Pleurer d'un rire
Des contrôles qui se perdent

Un petit peigne en plastique sous son blister fragile

      

Une autre pharmacie , plus au nord, lundi 1er mai 2006 ; c'était le surlendemain

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Je n'ai pas trop compris pourquoi, à part qu'il pleuvait, que mes cheveux étaient mouillés, que j'avais une personne au moins à voir ensuite, que c'était un peu sérieux même s'il ne s'agissait pas à proprement parler d'un déplacement purement professionnel.
J'ai éternué, je suis entrée dans la pharmacie.
Peut-être aussi parce qu'elle était ouverte, que j'étais en avance mais pas le printemps, et que le climat peu clément comme la non-fermeture étaient remarquables.
                
C'était le 1er mai.
         
               
Je pensais confusément à des pastilles pour la gorge, qui peut-être empêcheraient le rhume sinon d'advenir du moins de choisir cet angle d'attaque particulièrement pénible quand on doit causer. Pourtant quand mon tour est venu après une longue attente, les maladies et les souffrances ne fêtent pas le travail, je me suis entendue prononcer ces mots :
      
- Auriez-vous s'il vous plaît un peigne à me vendre ? J'en cherche un petit, en écaille.
   
La pharmacienne m'a regardée non sans perplexité, mes cheveux sont très courts, j'en avais marre de leur indépendance, lasse d'être ébouriffée je leur avais un vendredi plus tôt imposé la colonisation du ciseau. Je venais de remporter haut la main la palme des demandes incongrues de dimanche et jours fériés.
       
- C'est pour vous ? laissa-t-elle échapper en ajoutant très vite comme pour réparer une gaffe ou maladresse,
- En écaille, non, mais en plastique il m'en reste un.
   
Elle m'a indiqué sous son blister suspensif un petit peigne noir, au prix fort abordable. Ca faisait mon affaire.
Je l'ai pris. J'ai reposé par la même occasion le dentifrice au fluor et la brosse à dents dont j'avais, pendant l'attente au milieu des présentoirs, garnis mes mains alors que je n'en avais aucun besoin immédiat.
      
Un homme derrière moi s'est marré, et m'a dit d'une belle voix d'enrhumé parfait que complétait le même accent légèrement oriental que celui de mon ami Bachir qui habite à Beyrouth, 
- Remarquez, ça peut toujours servir.
         
Puis secourable et presque en chuchotant afin d'être discret : - Si vous voulez je peux vous dépanner.
         
    
J'ai mis un instant à comprendre qu'il croyait que je les reposais à cause du prix du peigne, quand c'était juste par absence de réelle nécessité. 
Ma tenue avait tout pour l'induire en erreur, j'avais de mes jeans celui qui est troué, mon vieux caban râpé à force d'être inusable, des chaussures héritées d'un refus de Stéphanot à qui une amie les avait d'abord cédées car elles ne convenaient plus à son propre fils, et cet air un peu misérable des gens qui sont mouillés.
      
Confuse mais touchée par sa gentillesse, je l'ai remercié d'un sourire contrit, puis pour faire bonne mesure et payer par carte bleue acquérais 25 grammes de gelée royale à consommer de préférence avant le 15.07.2006 et à tenir au frais (emballage isotherme).
            
Eussé-je été plus jeune, plus blonde et moins minable (1), j'aurais peut-être pris mon temps afin de ranger mes emplettes et que nos sorties coïncident de façon prometteuse, mais j'ai lâchement filé. Le sale temps, mon passé et le froid m'enlèvent toute audace et sapent mon énergie. Voilà pourquoi parfois je ne me ressemble pas.
    
   
A Stéphanot et de retour j'ai offert au bord du même soir un livre, acheté non loin et peu après.
Le peigne de plastique est resté dans mon sac. Servira-t-il un jour ?
      
    
(1) puis pourvue par ailleurs d'un échantillon publicitaire utile et rassurant.

[photo : Grande Phamarcie Moderne, Arras, le 1er mai 2006]

La première idée de cette note que je voulais en parodie douce (1) est venue pour

Traou

en raison de plusieurs de ses billets (et plus particulièrement "Mon Compagnon"),

puis de l'échange à propose de

cette photo de la gare d'Arras

Elle est devenue inévitable après le commentaire de

Clopine Trouillefou

ce matin. Puis c'est venu plus triste, plus triste que je ne pensais.

(1) du chapitre "Un petit peigne en écaille dans un étui de cuir"

du "Sac à main" de Marie Desplechin & Eric Lambé (éditions l'Estuaire)

et que je retrouve aujourd'hui (25/09/07) , ma mémoire fut donc moins mise en péril que je ne l'avais cru, peut-être que tout espoir n'est pas perdu :

"Ce peigne a été acheté dans une pharmacie de la ville d'Arras, au milieu des années 90. Je m'y trouvais pour des raisons professionnelles. En déplacement pour deux jours, j'avais oublié d'emporter ma trousse de toilette. J'ai donc acheté brosse à dents, dentifrice et peigne dans une pharmacie. Partout en France, les pharmacies distribuent des objets de qualité qu'elles cèdent à des prix mirobolants. De ce voyage à Arras, qui est une ville attachante, pleine de caractère et scarifiée par le passé, j'ai donc gardé un peigne. Et un ami libanais [...]." Marie Desplechin, "Le sac à main" Editions l'Estuaire page 43

PS : pardon s'il est trop nul pour que tu en souries, dimi che cambiero 

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