Clichy la Garenne, lundi 26 juin 2006, around midnight.
Ce n'est pas qu'Eugène fasse mal son boulot de dragon conteur, mais depuis 4 bons mois ses racontes oscillent entre mauvais rêves et pires cauchemars, ce ne sont plus des contes mais des mécomptes de fées. Je préfère en conserver la poignante intimité. Pour me faire pardonner de cette peine qu'il prend en vain, ce soir c'est moi qui dit.
S'il est ici aujourd'hui, si j'écris et qu'il m'aide, c'est qu'il y a trois ans un texte m'est tombé dessus, ou moi dedans je ne saurais dire.
C'est l'histoire d'une petite famille qui vivotait tout au bord de Paris, ça bossait dur, payait sa maison, et vivait tout gris. S'ils avaient été plus (+) consommateurs, un peu plus beaux, un peu plus fiers, moins négligés ou négligeants, surtout la mère, ça aurait fait un miel de publicitaires. On pourrait dire qu'ils étaient heureux, surtout le fils qui serait champion [de piscine].
La mère, cependant, avait un gros défaut : elle lisait trop. Tout le temps, partout, dans chaque interstice, et même le matin sur la ligne 13 (et là, il faut le faire). C'était comme ça depuis toute petite et les médecins n'y pouvaient rien. Particulièrement certains .
Comme toute personne victime d'addiction, elle avait nécessairement croisé quelques dealers des textes et encres dont elle dépendait.
Elle tentait malgré tout d'être sage, de limiter les dégâts, au temps passé et au porte-monnaie.
Parce qu'elle circulait beaucoup, aimait le cinéma et aussi l'opéra, et que Paris est magique pour ça, elle faisait des rencontres.
En trois semaines de ce juin-là, Roberto Alagna, Haidi Gaggio Giuliani et Pascale Clark. Le premier lui apprit, ainsi qu'en d'autres temps lui avait dit Johnny, qu'on pouvait venir d'un Clichy et ne pas vivre dans la grisaille, la seconde le prix de la vie et des combats qu'il faut mener malgré un coeur brisé, et la dernière en la retenant à causer d'un livre qu'elles aimaient lui avait (indirectement) fait gagner un home cinéma.
C'était la première fois que quelque chose lui était favorable, la mère de famille n'en revenait pas.
Depuis quelque temps l'internet existait chez eux. C'était un plaisir de communication quand à l'usine tout était contrôlé et si fort minuté.
Ce soir là, Stéphanot, l'enfant, allait sur ses 8 ans. La mère avait en conséquence préparé un gâteau, il était déjà déjà tard. De son travail elle n'était pas rentrée fort tôt, et puis il y avait eu tant à faire. Il n'était pas loin de minuit quand elle mis le gâteau à cuire.
Il importait alors de rester éveillée afin qu'il ne brûle.
Elle entreprit donc de raconter à une amie qui n'y était pas entièrement étrangère, l'épisode amusant du home cinéma, ce joyeux coup du sort, et aussi le manque de place chez eux pour l'installer, sans parler de son inquiétude face au prix des DVD ; ouvrit sa messagerie, à l'ordinaire et sans méfiance.
Ce modèle de gâteau cuisait en 40 minutes. Ce fut une odeur de pré-brûlé qui l'alerta.
En guise de message, elle avait écrit un petit récit, comme un épisode d'une saga, encore loin à venir.
Après tout il racontait ce qu'elle avait voulu dire. Alors elle l'envoya. Un peu surprise du curieux effet de temps effacé qu'en le rédigeant elle avait subit.
Mais comme le gâteau n'était pas cramé, elle ne s'en inquiéta guère. Et pire, récidiva. Tout au long de l'été les mots s'accumulèrent. Ca n'aidait pas aux rangements, ni à l'installation du nouvel équipement. Il y avait des statistiques, de chaussettes orphelines (en nombre) et de repassage en retard (en kilogrammes). Chacun narrait à tour de rôle, c'était peut-être drôle, un peu chagrin parfois. L'amie, en gros, se marrait bien.
C'était envers elle une guise de remerciements, une écriture en liberté et par inadvertance. Mais en fait les doigts sur le clavier étaient déjà dans l'engrenage, la mère n'en était pas consciente seulement venait de basculer à son tour de l'autre côté, celui des dealers de textes, qu'elle ne pourrait plus quitter et pour lequel Eugène, 2 ans plus tard, viendrait aider. Parce qu'il faut toujours quelqu'un qui raconte. Sans quoi l'histoire n'existe pas.
Ce soir encore Stéphanot a son gâteau. Quelques bougies de plus, des centimètres aussi. Et moi j'ai peur ; alors,
j'écris.
[photo : Eugène et le home cinema]