans ironie ni mépris, juste pour signaler qu'où qu'elle soit elle était forcément extrêmement visible et que quel que puisse être son état d'esprit elle ne possède pas le genre de gabarit qui fait qu'on l'embête.
L'automobiliste qui suscite son courroux est arrêté à peine plus loin car la disposition du carrefour fait que deux feux de signalisation s'enchaînent. Il fait chaud et d'où je suis je devine ses fenêtres ouvertes.
Il laisse dire. Elle continue à l'insulter. Les gens à l'arrêt de bus commencent à se laisser divertir de leur attente par la scène.
Je trouve sa colère assez plate somme toute, n'est pas capitaine Haddock qui veut. Elle est prêt de la voiture à présent et continue ses invectives sur le mode Connard, Tu l'as eu où ton permis, Alcoolique, Connard (ça doit être son préféré), Danger Public, Connard, Salaud.
Lui ne répond rien. J'imagine qu'il a quand même un peu hâte que ça passe au vert pour pouvoir s'éloigner mais il n'en laisse rien paraître.
Tout d'un coup, et au moment même où je commençais à trouver presque réconfortant qu'elle n'ait pas versé dans l'injure raciste, la voilà qui hurle :
- Espèce d'enculé de pédé !
ce qui l'est tout autant.
Le type a alors dégagé sa voiture de la file d'attente pour la garer un peu sur le côté, ce n'était pas une vraie place mais au moins il ne gênait pas ceux qui voudraient passer.
Il est sorti. Très calme d'apparence et maître de lui.
Il n'a pas crié, lui. Je n'ai pas tout entendu. Mais seulement
- Non, [...] pouvez pas.
Et puis il a ajouté des mots qui ont mis de son côté les badauds de l'abribus et que j'ai vu s'esclaffer. La piétonne furieuse a semblé se dissoudre dans le paysage, se frayant sans doute un passage parmi eux et tournant au premier coin de rue.
Il a regagné sa voiture, a dû attendre le passage vert suivant, puis il est parti.
Il admettait qu'on l'engueule, peut-être éventuellement d'avoir commis une faute de conduite et de la payer ainsi, mais pas qu'on utilise l'homophobie pour injure.
Le bus est arrivé. Les voyageurs y sont montés. Certains riaient encore.
Qu'avait-il bien pu dire pour si belle défense ?
J'aurais aimé en pareille circonstances savoir garder un tel sang froid et son efficacité. Je me sais capable de frapper (2) si on s'en prend non pas à moi mais à quelqu'un que j'aime, particulièrement un enfant. Je tenterais à l'avenir de me souvenir de cet automobiliste souverain.
J'ai repris un livre.
(1) Folies d'Encre, 9 avenue de la Résistance ; Montreuil ; ouverte du mardi au samedi de 10 heures à 19 heures, et le lundi de 12 à 19 heures.
en cherchant pour ce billet l'adresse précise j'ai également trouvé cet article .
(2) ça surprend, je sais, quand on me connaît de vue. Je dois être pourvue d'un gêne Touche-pas-à-mon-pote excessivement kamikaze et complètement déconnecté du cerveau pensant.