Brosse à reluire
30 avril 2006
Fuligineuse m'a proposé de participer au jour du blogcrossing
(amis québécois que je sais particulièrement attentifs et compétents si vous savez le dire en français, je suis preneuse). Voici donc son texte et sa photo sur Traces ... quand le mien L'autre ligne 13 (au sujet de Grand Corps Malade) s'abritera une journée dans son Sablier. Merci à elle.
Un article de l’ami Lunettes Rouges avait attiré mon attention sur cette exposition de la Bibliothèque Forney, et puis j’avais un peu oublié. Je me suis réveillée juste à temps puisque l’expo se termine le 6 mai. Avec plus de 1500 brosses et balais rassemblés par deux collectionneurs, Daniel Rozensztroch et Shiri Slavin, cette exposition inédite illustre l’histoire de la brosse du 18e siècle à nos jours à travers différents chapitres thématiques : la tradition, le bazar, l’ethnique, le kitsch ou le design.
Les pièces du patrimoine artisanal tout comme les créations du design contemporain, en passant par les objets de bazar très colorés ou les créations raffinées des pays lointains, sont complétées par des documents de la bibliothèque : affiches, catalogues commerciaux, publicités... Tous les matériaux imaginables ou presque sont représentés, toutes les fibres : coco, paille de riz, sisal, graminées, jonc, feuilles de palmier, roseaux, sorgho, alfa, genêt, bambou et j’en passe. Les fabrications industrielles actuelles fournissent toute une panoplie de plastiques multicolores des plus réjouissantes.
Car c’est un fait – je me demande bien pourquoi – mais cette expo m’a donné un sentiment de jubilation. Est–ce parce que la mise en scène, digne des objets d’art les plus raffinés, s’appliquait cette fois aux plus humbles de nos ustensiles quotidiens (puisque l’expo comprend entre autres des ‘balais à chiottes’ en chiendent, pudiquement dénommés ‘brosses de latrines’ !) Toujours est–il que je me suis beaucoup amusée.
Si la brosserie a effectivement connu son heure de gloire au cours du 19e siècle, il ne faut néanmoins pas oublier ses origines plus lointaines, à commencer par le pinceau que les Chinois ont inventé au 12e siècle pour la calligraphie. En France, c’est sous le terme de « vergetier » que le métier de brossier fait son apparition en 1486. Les « vergettes » servaient alors à épousseter les habits ou à peigner les fibres tissées dans l’industrie de la toile. Quant au balai, il existe depuis la nuit des temps sous sa forme la plus rudimentaire... Reste que c’est incontestablement le 19e siècle qui fit de la brosse et de ses consœurs un article-vedette, décliné jusqu’à l’excès dans les pages illustrées des catalogues des manufactures de l’époque.
Il existait alors des brosses spécifiques pour les usages les plus inattendus. La dénomination des brosses fournit tout un bestiaire : hérisson, araignée, limande, tête de loup…
J’ai remarqué en particulier des brosses d’écritoire « servant à épousseter le talc jeté sur le papier pour absorber l’encre superflue », dit la légende (Angleterre, 19e) ; des brosses de calligraphie, évidemment de Chine, à manche de bois tourné et orné d’émail cloisonné ; de fins écouvillons pour nettoyer et graisser les armes à feu. Et bien sûr, la Grèce était présente avec ces grosses brosses rondes utilisées pour blanchir à la chaux les murs des maisons ou les interstices des dalles (j’ai eu l’occasion de m’en servir).
Pour conclure, je placerai cette note sous le patronage du président de Brosses, magistrat et écrivain. Charles de Brosses, comte de Tournay, est né à Dijon en 1709. Il fait ses études chez les Jésuites où il a Buffon pour condisciple. Après son voyage en Italie (1739-1740), il devient Président à mortier au Parlement de Dijon. En 1756, il publie « Histoire des navigations aux terres australes », un ouvrage qui fera date, et en 1760, « Du culte des dieux fétiches ». Le président de Brosses vient de créer le mot « fétichisme ». En 1756, paraît le « Traité de la formation des langues » (remarqué par Kant). Nommé Premier Président du Parlement de Bourgogne en 1775, Charles de Brosses meurt en 1777 après avoir publié sa monumentale « Histoire de la République romaine ». Buffon écrit de son ami de Brosses : «…sa vue s'étendait d'en haut jusque sur les plus petits détails, au point de ne laisser échapper aucun de ces rapports fugitifs que le coup d'œil de génie peut seul apercevoir. »
Fuligineuse
liens sur l’expo :
http://www.paris.fr/portail/Culture/
http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/lunettesrouges/2006/03/du_balai_cest_a.html
liens sur le président de Brosses :