(Gay) pride and (absence of) prejudice (1)
Paris - Roubaix, en marge

Les émeutières - saison 1 épisode 1 - : Entrez dans la nasse

   
on dirait que ça serait mardi 28 mars 2006, à Répu au début
      
crédit photo : Jérôme Demuth    
Mass_media_de_masse_010406_1143914176_f
J'avais rendez-vous ; pas avec eux bien sûr. Mais avec toi, Laura. Tu venais me chercher à la sortie de mon bureau ce mardi-là ; des retrouvailles fixées de longue date, à cause de mon travail j'ai un emploi du temps de stakhanoviste et je peine à trouver un moment pour les ami(e)s. 
      
Le hic c'est que mon bureau est pas loin de République ; je n'y peux rien, c'est comme ça, pas un choix personnel.
Le second hic c'est que la politique et les réactions qu'elle engendre quand elle est menée sans concertation préalable, se foutent pas mal des rendez-vous amoureux ou amicaux, elles prennent une date et lui en font voir de toutes les couleurs.
      
Peu importe si ce jour-là des gens, d'autres gens, avaient prévu au même endroit un pique-nique ou un moment galant, ou de prendre des transports rendus inexistants pour aller se faire soigner à l'autre bout de Paris. La révolte comme la répression n'ont que faire des petites vies qu'elles bousculent, quand un mouvement prend de l'ampleur, elles possèdent force possibilités de nous faire payer notre industrieuse neutralité.
      
L'un dans l'autre, à peine nos existences rejointes, nous nous sommes retrouvées à tenter de nous frayer un chemin à travers la place, ça courait en tous sens, caillaissait à coup de cannettes, ripostait en chargeant. Pourtant vers la partie ouest, on devinait une zone plus calme. Nous venions de la rue Béranger, et comptions rejoindre les abords du canal, un bon restau dûment réservé. Pas d'autre choix que de traverser ou bien faire un immense détour, lequel n'était pas plus aisé : les rues adjacentes semblaient noires de monde.   
      
Nous avons donc tenté l'accès par la gauche, une progression assez lente, la foule était fort dense, d'autant plus que vers le boulevard Voltaire on devinait que ça castagnait et qu'en réaction elle progressait vers la partie de la place dont nous hasardions la traversée. Quelle confusion.
      
Nous nous sommes retrouvées coincées devant un cordon de CRS, lesquels au lieu de nous repousser, fort civilement s'écartèrent pour nous laisser passage. Je m'en suis voulue plus tard de n'avoir pas senti le piège.
Sur le coup, naïve, j'ai cru qu'ils avaient compris qu'avec la manif nous n'avions rien à voir, avaient des objectifs précis à leur mission, ce qui était bien le cas mais pas comme je l'entendais, et ne souhaitaient pas s'encombrer de passants civils.
          
J'aurais dû comprendre que tu n'avais pas tout à fait l'air d'en être et te proposer un demi-tour prudent. Tu étais rentrée crottée d'une des chasses-photos que tu affectionnes, non pas que tu sois professionnelle de l'image, mais c'est là ta passion. Depuis l'avènement de l'internet, tu y liquides tout ton temps libre, exposes ensuite le résultat de ton travail sur la Toile pour seul bénéfice d'être utile à d'autres et peut-être admirée mais par des visiteurs qui ne laissent pas de traces et à la fréquentation desquels tu ne tires aucun bénéfice.
             
Ce n'était pas dans ta logique des choses, tu aimes trop le partage et pousses d'ailleurs ta faiblesse jusqu'à partager avec les autres leurs propres ennuis.
A mes yeux c'est abuser. Mais tu ne sais pas vivre sans aider.
      
Moi je dépanne aussi, je ne veux pas dire, mais ne le fais qu'avec une prudente parcimonie. Par exemple je donne des fringues.
D'ailleurs je ne sais pas si c'était intentionnel : tu avais mis par dessus un gros pull et sous un coupe-vent bleu marine passe-partout, de ceux qu'on achète à pas cher en bords de mers atlantiques, une grosse veste de survêtement chaude mais informe et qui m'avait appartenue.
       
Je te l'avais passée l'année précédente, un lendemain d'intense ménage. Comme je suis un peu plus grande que toi et que ce vêtement pour moi était ample, tu y flottais nettement. Elle eût été parfaite pour mon mari, à ceci près que je n'en avais pas. Aux trop grandes tailles on peut sans doute trouver son charme ; tu disais toi que ça ne te dérangeait guère, tu ajoutais, ce qui compte quand je pars en photo, c'est d'avoir chaud. Mon vieux survète à ce titre était parfait. On ne pouvait rien lui reprocher. D'ailleurs cette nuit-là je ne crois pas que tu aies eu froid. Pas physiquement, pas si on te l'a laissée. 
      
Parce que si je parle un peu trop d'apparence, c'est que je crois que ça a joué.
       
Pour ma part, j'avais la chance en plus que d'être en tenue de travail, soit sans parler d'extrême chiquitude, l'équivalent en fringues du langage soutenu en français, d'avoir fait l'avant-veille chez mon coiffeur habituel un balayage tirant sur le roux du plus bel effet. Pas du tout négligé en tout cas.
            
Le seul détail défectueux, c'était mon imper ; en fait mon vieux. Celui qu'en partant de bonne heure au travail j'avais attrapé, le premier sous la main. Parce que ce matin à l'heure du bureau, il pleuvait, ça faisait pas semblant.
Et puis là, ça pleuvinait, en tout cas il faisait très gris. Donc à part que j'avais de bonnes chaussures, rien ne laissait présager que j'étais plutôt bien mise catégorie "sérieux".
    
Et puis même, parfois, le "sérieux" ne suffit pas.
 
      
à suivre ...
   
 
         
Il s'agit bien d'une fiction concernant des personnages inventés (dont toute ressemblance avec un ou des vrais quelqu'un est involotaire). Le "JE" n'est pas ici le Je des Trajets. Mais après hésitations je l'ai posée ici quand même.
   
Il m'est venu pour la "jeune femme qui traversait la place en sortant du travail et qu'on autorisa complaisamment à entrer dans la nasse deux minutes avant [...]" dont parle Soumia et Juliette qui témoignaient jeudi 7 avril dans Libé.
       
Ce billet est pour elles aussi, même si elles n'y sont pas.
      
Je remercie très fort Jérôme alias -g- dont le fotolog jour après jour m'enchante
Il y est souvent question d'art et de Paris et de ses rues. En ce moment elles sont parfois particulièrement encombrées, et l'album photos a changé de couleurs. Il a pris celles du reportage.
Jérôme m'a fait confiance au point de me prêter une de ses images du mardi 28 avril 2006 en m'en laissant le libre choix :
"MASS.media de MASSE en MASSE à la MASSE"

            

"Le Rouge et le Noir" : diffusion différée.

Enfin je tiens à rassurer les amoureux de Stendhal qui a dû céder son samedi à l'actualité, comme ils disent dans les jités quand ils ont fait sauter la page promotions culturelles.

Mais Henri Beyle et son Julien auront droit si tout va bien à une petite série semaine après semaine pendant quelques samedi.

Commentaires