Les émeutières - saison 1 épisode 3 - Arrêtez qui vous voudrez
11 avril 2006
on dirait que ça serait mardi 28 mars 2006, pour l'instant à Répu
résumé des l'épisodes précédents : Mon amie Laura vient me chercher ce mardi-là à la sortie de mon travail. C'est place de la République en pleine fin de manif contre le CPE. Nous tentons une traversée car tel était notre trajet et nous retrouvons prisonnières dans la nasse d'un encerclement policier.
L'épisode 1 est là : Les émeutières - saison 1 épisode 1 - : - Entrez dans la nasse
le 2 ici :
Voici le 3 :
crédit photo : Jérôme Demuth
Le peu de frictions que j'avais connues avec l'autorité, puisque je mène ainsi une vie particulièrement laborieuse et sans doute excessivement sage, mais qui me conduit parfois à franchir quelques frontières où les yeux verts de mon passeport quoiqu'en accord avec les miens me font soit protection soit repérer parmi les autres et désigner comme celle qu'on fouille parmi une longue rangée [de voyageurs], m'ont suffisamment appris que la docilité payait davantage que les longues protestations si fondées soient-elles.
Je laissais donc courir, attendant qu'on nous embarque puisque telle était depuis un moment la nette intention de ceux qui nous encerclaient. Je pensais que le premier relevé d'identité révèlerait la méprise, et sauverait peut-être notre dîner au restaurant.
Même passé trente-cinq ou quarante, il nous traîne toujours de ces illusions.
Et puis j'étais en ta compagnie, après tout en cela cet étrange début de soirée était conforme à nos prévisions. Au début de la rafle, puisqu'il faut bien donner un nom à ce prélèvement arbitraire d'un lot de personnes parmi toute une foule, nous étions assez au large pour pouvoir deviser.
Tu m'avais parlé du cimetière de Pantin, sous la pluie, comme il portait bien la tristesse et la mort aussi ; d'accord il faisait sombre, mais il y avait une lumière, me disais-tu.
A présent plus question de causer, configuration métro aux heures de pointes. Tu me glissas que tu avais grand faim. Tu étais pâle, presque en malaise. Je n'aimais pas ça.
On nous fit enfin monter dans un car blindé, dont des parois de plexiglas à l'intérieur séparait les dangereux que nous étions, plutôt inquiets et silencieux, des représentants de l'ordre, finalement bien plus agités.
D'autres personnes visiblement surprises comme nous l'avions été, étaient poussées à l'intérieur. De certaines l'air désemparé faisait peine à voir. Je me sentais calme voire exaspérée, mais dans le fond n'en menait peut-être guère plus large qu'elles.
A peine un groupe un peu plus jeune et mouvant avait-il opposé quelque résistance au moment de grimper dans le véhicule. D'allure et d'attitude rebelle mal contenue ou pas du tout, eux seuls pouvaient ressembler à ce qu'on appelle communément casseurs, mais peut-être qu'il n'en était rien, que juste ils en avaient plus que marre ; ces à-priori qu'on a.
Leur colère de s'être laissés prendre quand les autres avaient pu tranquillement évacuer pouvait bien expliquer leur fureur et leur agitation.
Tu n'avais pas froid, mais donc très faim, non, pas soif, envie d'aller aux toilettes, ça si.
La situation semblait peu propice. En soupirant tu patientais. Tout le temps sur la place nos gardiens casqués, bottés et boucliés, s'étaient tenus à distance, et à présent nous étions encagés. Pas moyen d'aller négocier.
Les matraques nous effrayaient. On ne peut jamais en prévoir par les autres l'usage, sans expérience directe déjà je le savais.
Nous étions copieusement tassés, dans l'habitacle déplaisant, mais habituée de la ligne 13, et soulagée à défaut d'être libre qu'enfin on envisage de nous déplacer, je n'étais pas gênée par la promiscuité.
De notre lot, du coin où nous étions, personne n'osait bouger. Quelques toutes jeunes filles atterrées et inquiètes - que diront les parents ? et le petit ami, où et comment va-t-il ? -, deux gaillards dont les airs faussement détachés n'abusaient personne, à commencer par eux-même, un type plus âgé et de mauvaise mine, égaré et abattu.
Au dernier moment on nous balança dans les pattes sans aucun ménagement ni pour lui ni pour personne, un jeune déjà plus qu'esquinté et qui s'affala sans une plainte ni un mot ; pas totalement dans l'inconscience, mais sans doute pas très loin ; saignant du nez, un bras bien raide, qu'il n'avait même pas tendu dans l'habituel réflexe qu'on a pour amortir une chute.
Tu t'es penchée vers lui, un des hommes en bleu sombre derrière le plexiglas t'a fait un signe d'avertissement. Ca n'a servi qu'à affiner ton geste, au lieu de lui tendre un mouchoir comme j'avais vu ton intention, tu lui pris le poignet d'un geste sûr de secouriste qui du blessé cherche le poul.
Cela suffit pour stopper la menace à distance.
Dans l'immédiat, pour le moment.
à suivre ...
RAPPEL :
Il s'agit bien d'une fiction concernant des personnages inventés (dont toute ressemblance avec un ou des vrais quelqu'un est involotaire). Le "JE" n'est pas ici le Je des Trajets. Mais après hésitations je l'ai posée ici quand même.
Il m'est venu pour la "jeune femme qui traversait la place en sortant du travail et qu'on autorisa complaisamment à entrer dans la nasse deux minutes avant [...]" dont parle Soumia et Juliette qui témoignaient jeudi 7 avril dans Libé.
Ce billet est pour elles aussi, même si elles n'y sont pas.
Je remercie très fort Jérôme alias -g- dont le fotolog jour après jour m'enchante
Il y est souvent question d'art et de Paris et de ses rues. En ce moment elles sont parfois particulièrement encombrées, et l'album photos a changé de couleurs. Il a pris celles du reportage.
Jérôme m'a fait confiance au point de me prêter ses images du mardi 28 avril 2006 en m'en laissant le libre choix, ici la dernière sur son fotolog de la série Paris.006 // CPE //
d'autres photos de lui par ici :
http://permanent.nouvelobs.com/social/20060401.OBS2653.html
d'autres photos de lui par ici :
http://permanent.nouvelobs.com/social/20060401.OBS2653.html