Mathématiques contre rôti de boeuf
Les émeutières - saison 1 épisode 5 - Libérez qui vous voudrez

Les émeutières - saison 1 épisode 4 - Retenez qui vous voudrez

on dirait que ça serait mardi 28 mars 2006, au début à Répu, puis dans un commissariat parisien.
               
résumé des l'épisodes précédents : Mon amie Laura vient me chercher ce mardi-là à la sortie de mon travail. C'est place de la République en pleine fin de manif contre le CPE. Nous tentons une traversée car tel était notre trajet et nous retrouvons prisonnières dans la nasse d'un encerclement policier, puis embarquées avec quelques compagnons d'infortune dans un car policier.
le 2 ici :
Voici le 4 : 
 
crédit photo : Jérôme Demuth  
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Le trajet fut long, le commissariat sans doute éloigné. On nous a poussés dehors, tu as eu droit à une bourrade expressive quand tu as tenté de tendre la main vers celui qui restait à terre.
J'ai esquissé un geste comme pour t'en protéger. Ca n'a servi à rien. Je n'ai pas su aller plus loin que l'esquisse, inutile.
         
   
Peut-être qu'à ce moment, entre nous, quelque chose s'est insinué. Un début d'impuissance de ma part, doublé d'une amorce d'inégalité dans les façons subies.
          
A l'intérieur, nouvelle attente. Pour le restau, c'était foutu. Enregistrements et séparations ; peu de bousculades.
La plupart des prisonniers devaient estimer leur sort provisoire et croire comme je l'avais fait que la docilité était le plus court chemin vers la liberté retrouvée.
       
Ca s'est gâté quelques temps plus tard alors qu'on nous avait enfermés dans une pièce close quoique sans barreaux. Vous avez été plusieurs à avoir l'outrecuidance de formuler le souhait d'aller aux toilettes.
Ce n'était pourtant pas une requête capricielle, l'attente dans le car avait durée une heure et demi.
Je te connaissais assez pour savoir que tu n'en pouvais plus. Quelque chose dans ta pâleur, une façon dont ton corps habituellement si tonique semblait abandonné de toute énergie, un léger vague, comme une imprécision, si inhabituelle dans ton regard de photographe.
Deux jeunes femmes devant toi se firent rembarrer sans ménagement et non sans une certaine grossièreté.
Je te vis faire l'effort de respecter un louable temps de latence avant de tenter à ton tour ta chance de façon plus précise ; et en réponse : le geste de dénégation du gardien.
         
Je me suis approchée et sans réfléchir, à mon tour j'ai réclamé le privilège qu'il vous refusait. Je suppose que confusément j'espérais que face aux demandes répétées il se laisserait finalement fléchir.
Miraculeusement, il m'a répondu, Allez-y, d'un ton certes peu amène, mais c'était une victoire. Tu étais alors toute proche et m'as emboîté logiquement le pas. Je ressentais ton soulagement et entendis le remerciement que tu ne prononçais pas.
         
Ce n'était de toutes façons pas possible, il te barra l'accès.
- Non, elle, a-t-il fait en me désignant d'un mouvement de menton. Pas toi. 
                     
Il m'arrive au travail de participer à certaines négociations tendues et de devoir y faire montre d'une autorité qu'au fond je ne possède pas. Pour une fois ça m'a servi.
Comme par un réflexe professionnel, je t'ai alors prise par l'épaule, sans un mot mais avec calme et fermeté, dosant mon geste au millimètre pour ne pas noyer l'apparence de déférence nécessaire dans la détermination imparable que j'éprouvais.
         
Il n'a pas bronché.
            
Ce succès marqua probablement l'élargissement de la fissure entre nous, un coin fiché dans l'arbre de notre amitié que les circonstances tentaient d'abattre.
Nous n'en savions rien. Sur le moment, tu as probablement éprouvé la reconnaissance d'un être humain qu'on libère d'un désagrément physique humiliant. Nous sommes vulnérables de peu.
      
Seulement devoir à mon intervention ce qu'à toi on avait refusé a dû au bout du compte te faire amertume.
      
A l'écrire, je me demande soudain ce qui était alors advenu des autres, si elles ont pu ou non nous suivre. J'ai pourtant dû le voir ou le savoir, mais n'en ai pas gardé conscience.
La pause nous fut mesurée. C'était aussitôt après reparti de se morfondre sans savoir le sort qu'on nous réservait.
Ton épuisement ensuquait toute angoisse, tu n'en disais rien, je le lisais en toi.
Pour ma part, à l'opposé, l'inquiétude montait. L'espoir d'une libération rapide avec excuses après contrôle de nos identités s'effritait très sérieusement. J'avais d'ailleurs déjà renoncé aux excuses ; pas tout à fait à la liberté.   
 
      
à suivre ...
   
 
RAPPEL :         
Il s'agit bien d'une fiction concernant des personnages inventés (dont toute ressemblance avec un ou des vrais quelqu'un est involotaire). Le "JE" n'est pas ici le Je des Trajets. Mais après hésitations je l'ai posée ici quand même.
   
Il m'est venu pour la "jeune femme qui traversait la place en sortant du travail et qu'on autorisa complaisamment à entrer dans la nasse deux minutes avant [...]" dont parle Soumia et Juliette qui témoignaient jeudi 7 avril 2006 dans Libé.
       
Ce billet est pour elles aussi, même si elles n'y sont pas.
      
Je remercie très fort Jérôme alias -g- dont le fotolog jour après jour m'enchante
Il y est souvent question d'art et de Paris et de ses rues. Pendant la période de manifestations contre le CPE, l'album photos a changé de couleurs. Il a pris celles du reportage.
Jérôme m'a fait confiance au point de me prêter ses images du mardi 28 avril 2006 en m'en laissant le libre choix, ici la dernière sur son fotolog de la série
 
    

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