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Lundi 29 mai 2006 en début de soirée
Un ami attentionné me l'avait suggéré, ménage-toi un sas entre le taf et rentrer chez toi. Va boire un coup, fais-toi plaisir.
J'essaie d'écouter ceux des copains qui me restent. Il a raison, on n'est pas capable de travailler tout le temps, surtout quand les chagrins se relaient et nous minent.
Mais le plaisir a disparu des sensations possibles, je croise au mieux du soulagement. Je n'ai pas non plus de goût pour aller boire un coup si plus personne ne vient me chercher à ma sortie d'usine.
Le cinéma reste possible mais un film est trop long pour qui souhaite au retour partager un peu de présence avec ses enfants avant qu'ils ne s'endorment. Et puis, c'est un budget (le boire ou le ciné).
Pour ce soir, une solution : présentation de la saison prochaine, au théâtre de l'Athénée.
La plupart de ceux qui parlaient de leur pièce donnaient vraiment envie. J'ai parfois ri. Fussè-je friquée que j'eus cherché tout de suite à obtenir un abonnement.
On nous a envoyé enfin de beaux papelitos dûment couverts de citations issues des oeuvres annoncées.
C'était beau cette salle où ils voletaient et le public amusé qui se levait pour en saisir. Je n'ai pas pris cette peine, deux d'entre les papiers sont venus me caresser les mains, ou se poser sur mon épaule.
Pinter m'a ainsi susurré "quoi qu'il en soit, je crois que, j'ai cru que tu savais. Et tu me dis que tu ne le savais pas ?" ce qui ce soir me faisait sens.
Et Pirandello a apporté son grain à une conversation récemment passée
"Ma che fizione ! Realtà, realtà, signori ! Realtà !" (1)
Et si Pirandello, du moins ses personnages, étaient ceux qui avaient raison ?
Va savoir.
J'ai peur d'ouvrir ma fenêtre quand il ne faudrait pas.
[photo : du balcon de l'Athénée, ce soir, avant que la nuit ne tombe]
(1) in "Sei personaggi in cerca d'autore"
Ca fait bizarre de dire "Je t'aime" ...
29 mai 2006
... à un mur, me fait remarquer, non sans logique et plutôt rigolard Stéphanot en me voyant stopper pour prendre ce cliché.
Dans le fond, n'est-ce pas ce que j'ai toujours fait ?
(dimanche 28 mai 2006, autour de midi vingt,
parce que notre piscine était cassée
il nous a bien fallu aller nager ailleurs.
Nous sommes allés aux Halles, un beau bassin de 50 mètres et je n'ai même pas eu la force d'y parcourir les 2 km (1) qui sont mon lot commun des jours où tout va bien )
(1) pourtant c'est bien connu, "deux kilomètres, rien d'impossible à un nageur moyen" ;-)
[photo : graffito sous le pont ferroviaire, entre Clichy la Garenne et la gare SNCF de Clichy-Levallois, ce même dimanche]
Un compagnon pour Eugène
28 mai 2006
Simon en marcel et Gilda en jupe
26 mai 2006
mardi 23 mai, j'ai failli écrire décembre tellement c'est l'hiver. C'est le soir vers 19 heures et puis ensuite.
Les yeux rivés au sol, je passe d'un pas rapide du quai transversal à celui des marchands.
Il arrive droit de l'escalier, assourdi par une musique glissée dans ses oreilles.
Je suis perdue, perdue, éperdue dans mes pensées. Et pressée en plus.
Il ne m'entend pas venir, mais me voit, presque trop tard.
"Regarde où tu vas ma chérie" me dit-il d'un ton charmeur en ralentissant juste à temps pour éviter qu'on se percute.
J'émerge difficilement, un peu de mal à croire que c'est à moi qu'il s'adresse mais étant donné nos positions respectives l'ombre du doute n'est pas permise.
Je ne sais pas si j'ai souri, on m'attend à l'opéra et lui file vers un train.
Ce n'est que plus tard, bloquée dans ma descente par des touristes à bagages qui prennent comme moi la ligne 14 que je comprends un peu. J'étais en jupe, celle de mon mariage, une splendide Ventilo Esther Kahn Emmanuelle Khahn, enfin bref pas pécho des poubelles (pour une fois),
et probablement qu'en silhouette je faisais illusion.
Et puis je n'y pense plus.
Je me réjouissais d'aller écouter Verdi. De tous les spectacles en vie l'opéra est le plus vibrant. Plus facilement qu'au théâtre, je me laisse embarquer dans des histoires invraisemblables et qui pourtant ressemblent à nos vies ; chacun s'y retrouve pour peu qu'il y songe, bien sûr en mode mineur, on n'y survivrait pas, mais si universel.
Seulement ce soir la mise en scène se veut rock'n'roll. Dans l'absolu je n'ai rien contre, à l'heure de leur création, ils pouvaient être contemporains, pourquoi ne pas en suivre la lettre. La seule tradition que j'ai respectée ayant failli me tuer, je n'ai pour elles qu'une dévotion très relative. Un doge en maillot de bain pourrait chanter très bien.
Sauf qu'en plus on a voulu nous en mettre plein la vue.
Au sens littéral.
Mon regard usé, fatigué, vieillissant ne supporte pas les excès de lumières dont on veut nous gaver et me voilà à nouveau
Les yeux rivés au sol, incapable de suivre les chanteurs sur la scène qu'un immense rideau argenté brillant au premier plan accompagne. Alors je ferme les paupières. J'écoute. Mais très vite je décroche et confonds un peu malgré leurs voix si différentes, entre Simon en marcel, Paolo un peu plus chic et ensuite Gabriele ; lequel est doge ? Qui ne l'est pas ? Ou plus ?
Je reconnais Fiesco : dans les moments de calme oculaire, j'ai pu repérer outre son chant, grandiose, impeccable, son âge et sa cravate rouge. Voilà qui aide un peu.
L'accalmie est de courte durée, le socle de l'élément principal du décor est orange, qu'un éclairage au second acte rend carrément fluo. Je renonce à suivre et m'appuie sur l'épaule de celui qui m'accompagne et que ces lumières fortes laissent impavide et concentré.
Mes pensées flottent au gré de la musique, je hasarde un coup d'oeil, capte quelques bribes, des personnages sont prisonniers et sortent par une trappe.
Le peuple se fâche. L'abus de jupettes roses nuit à son harmonie. Le tailleur mauve aussi. Sur la ligne 13, on est mieux vêtus.
J'ai compris au moins la colère populaire. Et la détresse de Maria (Amelia), dont j'ai fini du chant par accepter le timbre qui au début m'avait gênée.
Tout le monde veut tuer tout le monde ou se faire tuer ou bien mourir, si possible en se vengeant ; je sauterais bien sur scène pour dire, moi aussi mais sans revanche, j'en ai trop marre aux yeux et puis je comprends rien alors à quoi bon, je sais bien c'est pas le bon opéra pour moi mais en début de saison j'ai raté mon tour. Je le regrette.
Fiesco fièrement garde son costume sauf à un moment où on dirait Serge July mais qui chanterait mieux.
Amélia (Maria) est en peignoir, elle sort de sa piscine.
La grande affiche électorale qui présentait alternativement Fiesco et Boccanegra se superpose comme sur ces images enfantines d'antan, d'avant les hologrammes et dont on faisait changer l'aspect en variant l'inclinaison. C'est là aussi insupportable pour ma vue lasse.
Le doute n'est plus permis. Ils sont sponsorisés.
Par Alain Afflelou certains opticiens.
Les yeux rivés au sol, je pense doucement à toi. La lumière bonne que tu irradiais. Et qui me tenait chaud. Quand je les baissais non par douleur, mais par pudeur et par respect.
Pendant ce temps, ceux qui ont survécu se marient. Certains du peuple sont même en dimanche. J'en repère deux qui en profitent un peu pour se serrer bien fort. Ils prennent leur rôle à coeur.
A la fin, c'est Simon qui meurt, mais en classieux costume. Ah bon (j'avais oublié (que c'était lui (qui s'y collait))).
Les chanteurs sont applaudis et les décors hués. Je ne suis donc pas la seule à n'avoir pas été éblouie de l'avoir trop été.
Nous rentrons sans traîner. Mon homme remarque la jupe juste au moment où je l'enlève. Pour les gants, on repassera.
[photo : la scène, avant que ça ne commence]
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obsessionnel et imposé (Un moment de désespoir)
25 mai 2006
vendredi 26 mai 2006, Grand Palais (Paris), à l'aube de l'après-midi
Elle est coiffée un peu comme toi, cette Solitude (1), mais nettement plus dénudée que la dernière fois que nous nous sommes croisées. Tu n'as pas le nez grec, pas plus qu'aquilin. Mais je t'ai déjà connu une semblable attitude, mélange de détermination, tension et accablement.
D'avantage qu'une ressemblance, c'est le titre du tableau qui m'a mise en arrêt. La force d'évocation du thème contenue dans ce profil et son décor dépouillé.
Peut-être qu'au fond et tout d'abord, je n'ai pas même pensé à toi.
Mais elles sont arrivées. Sans que je ne les voie, ni les entende venir. Je possède en effet cette faculté quand une oeuvre me parle, d'être aspirée dedans, d'en oublier le monde, de causer en silence à ses figurants avec une intensité telle que la réalité s'inverse et devient secondaire.
Cette forme de folie n'est pas sans risque ni cette compétence sans affliction, dés lors que j'en deviens capable de faire pleurer une enfant en lui contant l'histoire des gens sur le tableau quand ils ont existé et que je la connais. Trop de souffrance nous en rend transmetteurs.
Avec la Solitude, je ne discutais pas, j'étais simplement en contemplation ; résignée devant cette compagne, pour toujours et à jamais (2).
Elles sont arrivées, sans doute de ma droite. Sans que je ne les voie, ni ne les entende. Mais très vite elles ont parlé.
De toi.
Une pierre m'est tombée du coeur vers l'estomac. J'ai voulu fuir seulement j'avais égaré l'usage de mes jambes et de l'angle où leur présence m'avait surprise, j'aurais dû demander aux dames pardon pour passage. Pour ça il faut émettre un son, j'en étais incapable ; en deux phrases entendues, qui t'évoquaient trop bien.
Association d'idée à cause de la coiffure, ou bien des mains, à la fois solides et longues comme le sont les tiennes ? Pure coïncidence d'une conversation déjà entamée ?
Elles causaient de toi et de ton travail, dont l'une visiblement était fine connaisseuse.
Le caillou intérieur dans sa chute avait commis quelque dégât. Je sentais le sang couler par une blessure invisible, et ce début de mal de mer, en bord de Seine, en plein Paris.
Je me suis adossée au mur.
Leurs mots laudateurs me parvenaient distinctement. Mon cerveau les enregistrait, récepteur fidèle ; comme pour te les rapporter scrupuleusement un jour. Ce qui ne sera pas.
Celle qui prenait le plus fréquemment la parole t'avait croisée en circonstances professionnelles, elle dressait de toi le portrait public. N'eût été la plaie que je ressentais si fort quand elle n'existait pas, j'aurais souri à la part des choses. A ces images de nous, qu'humains, on donne ; assez fidèle cependant ; à ce pas de côté que si souvent on fait.
Ca me battait trop fort aux tempes. Mes membres s'encotonnaient. Je voulais que ces femmes m'oublient et qu'elles décampent. Surtout ne pas attirer l'attention. Mourir en paix (je vous en prie, laissez-moi).
Stéphanot était à l'école, qui aurait pu m'aider.
J'implorais du regard la ferme Solitude. Aidez-moi à tenir, le temps qu'elles s'en aillent. Aidez-moi.
Elle le fit. A sa façon, en ne retenant pas plus leur attention, prises qu'elles étaient dans leur conversation dont l'apparence du tableau avait peut-être constitué l'amorce.
Elles s'éloignèrent sans avoir épuisé ton sujet. En d'autre temps je les aurais suivi pour compte-rendu efficace et humorisant. Te faire marrer à sa lecture. J'ai su faire ça, je crois.
Mais aujourd'hui je ne le pouvais plus. Mes jambes refusèrent de remplir leur office, me contraignant à glisser doucement le long du mur jusqu'à être accroupie. Je crois que je pleurais mais sans m'en rendre compte.
La gardienne de salle, consciencieuse, s'est approchée :
- Je peux vous aider ? demanda-t-elle
Je bredouillais comme qui n'a pas parlé depuis le siècle passé :
- C'est rien, c'est pas grave. C'est juste ce tableau. M'a fait trop d'effet. J'ai la tension trop basse, c'est rien, ça va passer.
Elle me proposa obligeamment sa chaise. Je parvins à l'atteindre puis à m'y affaler. Elle s'écarta discrètement, le temps que je me remette, comme habituée des fous qui devant une simple toile peuvent être pris de malaise. Je la sentais qui d'un oeil me vérifiait un peu.
A force de m'appliquer à une respiration profonde, le coeur me revint, la pierre se dissout et le saignement imaginaire suivit.
Pour les larmes ce fut plus long.
Je parvins cependant à me recomposer, lever et enfin à quitter les lieux. Sans un regard pour la Solitude, de crainte que l'effet ne reprenne et la mémoire de la conversation des deux visiteuses.
Je les croisai à nouveau à la librairie de boutique qui voisine la sortie. Elles parlaient de télé et puis d'épilation.
J'en conçus du soulagement et comme un lent dépit.
[photo : bricolage perso sans doute provisoire à partir de ce que j'avais sous la souris dans l'idée d'une symétrie de mouvement et de silhouettes pour tenter d'exprimer en image l'idée de ce billet ; ce n'est cependant pas ce que j'aurais souhaité]
Mario Sironi
Solitudine
1925
Solitudine
1925
(2) emprunt éhonté à un ancien cousin.
(puis-je dire ça comme ça ?)
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Assomigliances
22 mai 2006
Entre Paris et Clichy, entre dimanche et lundi mais en mai (2006)
Au Trabendo hier, Albert ressemble à Alain
Souchon
Dont il aurait cet air mélancolique
Mais pas la modestie
Flamboyante
Comme un ancien grand frère
Oublié par la vie.
Dans le train, au sortir de l’usine
L’homme sur le strapontin
On dirait Victor Hugo Johnny
Jeune.
Pourquoi je pense Victor Hugo ?
L’homme du strapontrain
Est silencieux
Et comme timide.
Son glorieux aîné le fut
Mais pas silencieux du moins
Pas longtemps.
Au loin à l’arrêt du bus
Cent soixante quatorze
Un homme seul attend.
A la silhouette je songe à un cousin
De Charles Aznavour
Plus je me rapproche plus je pense à lui
Et quand je passe devant le voyageur
Je m’aperçois qu’il chantonne
Un air un peu triste
En Arménien.
Qui sommes-nous donc
Que la vie éparpille
Et diffuse à bribes abattues ?
[photo : une demi-vache de la parade qu'elles font ces temps-ci dans Paris ;
prise près du Palais de la Découverte, lundi 22 mai 2006, sur le temps du déjeuner ;
la demi-vache, c'est moi qui lui ressemble, depuis plus de trois mois, mais avant de la croiser je ne le savais pas]
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Le buffet de la gare
20 mai 2006
samedi 20 mai 2006, gare de Lyon, 6 h 50
Je savourais mon café-crème en regardant passer les gens ; affairés, chargés, nez à terre sur leurs bagages, ou tout en l'air vers les tableaux horaires, courants ou poireautant ;
je n'ai pas fait long feu dans ce détendant moment d'âme vague, moi que rien n'obligeait avant quatre heures du soir, j'ai entendu une voix surprise, familière et heureuse de me trouver là.
- Comme c'est gentil d'être venue me chercher !
Ma mère et deux valises, se matérialisèrent soudain à deux pas. Ou plutôt une valise et un sac à roulette. Entre la panique et la déception, même si je n'étais censé attendre rien ni personne, j'étais sans doute venue persuadée d'une rencontre, désolée que ce ne soit que celle-ci. D'avec elle qui m'avait née j'avais pris mes distances depuis quelques déclarations par elle émises hostiles à ceux qui par ici venaient d'un peu trop loin selon son goût du sol. Je ne savais donc plus vraiment l'aimer, je suis xénophobophobe, défaut incurable et accablant pour une française de semi-souche dotée d'une famille néanmoins monochrome.
Le temps de recaler les causes de sa présence ici, un retour d'un de ces lieux de villégiatures qu'affectionnent les vieux, j'embrayais selon la pente du moindre ennui, pour un mensonge elliptique, la phrase que j'énonçais étant tout à fait vraie :
- Je ne me souvenais plus de l'horaire de ton train.
Je réglais ma consommation et me levais, tant qu'à faire autant aider et la raccompagner chez elle, à son âge je suis mieux qu'elle capable de porter.
"- Salut la mère et la fille" s'exclama dans mon dos à cet instant une voix joyeuse. Mon coeur fit un bond, mon cerveau se remplit à ras-bord de l'infinitaire de questions ; cette voix que je n'avais plus entendue en vrai depuis des mois, et qui s'adressait à nous comme avec du plaisir de nous retrouver là. Cette voix, c'était Wytejczk.
Détendu, plutôt bronzé. Et qui pourtant partait, il nous le dit :
- Je prends le train pour Montpellier.
Ma mère embraya, - Moi je reviens de Nice.
Il enchaîna : - Ah, Nice ! J'y étais l'an passé, quelques jours, en juin.
Ils se mirent à causer Sud comme de vieilles connaissances, qu'ils étaient un peu, pour s'être grâce à moi plusieurs fois fréquentés. Je sombrai davantage dans ma sidération. Il n'avait pas l'air fâché, ni même indifférent, c'était lui qui s'était arrêté.
Que s'était-il donc passé pendant tous ces mois ? Pourquoi ce si long silence ? Cette disparition ? Des séquelles de l'accident qui avait mis son scooter au radoub ?
La présence maternelle obérait toute chance d'un échange personnel, en même temps qu'elle l'avait peut-être rendu possible. Ce serait-il sinon attardé ?
Il ne le pouvait d'ailleurs pas davantage, et fila sans que j'ai eu le temps d'articuler un mot, d'énoncer l'espoir du moindre rendez-vous. Nous le vîmes courir, peu chargé, vers le quai de son train.
Ma mère, que sa petite conversation entre connaisseurs avait ravie, me sourit :
- Quel homme charmant, ce Wytejczk ; tant de naturel chez un si beau garçon [bref soupir de vieille dame] ... Tu dois être heureuse d'être son amie.
Je masquai mon désarroi sous une perfidie, adossée à la bonne cause :
- Pourtant, c'est un étranger !
Ce à quoi, indécrottable, elle répondit sans le moindre trouble :
- Oui mais, il est polonais je crois ; c'est pas pareil.
Je me gardais de préciser que son frère s'appelait Farid. Trop occupée à regretter de n'avoir pas même pu demander de ses nouvelles.
[photo : gare de Lyon, dimanche 8 mai 2005]
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Saint Etienne
19 mai 2006
12 et 13 mai 1976, assez loin en banlieue
Des jours que nous y pensions. Au match.
Bon, il ne fallait pas trop, le trimestre n'était pas fini, on avait plein d'interros sur la période.
Mais n'empêche on voulait gagner. A l'époque, nous les gosses de la banlieue très parisienne, et qui voyagions si peu qu'un enterrement était perçu comme une occase, on était tous Stéphanois.
Les gars de là-bas étaient nos frères. Saint-Etienne était notre équipe. D'ailleurs le PSG n'a commencé à vaguement exister, si je me souviens bien, qu'avec le transfert de Rocheteau ou Bathenay.
Je rêvais de la ville, d'y être, d'en être, de rencontres improbables, de séances photos (moi en photographe), déjà.
Mon petit panthéon personnel comportait Saint-Etienne, un tout jeune Bjorn Borg, et Michel Platini, alors encore nancéen. Il n'y a pas d'intrus, ce qui me fascinait c'était pour les hommes leur grâce possible du geste parfait, les coups droits de l'un et francs de l'autre, et pour l'équipe l'espoir qu'elle incarnait.
Cette vieille histoire des petits face aux grands. Mais que des fois c'est les petits, les prolos quand même qui gagnent. L'image qu'on avait d'eux.
Je me souviens d'une tendresse particulière pour le discret, solide et sérieux Ivan Curkovic quand les copains étaient plutôt fascinés par le buteur Rocheteau et les copines par le poète Piazza.
J'essayais de me raisonner : le Bayern, ils ont une toute autre vie, c'est des budgets et la cour des grands, Beckenbauer, et Sepp Maier, et Gerd Müller, que faire face à ces "pointures" ?
Mais le jour du match, je me suis levée d'un bon, j'ai rigolé toute la journée, l'excitation que dans la vie, dans ma vie, dans notre vie en marge de tout, il se passait enfin quelque chose. We were part of it. On va ga-gner !
C'était un jour de visite scolaire, ça tombait bien, à part les maths, j'avais été incapable de me concentrer bien en cours, je ne me souviens même pas du texte de français.
Notre-Dame.
J'ai regretté d'être déjà solidement mécréante, pour les copains, car l'ASSE, c'était nos copains, j'aurais volontiers consenti une petite prière supplicante,
Allez le bon dieu, pour une fois, faites que ce soient les minots qui s'en sortent et pas toujours les mêmes qui ont déjà tout. Refaites-nous le coup du petit David contre l'autre, le Cyclope, enfin non Goliath, enfin bref, allez juste un petit coup de pouce, un coup de la chance pour Oswaldo.
Mais j'y croyais trop pas pour que ça ait l'ombre d'une chance de marcher.
Le plus dûr ça a été de perdre de si peu. Les larmes durement ravalées, une sorte de rage face à l'injustice, ils s'étaient si bien battus.
Je rêvais de la ville, leur ville, d'y aller pour faire partie de la foule qui les accueillerait de toutes façons en héros, puisqu'ils n'avaient pas failli.
Aujourd'hui encore, je me dis qu'un jour, j'irai moi aussi là-bas. Même s'il est bien trop tard.
Une sorte d'hommage, ou de remerciement. Pour ce vert que deux ans de suite ils avaient mis à notre grisaille des jours de peu.
[photo : ancienne Gilda en gardien de but - printemps 1977 - ]
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A la Cigale ayant chanté
16 mai 2006
Boulevard Rochechouart, Paris, ce soir
Il est mon cousin inconnu du 19 avril, une découverte comme on n'en fait plus : pure de télé, peu prise par la radio, j'avais choisi son disque au vol sur un présentoir, à cause de son nom et que j'avais avec mon aînée passé la journée à l'hôpital.
Peut-être aussi parce que Saint-Denis était écrit.
Entre habitants de ligne 13, on se comprend.
Depuis, en boucle, j'écoute ses textes, si copains des miens, j'ai l'impression enfin d'avoir retrouvé une famille et qui celle-ci va bien, ou mieux, et en tout cas se bat, quand j'avais renoncé devant bien trop d'adversité et quelques pertes irréparables.
Ce soir Grand Corps Malade slamait à la Cigale.
J'avais découvert un peu tard son talent confirmé. Déjà le 19 avril, il n'y avait plus de billet.
J'étais allée à Saint Denis et c'était mieux que s'en consoler. J'ai connu les Poètes sans Instru. Encore de jeunes cousins.
Les écouter me soignait bien mieux que toute chimie.
La nuit dernière j'ai mal dormi, une nuit de fièvre, le palud du chagrin qui saisit par crise tous ceux que leur amour ou leur ami a quitté sans vraiment dire. Ce matin j'ai failli sur le trajet de l'usine rebrousser chemin, mon corps le réclamait qui à la première gare est descendu sur le quai sans en parler à mon cerveau.
Mais j'ai des gosses et des dettes, alors je me suis forcée à remonter dans le train. Et tout le jour malgré la tête qui tournait, les bouffées de peine que la nuit n'avait pas suffit à écluser, la fatigue calcifiée, j'ai bossé et plutôt bien, même si jamais personne ne m'en dira rien.
Au bord du soir, j'ai tenté ma chance, j'avais trop besoin d'une respiration. J'ai fait crochet vers la Cigale, un détour assez léger.
J'ai écrit sur un cahier que je cherchais une place, refusé quelques propositions bien au delà de mes moyens, jusqu'à ce que passe l'homme au tee-shirt rouge et blanc, accompagné de ses enfants. Peut-être leur maman devait-elle venir et n'avait-elle pas pu ?
Il m'a cédé le ticket qui lui restait, au prix coûtant, sans même y inclure la réservation.
J'ai ainsi pu assister à un des concerts les plus chaleureux et bons de ces dernières années. Je suis trop décalquée d'épuisement et vidée à force d'émotions pour être à même d'écrire, et demain sera long et tous les jours suivants.
Mais ceci :
MERCI
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Lendemain de défaite
13 mai 2006
giovedi 13 maggio 1976
"Inutile de dire quel était le le sujet de discution ce matin . St Etienne a perdu sur coup-franc (que certains contestent) mais a "bien" perdu, et a quand même posé un problème au Bayern avec un jeu offensif (plusieurs tir dont 2 aux poteaux "qui n'étaient pas réglementaires", car ils étaient carré et que "s'ils avaient été ronds on aurait gagné" avec des SI on peut bâtir un monde !). Nous en avons un peu parlé en français (60 secondes) et après la leçon sur "lequel" il nous a rendu nôtre devoir d'orthographe-conjugaison : j'ai eu les meilleures notes 19 et 18. En gym, elle nous a noté en saut : j'ai été éliminée au 1er saut : 90 - 85 cm. En histoire, nous avons fait une fiche en groupe (je suis arrivée en retard avec Marie car elle s'est tordue la cheville). A midi je suis rentrée à la maison. J'ai remporté mon magnéto. (1) car Valérie (T.) a enregistré le match et comme en allemand nous allons le résumer (en allemand) elle a pensé que ça serait utile mais je l'ai trimbalé pour rien car ce n'était pas l'avis de Mr Martinet ("Nous n'avons pas le temps ..."). N'empêche que nous avons quand même résumé le match. En sciences (avant l'allemand), nous avons fait l'exposé. Au cour de la journée, j'ai échangé la moitié de mes doubles de foot. En rentrant j'ai fait mes devoirs pour demain. Jean-Mi m'a refilé Robert Herbin (entraîneur de St Etienne (2)) qu'il a trouvé par terre (3). Il ne m'en manque plus que 6 de l'équipe.
il y a grève à la TV."
(1) il s'agissait d'un petit magnétophone à cassettes ; à l'époque les magnétoscopes n'existaient sans doute qu'à l'état de prototypes et en tout cas ne s'étaient pas démocratisés. D'ailleurs chez mes parents la télé resta en noir et blanc avec chaînes que l'on syntonisait à la main jusqu'en 1980. J'étais bonne en réglage des chaînes (heureusement il n'y en avait que 2 ou 3 à l'époque).
(2) je suppose que je précise à l'attention de moi plus tard si jamais j'y suis encore et que je retrouve le diario, pensant sans doute que je ne me souviendrai plus de détails aussi triviaux (ce en quoi je me trompais) ou si j'allais mourir et que quelqu'un qui ne s'intéressait pas au foot le trouverait.
Ce qui est confondant c'est que je m'étais appliquée à rapporter calmement et avec une pointe d'humour les conversations et les points de vue des autres, alors que la brûlure de la défaite après être passés si près, 30 ans plus tard je m'en souviens encore, et d'avoir ravalé difficilement mes larmes (de rage) aussi.
(3) contrairement aux apparences, il s'agissait d'un beau cadeau, même ramassé par terre, même un lendemain de défaite, une image de Robert Herbin valait cher (pas tant que Rocheteau ou Yvan Curkovic, mais n'empêche) sur le marché de la figurine Panini. Il faut savoir que nous avions fort peu d'argent de poche ; je crois bien que nous étions l'un comme l'autre rationné à un et un seul sachet d'images par semaine. Compléter un album était un travail de longue haleine. C'était comme Pif gadget, on l'attendait vraiment.
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