Ceux qui changent notre vie et qu'on ne connaît guère
28 juillet 2006
jeudi 27 juillet 2006, Clichy la Garenne
A l'usine, aujourd'hui, je le confesse, j'ai eu grand mal à travailler. C'est que non loin de là, dans ma banlieue, on incinérait quelqu'un que je connaissais ; ou plutôt que je ne connaissais pas ou fort peu, pour le croiser souvent sans oser lui parler, sauf une fois où j'étais en difficulté et qu'il m'avait aidée.
C'était un matin très tôt, à l'entraînement de natation. Le bassin se partageait entre vieux amateurs, peut-être pas si vieux mais en tout cas plus des enfants et dont je faisais partie, et quelques champions qui peaufinaient leur appuis ou d'ultimes réglages avant une échéance prochaine.
Je n'allais pas fort bien : mon père venait de mourir après un été d'agonie, je l'avais, comme ça pouvait, tant bien que mal accompagné, mais mon corps me le faisait payer. Le moral, ça pouvait aller : des amis solides, du moins alors, me soutenaient et mon époux ne s'était pas défaussé. Mais le physique était plombé, comme si la mort avait déteint, je me sentais partir en pièces et par morceaux.
Quand je nageais, j'avais des crampes, que je ne parvenais pas à ruser : le magnésium pris en comprimés ne les effrayait pas et elles déboulaient sans signes avant-coureur. Plus question d'aligner les 2 kilomètres qui apaisent. Ou bien seulement au pull-boy afin de mettre au repos les jambes défectueuses.
Ce jour-là, j'y avais, je croyais échappé. J'étais plutôt soulagée. Je remontais par l'échelle en me hâtant : il fallait se doucher, se sécher, vite rentrer, mettre maillot et bonnet à tremper, accompagner Stéphanot à l'école et filer pointer.
C'est là que la crampe sournoise m'avait surprise. J'avais failli retomber à l'eau tant la douleur était vive.
Il était au bord du bassin, supervisant les plus grands, aurait tout à fait pu choisir d'ignorer cette piteuse maman d'un des enfants qui nageait au club parmi les moins de 10 ans. Mais il avait pris le temps, de venir vers moi, m'aider, me conseiller, afin que je reparte sans trop boitiller.
C'est grâce à cet homme si notre club est ce qu'il est.
Il n'est sans doute pas tout à fait pour rien dans la présence de
parmi les professeurs à l'époque où un petit Stéphanot qui appréhendait l'eau, y faisait ses premières brasses.
Grégory avait rendu patiemment confiance à l'enfant, lui avait fait aimer nager, et comme un grand frère exemplaire offert modèle au point que le petit peureux en devienne valeureux et passionné.
Pour avoir suivi en écriture un semblable chemin, je n'y pensais pas, c'était pas pour moi, je m'en défilais avec prudence, et à présent j'y travaille jours libres et nuits, comme mon garçon dés qu'il peut va s'entraîner, je sais à quel point ça ne tient qu'à un fil, celui de croiser où non la bonne personne, celle qui saura nous déclencher, même si d'autres non moins excellents s'y sont aussi essayés.
Je sais donc que Stéphanot (et un peu moi, par ricochet) devons une belle chandelle à celui qu'un accident il y a quelques jours a privé de la vie, Gérard Durant, président du CS Clichy 92.
Il aura joué un rôle déterminant dans nos existences et celles d'autres familles, sans que pour autant nous le connaissions de façon personnelle.
Je suis triste et fatiguée, peine à trouver les mots. Mais je voulais sans plus attendre en témoigner. Et que ses proches sachent que pour tant d'anonymes il aura compté.
[photo : piscine de Mennecy, 18 décembre 2005, après les championnats de France interclubs où le CS Clichy avait fini second chez les filles et premier chez les garçons]
pour ceux qui se sentent concernés, plus d'infos ici :
ou là :
pour ceux que la natation captive, plus de détails ici :
(où l'on verra entre autre que la première équipe filles celle du CS Melun ne compte rien moins que Laure Manaudou dans ses rangs)
mise à jour du mardi 12 septembre 2006 :
Une autre banlieue (si proche), un autre homme qui a semble-t-il beaucoup fait pour sa ville, une autre vie qui s'est achevée brusquement cet été, une autre voix pour en dire autant :