Emmanchés avec la cellule
25 juillet 2006
Grands boulevards, arrêt du bus 20, hier au bord du soir
Elle possède le débit fluide et la voix posée des gens bien nés. Rien à voir avec les accélérations haletantes, les tonalités extrêmes et les mots saccadés qu’on entend par chez moi.
Pourtant elle a marqué un arrêt, une respiration intempestive après le mot « cellule » et qui m’a fait soudain sortir de mes pensées pour écouter la demi-part de dialogue qu’au telefonino elle partageait.
En ce moment je relis « The people who knock on the door » de Patricia Highsmith, dont le héros, un jeune étudiant en micro-biologie et qui potasse ses cours, oriente souvent mes pensées.
Aussi en entendant « cellule » ai-je pensé cellule-souches, micro-organisme, voire même charmant protozoaire.
Il n’en était rien mais le mal était fait. Bien que la personne fut tout près de moi à l’arrêt du bus où je méditais sur une course manquée, je cherchais de la scamorza, étais passée chez Ronalba mais arrivée trop tard en sortie d’usine, ou bien c’était lundi, ou encore les congés ou juste que je suis poursuivie par une chance inouïe, bref c’était fermé, j’étais jusque-là parvenue à faire abstraction de sa conversation.
A présent c’était trop tard.
Sa cellule n’avait que peu avoir avec la biologie, elle était de crise et du quai (d’Orsay).
La femme parlait en effet de son engagement dans une association de défense des enfants sans-papiers et je l’espère de leurs parents, mais c’était des petits qu’elle causait, puis après les politiques qu’elle en avait, vitupérant élégamment contre ceux qui n’hésitent pas à jouer de l’effet d’annonce quand des vies sont en danger.
Il était question de faire venir du Liban un certain nombre d’enfants mais pour un mois seulement ce qui la mettait en colère, étant donné qu’à une résolution du conflit en si peu de temps elle ne croyait guère.
Elle a raccroché quand le bus est arrivé. Je n’ai pas osé lui demander de quelle association il s’agissait, même si par conviction je m’y serais bien jointe. Mais je n’ai actuellement ni la force, ni le temps disponible pour aider concrètement. Et pas non plus d’argent.
Nous venions sans doute de vivre un petit mais prouvant moment de démocratie : elle avait parlé librement au téléphone, condamné l’irresponsabilité de certains dirigeants et non sans arguments, et n’en serait pas inquiétée pour autant. J’avoue avoir savouré l’instant, malgré mon affliction quant à ses informations.