Le buffet de la gare
20 mai 2006
samedi 20 mai 2006, gare de Lyon, 6 h 50
Je savourais mon café-crème en regardant passer les gens ; affairés, chargés, nez à terre sur leurs bagages, ou tout en l'air vers les tableaux horaires, courants ou poireautant ;
je n'ai pas fait long feu dans ce détendant moment d'âme vague, moi que rien n'obligeait avant quatre heures du soir, j'ai entendu une voix surprise, familière et heureuse de me trouver là.
- Comme c'est gentil d'être venue me chercher !
Ma mère et deux valises, se matérialisèrent soudain à deux pas. Ou plutôt une valise et un sac à roulette. Entre la panique et la déception, même si je n'étais censé attendre rien ni personne, j'étais sans doute venue persuadée d'une rencontre, désolée que ce ne soit que celle-ci. D'avec elle qui m'avait née j'avais pris mes distances depuis quelques déclarations par elle émises hostiles à ceux qui par ici venaient d'un peu trop loin selon son goût du sol. Je ne savais donc plus vraiment l'aimer, je suis xénophobophobe, défaut incurable et accablant pour une française de semi-souche dotée d'une famille néanmoins monochrome.
Le temps de recaler les causes de sa présence ici, un retour d'un de ces lieux de villégiatures qu'affectionnent les vieux, j'embrayais selon la pente du moindre ennui, pour un mensonge elliptique, la phrase que j'énonçais étant tout à fait vraie :
- Je ne me souvenais plus de l'horaire de ton train.
Je réglais ma consommation et me levais, tant qu'à faire autant aider et la raccompagner chez elle, à son âge je suis mieux qu'elle capable de porter.
"- Salut la mère et la fille" s'exclama dans mon dos à cet instant une voix joyeuse. Mon coeur fit un bond, mon cerveau se remplit à ras-bord de l'infinitaire de questions ; cette voix que je n'avais plus entendue en vrai depuis des mois, et qui s'adressait à nous comme avec du plaisir de nous retrouver là. Cette voix, c'était Wytejczk.
Détendu, plutôt bronzé. Et qui pourtant partait, il nous le dit :
- Je prends le train pour Montpellier.
Ma mère embraya, - Moi je reviens de Nice.
Il enchaîna : - Ah, Nice ! J'y étais l'an passé, quelques jours, en juin.
Ils se mirent à causer Sud comme de vieilles connaissances, qu'ils étaient un peu, pour s'être grâce à moi plusieurs fois fréquentés. Je sombrai davantage dans ma sidération. Il n'avait pas l'air fâché, ni même indifférent, c'était lui qui s'était arrêté.
Que s'était-il donc passé pendant tous ces mois ? Pourquoi ce si long silence ? Cette disparition ? Des séquelles de l'accident qui avait mis son scooter au radoub ?
La présence maternelle obérait toute chance d'un échange personnel, en même temps qu'elle l'avait peut-être rendu possible. Ce serait-il sinon attardé ?
Il ne le pouvait d'ailleurs pas davantage, et fila sans que j'ai eu le temps d'articuler un mot, d'énoncer l'espoir du moindre rendez-vous. Nous le vîmes courir, peu chargé, vers le quai de son train.
Ma mère, que sa petite conversation entre connaisseurs avait ravie, me sourit :
- Quel homme charmant, ce Wytejczk ; tant de naturel chez un si beau garçon [bref soupir de vieille dame] ... Tu dois être heureuse d'être son amie.
Je masquai mon désarroi sous une perfidie, adossée à la bonne cause :
- Pourtant, c'est un étranger !
Ce à quoi, indécrottable, elle répondit sans le moindre trouble :
- Oui mais, il est polonais je crois ; c'est pas pareil.
Je me gardais de préciser que son frère s'appelait Farid. Trop occupée à regretter de n'avoir pas même pu demander de ses nouvelles.
[photo : gare de Lyon, dimanche 8 mai 2005]
bizarrement j'avais écrit ce billet avant d'entendre vendredi 19 mai à la Fnac Satin Lazare, Souleymane Diamanka slamer en polonais avec son pote John Banzaï qui lui répondait en peul.
Il est pour eux, Le Meilleur Ami des Mots .
Wytejczk, coursier polonais, et son frère Farid procèdent de la même logique, sinon des exactes mêmes origines.
Photo : rencontre-mini concert (si quelqu'un sait traduire show case mieux que ça, je suis preneuse) de Grand Corps Malade, fnac Satin Lazare hier (vendredi 19) au bord du soir.