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Délocalisation

Pour une bonne semaine, dans l'espoir d'assouvir enfin le besoin de travail et d'apaiser quelques chagrins,

délocalisation partielle (Eugène est resté dans la cuisine et Stéphanot aussi, quant à Wytejczk dieu seul sait où il est (et encore ce n'est pas certain))

ici

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Ce qui n'exclut pas de revenir un peu sur Traces ... écluser quelques retards de publication.


Dites madame, pourquoi les gens ils sont tristes ?

Arrêt du PC3, porte de Saint-Ouen mercredi soir vers 22 heures
      
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Elle porte une de ces robes traditionnelles qu'ont les vieilles dames marocaines ou kabyles. Mes 42 ans de banlieue me font honte de ne (toujours) pas savoir les distinguer. Elle a ôté son foulard coloré afin de le réajuster en se mirant pour se faire dans le reflet approximatif que lui renvoie le tableau d'itinéraires.
   
Elle attend le PC3, dont j'ai aussi besoin pour rentrer chez moi.
    
Ma présence soudaine interrompt son geste, qu'elle suspend le temps de vérifier que je suis bien une dame et ne présente de danger ni pour sa pudeur ni pour le reste. J'ai mon vieux sac et des livres en main, l'ensemble est suffisamment rassurant pour qu'elle poursuive sa remise en ordre.
   
Celle-ci achevée, elle me demande un renseignement banal quant au bus que nous attendons. Puis comme je lui ai répondu de mon mieux, alors se lance :
   
- Madame, excusez-moi de vous parler comme ça, mais vous voyez, ça fait 32 ans que je vis ici et je ne comprends pas, ce n'était pas comme ça avant,
[une pause, comme si elle prenait courage avant de prononcer des mots dont elle craindrait l'effet]
      
- Dites madame, pourquoi les gens, maintenant, ils sont tristes ?
      
Le démenti est exclu, j'ai de bonne raison de croire que c'est ma propre expression quand je suis arrivée à l'arrêt qui lui a rappelé que cette question la taraudait.
 
En gage de bonne volonté, je hasarde une réponse tirée de ma propre expérience :
      
- Je ne sais pas, mais je vois les gens que je connais, ils ont tous soit trop de travail et ils sont stressés, surmenés, ont même peur de le perdre et donc sont tristes, soit au contraire du travail ils n'en trouvent pas, se sentent inutiles et ont de gros ennuis d'argent. Ca ne rend pas non plus très joyeux.
       
Elle me contredit de ses souvenirs :
   
- Mais quand je travaillais, nous on était joyeux, des fois même on chantait.
    
Intervient alors un homme qui venait d'arriver, qu'on ne pouvait accuser d'aucune mélancolie, tout souriant et détendu comme qui a bien bossé puis dîné et bu un coup avec les copains et s'apprête à rentrer tranquillement chez lui avec le sentiment des devoirs accomplis.
D'allure et de physionomie il me fait penser à un Philippe Besson qui serait venu de Méditerranée.
      
      
- Elle a raison la dame, les gens ils ont peur de perdre leur boulot ou alors ils en trouvent pas et ils sont malheureux. Mais tout le monde est pas triste. Je suis pas triste moi.
[une pause, puis jugeant le terrain sans hostilité, ce dont je me sens honorée]
   
- Et puis quand ça va pas, je m'en remets à Allah. Le XXème siècle (sic) sera peut-être le siècle pour des miracles, il faut pas désespérer.
      
La femme ayant repéré le compatriote linguistique, enchaîne en arabe, pour dire qu'à part le numéro du siècle, elle est d'accord avec lui. Il me lance un regard d'excuse, mâtine encore d'assez de français les phrases suivantes afin que je puisse suivre, mais devant l'appétit de dialogue en V.O. de la probable grand-mère finit par capituler.
         
Je les abandonne volontiers à leur conversation, il suffirait que je la relance d'un argument en français pour qu'elle m'intègre à nouveau. Mais je laisse tomber, vaguement soulagée : je veux bien hasarder des discussions de société et de philosophie mais me méfie des politiques et plus encore des religions.
   
Le bus arrive et nous montons. Ils parlent toujours. Quand je descends très peu plus tard, je les salue. En souriant ils me répondent.
   
Le temps d'un court trajet, on était moins tristes à trois.
[photo : arrêt du PC3, Porte de Clichy, ce soir]

"Le voyage en Arménie" - le film, enfin ! -

mardi 20 juin 2006, Le Méliès, Montreuil

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Appartient-on plutôt à des lieux qu'à des humains ? Le père âgé pense que oui, qui, malade, file au pays, là-bas en Arménie.
      
Sa fille Anna, médecin, file à sa recherche, elle sait de quoi il souffre et la mort prochaine s'il se refuse aux soins.
Elle ne connaît pas (ou si mal) ce pays, pourtant un peu le sien. Elle ressemble tant aux gens du coin.
   
Peu importe les péripéties, l'action est poétique et les coups de foudre inévitables (1), et que dans l'ensemble on rie bien, ou plutôt si, il importe, qu'on se marre, qu'on passe un bon moment, qu'on ressorte sans euphorie factice mais sans abattement, avec pêche et espoir.
 
C'est de transmission qu'il s'agit. Que laisse-t-on à nos enfants ? Et si c'est un pays ? Est-on au fond d'où l'on vient ou d'où l'on vit ? Le tout ensemble, probablement.
   
Anna patauge un peu, mais tient bon sur ses talons, tempête, s'attache, s'adapte et cherche. Nous découvrons comme elle un pays qui donne envie, un lieu d'extrêmes comme en fabriquent nos économies, comprenons un brin de l'histoire des peuples sans laquelle nous ne saurions grandir.
   
Enfin, pas plus qu'Anna n'oubliera Schaké, je ne risque d'oublier Chorik Grigorian qui l'interprète. Elle crève l'écran.
 
(1) tentative désespérée pour rejoindre les efforts de Matoo quand il parle d'un film et ne pas "spoiler"
   
- "Qu'est-ce qu'un homme sans rêve ? Cette montagne est notre rêve. Ils vont nous la rendre. Ils se sentiront mieux après."
   
[photo : au Méliès, le soir de l'avant première,  à droite l'affiche du film]

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Pourquoi Eugène

Clichy la Garenne, lundi 26 juin 2006, around midnight.
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Ce n'est pas qu'Eugène fasse mal son boulot de dragon conteur, mais depuis 4 bons mois ses racontes oscillent entre mauvais rêves et pires cauchemars, ce ne sont plus des contes mais des mécomptes de fées. Je préfère en conserver la poignante intimité. Pour me faire pardonner de cette peine qu'il prend en vain, ce soir c'est moi qui dit.
   
S'il est ici aujourd'hui, si j'écris et qu'il m'aide, c'est qu'il y a trois ans un texte m'est tombé dessus, ou moi dedans je ne saurais dire.
   
C'est l'histoire d'une petite famille qui vivotait tout au bord de Paris, ça bossait dur, payait sa maison, et vivait tout gris. S'ils avaient été plus (+) consommateurs, un peu plus beaux, un peu plus fiers, moins négligés  ou négligeants, surtout la mère, ça aurait fait un miel de publicitaires. On pourrait dire qu'ils étaient heureux, surtout le fils qui serait champion [de piscine].
   
La mère, cependant, avait un gros défaut : elle lisait trop. Tout le temps, partout, dans chaque interstice, et même le matin sur la ligne 13 (et là, il faut le faire). C'était comme ça depuis toute petite et les médecins n'y pouvaient rien. Particulièrement  certains .
    
Comme toute personne victime d'addiction, elle avait nécessairement croisé quelques dealers des textes et encres dont elle dépendait.
Elle tentait malgré tout d'être sage, de limiter les dégâts, au temps passé et au porte-monnaie.
   
Parce qu'elle circulait beaucoup, aimait le cinéma et aussi l'opéra, et que Paris est magique pour ça, elle faisait des rencontres.
En trois semaines de ce juin-là, Roberto Alagna, Haidi Gaggio Giuliani et Pascale Clark. Le premier lui apprit, ainsi qu'en d'autres temps lui avait dit Johnny, qu'on pouvait venir d'un Clichy et ne pas vivre dans la grisaille, la seconde le prix de la vie et des combats qu'il faut mener malgré un coeur brisé, et la dernière en la retenant à causer d'un livre qu'elles aimaient lui avait (indirectement) fait gagner un home cinéma.
C'était la première fois que quelque chose lui était favorable, la mère de famille n'en revenait pas.
 
Depuis quelque temps l'internet existait chez eux. C'était un plaisir de communication quand à l'usine tout était contrôlé et si fort minuté.
   
Ce soir là, Stéphanot, l'enfant, allait sur ses 8 ans. La mère avait en conséquence préparé un gâteau, il était déjà déjà tard. De son travail elle n'était pas rentrée fort tôt, et puis il y avait eu tant à faire. Il n'était pas loin de minuit quand elle mis le gâteau à cuire.
Il importait alors de rester éveillée afin qu'il ne brûle.
Elle entreprit donc de raconter à une amie qui n'y était pas entièrement étrangère, l'épisode amusant du home cinéma, ce joyeux coup du sort, et aussi le manque de place chez eux pour l'installer, sans parler de son inquiétude face au prix des DVD ; ouvrit sa messagerie, à l'ordinaire et sans méfiance.
Ce modèle de gâteau cuisait en 40 minutes. Ce fut une odeur de pré-brûlé qui l'alerta.
En guise de message, elle avait écrit un petit récit, comme un épisode d'une saga, encore loin à venir.
   
Après tout il racontait ce qu'elle avait voulu dire. Alors elle l'envoya. Un peu surprise du curieux effet de temps effacé qu'en le rédigeant elle avait subit.
Mais comme le gâteau n'était pas cramé, elle ne s'en inquiéta guère. Et pire, récidiva. Tout au long de l'été les mots s'accumulèrent. Ca n'aidait pas aux rangements, ni à l'installation du nouvel équipement. Il y avait des statistiques, de chaussettes orphelines (en nombre) et de repassage en retard (en kilogrammes). Chacun narrait à tour de rôle, c'était peut-être drôle, un peu chagrin parfois. L'amie, en gros, se marrait bien.
 
C'était envers elle une guise de remerciements, une écriture en liberté et par inadvertance. Mais en fait les doigts sur le clavier étaient déjà dans l'engrenage, la mère n'en était pas consciente seulement venait de basculer à son tour de l'autre côté, celui des dealers de textes, qu'elle ne pourrait plus quitter et pour lequel Eugène, 2 ans plus tard, viendrait aider. Parce qu'il faut toujours quelqu'un qui raconte. Sans quoi l'histoire n'existe pas.
   
Ce soir encore Stéphanot a son gâteau. Quelques bougies de plus, des centimètres aussi. Et moi j'ai peur ; alors,
j'écris. 
[photo : Eugène et le home cinema]

Lire la suite "Pourquoi Eugène" »


Mon Arménie sans voyage (fin (provisoire))

Banlieue parisienne,  août 2004



Mais que sait-on au fond de la vie de nos pères. J'ai hélas perdu les
paroles précises, elles n'auraient de toutes façons pas été répétées,
seulement les sentiments qu'elles ont levés en moi.

Je savais mon père peu hostile aux autres. A part envers le rôle des
femmes, ses considérations rétrogrades sur la façon d'être ou n'en pas être
une bien, il pratiquait plutôt le préjugé positif et bourré
d'empathie ; parce que son ami le bien surnommé "Bobosse" était un sacré bosseur, homme de parole (1), et d'origine polonaise, voilà que tous les polonais se retrouvaient promus au rang de travailleurs solides et fiables.

 

J'ai quand même été surprise quand, déjà très atteint par la maladie qui allait l'emporter et n'ayant plus que quelques brefs instants de lucidité par jour, parce qu'on parlait (ou tentait de) voitures, sujet qui semblait encore un peu l'intéresser et que par ailleurs notre garagiste clichois est de cette origine, mon père s'est lancé dans une longue et éloquente tirade qui n'était rien de moins qu'une déclaration d'amour au peuple Arménien.

 

Il ne s'agissait pas d'engagement politique, de prise de position  mais d'un élan d'affection, de pure humanité.

   

De son vrai vivant il n'avait jamais été aussi éloquent, je lui imaginais aussitôt dans sa jeunesse un vrai, un grand pote issu de ces racines, ce qui aurait expliqué [qu'il en parle si bien].

Je n'ai pas eu l'occasion de le lui demander. Comme il s'était soudain enflammé, il s'est brutalement éteint. L'éponge invincible qui lui envahissait si vite et si lentement le cerveau  venait sans doute de s'immiscer entre les  quelques neurones qui  connectés avaient produit  ce cri du coeur. Ils ne furent plus en lien, pas même les jours suivants, et je n'en saurai jamais plus.

 

M'est cependant resté le sens de ses paroles, cette idée qu'on a que les mots de qui se meurt ont plus de poids du fait de l'effort fourni et de l'imminence fatale, et que charge me revenait de leur donner un sens, au delà du moment précis.

 

Peut-être qu'ici enfin, c'est fait.

 

(1) j'entends par là : qui la tenait

[absence de photo : je blogue d'une cyber-connexion que j'ai pu trouver pas trop loin de l'usine]


Mon Arménie sans voyages (milieu)

       
Il y a longtemps, mais aussi un samedi
       
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Elles ont 8 ans dans mon souvenir, 9 peut-être dans la réalité du moment. Les petites filles et un ou deux courageux garçons sont venus fêter l'anniversaire de la mienne.
       
Chez nous ce n'est pas très grand, et très très désordonné. Difficile dans ces conditions de trouver la place pour jouer. Apparemment ils s'accommodent et sont joyeux.
      
Je me tiens en retrait, sans intervenir sauf quand je suis requise, et je veille. Ma mission personnelle est que personne ne se fasse mal, et aussi qu'aucun enfant ne se sente à l'écart. J'aimerais que de l'après-midi ils gardent un bon souvenir et pas seulement ma fille que l'on fête.
       
Vient l'heure du gâteau, et des bougies et de souffler pour montrer qu'on a grandi. Je reviens dans un rôle qui est l'ordinaire du mien, celui de prendre la caméra et de filmer l'instant.
      
Le rituel respecté, la chanson, le souffle et les cadeaux, et puis à peine : manger, l'un des enfants s'exclame :
      
- Oh, mais vous pouvez nous filmer ?
   
Je réponds oui bien sûr, si ça ne les dérange pas. Ca ne les dérange pas mais en plus ils ont envie.
Les voilà en demi-cercle autour de moi, et l'idée jailli toute seule, comme en coeur et de plusieurs.
         
- On va faire un spectacle et vous allez nous filmer. Vous voulez ?
         
Ca se passe à l'ère d'avant les télé-réalités alors je suis surprise : je croyais être de trop et on me sollicite. Je suis aussitôt ravie, je pense que quoi qu'ils fassent, à ma fille la cassette fera de jolis souvenirs. Pour une fois que d'une fête je fais l'effort, elle en vaudra la peine.
         
Ils s'organisent efficacement : en un clin d'oeil ils se regroupent par deux ou trois, quelques un(e)s préfèrent le one-man-show et puis une petite fille dit simplement :
         
- Je vais chanter.
       
Je filme leurs sketches, parfois en riant si fort que l'image en subira les hoquets, caméra-woman des familles qui témoigne comme ça peut.
Vient le tour de la petite fille. A l'ordinaire elle est plutôt timide, discrète, en retrait, attendant sans doute pour s'épanouir que les adultes soient un peu loin. Un corset féroce l'encombre, elle a des problèmes de dos, et des lunettes aux verres épais. Ma fille et elle sont très liées. Amies d'enfance.
      
Ca rigolait encore de l'histoire précédente, un petit dialogue digne des soirées colos, quand l'enfant commence à chanter, à capella, tout simple, comme ça.
Et le silence d'un coup se fait.
      
C'est une chanson nostalgique et douce, comme une berceuse, mais pour les grands. La mélodie est simple mais de toute beauté et l'enfant la rend bien. C'est une chanson en Arménien.
       
La grâce surpasse les rires d'avant, quand elle a terminé c'est un silence impressionné puis un tonnerre d'applaudissements dans la cuisine aux meubles poussés pour faire place. Elle en chantera une deuxième et puis une autre encore. On n'a plus envie que de l'écouter.
    
De la fin de journée je n'ai aucun souvenir. Chacun était rentré chez soi, heureux, je crois.
    
De la mélodie je ne me souviens pas, huit ou neuf années ont passé.
Mais de son âme si. Et de l'enfant, transfigurée par ce qu'elle nous offrait, de si personnel, à partager. 
    
      
[photo : pour la même personne un gâteau plus récent]

Le Match

   
ce soir, tout de suite, maintenant
      
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J'écoute le match aux voisins. Des voisins un peu lointains aux provenances diffuses, que j'entends mais ne vois guère. Notre immeuble est calme. Les enthousiastes sont d'à côté, une petite rue en contrebas.
   
J'avais souhaité m'installer afin d'écrire un peu sur une chaise longue longtemps délaissée, la météo de ma vie et celle du climat qui perdura dans le froid tout au cours du printemps m'en avaient écartée. Pourtant j'adore lire au soir sur mon balcon. La vue n'y est pas belle, mais je m'y sens bien.
   
Les autres années.
   
Seulement ce soir l'air vibre des relents de match, difficile de se concentrer, d'autant que j'avais des choses délicates à dire. Je laisse un peu tomber et tente un bilan. A l'heure qu'il est je peux estimer qu'il y a eu un bon but pour l'équipe de France, ou qu'il s'en est fallu de trop pas loin, ainsi qu'un penalty qu'on lui a refusé et une ou deux frayeurs de but ennemi presque marqué. Mais finalement non. (on l'a échappé belle)
   
Suivre le match ainsi est beaucoup plus amusant qu'à la télé le regarder.
Que je le veuille ou non et au plus tard demain, je saurai si je me suis plantée ou pas dans mes imaginations de score, si j'ai eu tort ou bien raison.
   
J'entends l'écho des chasses d'eau, c'est la mi-temps (probablement).
      
[photo : ici Clichy la Garenne, à vous les studios]
   

Désolée mais non

      
Ce matin même à six heures trente,
         
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"Ce soir fin du suspens, la France entière retient son souffle". Je pense "Ah bon ?" et je m'éveille.
   
Le mien est déjà retenu par ailleurs. D'ailleurs même aujourd'hui, c'est ma première et douloureuse pensée du matin.
Qui a le coeur étreint s'essouffle plus vite, ne peut plus respirer à plein poumons. A fortiori pas retenir son souffle davantage.
        
La radio bruyante qui accompagne nos réveils (1) me ramène rudement à la réalité [des choses]. Quels que soient mes états d'âme et de santé, mon énergie ou son absence, je suis priée, comme chacun, de penser foot. et, s'il vous plaît, pas à rebours.
   
Ce n'est pas le jour pour se sentir la fraternité Africaine, à ce que j'ai compris.
      
J'espère néanmoins que le suspens dont l'homme dans le poste parle, n'aura pas ce soir sa fin (2), mais qu'au contraire pour la France, je veux dire l'équipe de France de football, ce qui n'est quand même pas tout à fait pareil, continuera au moins un peu.
      
Malgré mes réticences face aux mouvements de foule, et aux divertissements qui font [trop] diversion, j'ai un bon souvenir de 1998, cette liesse populaire et qu'on sentait dans l'air. Qui cette année, il me semble, n'y est pas. Mais si des gens peuvent être heureux, après tout, tant mieux.
      
Qu'on me permette cependant aujourd'hui de ne rien retenir, de préférer ce soir l'écran de mon ordinateur à celui d'une télé, sauf si Stéphanot m'entraîne avec sa façon joyeuse mais ironique de s'enthousiasmer.
         
J'aurais tant aimé suivre le match avec Wytejck, son frère Farid, sa famille ou leurs ami(e)s, peut-être même un bon repas, profiter de la compagnie, la partie n'étant qu'un prétexte à une excellente soirée. Mais ces moments ne seront plus possibles, du moins à présent c'est ce que je crois.
      
    
Alors autant faire tout autre chose.
Et puis de toutes façons, Zidane ne jouera pas.
    
   
(1) choix délibéré, je défie quiconque de ce lever d'un bond à l'écoute de France Cul(ture)
(2) je sais bien que ce n'est pas ce qu'il a voulu dire, mais n'empêche qu'il l'a dit.
     
 
[photo prise sur les Grands Boulevards un de ces soirs]

Mon Arménie sans voyage (début)

 

septembre 2004, Grands Boulevards

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Il est moribond, la loi nous interdit, et sans secours je ne saurais comment faire, d'abréger ce temps de non vie qui n'est que souffrance et dégradation mais pas encore la mort.
 
J'ai pris ce triste pli en sortant de l'usine de remonter à revers la ligne de métro qui me mène en son lieu de mourance, et quand je me sens enfin prête, de descendre à la station où j'en suis et d'aller le rejoindre.
A Jeanne Garnier, où il a eu cette ultime chance du mauvais sort d'être admis avant qu'il ne soit trop tard, mon père finit ses jours.
 
Sans trop savoir pourquoi sauf mon amour des films en V.O. et de la communication humaine,  quand ma propre vie faisait trop mal, j'ai toujours cherché consolation dans l'univers apaisé des méthodes linguistiques où chaque chose possède un (joli) nom, et chaque conversation une poésie concrète.
 
Sachant que je résiste moins mal aux deuils qu'aux chagrins amoureux, on mesurera néanmoins l'étendue des désastres de ma vie sentimentale à la liste des méthodes de langues avec ou sans cassettes (les plus anciennes, je me suis chagrinée de bonne heure), CD ou DVD dont je suis encore de nos jours en possession.
Fors l'italien, l'anglais et l'allemand, hérités de famille ou de cursus scolaire, ainsi que le latin fondateur, on peut croiser dans mon désordre domestique, espagnol, néerlandais, arabe dialectal, chinois, et qui sait, avec un peu de persévérance, russe ou polonais. Je rêve du wolof mais pas de l'accident affectif qui m'y conduirait.
 
Il n'y a pas lien direct entre choix du langage d'étude et nationalité du pourvoyeur de peine, de la même façon qu'en proba. il y a tirage avec remise (ou tirage sans), un unique mais efficace mari peut être à l'origine de différents achats.
 
Ce soir-là, c'est plus dur, sans que je sache pourquoi, mais je dépasse non seulement Grands Boulevard et Bonne Nouvelle mais à Strasbourg Saint Denis, je ne suis toujours pas descendue dans la rame. Le coeur me fait défaut.
 
Pousser jusqu'à République n'est pas raisonnable, je pressens qu'il m'attend, le pauvre vieux, du fond de sa semi-conscience déjà végétative.
Je passe une librairie-papeterie, puis reviens sur mes pas. Peut-être qu'ici je trouverais de quoi attraper la bribe de courage qui manque.
 
Je grimpe au premier. De ce magasin je connais surtout la papeterie d'en bas qui parfois m'a dépannée, je ne supporte pas d'aller sans stylos ni carnet mais ai tendance à semer les premiers et laisser les seconds bêtement à la maison.
 
Cependant, d'un coup je sais où elles sont. Les méthodes de langues.
Hasard alphabétique ou force du destin, l'instant d'après je suis à la caisse avec celle d'Arménien.
 
Je vais à présent me hâter, filer vers l'hôpital, rester auprès de mon père le temps qu'il faudra, lui lirai Pinocchio en bon retour des choses, guetterai l'apaisement, puis rentrerai auprès des miens, et une fois Stéphanot couché avec sa propre histoire, accèderai dans cette hâte avide des grands débutants, enfin à la leçon un.
 
Aïso don't_è (1)
 
(1) phonético-bricolage (je n'ai pas le clavier nécessaire) pour "Aujourd'hui c'est fête".
[photo : détail de façade, librairie papeterie près du métro Strasbourg Saint-Denis, hier matin]

Fenêtre sur cours

mardi 20 juin 2006 en mitan de matinée
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Je ne connais pas mes voisins, la plupart d'entre eux du moins. Non, ce n'est pas le syndrome typique du parisien, c'est juste que les appartements de notre immeuble ne sont pas si grands que puissent y vivre, sauf comme nous en se tassant, d'entières petites familles.
 
      
A mesure que les anciens ceux qui nous ont il y a 15 ans accueillis sont morts, ont succédé des jeunes couples qui se multipliant s'en allaient ailleurs loger leur progéniture ou donner dans d'autres régions meilleur essort à leurs projets.
Sans parler des (discrètes) séparations.
    
La dernière année me fut trop bousculée, je n'ai pas suivi qui partait, qui arrivait, et à présent je suis larguée.
      
Tout ça pour dire :
   
qu'alors que je descendais les poubelles, me penchant sur la recyclable pour lire une dernière miette du journal que j'y jetais, je n'ai pas su identifier la voix d'homme, jeune, provenant d'un étage et que j'entendais :
    
- O rage, ô désespoir
      
ni celle, joyeuse, de femme qui lui a répondu :
- O vieillesse ennemie.
      
et pas osé compléter :
- N'ai-je donc tant vécu que pour cette infamie ?
   
A présent remontée, du haut de ma cuisine, j'en conçois un regret. On se serait au moins marrés.
   
Mais voilà, j'ai toujours peur de déranger. Et comme j'ai trop pesé sur qui était patiemment parvenue à me libérer de cette crainte, à présent celle-ci est revenue, plus forte encore qu'aux premiers jours.
         
Voisins, si vous lisez, sachez, que ce matin vous m'avez fait, en (ré)citant, un peu de bien.
(et pourtant je ne suis pas prof, ni de français, ni de rien). 
   
[photo : telle mère, tel fils ; corvée de poubelle, 12 septembre 2004]