Les plus récents comme les plus vieux
Un court dérèglement de tous les sens (1)

With a little help from my phantom friend

    
dans un immeuble splendidement haussmannien, non loin du Palais Royal, Paris, hier matin
         
P3220067
L'homme est plongé dans sa lecture. Il se tient très droit, l'air un peu austère et concentré. C'est sans doute volontaire. Nous sommes dans la salle d'attente d'un cabinet de radiographies, échographies et scannages en tout genre du corps humain, que l'on tente de nos jours de photographier de l'intérieur dés lors qu'il va mal, ou même, luxe inouï, pour vérifier qu'il n'est pas sur la pente d'un tourment majeur encore silencieux.
   
Ca n'incite pas à l'hilarité, ni aux discussions impromptues avec son voisin de chaise. Tout au plus à causer à une parente, ce que fait une belle USaméricaine assise à ma droite et qui en attendant qu'on l'appelle pour examen médical glisse à son téléfonino des confidences qui n'en sont plus. Croit-elle que les autochtones ne parlent pas sa langue ou est-elle à ce point insoucieuse de partager son intimité ?
    
Le patient lecteur est le roi du silence, seul l'appel de son nom le sortira du texte dans lequel il s'est plongé. Je le devine d'abord, avant même d'entrevoir sur la couverture 5 lettres qui me sont familières, constituent à elles seules une explication de son absence au monde, et font bondir mon coeur d'une petite joie toute intérieure :
      
W  O  O  L  F.
 
   
Je suis située trop loin de lui, et même si je sais qu'à sa place un regard des plus scrutateurs me demeurerait invisible, je n'ose pas le fixer si longtemps que je parvienne à deviner le titre qu'une de ses mains cache en partie.
Je reconnais en revanche sans effort la photo de couverture, qui m'est tant aimée (1).
   
Je viens de subir une première investigation pour moi un peu douloureuse et sur laquelle je n'ai eu aucun commentaire. J'attends la suivante puis l'éventuelle sentence. Ce n'est pas d'inquiétude qu'il s'agit, mais plutôt d'organisation ; trop de chagrins, de tourments et de lassitude des combats perdus m'ont rendue indifférente à ma vie quotidienne fors la présence de Stéphanot qui m'incite à durer.
La question est donc de savoir si les prochains mois pourront enfin être consacrés de mon mieux au travail, ou s'ils devront une fois de plus se partager entre bureau, trajets et salles d'attentes, diagnostics et traitements.
    
Dans cet interstice de temps suspendu, la présence en ces lieux de l'image de mon fantôme préféré se transforme soudain en signe d'encouragement, comme une ironique et charmante menace, j'entends sa voix aux respirations scandées me souffler en pur anglais tu ne crois quand même pas t'en tirer à si bon compte, tu devras bosser, et dur, avant de succomber. Je lui réponds en silence et V.O., OK petite mère en chef, message reçu, you're the one who knows, mais tu crois pas un peu que c'est l'hôpital qui se moque de la charité.
         
   
As I heard her matchless laugh, the doctor call my name. Je pars alors sans appréhension exposer une bribe de mon corps à l'indiscrète machine.
Les résultats seront bons.
       
En regagnant ma place avant qu'on ne me m'en fasse la communication écrite et officielle, je glisse un coup d'oeil vers la photo amie, OK you win, I've gota work. J'entrevois alors l'ombre d'un sourire qui sur le négatif ne figurait pas. 
   
    
(1) on peut la voir ici, échappée des livres

Commentaires